Cette proposition de loi du groupe SRC part d'un constat largement partagé.
Tout d'abord au sommet de l'exécutif, puisque le Président de la République lui-même a fustigé les rémunérations indécentes et déresponsabilisantes des dirigeants mandataires sociaux et des traders des banques à Toulon, le 25 septembre 2008, et à Saint-Quentin, le 24 mars dernier.
Il est partagé, aussi, sur tous les bancs de notre Assemblée, puisqu'une mission d'information de notre Commission, dont Philippe Houillon était le rapporteur, a rendu public, le 2 juillet dernier, un rapport qui, s'il n'a pas fait l'unanimité sur toutes ses propositions, a cependant donné lieu à une convergence de vues sur la nécessité d'une intervention du législateur.
Depuis le début de la crise, le groupe SRC n'a cessé d'appeler le Parlement à l'action. Cependant, malgré quelques avancées bienvenues, obtenues notamment en loi de finances pour 2009, grâce à l'opiniâtreté du président de la commission des Finances, Didier Migaud, la majorité n'a pas souhaité donner suite aux suggestions de bon sens que nous avions formulées.
C'est ainsi que la proposition de loi n° 1544 relative aux hauts revenus et à la solidarité, examinée dans le cadre d'une précédente séance réservée à l'ordre du jour proposé par le groupe SRC, et qui visait notamment à abroger le bouclier fiscal et à empêcher certaines rémunérations abusives dans les entreprises privées aidées par l'État, a été repoussée.
À vrai dire, peu d'arguments de fond lui ont été opposés. D'ailleurs, quelques semaines plus tard, d'éminentes voix de l'UMP se prononçaient en faveur de la création d'une nouvelle tranche de l'impôt sur le revenu.
Cette prise de distance de l'exécutif et de la majorité parlementaire à l'égard d'un débat crucial pour les Français paraît d'autant moins compréhensible que, sur plusieurs sujets, des convergences sont possibles dans l'intérêt général.
L'état actuel du droit favorise les inégalités de rémunérations entre, d'une part, un petit nombre de privilégiés, à la tête des entreprises du SBF 120 et dans les salles de marchés des grandes banques, et, d'autre part, la grande majorité des Français qui subit chaque jour plus durement les licenciements et la diminution du pouvoir d'achat.
La rémunération moyenne des équipes dirigeantes du CAC 40 est passée d'environ 800 000 euros en 1998 à plus de 2 millions en 2007, soit une hausse de 150 %. Les stock-options et les actions gratuites jouent un rôle central dans cette augmentation.
Les rétributions consenties au titre de la cessation des fonctions ont également connu une évolution anormale. En matière de retraite, de grandes sociétés cotées ont provisionné plusieurs millions d'euros afin de garantir à leurs anciens dirigeants une rente annuelle de plusieurs centaines de milliers d'euros.
Et que dire des indemnités versées au titre d'un départ provoqué ? Est-il besoin de rappeler les 8,2 millions d'euros touchés par M. Noël Forgeard à l'occasion de son départ de EADS, en 2006, ou les 5,2 millions versés en 2008 à M. Serge Tchuruk, artisan de la fusion ratée d'Alcatel avec Lucent ?
Les rémunérations des opérateurs de marchés financiers ne sont pas moins contestables. Comme a pu le vérifier notre mission d'information, il n'est pas rare que des responsables d'activités de trading perçoivent une rémunération supérieure à celle du PDG de la banque qui les emploie.
La presse a récemment révélé que, en dépit des pertes subies par la Société générale du fait de l'affaire Kerviel, de substantiels bonus avaient été versés aux traders de l'établissement en 2007 (jusqu'à 10,75 millions d'euros pour un chef de desk) et en 2008 (3 millions d'euros pour le même), tandis que les analystes financiers et les secrétaires devaient se contenter de la portion congrue, avec respectivement 15 000 euros et 850 euros de rémunération variable.
Dans le même temps, le pouvoir d'achat de nos concitoyens stagne, le chômage approche les 10 % de la population active, l'inactivité partielle subie se généralise et le surendettement explose. Qui peut se satisfaire de ce constat ? Pas le groupe SRC, ni ses partenaires de l'opposition en tout cas.
Jusqu'alors, l'exécutif et la majorité se sont abrités derrière le dogme de l'autorégulation pour justifier l'inaction du législateur, mais notre mission d'information sur les nouvelles régulations de l'économie et l'Autorité des marchés financiers ont émis de sérieux doutes sur l'efficacité de cette autorégulation.
Ainsi, l'AMF a récemment révélé des pratiques de cumul d'un contrat de travail avec le mandat social exercé, en dépit de leur interdiction par les organisations professionnelles, ainsi que de nombreuses imprécisions sur les conditions d'octroi des indemnités de départ.
