Madame la présidente, monsieur le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, il est des constats difficiles, qui soulignent des contradictions apparentes alors qu'en réalité ils ne sont que le fruit de choix.
Que constatons-nous aujourd'hui ? Le système financier est fortement ébranlé par une crise sans précédent qui a pour conséquence des appels généralisés à la régulation, à l'encadrement, au bon sens et à la nécessité de reconstruire un système économique et financier décent, plus soucieux de règles éthiques, pour ne pas dire morales.
Nous avons tous en tête les échanges qui se sont déroulés dans cet hémicycle cet après-midi, à propos des résultats et des décisions prises à la suite du sommet du G20. Vous le savez, monsieur le ministre, nous ne croyons que peu aux annonces du Gouvernement auquel vous participez, et encore moins à celles du Président de la République. Ce texte ne va faire que confirmer notre sentiment.
En effet, vous présentez devant l'Assemblée un texte à l'exact opposé de cette ambiance générale à laquelle vous voudriez nous faire croire – un texte qui libéralise et autorise que soient ouvertes toutes les vannes aux opérateurs et autres acteurs des médias et des télécommunications, prêts à bondir sur un marché qu'ils jugent intéressant. C'est la principale raison de notre opposition à ce texte.
Ce texte nous paraît en réalité inopportun, et cela d'abord parce qu'il ne répond à aucune nécessité de transcription d'un quelconque élément du droit communautaire – malgré les déclarations, ce matin encore, du rapporteur, qui déclarait dans La Croix : « Devant les pressions persistantes de la Commission européenne, la France s'est engagée à libéraliser le secteur des paris et jeux en ligne. »
En réalité, il n'y a ni obligation ni empressement de la Commission européenne à libéraliser ce secteur. En l'absence de toute législation communautaire, c'est le droit national de chaque État qui s'applique, dans le respect des traités européens existants. Il est d'ailleurs utile de rappeler que les jeux d'argent et de hasard en ligne ont été formellement exclus à la fois de la directive « services » et de la directive « commerce électronique ». En outre, la Commission européenne s'est toujours refusée à légiférer, y compris lorsque le Parlement le lui a instamment demandé à la suite d'un rapport d'initiative parlementaire et d'une résolution en date du 10 mars 2009, et en dépit aussi de la demande de quelques-unes des commissaires qui la composaient.
La seule législation européenne s'appliquant relève donc des traités en vigueur. Il s'agit principalement des articles relatifs à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement, les traités prévoyant la possibilité d'y déroger pour instituer des monopoles ou accorder des droits exclusifs.
Si, au fil de la jurisprudence, certains ont craint que les marges de manoeuvre de l'État soient restreintes, ce risque est aujourd'hui écarté. Ainsi, différents arrêts ont amené les États à devoir justifier de plus en plus précisément les restrictions à la liberté d'établissement et de prestation de services. Pour être conformes au droit communautaire, les monopoles sur les jeux d'argent et de hasard doivent être motivés par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que l'ordre public – par exemple la lutte contre la fraude ou la criminalité – ou l'ordre social – par exemple la lutte contre les addictions et la protection des publics vulnérables. Voilà autant de conditions faciles à réunir en matière de jeux d'argent et de hasard en ligne !
Il n'y a donc pas d'obligation européenne à libéraliser ce secteur. En réalité, la Commission avait demandé à la France une simple mise en conformité avec la législation des traités communautaires.
Deux choix s'offraient donc à nous : soit la libéralisation totale, sachant que le développement des opérateurs reconnus par la France aurait pour conséquence l'ouverture du marché aux opérateurs européens, soit le renforcement du monopole public.
Avec ce texte, vous faites le choix de la libéralisation – alors même que la Cour de justice des communautés européennes a rendu le 8 septembre dernier un arrêt confirmant le droit du Portugal à maintenir un strict monopole public sur ce secteur des jeux en ligne, au grand dam, d'ailleurs, des opérateurs qui n'ont pas manqué de dénoncer cet arrêt de la Cour.
Vous comprendrez que nous ne partagions ni vos choix ni vos points de vue : ce texte ne nous paraît ni opportun ni justifié. Il nous semble même dangereux car, toujours dans la logique de la législation communautaire, rien n'est véritablement prévu à notre sens pour empêcher le dépôt de recours par les opérateurs non reconnus par l'Autorité de régulation des jeux en ligne, mais reconnus dans d'autres États de l'Union et qui voudraient agir en France.
En effet, le principe de reconnaissance mutuelle risque d'empêcher cette Haute autorité de maîtriser à terme l'entrée de nouveaux opérateurs, même non voulus, sur le marché. Qui pourra empêcher un opérateur de demander à la justice européenne de lui accorder le droit de s'établir et d'offrir une prestation sur le territoire français, dès lors qu'il disposera d'une licence dans un autre État membre ?
De la même manière, l'idée de fixer autoritairement un taux de retour, avec en tête des considérations liées à l'addiction, est une idée qui peut paraître louable en elle-même. Mais je crains qu'elle ne puisse résister longtemps à un ou à plusieurs recours appuyés sur le principe de la liberté d'entreprendre et donc de fixer librement ce taux de retour.
Dans la mesure où l'Union n'exigeait pas cette libéralisation, dans la mesure où la Cour de justice européenne a rendu un arrêt renforçant le droit des États membres à maintenir un monopole, il nous paraîtrait plus judicieux de ne pas adopter ce texte, et de réfléchir à un nouveau modèle – à un autre modèle, qui consisterait à renforcer le monopole public de la Française des jeux et du PMU.
Il nous paraît donc plus judicieux d'abandonner l'orientation que vous avez choisie pour nous tourner vers celle mise en oeuvre notamment au Portugal. J'imagine sans peine que ce n'est pas votre opinion, ni celle du Gouvernement. J'imagine même que vous trouverez des arguments pour défendre votre choix. Mais nous voyons aussi que la raison européenne qui a été annoncée ne tient plus, du fait de l'arrêt de la Cour de justice des communautés du 8 septembre dernier.
Alors nous ne pouvons nous empêcher de poser une autre question : celle de la vraie raison qu'il y a à pousser ce texte que rien n'impose ni ne justifie.
Cette raison, nous la voyons transparaître et la presse s'en est déjà fait l'écho. Il suffit de regarder la liste des opérateurs qui ont fait connaître leur souhait d'entrer sur ce marché. Groupes audiovisuels privés, grands noms du casino, sociétés de téléphonie, sociétés de production, organisateurs de diverses compétitions : toutes et tous ont répondu présents, comme toutes et tous avaient déjà répondu présents dans un célèbre restaurant, au soir du 6 mai.
Je sais que l'évocation du restaurant ne vous convient guère.