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Intervention de Jean-Michel Boucheron

Réunion du 3 novembre 2009 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Action extérieure de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Boucheron :

Monsieur le ministre, dans la première partie de mon intervention, prononcée au nom du groupe socialiste, je me dois de parler de vos crédits budgétaires.

Il nous faut en effet chercher les raisons du manque d'enthousiasme avec lequel vous les avez présentés en commission des affaires étrangères. Votre ministère émarge à 2,6 milliards d'euros ; vous avez parlé de « réforme en profondeur du réseau diplomatique préservant le coeur du métier » – tout est dans le « préservant » – et permettant de « rendre des emplois sur l'autel de la rigueur collective ».

Il faut traduire ! « Rendre des emplois sur l'autel de la rigueur collective », cela veut dire perdre 255 emplois cette année. « Préserver le coeur du métier » signifie transformer trente ambassades en postes de présence diplomatique, réduire la carte consulaire, mieux encore, externaliser l'attribution de visas. Dans cet élan de générosité envers le budget de l'État, prenons garde de ne pas aller jusqu'à externaliser les affaires étrangères de la France !

Il est vrai que la Cour des comptes n'a pas été tendre. L'affaire de l'Imprimerie Nationale reste dans les mémoires – même si vous n'étiez pas encore aux affaires, monsieur le ministre. La gestion immobilière du Centre des archives diplomatiques, où le cumul des loyers payés sera supérieur de 41 % au coût d'un financement sur crédits budgétaires, montre en revanche que vous avez cédé à l'idéologie de la privatisation. À Dublin ou à Madrid, des opérations immobilières obéissant à la même logique sont en cours.

Le président de la Cour des comptes, M. Séguin, le dit lui-même : « C'est bien de vendre les bijoux de famille, par exemple le centre de conférences internationales de l'avenue Kléber, mais chaque fois qu'une réunion internationale au sommet est organisée, il nous faut faire une opération du type Grand Palais » – où s'est tenue la conférence euro-méditerranéenne. « Au bout de quelques sommets, on aura dépensé ce qu'a rapporté la vente de l'immeuble ». On voit les résultats de cette idéologie de l'externalisation et de la privatisation, qui pourraient faire sourire s'il ne s'agissait pas des deniers publics.

La charge de la scolarisation des enfants des salariés des entreprises françaises est transférée à la collectivité, c'est-à-dire aux crédits de l'action culturelle, qui vont en pâtir. L'action culturelle est ainsi devenue la variable d'ajustement, et nous soutenons évidemment l'amendement de François Rochebloine. Rappelons en outre que les crédits affectés à la solidarité envers les plus démunis de nos compatriotes vivant à l'étranger passent de 19 à 17 millions d'euros ; voilà ce que l'on appelle trouver des marges de manoeuvre. Pourquoi la présidence de l'Union européenne par M. Sarkozy coûterait-elle trois fois plus cher que celle de M. Chirac et douze fois plus que celle de M. Mitterrand ?

Heureusement, le débat sur les crédits du ministère des affaires étrangères est aussi l'occasion d'aborder les questions fondamentales de notre politique extérieure. En la matière, deux changements tout à fait positifs ont eu lieu depuis l'année dernière.

S'agissant tout d'abord de notre relation avec la Russie, la France est passée d'une situation de tension à une situation de coopération. Notre refus de faire adhérer la Géorgie et l'Ukraine à l'OTAN a représenté un tournant capital montrant, vingt ans après la chute du mur de Berlin, que nous considérons ce grand pays comme un partenaire essentiel du développement et de la paix.

L'autre événement positif, qui ne dépend pas de vous, est l'arrivée de M. Obama au pouvoir. Son discours de Prague et l'abandon du dispositif anti-missiles en Europe a été une source d'apaisement et de détente, même s'il a pu décevoir quelques fondamentalistes de l'atlantisme en Pologne ou en République tchèque.

À ce propos, monsieur le ministre, j'aimerais entendre vos commentaires sur la brillante idée de M. Rasmussen, qui propose d'otaniser le nouveau système anti-missiles. Il s'agit en réalité d'un cheval de Troie technologique et politique de nos amis américains, qui cherchent à faire financer par les budgets européens une partie de leur industrie de défense. La ficelle peut paraître grosse, mais elle a déjà fonctionné pour l'avion de combat F 35, gentiment financé par les grands pays européens, à l'exception de la France. Monsieur le ministre, je suis tout sauf un anti-américain, mais je suis un patriote qui n'entend pas que nos finances profitent d'abord à 1'appareil industriel américain plutôt qu'à nos entreprises.

