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Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 14 septembre 2009 à 15h00
Application de l'article 61-1 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec l'examen de ce projet de loi organique relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, nous entrons, à l'ouverture de cette session extraordinaire, dans une nouvelle étape de la mise en application effective de l'ensemble des dispositions de la révision constitutionnelle votée il y a maintenant plus d'un an par le Congrès.

Après une année passée à débattre de la modernisation de notre institution, des droits et prérogatives de l'opposition, de la majorité comme des groupes minoritaires et plus largement du rôle qui doit être celui du Parlement dans une démocratie moderne, c'est un autre débat, non moins essentiel pour l'avenir de notre démocratie, qu'il nous appartient aujourd'hui de reprendre, celui qui doit nous conduire à donner à nos concitoyens de nouveaux droits mais aussi de nouveaux moyens de s'impliquer et de peser dans le débat public.

Ainsi, la mise en place de cette question de constitutionnalité, devenue à la faveur des travaux de notre commission question prioritaire de constitutionnalité, s'inscrit-elle dans une démarche identique à celle qui nous conduira demain à mettre en place le référendum d'initiative citoyenne, le défenseur des droits ou encore à revitaliser en profondeur le rôle du Conseil économique, social et environnemental en donnant à nos concitoyens la possibilité de le saisir par voie de pétition.

À mon tour, madame la garde des sceaux, et même si vous êtes en charge des ces questions depuis peu de temps, je souhaite vous dire, au nom du groupe Nouveau centre, que cette part essentielle de la réforme constitutionnelle qui nous tenait à coeur doit pouvoir entrer en application dans les meilleurs délais.

Première de ces réformes à être examinées par le Parlement, la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité permettra ainsi à l'ensemble de nos concitoyens de se prévaloir devant la justice des droits fondamentaux que leur reconnaît la Constitution. Désormais et devant toute juridiction, qu'elle relève de l'ordre administratif, judiciaire voire consulaire, le citoyen sera en mesure d'invoquer la dimension inconstitutionnelle de la disposition législative qui lui est opposée, que celle-ci semble en contrariété avec le texte de la Constitution lui-même, avec le préambule de 1946 ou encore avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Aussi cette réforme permettra-t-elle de mettre fin à un curieux paradoxe qui voulait que pour faire valoir certains de ses droits à valeur constitutionnelle, le citoyen soit contraint de se tourner vers les juridictions européennes et non pas vers un juge français. Ainsi que cela a été souligné devant notre commission, la question de constitutionnalité et son caractère prioritaire sur toute question préjudicielle constituera ainsi également le moyen de réaffirmer au sein de notre ordre juridique la prééminence de la norme constitutionnelle.

Enfin, et en vertu de l'article 62 de la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel pouvant mener à l'abrogation de la disposition législative jugée contraire à la Constitution, cette réforme sera aussi et surtout un progrès notable pour l'état de droit dans notre pays. Personne, en effet, ne peut comprendre que des dispositions inconstitutionnelles subsistent encore dans notre droit.

Si la réforme de 1974 a conduit à une quasi-systématisation du contrôle du Conseil sur les textes présentant un doute sérieux de constitutionnalité, ce contrôle exercé à titre préventif se trouvera désormais complété par un mécanisme à vocation curative. Celui-ci permettra ainsi de s'assurer de la conformité à la Constitution de l'ensemble de notre législation, des textes entrés en vigueur avant 1974 comme de ceux adoptés depuis qui n'ont jamais été soumis au Conseil au motif qu'ils étaient simplement présumés ne pas poser de difficulté sérieuse alors qu'ils en posaient peut-être.

Dans l'ensemble des pays ayant mis en place un contrôle a posteriori de la norme législative par la Cour constitutionnelle, la question de l'existence ou non d'un filtrage des requêtes a le plus souvent largement conditionné sa viabilité. À cette question, le constituant a souhaité apporter lui-même la réponse en disposant que le Conseil constitutionnel ne pouvait connaître d'une question que sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Il s'agit pour nous d'en définir les conditions de mise en oeuvre.

Le premier écueil qui pourrait nous menacer consiste à mettre en place un dispositif trop étanche qui conduirait à méconnaître tout à la fois le principe de spécialisation des juridictions, et donc celle du juge constitutionnel, mais aussi, et c'est plus grave, l'effectivité de ce droit que le constituant a souhaité ouvrir à chacun de nos concitoyens. Le second réside pour sa part dans l'excès inverse, dans la mesure où un filtre trop lâche aurait pour seul effet de transformer la question de constitutionnalité en un simple artifice de procédure n'ayant pour seul effet que de ralentir le cours de la justice et de conduire le Conseil constitutionnel à la paralysie, à l'instar de ce qu'a connu dans les années 1970 le tribunal constitutionnel allemand.

