Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le haut commissaire, chers collègues, examiner le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dans le contexte économique et social que nous connaissons n'est pas neutre. En effet, le nombre de nos concitoyens en situation d'exclusion s'accroît, éloignant d'autant les objectifs annoncés de réduction de la pauvreté dans notre pays. Plus que jamais, il est nécessaire de disposer d'outils performants tant pour les politiques de prévention que pour l'accompagnement et l'insertion des personnes fragiles.
Une grosse partie des crédits de la mission est ainsi orientée vers le revenu de solidarité active. Même si le recul est encore insuffisant pour porter des jugements définitifs, le présent rapport permet une première approche de la mise en oeuvre du RSA.
Le premier élément qui mérite d'être souligné, c'est l'insécurité du financement.
L'intérêt de ce nouveau dispositif repose sur la partie RSA chapeau, dont le coût, estimé à environ 2,9 milliards d'euros en année pleine, est financé par une subvention budgétaire de l'État – considérée comme une opération blanche en raison notamment de la remise en cause de certains droits connexes – et par une contribution sociale de 1,1 % sur les revenus du capital, dont le produit attendu est de 1,5 milliard d'euros.
La réalité de 2010 sera tout autre puisqu'en raison d'un rendement très décevant de la contribution sur les revenus patrimoniaux, ce ne sont pas 1,5 milliard d'euros qui sont attendus mais plutôt 1,287 milliard d'euros. Pour équilibrer les comptes, la subvention budgétaire de l'État s'élèvera à 1,9 milliard d'euros alors qu'elle avait été initialement fixée à 1,24 milliard d'euros dans le cadre de la programmation triennale des finances publiques.
N'est-il pas imprudent d'asseoir une politique publique fondamentale sur une ressource tellement sensible à la conjoncture que son rendement peut varier de 20 % ? On peut s'interroger.
L'incertitude financière est tout aussi vraie pour le RSA socle, dont le coût est évalué à plus de 6 milliards d'euros. Le financement de ce dispositif – hérité du RMI et de l'API – repose sur les conseils généraux qui reçoivent, en compensation, une partie de la TIPP.
Cela étant, le différend qui oppose les départements au Gouvernement demeure plus que jamais d'actualité : les recettes apportées notamment pour l'API ne couvrent pas la totalité de la dépense ; les dépenses de gestion et d'accompagnement des familles monoparentales basculées sur le RSA et des bénéficiaires du RSA chapeau ne sont pas compensées. Quant au RSA chapeau, il reste à la charge de l'État.
Troisième élément d'incertitude : la prise en charge du RSA jeunes dont aucune trace n'apparaît dans ce projet de loi de finances, comme si l'on avait parié sur une faible montée en charge globale du RSA, permettant d'assumer le coût d'une extension à un nombre de jeunes au demeurant fort limité.
Pour clore la question de l'équilibre financier du RSA à la charge de l'État, on peut certes se rassurer en observant que différents mouvements se neutralisent : la contribution sur les revenus patrimoniaux rapporte 20 % de moins que prévu et le RSA jeunes doit être financé, mais, à l'inverse, la montée en charge du RSA chapeau est beaucoup plus lente que prévu.
C'est là le second enseignement de la mise en oeuvre du RSA. Même si une prestation nouvelle met toujours longtemps à trouver son public, le rythme de montée en puissance du RSA pose question. Alors que l'on tablait sur 2 millions de bénéficiaires du RSA chapeau, seulement 467 000 personnes étaient inscrites à la fin du mois d'août – avec un rythme de croissance de 70 000 par mois.
Les explications sont diverses : complexité des démarches ; manque d'attrait de RSA chapeau faibles ; référence à la mise en oeuvre des obligations alimentaires agissant comme un frein ; ou encore refus de s'inscrire dans un dispositif trop connoté socialement, ce qui serait plus inquiétant.
Une chose est sûre : personne ne peut dire que le dispositif a besoin d'être connu puisque la CNAF a enregistré 15 millions de connexions sur le site de test d'éligibilité depuis le 1er juin 2009.
Quoi qu'il en soit, ou le RSA prend son envol et cela ne pourra se faire sans d'importantes dépenses supplémentaires, ou le RSA stagne et cela met en cause la crédibilité des prévisions de dépenses au titre du RSA chapeau. Ces dernières seraient alors très fortement surestimées pour 2009 comme pour 2010 dans les documents budgétaires.
Le programme 304 englobe enfin l'action n° 2 relative aux expérimentations sociales et d'économie sociale qui semblent davantage compter sur un financement extrabudgétaire. Cela confirmerait la préoccupante dilution de la DIESES au sein de la direction générale de la cohésion sociale, atténuant la spécificité innovante de l'économie sociale.
La mission permet aussi un examen des dispositifs en faveur des familles vulnérables, qui enregistrent une diminution de 6,5 % de leurs crédits. Plus globalement, les crédits déconcentrés d'accompagnement des familles sont passés de 25 millions d'euros en 2007 à 12,6 millions d'euros pour 2010, s'inscrivant en contradiction avec les préconisations venant de toutes parts, qui insistent sur l'importance des actions d'accompagnement social des couples et des familles.
