Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2010, dont nous débutons la discussion en séance, porte la marque de la plus grave crise économique que le monde ait traversée depuis 1929, mais elle est aussi porteuse de l'intervention volontariste de l'État pour en limiter les effets sur nos concitoyens, nos entreprises et pour préparer la reprise.
La marque de la crise, ce sont des recettes fiscales qui restent à un niveau bas, même si la situation s'améliore par rapport à 2009, pour atteindre 252 milliards d'euros, chiffre toutefois toujours inférieur à celui de 2008, qui était de 265 milliards.
L'intervention volontariste de l'État, c'est le prolongement des mesures de relance afin de ne pas déstabiliser une économie convalescente. Ainsi, 4,1 milliards d'euros sont consacrés à ces mesures, avec notamment la prolongation des aides à la filière automobile et le remboursement du crédit d'impôt recherche aux entreprises, cela dans l'année.
Ce budget s'inscrit donc dans la continuité d'une politique qui a fait ses preuves en permettant à la France de mieux résister que ses partenaires, avec une réduction de 3,5 points de croissance depuis 2007 contre 7 points pour les pays de l'OCDE, et un retour de la croissance dès le deuxième trimestre 2009, nous plaçant en tête de l'Union européenne.
Vous avez souligné, madame la ministre, et je vous en remercie, le rôle joué dans la lutte contre la crise par la Caisse des dépôts et consignations. Vous avez noté sa réactivité, rappelé la mobilisation des ressources des fonds d'épargne dans les projets de logement, autour des reprises de VEFA, mais aussi dans le rechargement des prêts OSEO et dans le financement des infrastructures.
Je rappelle, pour l'avenir, l'importance du niveau de liquidité des fonds d'épargne dont l'utilité a été démontrée à cette occasion et j'insiste sur le fait qu'il faudra nous montrer attentifs aux engagements hors bilan souscrits par ces mêmes fonds d'épargne au moment où nous devrons sortir du dispositif transitoire, s'agissant de la centralisation des ressources du Livret A et du Livret de développement durable.
Le choix de la relance par l'investissement, avec des mesures équilibrées pour la consommation, a privilégié des mesures non récurrentes, réversibles. C'est de mon point de vue, du point de vue de l'économie mais aussi du point de vue du déficit budgétaire, un bon choix.
En effet, même si son déficit enregistre pour 2010 une importante diminution – 25 milliards d'euros –, le budget de l'État n'en affiche pas moins un déficit très lourd : 116 milliards d'euros. L'importance de ce chiffre doit nous rendre attentifs aux causes conjoncturelles du déficit, d'une part, et à ses causes structurelles, d'autre part.
C'est sur cette part structurelle, autour de 40 % du déficit prévisionnel, que doivent porter nos efforts de maîtrise des dépenses si nous voulons parvenir au redressement des comptes publics dans la durée.
Je soutiens donc sans hésitation les mesures de réduction des effectifs de l'État – ils avaient considérablement augmenté au cours de la dernière décennie malgré la décentralisation de compétences entières en direction des collectivités locales –, avec la reconduction de la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, qui permettra d'économiser 33 749 postes, mais seulement de stabiliser en valeur absolue le poids des salaires et des pensions au sein du budget. De même, je soutiens la poursuite de la révision générale des politiques publiques, qui commence à porter ses fruits.
L'équilibre du budget, c'est aussi la protection des recettes. Nous devons continuer – le rapporteur général l'a dit avant moi – à porter une attention particulière à l'évolution de la dépense fiscale, qui mine les recettes de l'État. Certes, nous avons une mesure nouvelle : l'objectif de dépenses fiscales, fixé à 74,8 milliards pour 2010, soit 72,2 milliards hors restitution anticipée du crédit d'impôt recherche. Cela va dans le bon sens. Néanmoins c'est plus que les 70,5 milliards de 2009.
Des mesures positives ont été prises, dont le plafonnement des niches, qui est utile par rapport à la dépense fiscale et qui va dans le sens de l'équité entre contribuables, puisqu'il évite que les plus aisés puissent, par ce biais, s'exonérer de l'impôt sur le revenu.
Des mesures de contrôle ont été prises, avec, d'une part, l'obligation de gager toute dépense fiscale supplémentaire par des suppressions ou diminutions de dépenses semblables et, d'autre part, la fixation d'un objectif de dépenses fiscales, innovation qu'il convient encore une fois de saluer.
Au regard de l'enjeu, il faut cependant aller plus loin, avec une évaluation systématique des niches, permettant de mesurer l'efficacité de la dépense fiscale par rapport à son efficacité économique, et de prendre les mesures d'ajustement qui s'imposent, notamment pour les niches les plus dynamiques. Là encore, je ne peux que soutenir les mesures qui consistent à revisiter l'ensemble des dispositifs ayant trait aux économies d'énergie et à l'habitat. Il est normal que l'on s'interroge sur ces mesures, vu le délai de retour sur investissement pour les particuliers. Un ajustement me semble logique ; cela se traduit d'ailleurs dans les choix qui ont été opérés dans cette loi de finances, quand on subventionne au travers de la dépense fiscale quelqu'un qui met un insert dans sa cheminée, par exemple. Cela ne contribue en rien à l'industrialisation d'une filière économique, et le retour d'investissement est déjà très important pour celui qui fait ce type de dépense.
