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Intervention de Jacqueline Fraysse

Réunion du 27 octobre 2009 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, chers collègues, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, en apparence modeste, est, en fait, celui de tous les records.

Le déficit prévu, de 31,5 milliards d'euros, est en effet le plus important depuis la création de la sécurité sociale, devant celui de 25 milliards d'euros enregistré cette année. Nous en sommes au point où la commission des finances n'a pas osé donner un avis favorable à ce texte !

Le Gouvernement voudrait nous convaincre – M. Woerth s'y est beaucoup employé – que la crise explique ces déficits ; nous contestons cette thèse.

Bien sûr, avec l'accentuation du chômage qu'elle a provoquée, la crise a aggravé les comptes sociaux, mais ce déficit existe depuis des années. Il est même structurel puisque la sécurité sociale souffre d'une insuffisance criante et persistante de recettes.

Cela devrait nous conduire à revoir en profondeur l'assiette de cotisation. Or vous vous y refusez obstinément : tout se passe comme si vous aviez décidé de laisser pourrir la situation. En effet, finalement, ce déficit vous est plutôt utile pour expliquer que notre système, essentiellement fondé sur les revenus du travail, est dépassé : il permet de justifier les charges de plus en plus lourdes que vous faites supporter aux usagers.

Peu vous importe qu'au fil des ans s'installe une inégalité d'accès aux soins de plus en plus marquée et qu'elle soit ressentie par tous. Cette évolution démontrée par plusieurs études s'accompagne d'une dette sociale dont le remboursement des intérêts coûte chaque année plus de 7 milliards d'euros de prélèvements sociaux et fiscaux.

Or vous savez aussi bien que moi que cette situation grave n'a aucune chance d'être surmontée grâce à l'augmentation du forfait hospitalier, aux nouveaux déremboursement de médicaments ou à la fiscalisation des indemnités d'accidents du travail, qui ne devrait rapporter que 150 millions d'euros. Ces mesures pèsent lourd pour les usagers, mais elles ne pèsent pas grand-chose dans le budget de la sécurité sociale face aux défis actuels.

En fait, vous avez décidé de mettre en cause durablement le système solidaire qui, en prélevant une part de la richesse produite, permettait à chacun, quelles que soient ses ressources et la gravité de son état, de bénéficier de soins de qualité.

Vous faites progressivement glisser notre modèle vers un système où prédominera la prise en charge individuelle : finalement, seuls ceux qui pourront payer seront bien soignés.

Aussi, au nom de la compétitivité, vous exonérez les entreprises de charges sociales sans aucun contrôle sur les résultats attendus, alors que vous savez que ces derniers sont quasiment nuls au regard des 32 milliards d'euros engloutis en 2009 dans ces dispositifs. Pourtant, avec le recul, nul ne peut nier que les chiffres du chômage progressent au fur et à mesure qu'augmentent les exonérations de cotisations sociales patronales. Mais cela ne vous empêche pas de poursuivre sur cette voie qui gangrène littéralement notre société.

En vérité, le déficit de la sécurité sociale n'est qu'un des symptômes d'un système économique malade, fondé sur la spéculation, qui ne crée rien et qui dévalorise le travail.

Ainsi, en 2006, la part des salaires dans la valeur ajoutée se situait autour de 66 %, alors qu'elle s'élevait à 70 % dans les années soixante et qu'elle avait atteint 74 % en 1982. Or une variation d'un point de la masse salariale modifie le solde du régime général de près de 2 milliards d'euros. L'explication du déficit de la sécurité sociale est essentiellement là.

Nous avons également des conceptions différentes de ce que représente la santé pour notre pays. Pour nous, la bonne santé d'une population, comme son éducation, est un investissement pour le présent et l'avenir. Les dépenses de santé ne sont pas un boulet pour notre économie mais, au contraire, une richesse sur le plan humain comme sur le plan économique.

C'est pourquoi nous considérons qu'il faut partir des besoins et adapter les financements, car loin d'être une charge, la protection sociale contribue et participe pleinement au développement économique.

Ce préambule illustre manifestement deux conceptions opposées de la place de la santé et de la protection sociale dans notre société. Des réponses différentes sont donc apportées aux besoins, qu'il s'agisse de l'accès aux soins, de la médecine générale, des hôpitaux, de la famille, des retraites, ou encore de la santé au travail.

Nous sommes devant une accentuation sans précédent des inégalités. Je suis d'ailleurs frappée par le fait que vous n'en parlez pas. Pourtant, les écarts d'espérance de vie entre les cadres et les ouvriers ont encore augmenté depuis le début des années quatre-vingt. Selon l'INSEE, un cadre de trente-cinq ans peut aujourd'hui espérer vivre jusqu'à quatre-vingt-un ans, alors que l'espérance de vie d'un ouvrier du même âge plafonne à soixante-quatorze ans. De plus, les ouvriers, durant leur vie plus courte sont davantage victimes d'incapacités et de handicaps.

Selon l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé, en 2006, 14 % de nos concitoyens ont renoncé à des soins pour des raisons financières. Ce taux s'élève à 23 % chez les étudiants et à 32 % chez les personnes ne disposant pas d'assurance complémentaire. Mais, de tout cela, nos ministres ne parlent pas.

Cette situation n'a rien d'étonnant quand on voit s'ajouter au ticket modérateur et aux franchises sur les boîtes de médicaments, sur les actes paramédicaux et sur les transports en ambulance, le « un euro » par consultation et par acte de biologie, les déremboursements répétés de médicaments et l'augmentation de deux euros du forfait hospitalier, fixé désormais à dix-huit euros par jour.

Ainsi, depuis sa création en 1982, le forfait hospitalier a augmenté de près de 500 % alors que le SMIC, dans la même période, n'a augmenté que de 175 %. Mesurez-vous qu'à dix-huit euros par jour une hospitalisation de dix jours correspond à plus du quart du montant du minimum vieillesse ?

Et à tout cela, il faut encore ajouter les dépassements d'honoraires qui accentuent considérablement les inégalités d'accès aux soins. C'est peu dire que, dans bien des cas, le « tact et la mesure » sont largement dépassés. Lors de l'examen du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, vous aviez rejeté notre amendement visant à encadrer ces dépassements. Nous déposerons à nouveau un amendement en ce sens, car l'objectif que nous poursuivions est plus que jamais d'actualité.

Vous nous présentez le secteur optionnel comme la réponse à ce problème ; nous n'y croyons pas. En fait, les médecins exerçant en secteur 2 y resteront pour l'essentiel – ils le disent d'ailleurs eux-mêmes –, tandis que ceux exerçant en secteur 1 accéderont à leur tour aux dépassements. C'est en réalité la disparition programmée du secteur 1 qui se profile

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