Le cas des rémunérations des opérateurs de marchés n'est guère plus reluisant. À la faveur de la torpeur estivale, certains établissements bancaires de la place de Paris ont annoncé le retour à des pratiques que l'on croyait révolues, du moins tant que ces établissements bénéficiaient d'un apport en capital de l'État.
L'heure est donc venue, pour le législateur, de prendre ses responsabilités. D'ailleurs, des pays n'étant pas réputés interventionnistes en matière économique ont déjà pris des mesures législatives. Je pense notamment à l'American Recovery and Reinvestment Act du 17 février 2009 qui plafonne les rémunérations des dirigeants d'entreprises aidées par l'État fédéral américain, ainsi qu'à la loi fédérale du 31 juillet 2009, qui encadre davantage le régime des stock-options outre-Rhin.
Notre proposition de loi procède du même esprit pragmatique. Elle vise trois grands objectifs, qui se déclinent en huit mesures concrètes – vous noterez au passage que la proposition ne comporte pas l'abrogation du bouclier fiscal : le débat ayant eu lieu le 30 avril, nous prenons acte du refus de la majorité de le supprimer ; cela attendra l'alternance.
Le premier objectif consiste à réduire les rémunérations des dirigeants et des opérateurs de marchés des sociétés et banques aidées par l'État.
À cet effet, l'article 1er plafonne la rémunération totale pouvant être consentie à ces dirigeants à 25 fois la rémunération la plus basse de l'entreprise, ce qui correspond aux écarts qui prévalaient dans presque tous les pays jusqu'aux dérives des deux dernières décennies.
Parallèlement, l'article 7 prohibe l'attribution de stock-options dans les entreprises soutenues par l'État, l'intervention publique n'ayant pas vocation à procurer, à moyen terme, des plus-values aux principaux responsables des difficultés ayant provoqué la recapitalisation ou l'octroi de prêts par les contribuables.
La proposition de loi vise ensuite à mettre un terme définitif aux travers juridiques qui ont permis les abus de ces dernières années.
L'article 2 institutionnalise les comités des rémunérations, démembrements des conseils d'administration ou de surveillance plus spécialement chargés de définir la politique de rémunération de chaque société cotée. Cette idée avait été partagée par les membres de la mission d'information de notre commission, en juillet dernier, ce qui ouvre la voie à un large consensus.
L'article 3 instaure une corrélation légale entre la plus faible rémunération en équivalents temps plein versée dans chaque société commerciale et la rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Les conseils d'administration et de surveillance se verraient chargés d'établir un coefficient multiplicateur, validé par l'assemblée générale des actionnaires, après avis du comité d'entreprise.
Par ailleurs, dans un souci de réalisme et de pragmatisme économiques, l'article 4 plafonne les indemnités de départ à deux fois la plus forte indemnité de licenciement prévue dans la société, ce qui mettra un terme aux parachutes dorés sans exposer les chefs d'entreprise à une insécurité personnelle.
De même, l'article 5 limite les montants des retraites supplémentaires à 30 % de la rémunération de la dernière année d'activité, ce qui demeure confortable. Cet article fera d'ailleurs l'objet d'un amendement de ma part, visant à prendre en compte, plutôt que la dernière année, les cinq dernières années d'activité, afin d'éviter tout gonflement artificiel des sommes allouées.
L'article 6 interdit l'octroi de stock-options dans les entreprises de plus de cinq ans. Cette mesure vise à rétablir la vocation originelle des stock-options, qui était de fidéliser sur le moyen terme les personnels les plus talentueux d'entreprises qui n'ont pas les moyens financiers de les rémunérer fortement, comme les start-up.
Le dernier objectif est la limitation des rémunérations variables des opérateurs de marchés. L'article 8 prévoit à cet effet un plafonnement de la rémunération variable au montant de la rémunération annuelle fixe. C'est une mesure qui n'est pas antiéconomique, puisque les opérateurs de marchés conserveront la perspective de bonus. Le mécanisme sera néanmoins plus transparent et surtout davantage corrélé aux résultats objectifs de chacun.
En résumé, ce texte ambitionne d'introduire de manière pragmatique, raisonnable et, je l'espère, consensuelle, la régulation que les Français appellent de leurs voeux, sans pour autant dégrader l'attractivité des sociétés et de la finance françaises.
Compte tenu des avancées obtenues dans le cadre du G 20 et de l'Union européenne, nous avons l'opportunité historique de corriger les travers d'une économie qui a dérivé de la production de richesses vers la spéculation. À nous de la saisir, dans l'intérêt de la cohésion nationale.