Nous l'avons dit et redit depuis le début de ce débat : la perception des jeux de hasard et d'argent repose en France sur des valeurs sociales et politiques partagées par la communauté des citoyens. Nous avons aussi été nombreux à souligner que nous touchions ici à des problèmes moraux et éthiques.
La réglementation des jeux de hasard et d'argent est donc très souvent le reflet de la représentation que se fait une société de la place que peuvent raisonnablement occuper les jeux, et du caractère proportionné des gains qu'ils permettent – je préciserai : des gains qu'ils permettent pour le joueur, sans oublier l'usage de l'argent qui peut être prélevé pour l'intérêt général.
Le régime juridique général français en matière de jeux de hasard et d'argent est celui de l'interdiction, avec des exceptions au profit de trois monopoles strictement contrôlés par l'État. La protection de l'ordre public comme la préservation de l'ordre social et de la santé publique sont ainsi facilités. La pertinence, encore aujourd'hui, de ce régime juridique d'interdiction pour les jeux et paris en ligne, et la pérennité de ce cadre légal, forcent le respect du législateur face à l'équilibre qu'ont su trouver leurs prédécesseurs entre la préservation de cette activité et la nécessité de l'encadrer strictement afin de protéger l'ordre social et l'ordre public.
Peu de réglementations traversent ainsi les âges politiques en restant aussi cohérentes et adaptables aux différentes évolutions du secteur des jeux. Il est regrettable que votre gouvernement fasse peu de cas de ce genre de particularités juridiques et culturelles françaises, et s'empresse de céder aux gourous de la libéralisation.
Néanmoins, monsieur le ministre, nous partageons avec votre gouvernement certains de vos constats concernant le secteur des jeux.
Premier constat qui s'impose à nous, le développement endémique du secteur des jeux en ligne et la forte proportion du taux de Français jouant en ligne en dehors de tout cadre légal. Cela génère une réelle insécurité juridique pour les joueurs et accentue les risques pour la santé publique.
Ce premier constat est consubstantiel du second : l'offre française de jeux de hasard et d'argent en ligne est inadaptée, notamment sur les segments du poker et des paris sportifs.
Il en résulte un manque à gagner pour l'État dans la mesure où la manne de 2 à 2,5 milliards d'euros de mises attendues en 2010 échappe à tout prélèvement et, par conséquent, un manque à gagner pour les filières sportive et hippique, qui bénéficient de l'allocation d'une part des prélèvements.
Ce constat est partagé sur tous les bancs de cette assemblée et la nécessité de repenser et de réformer le secteur des jeux et paris en ligne français s'imposait. C'est là que les traductions juridiques de nos « valeurs socio-politiques » respectives divergent radicalement, monsieur le ministre.
Cette divergence de fond peut être ainsi résumée : nous estimons que vous avez élaboré des mauvaises solutions. Vous prétendez vous attaquer aux fondements des problèmes. En réalité, vous les instrumentalisez pour satisfaire des intérêts particuliers. Il en résulte un constat pour le moins inquiétant pour les législateurs que nous sommes : la philosophie de votre réforme repose sur une tromperie construite à partir de faits matraqués pour être instrumentalisés.
Ainsi, les objectifs affichés de protection de l'ordre public et social et de préservation de la santé publique, qui devraient être au centre des préoccupations de votre politique visant à réguler les jeux, ne sont que des leurres destinés à faire passer la pilule de l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent et de hasard.
Certes, nous nous réjouissons de la conservation de la forme mutuelle des paris hippiques. Nous attirerons néanmoins votre attention au cours des débats sur les risques que fait peser cette réforme sur toute la filière équine, notamment en termes d'emplois et de perte de qualité de la filière. Mesurons bien ce que représente cette filière, qui va de l'élevage aux employés du PMU, en particulier pour des régions comme la Normandie.
L'extension du champ des jeux avec l'autorisation d'une offre de poker va également dans le bon sens. Mais, pour le reste, nous voyons surtout dans votre texte de mauvaises solutions.
Nous contestons énergiquement la logique même de l'ouverture à la concurrence sur un secteur aussi sensible que celui des jeux de hasard et d'argent. Pourquoi ne pas avoir imaginé une simple modernisation des opérateurs historiques français en leur permettant notamment d'exploiter une palette élargie de jeux en ligne ?
Addiction et surendettement des joueurs, corruption dans le sport et les courses, trucage des matches, blanchiment d'argent, les risques avérés d'une telle libéralisation, même régulée, sont trop nombreux pour que la puissance publique se prive du contrôle des acteurs historiques du secteur.
De surcroît, le risque de nuisance sur la santé publique, l'ordre public et l'ordre social est loin d'être négligeable et appelle à la prudence. Mais votre volonté de mettre à bas l'État administrateur pour bâtir l'État stratège et en faire un poste avancé du libéralisme débridé l'emporte pour marginaliser ses prérogatives de puissance publique.
En corollaire, nous sommes, par principe, opposés à l'autorisation de la publicité en faveur d'un opérateur de jeux ou de paris agréé. Dans la mesure où le rôle de toute publicité réside dans l'incitation à consommer, il est irresponsable d'alléguer qu'elle ne fait courir aucun risque à la santé publique. Il est hypocrite d'arguer qu'elle contrera efficacement l'offre illégale.