J'ai eu l'occasion d'évoquer, au cours de la discussion générale, ce que j'avais tendance à considérer comme des entorses aux objectifs généraux de ce texte qui, par ailleurs, est non seulement bien fait, mais indispensable.
La première entorse aurait consisté à ne pas se donner les moyens d'appliquer des sanctions fortes à l'encontre des opérateurs illégaux. Nous avons évité de façon efficace cet écueil, pour revenir à ce que tout le monde reconnaît être la volonté de construction d'un modèle français de gestion des jeux et de financement de l'intérêt général.
L'article 52 me paraît constituer une seconde entorse.
S'agissant, d'abord, du droit au pari, ce texte crée l'obligation d'une relation directe et contractuelle entre les opérateurs de jeux et les organisateurs d'événements sportifs. D'un côté, on interdit toute forme de relation capitalistique entre ces deux univers, dans l'objectif d'éviter les conflits d'intérêts, mais de l'autre, on risque de renforcer ces mêmes conflits d'intérêts puisque les contrats en question prévoiront des rémunérations, c'est-à-dire des échanges financiers entre opérateurs et fédérations sportives.
En outre, on ne connaît pas la nature des négociations qui auront lieu. Certes, on sait qu'il ne sera pas possible – et c'est un argument que vous avez souvent mis en avant – d'accorder à des opérateurs une exclusivité sur les paris portant sur un événement sportif, mais on ne sait pas si les contrats entre les uns et les autres seront différents. On ne sait pas de quels types de droits ou de royalties il sera question. On ne sait pas sur quelles bases ces contrats seront négociés. Aujourd'hui, ces bases sont totalement libérées. Elles seront peut-être encadrées par un décret, mais aujourd'hui elles ne le sont pas.
L'arrêt Santa Casa, qui a été souvent évoqué ici, me semble avoir été très clair à ce sujet, en expliquant qu'il convenait de tenir les organisateurs de paris sportifs à l'écart de tout conflit sportif. Je crois que cela est sage, mais la création d'espaces de négociation directe aboutira forcément à des conflits et les tribunaux trancheront. Cela veut dire que ce sera la jurisprudence qui fera le droit, puisque rien n'est dit sur ce point dans le texte.
Dans quarante-sept pays en Europe, des codes de bonne conduite ont été adoptés, qui font respecter des règles d'étanchéité totale entre ces deux univers que sont les opérateurs de jeux et les organisateurs d'événements sportifs. C'est là une règle de base garantissant le bon fonctionnement des jeux d'argent et de hasard, dont on sait à quelles dérives ils peuvent donner lieu.
En outre, cet article 52 aboutirait à un financement qui romprait avec ce qu'il était convenu d'appeler le modèle français, lequel justifie les jeux d'argent et de hasard par le fait qu'une partie des sommes est destinée à financer des actions d'intérêt général. C'est ainsi que la raison quasiment unique qui avait été invoquée pour justifier le Loto sportif, lors de la signature de son décret de création, était le financement du sport en France. Sans cela, le droit français ne permettait pas de légitimer sa création. Je rappelle que c'était bien 30 % des enjeux qui étaient reversés au CNDS, ou plutôt au FNDS à l'époque. Et puisque ce n'était pas assez efficace, cette règle avait été étendue à l'ensemble des jeux organisés par France Loto.
Nous aurions pu saisir l'opportunité de l'ouverture à la concurrence pour financer le sport, et nous aurions ainsi constitué un exemple en Europe. La vraie justification relevant de l'intérêt général aurait dû être essentiellement le financement du sport, puisque c'est sur le sport que l'on va parier. C'est essentiellement dans le sens du financement du CNDS que nous aurions dû orienter le dispositif.
