Pour justifier l'injustifiable, c'est-à-dire le rattachement des cantons de Castres nord et de Castres ouest à la circonscription de Mazamet-Lavaur, vous inventez une nouvelle notion juridique que je ne connaissais pas, celle de communauté de territoires. Mais il y a autant de communautés de territoires que de territoires dans notre pays. Votre logique est d'autant plus surprenante que vous ne voyez aucun inconvénient à scinder en deux la communauté d'agglomération Castres-Mazamet et, a fortiori, la ville de Castres. Permettez-moi de vous dire que vos arguments ne tiennent pas la route.
Pour justifier ce redécoupage, vous vous appuyez sur la seule lettre du maire de Castres. Or, comme je vous l'ai dit mercredi dernier, une cinquantaine d'élus de l'est et du sud du Tarn se sont associés au recours que j'ai formé devant le Conseil d'État pour contester ce redécoupage. Par ailleurs, une dizaine de conseillers généraux se sont prononcés contre votre proposition que l'association des maires du Tarn a rejetée à l'unanimité, toutes tendances confondues, lors de son conseil d'administration. Je regrette que vous négligiez la position de ceux qui, pour la plupart, sont de vos amis.
Face à une non-réponse de votre part, je me vois dans l'obligation de défendre l'amendement n° 4 rectifié .
Il nous paraît nécessaire, pour des raisons démographiques, territoriales et démocratiques, de substituer à votre projet de redécoupage un projet qui reprend point par point les propositions de la commission Guéna, laquelle, en quelque sorte, a mis un zéro pointé à votre copie sur le Tarn puisqu'elle a proposé une complète réécriture.
L'argument démographique met en évidence un écart très important – 18 663 habitants – dans la proposition du Gouvernement entre la circonscription la plus peuplée, celle de Castres-Lavaur-Mazamet, et la moins peuplée, celle d'Albi-Castres-montagne. Ce déséquilibre va inévitablement s'accroître dans la mesure où l'ouest du Tarn bénéficie d'une dynamique démographique importante et constante en raison de l'autoroute Toulouse-Albi tandis que l'est du département voit sa population stagner, voire diminuer légèrement dans certains cantons ruraux. L'évolution logique et prévisible de ces tendances aboutira sans conteste, dans les années qui viennent, à aggraver le déséquilibre démographique que le présent redécoupage a pourtant vocation à corriger au nom de l'égalité devant le suffrage.
En revanche, le retour légèrement aménagé aux trois circonscriptions en vigueur entre 1958 et 1986, proposé par la commission Guéna et validé par la section de l'intérieur du Conseil d'État, présente l'avantage de réduire à 4 000 habitants l'écart maximum entre la circonscription la plus peuplée et la circonscription la moins peuplée, et donne de surcroît une avance démographique à la circonscription de l'est tarnais qui présente les caractéristiques d'un maintien ou d'un ralentissement démographique, contrairement aux deux autres circonscriptions.
L'argument territorial a été à juste titre mis en évidence par la commission Guéna, qui propose de s'appuyer sur la distinction traditionnelle des bassins de vie du Tarn, à savoir Albi-Carmaux, Castres-Mazamet et Gaillac-Graulhet-Lavaur. Cette proposition présente l'avantage de correspondre aux grands pôles historiques, géographiques et économiques du département que sont le nord, l'est et l'ouest. Je ne reviendrai pas sur certains éléments du rapport qui sont à la limite du supportable en ce qui concerne les difficultés que le bassin textile du sud du département a connues.
Cette proposition fonctionne aussi de manière cohérente avec les organisations territoriales administratives et politiques tarnaises que sont par exemple la communauté d'agglomération Castres-Mazamet et celle d'Albi. A contrario la proposition du Gouvernement non seulement divise ces regroupements intercommunaux mais plus encore aboutit à couper les communes d'Albi et de Castres entre deux circonscriptions distinctes, si bien qu'un des deux députés de Castres, sous-préfecture du Tarn, serait aussi celui de la préfecture d'Albi.
On m'opposera l'argument selon lequel la ville d'Albi était déjà coupée. En 1987, le choix avait été fait de diviser en deux la ville d'Albi sur une base géographique, la rivière, connue et reconnue par tout le monde. Avec un redécoupage en trois circonscriptions, la logique est totalement différente. Diviser l'une ou l'autre des deux villes et mettre un bout de l'une avec un bout de l'autre est contraire à toute logique historique et territoriale. Si cette solution peut s'imposer dans les grandes villes françaises, elle est totalement incompréhensible dans le cas de deux villes dont la population va de 43 000 à 50 000 habitants.
L'argument démocratique découle de cette dernière observation. Si le député n'est pas à proprement parler l'élu d'un territoire – mais que le député qui n'a jamais pris la parole ici pour défendre son territoire se lève –, il importe qu'il soit clairement identifié par les citoyens et les acteurs de la circonscription électorale dans laquelle il est élu puisque le choix a été fait de maintenir des unités territoriales pour l'élection des députés. Il est en effet dans la pratique de sa fonction le relais des dossiers de sa circonscription à Paris ou au niveau des administrations concernées. De ce point de vue, la proposition du Gouvernement ne fait qu'introduire inutilement de la confusion et de l'incompréhension et risque de susciter un sentiment de soupçon sur les réelles motivations de ce redécoupage contre-nature. C'est pourquoi l'association des maires du Tarn s'est prononcée à l'unanimité contre cette proposition et de nombreux autres élus locaux ont également fait part de leur rejet.
Mes chers collègues de la majorité, il est des moments où notre devoir de parlementaire est de s'affranchir de certaines disciplines pour essayer de rééquilibrer et de rétablir un certain nombre de principes. C'est ce que je vous propose de faire en votant cet amendement qui ne fait que reprendre les propositions de la commission Guéna, validées par la section de l'intérieur du Conseil d'État, dont vous avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'État, que c'était une institution permanente de la République à l'autorité incontestable.
J'espère que vous accepterez cet amendement. Nous y serions tous très sensibles. Cela nous permettrait de sortir grandis d'une opération considérée sur le terrain comme une opération politicienne, un charcutage, mais non comme un redécoupage républicain.