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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 20 octobre 2009 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

C'est certainement une bonne chose, encore que je voudrais modérer l'enthousiasme de certains. Si le non-remplacement du départ à la retraite d'un fonctionnaire sur deux permet d'économiser trois milliards d'euros sur la mandature, c'est exactement la dépense à laquelle vous avez consenti pour diminuer la TVA dans la restauration. Bref : avec une seule mesure et d'un seul coup, vous avez annulé la moitié d'efforts considérables !

En effet, nous sommes convaincus que réduire la dépense publique de sept à huit milliards d'euros en cinq ans – la durée d'une mandature – demande des efforts considérables. Ah, il vous faut certainement en tenir des réunions, monsieur le ministre ! Il faut en mobiliser des agents de la fonction publique d'État ! Il en faut des arbitrages, des notes, des expertises. Tout cela pour économiser sept à huit milliards d'euros dont la moitié s'en va dans une seule mesure : la baisse de la TVA sur la restauration qui, je le répète, fut décidée à la suite d'un caprice – l'actuel chef de l'État voulait démontrer qu'il faisait mieux que son prédécesseur, comme si la compétition continuait entre eux, pour le plus grand malheur de nos finances publiques et, je le crains, de notre pays.

La révision générale des politiques publiques ne suffira pas à réduire les déficits, monsieur le ministre. Quand on voit vos efforts pour parvenir à économiser huit milliards d'euros, comment considérer l'engagement du Président de la République à propos du grand emprunt, qui serait gagé sur une réduction de la dépense publique à due concurrence de son montant ? Ce n'est absolument pas vraisemblable.

Promettre 30, 50, voire 100 milliards d'euros – le chiffre a été prononcé à Versailles – de grand emprunt et un montant équivalent de réduction de la dépense publique, c'est tout simplement irréaliste, et faire prendre aux parlementaires des vessies pour des lanternes. Ce n'est évidemment pas ainsi que les choses se passeront.

Puisque ni la croissance ni la réduction de la dépense publique n'y suffiront, reste l'inflation. Il ne faut pas compter sur l'inflation, mes chers collègues. La Commission européenne a placé certains États sous surveillance, en déclenchant des procédures de déficit excessif. C'est la procédure qui précède, comme chaque fois, la remontée des taux de la Banque centrale européenne.

Ces taux vont remonter, provoquant un effet absolument redoutable dans la structure de notre dette puisque – le rapporteur général l'a parfaitement expliqué – nous avons fini de rembourser des emprunts à moyen et long terme en empruntant sur du court terme. Ce sont ces taux-là qui vont remonter.

Nous allons subir un alourdissement du service de la dette qui sera totalement insupportable, toutes choses égales par ailleurs : il pourrait atteindre 20 milliards d'euros en 2013, et on peut craindre qu'il ne soit plus important encore et à une échéance plus brève, ce que je ne souhaite naturellement pas. Cependant, puisque gouverner c'est prévoir, je trouve surprenant que ce projet de budget n'envisage en rien cette hypothèse certes funeste pour le pays, mais néanmoins non irréaliste.

La croissance ne suffira pas ; la réduction de la dépense publique ne suffira pas ; nous ne pouvons pas compter sur l'inflation. En outre, que je sache, dans des pays modernes et des organisations mondiales telles que les nôtres, la répudiation de la dette ne se fait pas. La dernière fois, il s'agissait des emprunts russes. Je vois mal le président Sarkozy répudier la dette du pays.

Quelle est la conséquence de tout cela ? Il faudra que les impôts y pourvoient. C'est le deuxième débat auquel nous devons nous prêter, là encore sans caricature. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut de la croissance ou des impôts. Il faudra la croissance et des impôts, monsieur le ministre. Faire croire que nous voulons des impôts au risque de tuer la croissance serait aussi caricatural que si nous pensions que, sincèrement, vous imaginiez que la croissance au cours des quatre à cinq ans à venir suffira à rembourser les dizaines de milliards d'euros que le Gouvernement auquel vous appartenez emprunte maintenant et avec constance chaque année depuis 2007.