L'autre discours de M. Obama, celui du Caire et de la main tendue aux musulmans, aurait mérité d'être mieux entendu à Paris. En effet, un dossier novateur de votre politique est aujourd'hui bloqué : je veux évidemment parler de l'Union pour la Méditerranée. Si les principes fondateurs exposés par le Président de la République ne doivent jamais être abandonnés, force est de constater que le conflit israélo-palestinien a rendu difficile la cohabitation entre les parties autour de la table.

Sur cette question, je juge la position française trop frileuse. La situation dans les territoires occupés s'aggrave ; les conditions d'une explosion s'installent ; la situation du ghetto de Gaza, sur lequel l'aviation israélienne, si vous me permettez l'expression, « cartonne » régulièrement, est un scandale humanitaire qui ne favorise que les mouvements extrémistes. La décrédibilisation des éléments modérés est l'objectif du gouvernement israélien depuis Sharon. La communauté internationale fait preuve d'une indifférence coupable, sinon de lâcheté, face à un problème qui gangrène toutes nos relations internationales avec le Sud. L'Union pour la Méditerranée, votre plus belle initiative, en est la première victime.

Je ne dirai qu'un mot de la question turque. Vous connaissez ma position sur ce sujet ; mais je voudrais surtout que la vôtre évolue. La Turquie est en train de régler son différend historique avec l'Arménie. Du reste, le Premier ministre, M. Fillon, évoque un besoin de dialogue franco-turc pour l'adhésion et parle de la Turquie comme d'un vecteur de dialogue et de stabilité. Il est temps de dépasser une vision culturellement pure et bunkérisée de l'Europe au profit d'une vision stratégique pour le xxie siècle. Le temps passe ; le monde se réorganise sous nos yeux ; l'Europe doit se doter d'une stratégie de puissance.

S'agissant de l'Iran, la communauté internationale est dans l'impasse. Le déroulement des négociations est connu d'avance : ce pays veut la bombe et personne ne pourra l'en empêcher, même en se lançant dans des aventures militaires inutiles qui tourneraient au ridicule pour ses auteurs et au drame pour la paix dans le monde.

L'Iran maîtrise aujourd'hui la totalité des éléments constitutifs d'une arme à fission nucléaire. Il est possible d'ailleurs que ce pays ne procède pas à un essai. Il faut donc passer à la problématique suivante, c'est-à-dire la construction d'accords de sécurité globale dans cette région. Israël lui-même devra assumer publiquement la possession de ses armes nucléaires pour que ces deux pays entrent dans la normalité et la rationalité de la dissuasion. Ce n'est que dans cette logique différente que pourra s'asseoir la légitimité d'un nouveau traité de non-prolifération.

S'agissant de l'Afghanistan, monsieur le ministre, nous réclamons un débat. Tout le monde est d'accord, mais il ne vient pas. Pendant des années le fondamentalisme a été soutenu financé, instrumentalisé : en Afghanistan, par les Américains contre les Soviétiques ; au Cachemire, par les Pakistanais contre les Indiens. À cet égard, la bataille du Waziristan au Pakistan est capitale. Il faut faire attention au thème américain de l'AFPAK, mal vécu par les opinions publiques locales, au même titre que la loi Kerry-Lugar, ressentie comme une atteinte à la souveraineté de l'État pakistanais.

Vous avez décidé, à effectifs constants, d'augmenter la protection et les capacités de renseignement de nos hommes. Il le fallait. Mais ce qu'il faut surtout, c'est adopter une autre stratégie qui n'assimile pas toutes les formes de pratique religieuse musulmane au fondamentalisme d'Al-Qaïda et qui prenne en compte le fait que le pouvoir en Afghanistan part du bas, c'est-à-dire des chefs de village, niveau où il y a le moins de corruption.

Monsieur le ministre, vous aurez noté que mes principales objections à votre politique ont porté sur la Turquie, la Palestine et l'Iran. Le rapport de l'Europe au monde musulman doit se pacifier, s'assainir, gagner en une meilleure connaissance et en une meilleure confiance. Là réside sans nul doute 1'enjeu de la paix et du développement dans le monde pour les décennies qui viennent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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