L'examen de ce sous-amendement me permet de rendre hommage à la qualité du travail fourni par la commission des finances et des propositions du rapporteur général sur une question très importante, puisqu'elle concerne la territorialisation – nous en avons d'ailleurs longuement parlé.
Je rappelle au passage que le rôle du Gouvernement est de mener une politique qui a été approuvée par les électeurs. Dans le domaine économique, elle a pour objectif principal de créer, de maintenir et de développer de l'emploi sur le territoire, en passant de préférence par le secteur industriel dont nous savons qu'il risque le plus d'être délocalisé. C'est dans cet esprit que s'inscrit la proposition que nous examinons actuellement : elle concerne la suppression de la taxe professionnelle et sa modification par l'établissement d'une contribution économique territoriale dont nous souhaitons qu'elle soit moderne, efficace, lisible, et qu'elle institue un lien avec le territoire. Nous avons tout intérêt à concentrer nos efforts sur la qualité de ces travaux.
J'en viens maintenant au sous-amendement n° 748 . J'ai conscience qu'il y a débat entre le Gouvernement et la commission des finances de l'Assemblée nationale sur les modalités de répartition du produit de la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée. Cela étant, nous sommes d'accord sur la finalité : nous souhaitons tous concilier au maximum le maintien d'une incitation des collectivités à accueillir des entreprises, avec les contraintes et les sujétions que cela suppose.
Nous divergeons, me semble-t-il, sur les moyens. Pour ce qui est du choix de la répartition de la cotisation complémentaire, j'ai employé à dessein le mot « établissement » plutôt que celui d'« entreprise » car, dans notre tissu économique, les entreprises comprennent de plus en plus souvent de multiples établissements.
La méthode que vous avez retenue dans votre amendement n° 45 , monsieur le rapporteur général, est le rattachement de l'attribution de la cotisation complémentaire à la collectivité par établissement.
Est-ce le moyen le plus approprié de concilier nos deux objectifs, c'est-à-dire maintenir l'incitation pour une collectivité à attirer de l'activité économique et faire en sorte que lesdites collectivités puissent répondre à leur besoin de financement, sachant que l'aménagement territorial est différent, que des zones ont une forte valeur ajoutée grâce aux entreprises tandis que d'autres à valeur ajoutée beaucoup moins forte ont des besoins de financement ? J'entends déjà les arguments selon lesquels il ne faut pas mélanger cotisation complémentaire et aménagement du territoire. Mais les outils fiscaux peuvent être utilisés si l'on a en tête des objectifs légitimes, comme c'est le cas ici.
Nous avions, quant à nous, proposé une répartition nationale qui nous paraissait plus adaptée pour l'avenir. J'ai entendu, ici ou là, que c'était un « machin » inventé par Bercy. Nous avons, nous aussi, travaillé de manière concertée. Nous avons essayé d'être le plus intelligents et le moins polémiques possible afin d'atteindre ces deux objectifs. Nous y parvenons, semble-t-il, par deux voies différentes. J'aimerais vous exposer la notre.
Les caractéristiques de la cotisation complémentaire se prêtent mal à une affectation directe de son produit aux collectivités. En effet, on passe d'un impôt – la taxe professionnelle – dont l'assiette est fixée localement à une nouvelle contribution économique territoriale dont l'assiette, pour la partie cotisation complémentaire, est déterminée au niveau de l'entreprise – et non de chacun des établissements, ce qui serait beaucoup trop compliqué. Le barème de la valeur ajoutée – le taux de 1,5 % – demeure fixé au niveau national. Il nous semble qu'il ne pourrait y avoir d'affectation directe et générale de la cotisation complémentaire aux collectivités d'accueil des entreprises que si ces dernières étaient composées d'un seul établissement. Or, comme je le soulignais précédemment, de nombreuses entreprises ont aujourd'hui de multiples établissements. Une telle approche, d'ailleurs retenue dans votre texte, monsieur le rapporteur général, nécessite des mécanismes correcteurs et une péréquation, également prévus par votre amendement. Donc, étant donné l'architecture de cet impôt, la façon dont il est levé et son mode d'affectation aux collectivités, il ne nous semble pas que la méthode « établissements-collectivités » soit la plus juste sur le plan des principes.
