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Intervention de François de Rugy

Réunion du 20 octobre 2009 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous entamons le débat sur le projet de budget pour 2010, nous sommes, à quelques semaines près, à mi-mandat pour le Président de la République, mais aussi pour les députés que nous sommes.

Nous sommes aussi à un moment charnière de la crise qui s'est déclenchée il y a tout juste un an. Si certains indicateurs peuvent laisser penser qu'une timide reprise de l'activité économique se fait sentir, nous voyons, dans les territoires dont nous sommes les élus, que le chômage continue à augmenter et que de très nombreuses entreprises sont encore en grande difficulté.

J'étais encore, voilà quelques jours, avec les salariés de l'établissement Alcatel de Nantes-Orvault : ils ont appris en même temps que le deuxième trimestre de 2009 a été le premier bénéficiaire depuis onze trimestres pour leur groupe et qu'ils vont subir un nouveau plan de réduction des effectifs. Je crains que ce ne soit malheureusement un exemple très représentatif de beaucoup d'entreprises installées en France, quel que soit leur secteur d'activité. De ce point de vue, je vous le dis franchement, madame, monsieur les ministres, le satisfecit que vous vous accordez sur le prétendu succès de vos divers plans de relance me semble manquer quelque peu de décence, en tout cas d'humilité.

Je ne veux pas dire par là que toutes les mesures que vous avez prises auraient été inutiles et inefficaces, mais ayons l'humilité de reconnaître que l'état de notre économie tient à beaucoup de facteurs que nous sommes malheureusement loin de maîtriser. Ayons l'humilité de reconnaître que les facteurs de crise sont toujours là et que les effets de la crise se font toujours durement ressentir pour les salariés, les chômeurs, mais aussi les entrepreneurs.

Ce sur quoi nous pourrions peut-être tomber d'accord, c'est que le moment est venu de faire le point, voire le bilan, sur la politique que vous menez depuis deux ans et demi et sur les mesures à prendre pour sortir durablement de la crise. Il me paraît d'autant plus important de s'arrêter quelques instants sur l'articulation entre ce bilan et les perspectives à court et moyen terme qu'un élément pèse chaque jour un peu plus sur le contexte économique, donc sur nos décisions : je veux parler de l'explosion du déficit budgétaire et de la dette. Après des prévisions sans cesse revues à la hausse pour 2009, le déficit pour 2010 devait atteindre 116 milliards d'euros. Vous évoquez aujourd'hui plus de 140 milliards, sans savoir ce qu'il en sera réellement à la fin de l'année.

Ces sommes astronomiques viennent grossir la dette. Elles arrivent à des niveaux jamais atteints dans l'histoire de la République française, ni en valeur absolue ni en pourcentage du produit intérieur brut. Il est bien loin le temps où l'on se référait aux critères dits de Maastricht. Toutefois là n'est pas le plus grave. Le plus grave, les Français le savent bien, c'est qu'il faudra bien rembourser un jour cette dette. Le plus grave, ils le savent aussi, c'est que ce sera à eux de payer. Pour nous, écologistes, cette façon d'accabler les générations futures est inacceptable, d'autant que l'on tire déjà, en quelque sorte, des droits de créances sur elles en amenuisant chaque jour un peu plus les ressources naturelles. Du point de vue écologique, cela pose un problème moral. Vous comprendrez à cet égard que nous soyons totalement opposés au grand emprunt et à tout le cinéma que MM. Guaino et Sarkozy font autour.

Pour tenter d'expliquer, de justifier même, déficit et accumulation de dette, vous allez nous dire qu'il y a eu, avec le plan de relance, des dépenses exceptionnelles, et avec le ralentissement de l'activité économique, des pertes de recettes fiscales. Tout cela est vrai, mais si vous faisiez vraiment une présentation honnête de la situation aux Français, vous diriez aussi que le déficit avait déjà fortement augmenté en 2007 et en 2008, avant le déclenchement de la crise, que cette dérive des comptes de la nation était directement imputable aux nombreux cadeaux fiscaux que vous avez votés depuis deux ans et demi envers et contre toute logique économique et sociale.

Si vous faisiez oeuvre de vérité, vous n'oublieriez pas de dire que la dette avait déjà explosé sous les effets cumulés des sept années de majorité UMP depuis 2002, bien avant la crise, et même en période de croissance de l'activité.

Si vous étiez tout à fait honnêtes, vous pourriez même tempérer mon propos en disant que la situation s'est légèrement améliorée sous l'impulsion d'un Premier ministre nommé Dominique de Villepin. Or il y a des noms qu'il ne vous est plus permis de prononcer, sauf pour les désigner à la vindicte comme coupables. En la matière, ils ne l'étaient pas !

