Je parle de modèle français d'un point de vue législatif, mes chers collègues.
Nous devons créer ce modèle en nous appuyant à la fois sur nos conceptions de protection des citoyens, sur les principes particuliers à la France et inscrits dans la Constitution de la Ve République, et en même temps sur la nécessité de réguler une activité aujourd'hui débordée par l'invasion des opérateurs illégaux, sans contrôle de l'équité des jeux, sans restitution à l'État de la fiscalité qui lui serait due et sans connaissance de l'origine des financements des opérateurs ou même des joueurs, avec tous les risques de blanchiment qui y sont associés, sans encadrement, enfin, des conséquences sur les comportements de dépendance sur le territoire national.
Vous le savez, mes chers collègues, les jeux de hasard et d'argent sont interdits en France pour des raisons tout à fait compréhensibles d'ordre public. Ils sont autorisés, par exception, à être gérés par des organismes qui en ont le monopole dans leurs domaines respectifs, je pense au PMU et à la Française des Jeux. Ils peuvent être aussi exceptionnellement autorisés par le biais des casinos dans le cadre d'autorisations très encadrées et délivrées par l'État français.
Pour chacun, il a toujours existé un motif et des objectifs de financement d'oeuvres sociales ou de causes nationales ou d'intérêt général. C'était le cas pour la loterie nationale dont les premiers émetteurs, en 1936, étaient les blessés de guerre – les gueules cassées étant les plus célèbres –, pour les paris sportifs avec la création du loto sportif dont 30 % des enjeux étaient, en 1985, dévolus au FNDS – on l'a oublié –, donc avec un objectif prioritaire de financement du sport en France. Cela a toujours été le cas aussi pour le financement de la filière hippique française vers lequel l'organisation des courses est tout entière tournée. Enfin, les autorisations d'ouverture des casinos sont notamment soumises à des motifs de développement des activités touristiques locales, avec des retours financiers importants au profit des collectivités territoriales.
Ainsi, les jeux sont non seulement très encadrés, mais ils constituent aussi un monopole permettant de respecter cet objectif d'intérêt général, ou d'intérêt public, pour employer une expression plus européenne. C'est le cas des jeux distribués aussi bien dans des réseaux physiques que sur Internet. Ce monopole de l'État Français permet bien sûr une régulation du marché et même un encadrement très précis des choix des entreprises contrôlées par l'État.
À ce titre, on peut se poser des questions au sujet du Rapido, jeu qui comporte des aspects très contestables en regard des addictions qu'il suscite. Comme l'a rappelé le ministre, c'est Mme Parly, secrétaire d'État de Lionel Jospin, qui a directement signé son autorisation. C'était une exception étonnante et, devant les tribunaux européens, c'est peut-être la seule faille à notre modèle français. Ainsi, malgré la teneur des motions qui viennent d'être présentées, il faut bien convenir que cette faille est d'origine socialiste. J'ai été très étonné que notre collègue Delaunay défende cette option en la comparant avec les machines à sous dans les casinos, Mme Parly ayant bien procédé à une première en introduisant ces appareils dans les cafés.
La finalité de cette organisation nationale n'obéit donc pas aux principes de libre entreprise ou d'économie de marché comme n'importe quelle autre activité commerciale, et je crois qu'en la matière, c'est une bonne chose. L'objectif premier n'est pas la réalisation libre de bénéfices commerciaux privés, mais d'avoir une offre limitée quoique suffisante pour éviter les effets pervers de la prohibition.
Le but poursuivi n'est donc pas capitalistique, mais de redistribution publique par l'État ou par des prélèvements destinés à des fonds spéciaux. Aujourd'hui, le modèle français, c'est cela. Il est directement issu de principes de droit romain qui se justifient particulièrement dans ce domaine, puisque la morale qui les sous-tend suppose que la loi s'impose à tous pour organiser la vie économique et sociale.
À côté de ce modèle français, il en existe d'autres issus du droit anglo-saxon. Même si celui-ci a souvent soumis les autorisations accordées aux opérateurs – bookmakers, salles de bingo – à des redistributions accordées aux oeuvres sociales, il part du principe inverse au nôtre : il accepte d'abord la réalité des jeux et de l'existence des opérateurs qui sont d'emblée autorisés à opérer à condition qu'ils se soumettent aux règles définies par la loi.
Alors qu'en France on inscrit dans la loi ce que l'on veut autoriser, dans la plupart des pays anglo-saxons, c'est l'inverse : tout est autorisé et l'on inscrit dans la loi ce que l'on veut interdire.
C'est aussi la différence entre un marché libéralisé et un marché avant tout régulé.