Une répartition par établissement aboutit nécessairement à une ventilation très inégalitaire. Certaines collectivités, en effet, accueillent de très nombreux établissements : c'est particulièrement vrai pour les départements et les régions, les simulations que nous avons effectuées l'attestent. S'agissant des départements, la répartition par établissement accroîtrait les ressources fiscales de trois départements seulement – dont Paris et les Hauts-de-Seine – pour un montant supérieur à 1 milliard d'euros ; les quatre-vingt-dix-sept autres départements verraient, quant à eux, leurs ressources fiscales diminuer. Concernant les régions, la répartition par établissement ne favoriserait que la région Île-de-France, dont les ressources fiscales augmenteraient de 67 %, les vingt-cinq autres – y compris les quatre régions d'outre-mer – verraient, en revanche, leurs ressources fiscales diminuer. Les inégalités sont un peu moindres pour les intercommunalités et c'est la raison pour laquelle j'ai clairement fait savoir que le Gouvernement était tout à fait ouvert et prêt à accepter le principe de la territorialisation, mais à condition que soit prévu un mécanisme de péréquation.
Il ne nous semble pas que la méthode clé « collectivités-établissements » soit le point de départ le plus satisfaisant, ne serai-ce que parce qu'il faudrait immédiatement la corriger par l'instauration d'un puissant mécanisme de péréquation. Nous nous sommes interrogés, par conséquent, sur l'intérêt de démarrer tout de suite avec un mécanisme qui nécessiterait une forte péréquation pour permettre une bonne répartition du produit et éviter de criantes inégalités entre Paris et l'Île-de-France, d'une part, et le reste des départements et des régions, d'autre part.
Il semble également au Gouvernement que la répartition nationale de la cotisation complémentaire – c'est-à-dire le système qu'il a proposé – n'est pas incompatible avec un lien très fort entre le territoire et l'entreprise, lien auquel il est, lui aussi, extrêmement attaché. C'est pourquoi j'ai indiqué tout à l'heure que nous sommes tout à fait d'accord sur les objectifs poursuivis. La cotisation locale d'activité crée ce lien entre le territoire et l'entreprise qui s'y installe, même si cela s'avère moins important, en volume –6 milliards d'euros – que ce que nous connaissions avant.
De plus, nous avons retenu trois critères de répartition nationale, qui ne sont pas ce « machin » inventé à Bercy, à savoir : l'emprise foncière, les salariés et, enfin, la population. Par la vertu et la combinaison de ces trois critères, tout territoire qui accueille un nouvel établissement ou dont l'établissement s'agrandit et, par là même, recrute, attire forcément de la population. Il voit, de ce fait, sa quote-part de cotisation complémentaire augmenter. Le lien territorial est, par conséquent, double.
Je ne dis pas que les critères retenus pour cette répartition nationale soient optimaux. Nous recherchons la perfection et nous sommes, bien entendu, tout à fait prêts à en examiner d'autres. Je tiens simplement à signaler que la répartition proposée par l'amendement n° 45 entraînerait la mise en place d'un mécanisme de péréquation, lequel présente certains éléments de fragilité. J'entends d'autres arguments selon lesquels cette « chose » inventée à Bercy sera gérée sur le plan national. Mais le fait qu'elle le soit sur le plan national ne signifie pas qu'elle sera entre les mains du Gouvernement, ce qui mettrait fin à une décentralisation bienvenue. C'est le Parlement qui déterminera les critères et les affectations.
Je vous assure, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, et, à travers vous, tous ceux qui ont beaucoup travaillé sur ce dossier, que nous partageons le même objectif, même si nous divergeons sur les moyens d'y parvenir. J'ai bien conscience du caractère quelque peu novateur d'une répartition décidée à l'échelon national avec, pour objectifs, de maintenir le lien et de répondre aux besoins de financement. Ce n'est pas la panacée. Nous avons simplement cherché le système le plus adapté au contexte nouveau créé par la mise en place de la contribution économique territoriale.
Je vous le répète, le Gouvernement ne fait pas de cette territorialisation une affaire de principe. Il souhaite impérativement, en revanche, réaliser l'objectif, donc conserver ce lien territorial et permettre aux collectivités d'attirer sur leur terrain, dans leur champ de compétences, des entreprises avec l'ensemble des contraintes que cela suppose. Il est toutefois indispensable de tenir compte des effets très inégalement redistributifs de la valeur ajoutée, laquelle dépend de la création des entreprises qui s'implantent sur le territoire national, quels que soient les degrés de compétition que l'on peut observer entre les régions et les départements, au travers de telles ou telles agences.
Le mécanisme que vous proposez doit être considéré en gardant bien en tête la nécessité d'organiser une péréquation. En effet, les départements qui se trouvent dans une situation extrêmement difficile doivent également bénéficier d'une restitution, afin de répondre à leurs besoins de financement légitimes, compte tenu du vieillissement de leur population et de l'attractivité du territoire qui, si elle est faible, rend le phénomène difficile à enrayer.
Telles sont les observations que je souhaitais faire. Je le répète, je suis très ouverte au débat et je ne suis pas accrochée à des principes, pourvu que cela permette d'atteindre les objectifs.