De même, je soutiens les mesures visant à mieux prendre en compte les problèmes environnementaux dans les différentes niches.
La maîtrise de la dépense publique passe aussi, au-delà de telle ou telle mesure de réduction, par l'élaboration d'une véritable comptabilité analytique, permettant une évaluation des coûts, monsieur le ministre des comptes publics. Avec le déploiement de CHORUS, une importante réforme des systèmes d'information est mise en oeuvre en ce sens, mais elle n'est pas sans soulever certaines interrogations. Sur le fond, celles-ci portent notamment sur la possibilité réelle de basculer dans une véritable comptabilité analytique, dont on nous a dit qu'elle était « pour plus tard », alors qu'elle permet pourtant un véritable contrôle de gestion, sans nécessiter de ressaisie ou de retraitement au niveau des ministères. Ces interrogations portent également sur les modalités d'intégration dans CHORUS des budgets des opérateurs de l'État. Elles portent aussi, de façon très concrète, sur le retour sur investissement du projet lui-même.
L'évolution du déficit pose inévitablement la question de l'endettement, porté par la crise à des niveaux inconnus jusque-là. Il n'y a pas d'impact majeur sur la qualité de la signature française, qui n'est pas altérée. En effet, notre endettement, s'il est très supérieur aux ratios européens, comme dans vingt des vingt-sept pays de l'Union, reste à un niveau admissible si on le compare à celui de l'Allemagne ou des États-Unis, qui est voisin du nôtre, ou à celui de l'Italie ou du Japon, qui est supérieur. Cette situation altère d'autant moins notre signature que la France reste un pays d'épargne importante, ce qui rassure évidemment les prêteurs.
Ce niveau d'endettement doit cependant attirer toute notre attention, puisqu'il ne s'agit de rien moins que d'un report de dépenses, donc de fiscalité, sur les générations futures. Il soulève deux interrogations.
La première porte sur la structure de la dette, qui a été transformée, puisqu'elle comporte aujourd'hui davantage de dette à court terme, c'est-à-dire composée de produits plus réactifs aux variations de taux. Nous avons pu faire des économies – 4,5 milliards – sur les intérêts de la dette en 2009, mais qu'en sera-t-il dans un ou deux ans, quand les taux d'intérêt vont commencer à remonter ?
Par ailleurs, quand l'État est amené à s'endetter, il ne faudrait pas qu'à sa dette propre s'ajoute celle des opérateurs. C'est ma seconde interrogation. C'est pourquoi je proposerai, au travers de différents amendements, que nous puissions avoir, parmi les documents qui nous sont remis à l'occasion des lois de finances et des lois de règlement, le stock de dettes des opérateurs.
Je suis également amené à m'interroger, monsieur le ministre des comptes publics, sur le fait qu'un certain nombre d'opérateurs se mettent à accorder des garanties en dehors du budget de l'État. Si nous avons souhaité que les garanties puissent être inscrites dans la loi de finances, c'était pour éviter ce type de comportement. J'ai découvert il y a quelques semaines que RFF, dans des projets de PPP, s'apprêtait à accorder des garanties. Je suis très étonné de cette pratique.
Avant de conclure, je veux évoquer un point précis qui a fait polémique à la commission des finances et dans les médias.
Certains établissements financiers ont pu être mis en cause dans la crise. Gravement fragilisés, leur défaut aurait pu être catastrophique pour l'économie. L'intervention de l'État, avec la Société de prises de participation de l'État et la Société de financement de l'économie française, a permis de les conforter et ainsi, avec l'appui du Médiateur du crédit, de relancer à travers eux le financement de l'économie via le redémarrage de la distribution du crédit. Ce redémarrage a également été renforcé par les différents fonds qui ont pu être mis en place au sein du FSI, comme le fonds de modernisation des équipementiers ou le fonds de consolidation. Cela a permis de sauver de nombreuses PME.
Toutefois les banques, à l'avenir, vont être confrontées – et vous l'avez vécu en direct, madame la ministre, puisque vous avez été un acteur majeur dans cette affaire – au problème du niveau des fonds propres, surtout si l'Europe capitule devant les exigences des Américains. En l'absence de régulation sur le continent américain, on a bien compris que la solution était de remonter le niveau des fonds propres. Alors que les banques françaises, bien que l'ayant déjà fait, sont susceptibles d'avoir besoin de l'augmenter davantage encore, je crois que ce n'est pas le moment d'amputer une partie de leurs ressources et de fragiliser par là même la distribution du crédit demain, surtout au travers d'une disposition qui sera lue, inévitablement, comme une mesure rétroactive.
Cette situation n'a rien à voir avec celle que j'ai soutenue, en son temps, en demandant une taxation supplémentaire sur Total, qui avait fait de superbénéfices liés à de la spéculation sur les stocks de pétrole. La situation des banques n'est malheureusement pas aussi florissante que l'était celle du groupe Total il y a quelques années.