Parce que nous sommes convaincus qu'il faudra les deux – la croissance et les impôts –, nous estimons qu'il existe un préalable : la justice fiscale. Sans cela, nos concitoyens n'accepteront pas de prélèvements supplémentaires qui, pourtant, seront nécessaires pour que notre pays puisse apurer ses comptes publics. À défaut, comme le dit la Cour des comptes, la dette deviendra incontrôlable, ce qui compromettra toute politique publique, quel que soit le Gouvernement qui voudrait la mettre en oeuvre.

Apurer les comptes publics par les impôts, en espérant la croissance et en ayant, au préalable, réduit l'enkystement de l'injustice fiscale, suppose que vous preniez certaines mesures courageuses : il vous faudra revenir sur des dispositions que vous avez adoptées dans l'enthousiasme de l'été 2007. Toutes les majorités ont connu ces enthousiasmes durant l'été suivant une victoire politique ; toutes en sont revenues.

Il faudra revenir sur ce qu'on a appelé le paquet fiscal de l'été 2007 pour une raison très simple : il est injuste et inefficace. Cette année, les heures supplémentaires ont coûté trois milliards d'euros. Il n'y a pas plus d'heures supplémentaires effectuées ; il y en a même plutôt moins. Imaginez que le nombre d'heures supplémentaires est à peu près le même cette année avec une récession de 2,25 % qu'en 2007 avec une croissance de 2,4 % !

Les entreprises dont les salariés bénéficient d'heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées et celles qui sollicitent l'État pour indemniser le chômage partiel sont les mêmes. L'État paie deux fois : pour les heures supplémentaires et pour le chômage partiel, alors qu'incontestablement une partie du chômage partiel est évidemment due aux heures supplémentaires. Cette politique de Gribouille coûte trop cher pour être maintenue.

Il en va de même pour les mesures relatives aux successions qui coûteront deux milliards d'euros cette année, alors qu'objectivement notre économie n'en tire que peu ou pas de bénéfices.

Quant à la déductibilité des intérêts d'emprunt pour les primo-accédants, on sait désormais – analyse de la Cour des comptes à l'appui – qu'elle n'est qu'une subvention déguisée aux banques, dont ne profitent en rien les primo-accédants.

Enfin, il y a ce fameux bouclier fiscal qui n'est pas la mesure la plus onéreuse mais la plus symbolique. Sur ce sujet, je trouve votre position étonnante, monsieur le ministre, et les propos du Président de la République peu crédibles.

À supposer que l'un de nos concitoyens, protégé par votre bouclier fiscal, paie une taxe carbone supérieure à la restitution forfaitaire que vous avez consentie. Estimez-vous, monsieur le ministre, que le bouclier fiscal sera écorné pour autant ?

Vous avez parlé des comptes de la sécurité sociale et nous savons que vous avez l'intention de taxer les retraites chapeaux. Si le responsable d'une banque, par ailleurs bénéficiaire du bouclier fiscal, se voit attribuer une retraite chapeau. Celle-ci pourra-t-elle taxée ou bien son bénéficiaire sera-t-il protégé par le bouclier fiscal ?

Ces seuls exemples démontrent que vous ne pourrez pas conserver le bouclier fiscal en l'état, chers collègues de la majorité. D'une certaine manière, le ministre des comptes publics vous indique bien la marche à suivre. Il sait que l'existence du bouclier fiscal empêche d'augmenter les impôts. Tant que le bouclier fiscal existe, toute augmentation des impôts serait perçue comme injuste et illégitime par nos concitoyens.

Madame la ministre de l'économie, monsieur le ministre, vous avez donc le choix : soit vous vous reniez sur le bouclier fiscal et vous apurez les comptes, soit vous restez sur vos positions actuelles…

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