À ce titre, je me réjouis de l'équilibre trouvé dans le dispositif retenu par la commission des lois sur proposition de son rapporteur. Ainsi reviendra-t-il au juge devant lequel la question aura été soulevée puis à sa juridiction suprême d'examiner la requête en se basant sur les trois critères que sont l'applicabilité au litige ou à la procédure de la disposition contestée, l'absence de déclaration de conformité à la Constitution préalablement par le Conseil constitutionnel sauf changement de circonstances, enfin le caractère nouveau ou sérieux de la question posée. Ces critères nous paraissent la meilleure garantie pour que le filtre soit à la fois suffisamment strict pour qu'il ne serve pas de moyen pour retarder la justice, mais aussi suffisamment ouvert pour que chaque citoyen puisse y avoir accès.

Mais s'il importe, pour la viabilité du dispositif, que les critères qui seront appliqués soient les plus clairs possibles, les délais de cette nouvelle procédure devront également rester les plus raisonnables possibles, afin notamment de ne pas perturber excessivement le bon fonctionnement de la justice.

À ce titre, je tiens également à me réjouir des exceptions apportées au principe du sursis à statuer en cas de transmission de la question de constitutionnalité. Ainsi le juge pourra-t-il notamment déroger à ce principe lorsque la liberté d'une personne sera en cause ou encore lorsque le sursis à statuer se révélerait susceptible d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives. C'est là un point qui ne saurait à nos yeux être remis en cause à l'occasion de nos débats.

Toutefois, la question des délais de traitement de cette question prioritaire de constitutionnalité me conduit, madame la ministre, à vous demander ce qui se passera lorsque le Conseil d'État ou la Cour de cassation n'auront pas décidé de la transmission de la question au Conseil constitutionnel dans les délais impartis. Dans un tel cas, n'y aurait-il pas un risque d'enlisement de la procédure ? Le rapporteur et les membres de la commission ont essayé d'apporter des réponses sur ce point. Êtes-vous d'accord avec les propositions faites par notre commission pour fixer des délais suffisamment souples pour être applicables mais aussi clairs pour qu'un recours ne se perde pas dans les méandres de telle ou telle juridiction ?

Plus largement, je soulignerai que nous ne sommes pas ici de ceux qui décideront du succès ou non de cette réforme, pas plus que les parlementaires sur tous les bancs. Ainsi qu'il en sera pour le référendum d'initiative citoyenne, dont nous espérons au plus vite la mise en oeuvre, c'est bien l'effectivité de l'appropriation ou non par nos concitoyens de ces nouveaux droits qui doit être la priorité. Or le droit de contester la constitutionnalité d'une loi restera théorique si ce droit n'est pas largement ouvert, non seulement à partir des critères que j'ai évoqués, mais aussi pour que chacun de nos concitoyens puisse en bénéficier. Comme vous le savez, madame la ministre, je suis élu de la Seine-Saint-Denis, département où vivent de nombreuses personnes déshéritées. Or les juridictions visées ici, le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel obligent à avoir recours à des avocats dont les tarifs ne sont pas accessibles à tous les citoyens.

Pour toutes ces raisons, il serait nécessaire de revoir le principe de l'aide juridictionnelle et de baisser des tarifs que les situations de rente ou de monopole rendent souvent excessifs, surtout dans de tels cas ! Une chose est de soulever la question de constitutionnalité au cours d'un procès, une autre est de déposer un dossier complet devant la Cour de cassation, le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel, sachant qu'ils ne doivent pas se prononcer sur le fond mais sur le sérieux de la requête.

Voilà, mes chers collègues, les conditions du succès d'une réforme que nous avons souhaitée, sur laquelle nous avons travaillé avec tous les parlementaires qui suivaient le dossier. Ce texte devrait tous nous rassembler. L'échec des projets de 1990 et 1993 donne incontestablement de la dimension à nos débats. Nous avons déjà essayé de donner ce droit à nos concitoyens, mais c'est la première fois que nous allons y parvenir, à l'unanimité espérons-le.

En tout état de cause, madame la garde des sceaux, les députés du Nouveau Centre apporteront leur plein et entier soutien à ce texte qu'ils souhaitaient de longue date. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

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