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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 20 octobre 2009 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

Reconnaissez, monsieur le ministre, qu'une recette exceptionnelle de 5 milliards d'euros dans la présentation de votre budget n'aurait pas fait mauvaise effet. Vous êtes obligé de vous en passer car vous avez commis, je le répète, une erreur de gestion. Nous sommes dans notre rôle en la dénonçant. Vous êtes dans le vôtre en prétendant qu'il ne fallait point faire autrement. Le débat parlementaire sert à éclairer nos concitoyens. Ensuite, ce sera à eux de juger.

Nous pouvons considérer que la résolution de la crise financière est en bonne voie, mais cela ne règle en rien la crise économique et sociale que nous traversons. De ce point de vue aussi, ce budget est décevant. On en attendait beaucoup plus pour gérer la crise et la sortie de crise, mais aussi eu égard aux promesses, pas si lointaines, d'un candidat qui avait su, à l'occasion de sa campagne et après son élection, faire naître enthousiasme et confiance. Mes chers collègues de la majorité, chacun sait qu'à l'enthousiasme et à la confiance ont succédé le désenchantement, parfois même la colère si j'en juge par l'attitude et les demandes des agriculteurs, qu'il s'agisse des actifs ou des retraités, qui, une fois encore, ont été grugés par vos promesses. À ce désenchantement et à cette colère que répondez-vous ? Je ne le vois guère dans ce budget, monsieur le ministre des comptes publics. De cela aussi, les députés qui approuvent la politique du Gouvernement auront à rendre compte.

En effet, ce qui marque ce budget, c'est un déficit record, historique, l'enkystement d'injustices sociales, l'improvisation, l'amateurisme et un peu de désinvolture dans la présentation du projet de réforme de la taxe professionnelle ; c'est aussi beaucoup de faux-semblants avec la taxe carbone ; enfin, c'est une traite sur le futur avec un éventuel grand emprunt qui traitera des dépenses d'avenir le jour où le Gouvernement consentira à saisir le Parlement. Aujourd'hui, mes chers collègues, discutent et traitent du grand emprunt des citoyens certes responsables, mais qui ne sont pas élus de la nation, quand d'évidence ce rôle appartient d'abord et avant tout à la représentation nationale, et donc bien évidemment aux députés lorsque ceux-ci discutent du budget de la nation.

Vous le voyez, les qualificatifs que j'ai employés augurent mal du jugement que nous porterons sur ce budget aux déficits historiques : 8,2 % du PIB cette année, 8,5 % l'année prochaine ; 141 milliards en exécution en 2009, 116 milliards prévus en 2010. Les chiffres sont particulièrement inquiétants. Je rappelle qu'en 2001, le stock de dettes représentait un peu moins de 57 % du PIB, alors qu'à la fin de l'année 2010, il atteindra au moins 84 % du PIB. Tout cela montre la dégradation de nos finances publiques et devrait conduire à un vrai débat, et non pas à une caricature de discussion dont j'ai parfois eu le sentiment en vous écoutant, monsieur le ministre, qu'elle vous semblait préférable. Il ne s'agit pas de discuter la nécessité d'engager l'argent public pour traiter la crise. Tous les gouvernements du monde ont laissé filer leur déficit budgétaire, et, en France, tout autre gouvernement aurait, lui aussi, et probablement sous vos critiques, laisser filer le déficit budgétaire.

La question n'est donc pas de savoir s'il fallait ou pas laisser filer les déficits pour financer les plans de relance. Il fallait des plans de relance et donc, pour cela, il fallait alourdir la dette. Si nous vous critiquons, ce n'est pas parce que les déficits de l'État s'aggravent du fait de la crise, mais parce qu'auparavant, à la suite de mesures que ni la crise ni quoi que ce soit d'autre ne vous imposait de prendre, vous avez opéré des baisses de recettes pour l'État qui ont pesé lourdement lorsque précisément la crise s'est installée.

Le rapport de Gilles Carrez est éclairant sur ce point. J'engage les collègues que cela pourrait intéresser à se pencher sur les quinze ou vingt premières pages de ce rapport où il est expliqué que, depuis l'an 2000, les gouvernements successifs ont procédé à une centaine de milliards d'euros de baisse de recettes pour l'État et la sécurité sociale.

Nous devons y prendre notre part puisque les premières baisses de l'impôt sur le revenu et de la TVA furent opérées sous l'autorité du Gouvernement de Lionel Jospin. Ensuite les choses se sont emballées, c'est le moins que l'on puisse dire ! Si les deux premières mesures ont pesé et pèsent encore, ce sont surtout les suivantes qui ont supprimé des recettes qui font cruellement défaut actuellement et expliquent pour partie le déficit considérable auquel nous avons à faire face.

