Madame la présidente, monsieur le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, mes chers collègues, le budget que nous examinons s'inscrit dans un triple contexte. En effet, il y a d'abord un contexte de crise, que les orateurs de la séance précédente ont abondamment rappelé. Ensuite, il y a le contexte futur du grand emprunt, qui rend l'examen de ce budget étrange puisque nous savons que ce n'est pas à cette occasion que nous traiterons de ces dépenses d'avenir, alors que c'est en principe toujours le cas. Enfin, il y a le contexte très particulier, bien qu'il n'ait pas encore été évoqué, de la moitié de la mandature du Président de la République – comme de la représentation nationale d'ailleurs. Ce contexte de mi-mandature amène légitimement les uns et les autres, en particulier l'opposition, à s'interroger sur le respect des engagements pris et des promesses faites par celui qui, à l'époque, n'était encore que candidat à l'élection présidentielle.
Je ne dirai qu'un mot du contexte de crise puisque vous, monsieur le ministre, ainsi que Mme Lagarde, le président de la commission des finances et le rapporteur général l'avez déjà abondamment évoqué. Quand on replace le projet de loi de finances dans ce contexte de crise, il faut éviter les simplifications hasardeuses et reconnaître ce qui a été fait quand cela correspondait à l'intérêt général. À cet égard, au moment où éclatait la crise financière la plus violente depuis la deuxième guerre mondiale, il fallait une réaction coordonnée, collective et puissante. Il faut reconnaître aux autorités des différents pays européens, notamment aux autorités françaises, qu'elles ont su mesurer la gravité de la crise, et, sous présidence française, d'avoir permis une telle réaction. Ne pas le reconnaître serait injuste, et cette injustice amoindrirait les critiques que l'on peut par ailleurs porter à la politique budgétaire du Gouvernement. Car si nous n'avons pas voté contre le plan de sauvetage de notre secteur bancaire et financier, nous ne l'avons pas non plus approuvé, pour des raisons dont l'année écoulée démontrent qu'elles étaient pertinentes. Je veux rappeler qu'elles étaient ces raisons.
Tout d'abord, nous estimions que s'il y avait une véritable urgence à rétablir les banques dans les responsabilités majeures qui sont les leurs dans le financement de l'économie, il y avait aussi une urgence économique et sociale, que ce plan-là ne traitait pas.
La deuxième raison pour laquelle nous n'avons pas voté ce plan, c'est qu'il nous a semblé qu'autant via la Société de financement de l'économie française que via la Société des prises de participation de l'État, les choix qui avaient été faits n'étaient pas les meilleurs possible.
Dans le cadre de la SFEF, c'est plus de 260 milliards d'euros que l'État s'était engagé à mobiliser pour garantir les actifs des banques – 93 milliards ont effectivement été engagés. Il s'agit de fonds levés avec la garantie de l'État et servant à refinancer les prêts bancaires avec en contrepartie, de la part des banques, des collatéraux, c'est-à-dire des actifs apportés en garantie. Or nul ne connaît la nature exacte et pas davantage la qualité des collatéraux garantissant ces 93 milliards d'euros de fonds publics. C'est un risque majeur qui a été pris à l'époque que de procéder ainsi. Aujourd'hui encore, nul ne sait si ces collatéraux sont de nature à gager les 93 milliards ou si tout ou partie de cette somme – vraisemblablement une partie – devra s'ajouter au stock de dettes déjà considérable que notre pays a constitué, qu'il s'agisse de la dette de notre système de protection sociale ou de la dette de l'État. C'est la première erreur commise, et elle persiste. En un an, un contrôle indépendant n'a porté que sur 1,2 milliard d'euros, soit une infime partie des 93 milliards. Certes, ce contrôle n'a rien révélé susceptible d'inquiéter quant à la nature des garanties apportées par les banques, mais comment affirmer qu'aucune inquiétude n'apparaissant à l'examen de 1,2 milliard d'euros, il faudrait n'en avoir aucune pour la somme entière ?
Je ne crois pas qu'il soit légitime d'écarter cette critique d'un simple revers de la main, d'autant que Eurostat estime que cette dette de 93 milliards, qui représente tout de même 5,4 % du PIB, doit s'ajouter au stock de dettes du pays. Le poids de notre dette s'alourdirait alors subitement de façon considérable. Or, comme l'a très justement fait remarquer le président de la commission des finances, en cas d'alourdissement subit et brutal de la dette publique française, c'est son financement qui finirait par poser problème : 0,1 point de spread de dégradation, c'est un milliard d'euros d'intérêts en plus. Je ne crois pas que nos finances publiques résisteraient durablement à un alourdissement brutal de 5,4 points de PIB du poids de la dette. C'est pourtant le risque que nous courons. Telle est la première critique.
La deuxième concerne la Société des prises de participation de l'État. Déjà, à l'époque, nous vous avions demandé, monsieur le ministre, non pas de vous contenter de prêts supersubordonnés ou d'actions préférentielles, mais bien d'entrer en bonne et due forme dans le capital des entreprises bancaires concernées. Certes, y entrer immédiatement était difficile, mais nous savons tous qu'il existe des moyens financiers et juridiques qui auraient permis de répondre à l'urgence tout en garantissant l'entrée de l'État au capital des banques. Or après une première tranche de 10,5 milliards d'euros de prêts supersubordonnés, puis une quinzaine de milliards d'euros d'actions préférentielles, qu'en est-il ? Certes, nous obtenons le remboursement des premiers et probablement la vente des seconds, avec toutefois une plus-value plafonnée à 20 %. Mais ni les prêts supersubordonnés ni les actions préférentielles ne donne à l'État un droit de vote ou la possibilité de désigner un représentant au conseil d'administration. En outre, l'échange avec des actions ordinaires n'est pas permis. Ce n'est pas la meilleure façon de protéger et de défendre les intérêts patrimoniaux de l'État. Celui-ci est présent au capital de la BNP pour 15,2 % et à celui de la Société Générale pour 7,2 %. Or, et c'est bien ce qui est choquant, de tels niveaux de participation, tout à fait considérables dans le capitalisme moderne, ne lui donnent ni droit de vote, ni droit de transformer ses titres en actions normales, ni droit aux bénéfices maintenant que l'action de ces entreprises est en train de se réévaluer.
À cet égard, nous avons clairement une divergence, Mme Lagarde ayant utilisé des termes à la fois impropres et inappropriés. Car parler de boursicotage quand il s'agit de 5 milliards, 10 milliards ou 15 milliards d'euros, est évidemment inadapté. Boursicoter, ce n'est pas manipuler de telles sommes. Quant à appeler « spéculer » le fait d'entrer dans le capital d'une entreprise pour ensuite, pour la seule défense des intérêts patrimoniaux de l'État, réaliser une plus-value dont son budget aurait bien besoin, c'est tout à fait scandaleux. De plus, c'est tenter de couvrir d'une justification morale ce qui, en fait, fut une erreur de gestion et une faute politique. Oui, notre budget, mes chers collègues, aurait bien eu besoin d'une plus-value de cession – je rappelle que l'État a déjà réalisé ce type d'opération. Personne ne suggérait qu'il reste de façon durable au capital de ces entreprises.