Contrairement à une autre idée reçue que vous ressassez, la dette publique n'a pas continuellement augmenté depuis 1981. Entre 1997 et 2000, le gouvernement de gauche de Lionel Jospin avait eu le courage et l'intelligence d'entamer une politique de désendettement. On se souvient que, à l'époque, cette stratégie mise en oeuvre par Dominique Strauss-Kahn avait été férocement dénoncée par le Président de la République Jacques Chirac, qui n'avait pas hésité à parler de cagnotte. Étrange conception de ce mot, quand on sait qu'il ne s'agissait que de réduire le déficit annuel et l'endettement, et qu'on était encore loin, très loin, d'avoir supprimé l'un et l'autre.

Ces petits rappels historiques, pour récents qu'ils soient, sont importants en ce qu'ils montrent qu'il n'y a nulle fatalité en la matière. Au-delà des phénomènes exceptionnels qui, par définition, ne durent pas, la situation budgétaire est le résultat direct de la politique budgétaire et fiscale mise en oeuvre par un gouvernement et votée par le Parlement.

Rappelons qu'en dehors de tout contexte de crise, vous avez fait adopter, dès juillet 2007, pour un coût annuel de près de 15 milliards d'euros, le paquet fiscal, sans la moindre étude transparente et pragmatique sur ses effets économiques. S'agissant des effets sociaux, ils sont négatifs puisque les inégalités et le sentiment d'injustice qui découlent de ces cadeaux fiscaux ne font qu'augmenter. Quant aux effets sur l'emploi, ils sont aussi négatifs puisque la seule mesure d'ampleur vise à encourager les heures supplémentaires, ce qui est complètement à contretemps en période de récession.

Le comble de l'irresponsabilité économique et fiscale, qui confine à l'indécence politique et sociale, a été atteint avec cet incroyable cadeau de 2,5 milliards d'euros aux établissements de restauration décidé cette année. La perte pour les finances publiques est indéniable quand les effets économiques et sociaux – je ne parle même pas des effets environnementaux – sont évidemment invisibles.

Pour couronner le tout, il y a cette promesse faite par le Président de la République un soir à la télévision, qui doit maintenant être mise en oeuvre à marche forcée : la suppression de la taxe professionnelle. La confusion est à son comble. D'abord, parce qu'il ne s'agit pas d'une véritable suppression : comment l'auriez-vous financée ? Ensuite, parce que, faute d'avoir pris le temps de mesurer l'impact à la fois sur les entreprises et sur les collectivités locales, on nage en pleine incertitude. Ce qui est sûr, c'est que votre choix de mise en oeuvre aura un coût pour 2010 de plus de 10 milliards d'euros, à la charge du budget de l'État.

Ce qui est tout aussi sûr, c'est qu'il n'y aura pas de miracle : si l'on veut baisser les prélèvements pour les entreprises tout en garantissant un même montant de ressources pour les collectivités locales, ce seront les ménages qui paieront la différence. C'est le non-dit de votre réforme, mais cela en sera la conséquence inéluctable. Arrêtez de parler de baisse des impôts quand votre choix est en fait de les augmenter en en faisant porter le chapeau aux élus locaux !

Ne croyez pas que je sois en train de défendre le statu quo en matière de fiscalité locale. Je suis même de ceux qui pensent que le système est doublement injuste. Les impôts locaux des Français sont loin de correspondre à leur situation de revenu ou d'habitation réelle. Songez, par exemple, qu'il vaut mieux avoir une place de parking dans sa maison plutôt qu'une chambre de plus, autrement dit mieux vaut avoir une pièce pour chacun de ses véhicules que pour chacun de ses enfants ! C'était une anecdote en passant.

Le système creuse aussi les injustices entre collectivités locales, donc entre territoires et cela est directement lié à la taxe professionnelle.

Sans vouloir aborder un sujet qui a légitimement suscité la polémique, reconnaissons que si le département des Hauts- de-Seine est très richement doté, ce n'est pas du fait de sa politique : c'est parce que l'État a décidé d'y installer La Défense il y a quelques décennies et cela sur fonds publics nationaux. S'il l'avait fait en Seine-Saint-Denis, la situation de ce département, nous le savons, ne serait absolument pas la même qu'aujourd'hui.

Le comble, c'est que votre réforme au lieu de corriger ces injustices, les aggrave. La démonstration de notre rapporteur général du budget en commission a été, à cet égard, magistrale. J'espère, monsieur le ministre, qu'il vous a transmis son exposé. J'y suis d'autant plus sensible qu'il avait choisi d'illustrer concrètement son propos en prenant l'exemple de mon département : la Loire-Atlantique. Sa conclusion était sans appel. Avec votre réforme, une communauté d'agglomération comme celle de Saint-Nazaire allait perdre près de la moitié de ses ressources tirées de la taxe professionnelle quand celle, voisine, de La Baule allait voir les siennes doubler. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin pour vous parler de la situation sociale comparée de ces deux agglomérations.

