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Intervention de Christian Paul

Réunion du 7 octobre 2009 à 21h30
Ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Paul :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les orateurs de l'opposition qui m'ont précédé ont déjà parfaitement exprimé ce que nous devons penser de ce texte.

Entre la prohibition qui n'aurait guère de sens, chacun en convient, et la banalisation couplée à l'incitation, qui va favoriser toutes les addictions – monsieur le ministre, vous en prenez la responsabilité –, vous aviez la possibilité de dégager une voie acceptable et raisonnable. Cela n'a pas été votre choix car, comme toujours, des intérêts puissants veillaient au grain, et vous avez décidé de les entendre au-delà du raisonnable.

Pour ma part, je voudrais évoquer une question qui revient chaque fois qu'une loi concernant l'internet est débattue en France.

Depuis plus de dix ans, nous sommes nombreux, en particulier au Parlement, à réfléchir et à agir pour qu'internet ne soit pas un espace hors du droit. Les lois républicaines, et notamment la loi pénale, s'appliquent sur le net – ce qui ne signifie pas que cette application est facile sur un réseau mondial. Nous sommes également nombreux à considérer que l'état de droit ne doit pas être dégradé sous prétexte qu'il concerne le net. Le droit à un procès équitable ne doit pas disparaître quand l'internaute navigue sur les réseaux numériques.

La régulation du net est nécessaire. Elle peut prendre des formes particulières, les internautes y contribuent souvent en direct. Mais, quand il s'agit de questions essentielles, de nos libertés ou, à l'inverse, de crimes ou de délits, il convient alors de rappeler les principes de l'état de droit et, singulièrement, le rôle du juge.

En effet, depuis 2002, la tentation de court-circuiter les juridictions est permanente quand il s'agit de réguler des activités ou des contenus en ligne. Ainsi, en 2003, lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, nous avions examiné dans la nuit des amendements de M. Ollier proposant de mettre en place des dispositifs pénalisant les hébergeurs, que le Parlement n'avait pas voulu accepter.

Ensuite, très récemment, dans la loi Hadopi I, le juge était déjà dessaisi au profit d'une autorité administrative. Le rapporteur nous dira sans doute, comme il l'a fait en commission, que les deux situations ne sont pas identiques et qu'il s'agit, avec ce projet de loi, de filtrer des sites et non de couper des accès.

Nous pouvons tout de même constater l'existence d'une dérive préoccupante : je vous invite à y réfléchir avant de légiférer.

L'accès à l'internet est désormais reconnu comme essentiel pour permettre l'exercice des libertés d'expression et de communication. Le Conseil constitutionnel a rendu une jurisprudence historique à ce sujet en redonnant toute sa place au juge. Il s'agit d'ailleurs sans doute du principal et même de l'unique bénéfice de la loi HADOPI.

Bien sûr, les causes généralement invoquées pour justifier les filtrages relèvent souvent de combats nécessaires et irrécusables. Mais le filtrage par une autorité administrative comporte plusieurs risques que vous semblez réellement sous-estimer : un risque juridique de voir peu à peu des autorités administratives se substituer aux tribunaux et un risque technologique dénoncé sur tous les bancs, celui du « surblocage », celui du zèle des opérateurs invités à filtrer large sous peine de sanctions. Il y a aussi le risque de l'impuissance face au réseau numérique et, enfin, le risque qu'une dérive fasse du filtrage ou du blocage l'arme ultime quand la réalité du monde numérique échappe – ce qui est visiblement votre cas en matière de jeux en ligne.

Le filtrage, c'est l'illusion sécuritaire avec ses dégâts collatéraux. Cette illusion sécuritaire est d'ailleurs devenue, monsieur le ministre, la marque de fabrique de votre gouvernement. Pourtant, pour les jeux en ligne, comme pour les autres sujets, le Gouvernement ne règle rien : les contournements et les cryptages sont légion et, au fond, c'est se désarmer que de s'en remettre au seul filtrage.

Mais, faute de trouvez d'autres parades, comme celles que permettrait la coopération internationale, vous tentez de présenter le filtrage comme un bouclier magique. Cet après-midi, nous avons pourtant entendu en souriant le Premier ministre nous annoncer, à cette même tribune, que les paradis fiscaux avaient disparu : s'ils peuvent disparaître grâce à la coopération internationale, il doit bien être possible de faire quelques progrès en matière d'investigation et de répression en ce qui concerne les sites illégaux, sans mettre en danger le fonctionnement de l'internet.

Car pour l'internet, on voit déjà poindre les dégâts collatéraux : le filtrage se transformera, tôt ou tard, en attaque contre la liberté d'expression. Or ces atteintes sans contrôle du juge présentent des perspectives inquiétantes pour l'avenir du net.

Mais finalement, monsieur le ministre, faudrait-il filtrer si on ne s'apprêtait pas à ouvrir un très grand casino planétaire ? Dans votre éloge d'un filtrage sans aucune garantie juridique sérieuse, il y a déjà l'aveu d'échec d'une régulation uniquement rendue nécessaire par vos propres turpitudes.

L'internet ne doit pas être l'otage des tables de jeux électroniques que vous voulez offrir au monde entier. Je répète ce que vous ont dit avant moi tous les députés socialistes : nous ne serons pas les complices bienveillants de cette prise d'otage de l'internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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