Monsieur le ministre, lors de ses voeux au monde de la culture, le 13 janvier dernier, le Président de la République déclarait : « Pour la culture, il doit y avoir d'autant plus d'initiatives et de projets qu'il y a ce besoin de sens et de repères. »
C'est pourquoi, même si nous avons apprécié la sincérité des propos de M. le ministre de la culture lors de nos auditions, nous nous interrogeons sur les priorités et les choix du ministère à la lecture du budget qui nous est proposé.
C'est ainsi que trois orientations paradoxales ont retenu notre attention :
Le premier paradoxe concerne le souhait, largement partagé par l'opposition, d'une culture pour tous et pour chacun. Il s'agit bien là de créer un véritable lien social, ciment de notre société.
Or, si l'on regarde simplement l'évolution du spectacle vivant sur l'ensemble de notre territoire, on constate une aggravation des disparités entre Paris et les structures en région. Ainsi, le Conseil de la création artistique, loin de gommer les disparités territoriales, réserve majoritairement ses crédits aux grandes institutions parisiennes, comme vous venez de le souligner, monsieur le ministre.
Cette orientation ne manque pas d'interroger l'ensemble des professionnels du spectacle qui avaient cru percevoir dans les récentes conclusions des Entretiens de Valois des processus de régulation dans un secteur aux besoins patents. Rappelons que les crédits alloués à ce secteur sont en augmentation de 0,4 %.
Le deuxième paradoxe concerne les lieux d'émancipation pour tout un chacun que sont les festivals, de théâtre, de musique, de cinéma, sur l'ensemble de notre territoire.
Lieux de rencontres et d'échanges, ils sont vécus par ceux qui les fréquentent comme des lieux d'émancipation où chacun peut s'ouvrir à la pensée des autres. Défendre « l'identité nationale », pour reprendre une expression à la mode, c'est avant tout défendre l'intelligence de la pensée dans ces lieux d'expression que sont les festivals. Or, là encore, les budgets alloués sur crédits déconcentrés sont strictement les mêmes d'une année sur l'autre.
Pour comprendre ce budget, il faut avoir en mémoire qu'en 2009 a été créé un fonds de soutien à la création et à la diffusion, doté de 5 millions d'euros redéployés en 2010 sur différents réseaux. Seront-ils suffisants pour consolider ces lieux de structuration de la pensée que sont les festivals ? Comment assurer leur pérennité lorsque l'on sait que, d'une année sur l'autre, les organisateurs et les créateurs ne connaissent pas les montants qui leur seront alloués ?
Enfin, le troisième paradoxe concerne l'ensemble de notre patrimoine, lieu de transmission de notre mémoire collective.
Certes, nous ne pouvons que nous féliciter des moyens alloués notamment à la restauration des monuments historiques mais leur hausse ne bénéficie en fait qu'aux seules structures nationales. Sur l'ensemble du territoire, c'est la stricte reconduction des crédits, voire une baisse de 30 % des crédits d'investissements en région.
Lors de nos débats, nous avions notamment insisté auprès du ministre sur la nécessité de favoriser la confrontation avec l'oeuvre d'art, c'est-à-dire d'offrir à l'ensemble des jeunes générations la possibilité de rencontrer des oeuvres, des artistes pour s'initier à l'histoire des arts. Lorsque des territoires entiers sont ainsi privés de cette ouverture sur le monde artistique, ce sont des générations d'enfants ou de jeunes qui seront privés d'un esprit critique propice à leur développement, à leur enrichissement personnel.
Nous avions également insisté sur la nécessité de revoir les moyens accordés aux services déconcentrés de l'État, les DRAC, afin que soit valorisé notre patrimoine dans toutes ses composantes, en région, auprès de tous les publics, dans un processus d'appropriation souhaité par les collectivités.
Dans sa note à l'attention des préfets de région, M. le ministre de la culture parlait « du défi de la transmission », soulignant que « l'abondance d'une information peu organisée dans notre société exige de renforcer la capacité de chacun à faire le tri et à faire des choix. Or faire des choix nécessite d'avoir des repères. »
Ces repères, que souhaite le ministre de la culture fort justement, se construisent notamment par la fréquentation des bibliothèques médiathèques dont j'ai déjà eu l'occasion de parler en commission élargie. Je ne reviendrai donc pas sur les besoins continus des communes en termes d'équipements ou sur l'urgente nécessité de l'accès aux mots, aux livres ou aux supports numériques dans une société en perte de repères. J'ai bien pris note de la position du ministre de la culture.
Pour conclure, monsieur le ministre du budget, je serais fière si un jour, les jeunes pouvaient dire, comme Camus naguère : « ma patrie, c'est la langue française ». Car si la culture a un coût, et nous le savons tous, l'absence de structures culturelles coûte encore plus cher. C'est pourquoi le groupe SRC ne votera pas le budget qui nous est présenté.