Pourquoi contester, au fond, cette contractualisation, au-delà du risque de conflits d'intérêts ? Parce qu'elle va accélérer une évolution vers un sport à deux vitesses. Personne ne doute aujourd'hui qu'entre 90 et 95 % des paris se feront sur les matchs de football. Les fédérations et les ligues dominées par le sport professionnel bénéficieront des recettes, alors que les autres fédérations n'en verront jamais la couleur. Il faut répondre à cette question : pourquoi ne pas orienter l'ensemble du mécanisme, en évitant l'écueil du conflit d'intérêts, vers une répartition des recettes au service de l'intérêt général ?
En outre, le débat aurait été passionnant. On aurait pu commencer à réfléchir sur la gestion des droits sportifs. On sait qu'une mutualisation est nécessaire dans ce domaine. Elle a déjà été mise en oeuvre dans celui de la propriété intellectuelle, comme l'a souligné notre collègue Jacques Myard en commission. La gestion des droits d'auteur est assurée par la SACEM ou la SACD. Pourquoi ne pas réfléchir à un système analogue en matière de droits sportifs ? Et pourquoi passer par ce projet de loi pour aller au contraire dans le sens d'un financement contractualisé ?
Que va-t-il se passer ? Chacun des opérateurs va négocier avec chacune des fédérations, et réciproquement. Il y aura donc beaucoup de conflits.
Je m'interroge également sur la portée générale de cet article. On parle beaucoup de droit au pari, mais en réalité, il s'agit, notamment à travers le premier alinéa, d'un droit de propriété général, opposable à tous, et pas seulement aux opérateurs de jeux. Cela mérite pour le moins un débat.
Je suis très étonné que l'on ne soit pas allé plus au fond de ce droit en matière de conséquences générales sur les libertés fondamentales, ce qu'a fait le Conseil d'État, puisqu'il a émis un doute très clair sur la protection de ces libertés fondamentales, notamment la liberté de circulation de l'information.
Il est indiqué que toute utilisation à des fins commerciales des éléments caractéristiques, parmi lesquels sont nommés les résultats, les calendriers, les statistiques, devra faire l'objet de paiements de droit. L'exposé des motifs va plus loin, puisque, cher collègue rapporteur, vous avez évoqué la référence aux faits, ainsi que les commentaires. Cela fait beaucoup, et je ne crois pas que cela soit conforme au principe de libre circulation de l'information. Qu'en sera-t-il de certains jeux commerciaux autres que les jeux d'argent et de hasard. J'ai déjà cité le Trivial Pursuit, mais on pourrait aussi mentionner certains jeux télévisés ainsi que le droit individuel des sportifs à évoquer librement, quand même, les résultats qui ont été ceux de leurs clubs dans les compétitions. On pourrait encore évoquer la question de l'utilisation des calendriers.
Je comprends qu'on l'ait mise au centre du sujet s'agissant de ce projet de loi, mais vous savez qu'un certain nombre de voyagistes organisent des déplacements d'une ville à une autre en fonction de ces calendriers, par exemple pour aller voir à Marseille un match de l'OM, ou à Paris un match du PSG. Certaines fédérations ont déjà traduit ces voyagistes devant les tribunaux en leur reprochant de faire de l'argent sur leurs calendriers et leurs résultats, et en leur demandant, en conséquence, de leur verser des droits. Les tribunaux ont répondu qu'il y avait un minimum d'informations qui étaient déjà dans le domaine public. Le problème se posera donc avec les résultats, qui, eux, sont immédiatement dans le domaine public quand ils sont présentés dans la presse.
Non seulement on n'est pas allé jusqu'au bout de la réflexion sur les principes, mais on va au-devant de contentieux, parce que je crois que ces dispositions ne sont pas véritablement valables.
Voilà pourquoi mon amendement précise tout simplement que les contrats conclus entre les opérateurs de jeux et les organisateurs de manifestations sportives ne doivent pas porter sur le paiement de droits directs, mais doivent simplement avoir pour but d'organiser les choses proprement et de la façon la plus équitable pour tout le monde : les joueurs, le mouvement sportif et les opérateurs.
Il précise par ailleurs que le financement de l'univers sportif passera par le CNDS, le financement par le biais de ce dernier étant la solution la plus simple et la plus conforme à l'intérêt général.