Madame la secrétaire d'État, après mes collègues Aly et Dosière, j'aimerais appeler votre attention sur les risques qu'entraînerait le moindre désengagement de l'État à Mayotte où nous avons créé, par nos votes ici même, des attentes et des espoirs que nous n'avons pas le droit de décevoir, compte tenu du contexte très spécial que connaît l'archipel.
Mon propos ne sera pas tant de stigmatiser les moyens toujours trop limités de votre département ministériel que de vous alerter sur les risques que court la collectivité départementale de Mayotte dans cette phase délicate qui la sépare de l'accession au statut de département d'outre-mer de plein exercice.
Nous sommes face à cinq enjeux majeurs, dont le premier est l'indispensable rattrapage de Mayotte.
Au-delà des images idylliques de l'enthousiasme populaire déclenché par le referendum, rappelons que Mayotte est le territoire de la République où les indicateurs économiques et sociaux sont au plus bas niveau : espérance de vie, niveau de scolarisation, accès au logement et aux soins. Raison de plus pour que les efforts de rattrapage soient poursuivis et amplifiés.
Beaucoup a déjà été fait. Toutefois, la croissance démographique naturelle ou liée à l'immigration – j'y reviendrai – ne permet pas d'attendre. Il faut poursuivre les investissements publics dans les deux domaines prioritaires que sont la santé et l'éducation. Pour la deuxième année consécutive, la rentrée scolaire aura été marquée par des inaugurations de préfabriqués après une décennie de constructions de lycées et de collèges en dur. C'est un signe inquiétant.
Le deuxième enjeu est le calendrier de la mise en place de la départementalisation. La feuille de route intitulée « Pacte pour la départementalisation de Mayotte » a fait l'objet d'un gros effort d'explication. Toutefois, est-on sûr que tous les responsables mahorais – élus, responsables économiques et sociaux – et la population même se le sont bien approprié ? Permettez-moi d'en douter. Le système de protection sociale, plus particulièrement les minima sociaux, ne peut se mettre en place qu'avec un état civil fiable, comme l'a souligné René Dosière. Le vote du 29 mars a entraîné des impatiences qui peuvent déboucher sur des incompréhensions, voire des mouvements sociaux durs.
Le troisième enjeu, madame la secrétaire d'État, est l'adaptation des politiques publiques à Mayotte. Le très gros chantier des prestations sociales est sans doute le plus complexe. En effet, les réformes qui auront un impact direct sur la vie des habitants devront faire l'objet d'une véritable co-élaboration avec les représentants de la société mahoraise si l'on ne veut pas que des effets pervers prennent le pas sur les avancées sociales.
La mise en place d'une fiscalité locale fait partie de ces dossiers difficiles – ce n'est pas réservé à la métropole ! – qui prendront du temps. À cet égard, l'échéance de 2014 prévue dans le pacte paraît bien proche. Le rôle du Parlement, mes chers collègues, sera déterminant pour les mesures d'adaptation qui seront du domaine de la loi.
Parmi les politiques publiques, je voudrais mentionner pour ce qui est de la formation professionnelle le rôle très positif du SMA. Vouloir doubler ses effectifs sans que l'État consente un effort corrélatif pour le maintenir à douze mois et construire les infrastructures nécessaires revient à mettre à mal l'un des outils publics qui fonctionnent le mieux pour les jeunes. Sans doute faudra-t-il le compléter par le service civique, déjà voté par le Sénat que je vous suggérerai de généraliser à l'outre-mer dès que notre assemblée sera saisie du texte.
Le quatrième enjeu est l'indispensable apaisement du contexte régional. Au-delà de la revendication de l'Union des Comores sur Mayotte, toute crise importante dans l'une des trois autres îles de l'archipel a toujours eu des répercussions sur Mayotte. Les événements du 27 mars 2008, avec le dérapage qu'a connu en quelques heures la manifestation politique, dégénérant en violences urbaines, sont le signe tangible que la situation est extrêmement fragile.
Le développement économique et social de Mayotte et la départementalisation ne peuvent se mettre en place que dans un environnement régional apaisé. Les discussions avec les Comores doivent donc reprendre car le groupe technique de haut niveau, le GTHN, installé par les présidents Sarkozy et Sambi, il y a deux ans, est au point mort, il faut le noter. Cette fragilité de l'environnement régional peut à tout moment déstabiliser Mayotte.
Comment accepter que notre politique de reconduite des Anjouanais chez eux – services de police, de gendarmerie, vedettes, centres de rétention, radars, retours en avion ou en bateau – nous coûte 30 millions d'euros par an, selon l'estimation du préfet lui-même, alors que le document-cadre de partenariat France-Comores porte sur une somme de 88 millions d'euros, soit 22 millions par an ? La construction de la maternité que la coopération française devait financer à Anjouan est toujours à l'état de projet.
J'en viens au cinquième enjeu, qui est un constat, celui de l'échec de la politique de lutte contre l'immigration clandestine.
Il faut se rendre à l'évidence : l'immigration clandestine augmente à Mayotte même si nos eaux territoriales sont devenues un vaste cimetière marin. Plusieurs centaines de Comoriens meurent chaque année dans des accidents de kwasa-kwasa. Ce sont 1 000 enfants qui sont chaque année abandonnés à eux-mêmes, seuls, sans ressources, non scolarisés, après l'expulsion de leurs parents. C'est une génération entière d'adolescents qui, faute de repères et de famille, vont grossir les statistiques de la petite délinquance et qui sont déjà engagés dans les violences urbaines.