Pour ce qui nous concerne, nous faisons un choix clair, assumé devant les Français : les entreprises, toutes les entreprises, doivent contribuer aux ressources des collectivités locales, comme elles doivent contribuer au budget national.

Nos conceptions écologistes nous y amènent peut-être plus que tout autre : comment accepter que des territoires accueillent des activités, y compris des activités productrices, génératrices de nuisances, sans qu'ils puissent percevoir une contribution qui leur permette de faire vivre leur territoire en atténuant ces nuisances pour leurs habitants ? Comment ne pas voir aussi que les inégalités territoriales notamment celles issues d'héritages historiques – j'en ai donné un exemple tout à l'heure – sur lesquels les citoyens n'ont pas eu leur mot à dire, créent des déséquilibres écologiques ?

Notre conception de la fiscalité locale repose sur deux principes : tout le monde contribue – et donc pas seulement les ménages – et la péréquation territoriale doit jouer sur des critères objectifs. Cela relève plutôt pour nous de la réforme territoriale, mais, comme vous avez choisi de mettre la charrue devant les boeufs en réformant à la va-vite la taxe professionnelle avant de débattre de la réforme territoriale, nous sommes obligés d'en dire un mot maintenant.

Je précise d'ailleurs que les Verts ne sont pas davantage partisans du statu quo sur l'organisation des collectivités locales. Nous n'acceptons pas le procès en conservatisme qui est fait à la gauche puisque la dernière grande réforme territoriale date de 1999 avec l'avènement des inter-communalités. Au passage, cela s'est fait avec une réforme importante de la taxe professionnelle puisque la plupart des agglomérations nées à l'époque se sont dotées d'une taxe professionnelle unique, ce qui était souvent une petite révolution. C'était en tout cas un outil concret et efficace de solidarité entre habitants de communes ayant de grandes disparités de recettes de taxe professionnelle. En outre cela a eu un effet bénéfique de lutte contre la concurrence stérile entre communes voisines, concurrence qui avait souvent des conséquences désastreuses, notamment écologiques, en matière d'aménagement du territoire dans une même agglomération, dans un même bassin de vie. Il y a encore beaucoup à faire, mais c'est un point d'appui qui montre qu'il est possible de marier efficacité économique, écologie et solidarité.

Vous l'avez compris : nous croyons que la première chose à faire n'est pas d'augmenter les impôts mais, au contraire, de réintroduire de la justice fiscale. Ce n'est d'ailleurs pas faire de la politique politicienne que de le dire. Toutes les sensibilités de l'opposition le soulignent bien sûr, mais cela va beaucoup plus loin. Nos propositions font leur chemin au sein même de votre majorité : un jour c'est le Nouveau Centre qui, par la voix de notre collègue Charles de Courson, propose de réduire les niches fiscales. Un autre jour, ce sont deux présidents de commissions de l'Assemblée, MM. Méhaignerie et Warsmann, qui vous invitent à revenir sur le bouclier fiscal, au moins partiellement, ou qui proposent, comme nous le faisions, il y a quelques mois, la création d'une tranche supérieure d'impôt sur le revenu pour les plus hauts revenus. Même M. Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, demande la suppression du bouclier fiscal.

Puisque vous avez toujours été sourds à nos propositions, écoutez au moins les voix qui s'élèvent au sein de l'UMP. Acceptez, monsieur le ministre, l'amendement de notre président de commission, Didier Migaud, sur la taxation exceptionnelle des bénéfices des banques, au niveau d'ailleurs modeste de 10 %. Là aussi, ce ne serait que justice. Là aussi, cela a été voté à la commission des finances, parce que des députés UMP ont eu le courage de se joindre aux députés de l'opposition.

Le Premier ministre nous avait invités au début de la crise, il y a un an, à l'union nationale. Nous n'en avions d'ailleurs pas rejeté totalement l'idée puisque nous ne nous étions pas opposés aux mesures d'urgence de sauvetage du système de financement de l'économie. Vous aviez pourtant systématiquement refusé nos propositions de bon sens comme la présence de l'État au sein des conseils d'administration des banques.

Vous avez, monsieur le ministre, l'occasion de traduire en actes cette volonté d'union nationale. Si, pour une fois, cette union, au-delà des clivages partisans, se faisait sur le terrain de la responsabilité budgétaire et de la justice fiscale, ne serait-ce pas un signe encourageant pour les Français en ces temps de crise ? Vous avez fait quelques pas dans le sens de la fiscalité écologique, avec la taxe carbone ; j'y reviendrai dans le débat car nous avons de nombreux amendements à ce sujet et j'espère que vous en accepterez un certain nombre, sans quoi le dispositif sera incomplet et pour tout dire bancal. Vous avez enfin repris l'idée, que je crois avoir été le premier à défendre ici même dès juillet 2007, de conditionner à des critères de performance énergétique les avantages fiscaux pour les investissements immobiliers.

Nous vous appelons à faire des pas supplémentaires. Ne restez pas droit dans vos bottes, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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