Certes, monsieur le ministre, la crise joue son rôle dans la baisse des recettes fiscales qui a frappé notre pays, mais ce que vous appeliez vous-même les baisses volontaristes d'impôt en joue un également. En gros, entre 40 et 45 % de la baisse des recettes fiscales proviennent des politiques que vous avez délibérément menées avant même que la crise ne fût là et n'impose quoi que ce soit : les baisses d'impôts opérées en 2006 sous le Gouvernement de Dominique de Villepin, la baisse de la TVA, le paquet fiscal.

On pourrait multiplier les exemples puisque depuis 2002, comme chacun sait, la dépense fiscale – les niches – ont augmenté de 25 milliards d'euros, passant de 50 milliards d'euros à 75 milliards d'euros. Notre État n'a plus les moyens de cette politique fiscale, monsieur le ministre. Nous en sommes tous convaincus.

Certains estiment que ces déficits ont une finalité – j'ignore si tel est votre cas, monsieur le ministre. En libéraux que vous avez toujours été et n'avez jamais cessé d'être, vous pensez que diminuer les ressources de l'État sans que la dépense publique ne baisse pour autant à due concurrence, cela revient forcément, à un moment ou à un autre, à pratiquer des coupes claires soit dans les services de l'État, soit dans les services de protection sociale, soit – ce que l'on peut craindre dans un proche avenir – dans les collectivités locales.

Vous êtes effectivement arrivé à vos fins et deux chiffres prouvent à quel point la situation est grave : nous en sommes à plus de 56 % du PIB de dépenses publiques pour des prélèvements obligatoires qui sont passés, en un an, de 42,7 % à 40,7 %. D'ailleurs, comme M. le Premier ministre il y a une quinzaine de jours, vous vous êtes réjoui de cette baisse des prélèvements obligatoires, indiquant que cette promesse-là aussi serait tenue par le Gouvernement, après avoir été faite par le candidat Nicolas Sarkozy.

Il ne faut quand même pas exagérer, mes chers collègues ! Nous savons tous que cette baisse des prélèvements obligatoires qui est intervenue entre 2008 et 2009 ne doit rigoureusement rien à des mesures que vous auriez pu prendre et tout à la crise. C'est l'impôt sur les sociétés qui, pour l'essentiel, explique cette baisse des prélèvements obligatoires, laquelle se parachève avec la décision extrêmement contestable de la baisse de la TVA dans la restauration.

Cette baisse de recette fiscale relève beaucoup plus du caprice d'un homme que de la volonté délibérée et consciente d'un Gouvernement et de sa majorité. Certains peuvent le dire ici quand d'autres doivent se contenter de le penser. En le déclarant à cette tribune, je crois ne pas beaucoup me tromper.

Cette baisse des prélèvements obligatoires ne doit donc rien à une quelconque politique menée et tout à la crise, pour le coup. Quoi qu'il en soit, entre la dépense publique – 56 % du PIB – et les prélèvements obligatoires – 40 %, du PIB –, il y a seize points d'écart. Mes chers collègues, le déficit de notre pays réside dans ces seize points d'écart.

En dépit de vos efforts, monsieur le ministre, je ne vois pas comment vous pourriez réduire la dépense publique à due concurrence des réductions des recettes fiscale auxquelles vous avez procédé – avec constance, je dois le reconnaître – depuis maintenant deux ans et demi que vous êtes ministre des comptes publics. En réalité le mouvement est engagé depuis 2002, depuis que cette majorité préside aux destinées du pays.

Ce déficit, mes chers collègues, il faudra bien envisager un jour la manière de l'apurer. Dans ce projet de loi de finances, dans les propos de M. Woerth ou ceux de Mme Lagarde, rien ne nous permet de comprendre la manière dont vous envisagez cette réduction.

Vous nous parlez de la croissance qui sera de 0,7 % l'année prochaine, le Premier ministre annonçant pour sa part un taux de 1 %. En 2007, avec une croissance du PIB de 2,4 %, l'État a continué à s'endetter. Les déficits ne se résorberont donc pas en 2010 ni au cours des années suivantes, car il faudrait pour cela une croissance beaucoup plus forte que celle que même les plus optimistes d'entre vous n'osent imaginer. La croissance ne suffira donc pas, tout en étant nécessaire. Nous l'appelons tous de nos voeux, même si, contrairement à vous, nous pensons que les politiques menées la préparent plutôt mal.

La croissance ne suffisant pas – et vous en avez conscience –, vous évoquez la fameuse réduction de la dépense publique, en citant en exemple la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Citons quelques chiffres éclairants. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre avait indiqué que 20 milliards d'euros seraient économisés durant la totalité de la mandature. Quand à vous, monsieur le ministre, vous avez indiqué que sept à huit milliards d'euros seraient économisés au titre de la RGPP, et pas un milliard de plus.

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