De fait, le philosophe que je viens d'évoquer commençait son raisonnement en notant que les États étaient les premiers que l'on encourageait à vivre à crédit.
Le principal problème tient au crédit « revolving » – le jeu de mot bien connu avec « revolver » est facile, mais assez parlant. Sans remboursement obligatoire échelonné, il arrive que l'emprunteur, au terme du délai d'un an ou deux où les conditions financières sont supportables, ne puisse plus rembourser et doive accepter un prolongement assorti de taux prohibitifs. C'est une situation que nous connaissons tous, et le crédit revolving figure du reste dans une grande partie des dossiers traités par les commissions de surendettement.
Plus encore qu'à la demande des emprunteurs, l'importance que prend le crédit revolving est due à l'agressivité de l'offre – par affichage ou par téléphone, à la caisse des grands magasins ou par l'intermédiaire de vendeurs intéressés à la distribution de ce produit. L'information des consommateurs est insuffisante, les conditions les plus contraignantes étant le plus souvent indiquées en petits caractères ou très discrètement.
En outre, à l'exception des taux d'appel destinés à attirer les emprunteurs et de courte durée, les taux de ces crédits sont souvent prohibitifs. La banque se couvre très largement pour les risques qu'elle prend en prêtant à certains emprunteurs qui ne paieront pas. Les pauvres qui ont du mal à rembourser paient donc pour les pauvres qui en sont tout à fait incapables, sans que la solidarité soit organisée avec les autres secteurs de la société.
Nous proposons donc la suppression du crédit revolving. D'aucuns objectent que cette mesure ne peut être prise en temps de crise, mais celle-ci ne saurait cependant justifier qu'on accélère encore la course vers la catastrophe. Encourager les gens à consommer à crédit, c'est les encourager à accumuler des charges qu'ils ne pourront pas payer plus tard et qui rendront leur situation plus difficile encore.
Il faut également promouvoir un crédit à la consommation responsable. Cette responsabilisation ne doit pas être seulement celle de l'emprunteur, mais aussi celle du prêteur – ce qui n'a guère été le cas jusqu'à présent, en dépit de plusieurs textes votés en ce sens par cette assemblée et de divers décrets. À cette fin, le prêteur doit avoir une connaissance juste de la situation de l'emprunteur au moment où celui-ci contracte le prêt. Un fichier positif semble donc nécessaire, distinct du fichier des incidents de paiement tenu par la Banque de France. On peut en effet connaître un incident de paiement sans être endetté – il suffit pour cela, par exemple, d'un retard dans le versement du salaire en fin de mois, qui empêche le débit d'une mensualité de prêt. À l'inverse, des emprunteurs de plus en plus nombreux utilisent le crédit revolving pour faire de la « cavalerie » et s'endettent de plus en plus sans figurer pour autant au fichier des incidents de paiement, puisqu'ils disposent toujours de trésorerie au moment des paiements.
Le fichier des incidents de paiement ne répond donc pas à la question que nous nous posons, et il nous faut, comme d'autres pays, mettre en place un fichier positif. Celui-ci doit toutefois être centralisé à la Banque de France et son accès doit être réservé à l'emprunteur, lequel pourra obtenir, à l'instar d'un extrait de casier judiciaire, la situation de son endettement, qu'il pourra produire lors de la souscription d'un nouvel emprunt. La banque, connaissant la réalité de l'endettement comme des ressources de l'emprunteur, pourra ainsi voir sa responsabilité engagée en cas de difficultés.
Sur cette partie du texte, je proposerai deux amendements. L'un tend à rétablir un crédit social tel qu'il en existait voilà quelques années encore avec les prêts de la CAF pour les familles –, prêts qui avaient en outre une valeur pédagogique, car l'emprunteur était accompagné par des conseillers et conseillères en économie sociale et familiale qui l'aidaient à mieux organiser son budget.
L'autre amendement tend à réformer le taux de l'usure, dont le calcul figurant dans la proposition de loi pourrait être très défavorable aux banques lorsque les taux interbancaires sont très bas et leur être très favorable lorsque ces taux sont élevés. Dans un cas, en effet, le taux ne permettrait pas aux banques de rémunérer les charges différentielles induites par de faibles montants de prêt comportant des risques importants. Dans l'autre cas, un taux interbancaire élevé se traduirait par une rente de situation pour le système bancaire. Je propose donc de définir par rapport au taux interbancaire, augmenté d'une marge fixe de cinq à dix points correspondant à des frais fixes eux aussi.
La deuxième question abordée par la proposition de loi est celle de l'action de groupe. En 2003, j'ai souscrit aux analyses d'un rapport établi par un excellent député dont je ne puis malheureusement pas dire qu'il soit devenu un excellent ministre : M. Luc Chatel, qui a depuis lors renié les conclusions de ce rapport, où il défendait l'action de groupe à la française. Depuis qu'il est ministre, M. Chatel a expliqué que la situation n'était pas encore mûre. Les dernières déclarations du secrétaire d'État désormais en charge de ces questions, pour qui la crise n'est pas le bon moment pour mettre en place ce nouvel outil, ainsi que le fait que le groupe constitué en juillet 2008 pour étudier la question de l'action de groupe ne se soit réuni qu'une seule fois, laissent penser que le dossier est désormais enterré.
La crise ne justifie pas que l'on renonce à protéger les consommateurs, bien au contraire. Lorsque les litiges portent sur des sommes élevées, les tribunaux sont sollicités. En revanche, l'action de groupe est très importante dans le cas de petites arnaques multipliées, qui représentent un petit préjudice pour chaque consommateur concerné, mais des sommes considérables au profit des auteurs. Nous avons donc repris une fois de plus ce texte, à propos duquel il a déjà été objecté à plusieurs reprises qu'il ne venait pas au bon moment.
Il faut toutefois veiller à éviter plusieurs écueils, comme les recours infondés ou motivés davantage par la volonté de nuire à un concurrent que par le souci de réparer un préjudice. Nous voulons donc encadrer ces actions de groupe pour ce qui est de la recevabilité ou de l'habilitation à ester – en limitant ce droit à des associations de consommateurs.
Ce sujet mérite notre réflexion, et cela tout particulièrement en cette période de crise qui, je le répète, ne saurait justifier que l'on autorise certains à être malhonnêtes avec les plus faibles.