La mise en place des maisons des adolescents suscite des interrogations. Durant cet exercice, le Gouvernement souhaite en doter les 25 départements qui n'en ont pas encore, mais l'enveloppe de 2 millions d'euros est inférieure à celle de 2009 fixée à 2,5 millions d'euros pour 19 maisons des adolescents.
Cette réduction des moyens est aussi une réalité pour les crédits plus spécifiquement destinés au soutien à la parentalité. Ceux des Réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents subissent ainsi une forte baisse : 13,6 millions d'euros en 2008 ; 7,1 millions d'euros en 2009 ; et 6,1 millions d'euros prévus pour 2010. La compensation annoncée par les caisses d'allocations familiales est insuffisante puisque l'aide à la parentalité recevra au total 500 000 euros de moins.
Le maigre budget consacré à la politique en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes progresse de 1,3 % pour atteindre 29,5 millions d'euros. Cette progression reste largement insuffisante pour suivre les préconisations de la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Quant au programme qui regroupe les moyens de fonctionnement des administrations sanitaires et sociales, il permet d'identifier les faibles moyens de la Défenseure des droits de l'enfant – 3,18 millions d'euros. Celle-ci reste menacée dans son existence, alors même qu'il paraît nécessaire d'afficher une visibilité de la mission de défense des droits de l'enfant et de préserver des modes d'intervention spécifiques.
Je veux mettre à profit cette intervention à la tribune pour attirer l'attention des ministres et des parlementaires sur la grave situation des jeunes en grande exclusion. Trois chiffres préoccupants l'illustrent. Le taux de chômage des moins de 25 ans est passé en un an de 18,7 % à 23,9 %, alors qu'il se situe à 9,1 % pour l'ensemble de la population. Un million de jeunes de 18 à 24 ans, soit plus de 20 % d'entre eux, sont considérés comme pauvres. En quarante ans, le taux de pauvreté des personnes âgées a été divisé par deux, alors que celui des jeunes a doublé.
Force est de constater qu'en période de crise, les jeunes jouent souvent le rôle de variable d'ajustement des effectifs des entreprises, notamment par la réduction des CDD et des postes d'intérim. À cette situation s'ajoutent des difficultés structurelles croissantes d'insertion des jeunes dans l'emploi et encore plus dans l'emploi stable. La France a le triste privilège de s'inscrire parmi les pays où la durée avant une stabilisation professionnelle est des plus longues, soit entre sept et dix ans.
Face à cela, les travaux de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse ont permis de dégager des pistes, même si l'on peut regretter qu'elles ne semblent pas véritablement destinées à ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi. En effet, le plan qui en a découlé, proposé par le Président de la République, met en lumière la fameuse thématique des droits et des devoirs. Or toutes les auditions que j'ai pu mener ont montré que la grande exclusion crée des publics dits invisibles et pourtant bien existants, éloignés des logiques contractuelles. La préoccupation de la survie au quotidien est bien souvent incompatible avec les outils proposés, y compris les contrats aidés.
Bien évidemment, l'objectif du retour à l'emploi reste la priorité. Mais vouloir à tout prix inscrire l'emploi dès le démarrage de l'accompagnement fait prendre le risque d'un triple échec : celui du dispositif, celui de l'employeur et celui du bénéficiaire à nouveau confronté à une épreuve dont l'issue sera négative.
Un mot sur la mise en place de ce qui a été présenté comme le RSA jeunes. Au fait qu'aucun crédit spécifique ne soit inscrit dans ce projet de loi de finances s'ajoute le très faible nombre des bénéficiaires potentiels, qui pourraient ne représenter que 3 % de cette classe d'âge, tant les critères d'obtention sont peu adaptés à la réalité du parcours des jeunes. Il y a là plus un effet d'annonce qu'une véritable ouverture de droits nouveaux en direction des jeunes.
Si les jeunes sont les plus grandes victimes de la précarité économique, ils subissent aussi la précarité relationnelle, celle qui s'installe dans le délitement du lien familial et du lien social. Nombre de personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité de se doter de politiques qui s'inscrivent dans le temps, mais aussi, pour ces phénomènes de grande exclusion, de politiques qui prônent le « aller vers », comme le font beaucoup d'associations.
Autre recommandation : plutôt que de multiplier les interlocuteurs et de changer les dispositifs en permanence, il nous semblerait utile de renforcer les acteurs existants notamment l'éducation nationale et le monde associatif, afin que les décrocheurs déjà repérés soient plus suivis avant d'être orientés, dans un second temps, vers les missions locales et PAIO. Ces dernières auront besoin de disposer d'outils pluriannuels, seuls éléments utiles pour inscrire des perspectives d'insertion dans la durée.
Ce matin, un quotidien titrait : « Précarité : augmentation des vols de produits alimentaires ». Ce titre retrace les difficultés grandissantes de nombre de nos concitoyens.
Après examen de ce budget, le constat montre clairement que la mobilisation n'est pas à la hauteur des enjeux du quotidien comme des besoins à long terme, et il justifie donc mon avis négatif sur les crédits proposés pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)