Mais au-delà de ces faits précis et récents – car ce sont bien des faits –, examinons le reste des nominations, notamment dans le champ du projet de loi que nous examinons ce soir.
Sans doute certains éléments ont-ils échappé à ma sagacité, mais après une simple étude des notices biographiques, je note tout de même que, sur les quarante et un emplois ou fonctions sur lesquels portent votre texte, vingt-trois au moins – et encore une fois, je ne prétends pas à l'exhaustivité – ont été confiés à d'anciens responsables ou collaborateurs ministériels.
Et dans ces vingt-trois cas recensés – j'en tiens, si vous le souhaitez, la liste à votre disposition – vingt et un ont officié dans des équipes de l'actuelle majorité.
Devant les caméras, on pratique l'ouverture, mais pour pourvoir ces postes-là, on se fait beaucoup moins iconoclaste !
Certes, il faut vous rendre cette justice : votre majorité, comme l'a dit, je crois, notre rapporteur, n'est pas la première à pratiquer, dans sa politique de nominations, une certaine préférence partisane, pour ne pas dire une préférence partisane certaine. D'autres avant vous ont usé et abusé de ce pouvoir de nomination pour promouvoir ou écarter Untel, ou encore pour récompenser tel ou tel collaborateur de longue date. Mais au moins ceux-là n'essayaient pas d'habiller leurs pratiques des oripeaux de la transparence et de la vertu !
Vous vous dites régulièrement, dans cet hémicycle et ailleurs, partisans de la concurrence. Que n'avez-vous mis le texte que vous nous proposez aujourd'hui en accord avec vos convictions affichées !
On aurait pu imaginer, par exemple, de pratiquer une véritable politique d'appels à compétences, avec profils de poste et incitations des candidats à proposer un projet pour l'organisme dont ils brigueraient la charge. Le tout, bien évidemment, en cohérence avec la volonté politique du gouvernement en place et ses priorités. L'État aurait conservé son rôle de pilote, le Gouvernement aurait été amené à expliciter ses objectifs politiques, la représentation nationale aurait pu auditionner les candidatures sélectionnées par le Gouvernement, et exprimer un véritable choix, sur la base duquel les autorités compétentes auraient exercé leur pouvoir de nomination.
Rappelons qu'une telle démarche, qui pourrait aujourd'hui apparaître totalement utopique, existait pour la nomination des PDG des chaînes de radio et de télévision publiques. Le CSA lançait un appel à candidatures et auditionnait les candidats avant de faire un choix. Mais on sait ce qu'il est advenu de cette procédure, puisque le Président de la République a décidé unilatéralement d'y mettre fin, pour nommer directement et personnellement les PDG de France Télévisions ou de Radio France.
Au lieu d'une procédure ouverte et concurrentielle, fondée sur l'évaluation d'un projet et des compétences, on convoque les commissions parlementaires permanentes –sans doute en vertu du fameux « droit de regard » – à un spectacle sans véritable enjeu.
Car votre texte ne se contente pas de laisser perdurer une situation dommageable pour notre démocratie. Il la rend encore plus insupportable en la drapant des apparences de la nouveauté et du contrôle parlementaire. À cet égard, monsieur le ministre, citer, dans cet hémicycle, sur ce sujet-là, l'expression de « République irréprochable », il fallait oser ! Vous l'avez fait, et je ne crois pas que c'était très bienvenu.
En conditionnant le rejet d'une candidature proposée par le Gouvernement à un vote des trois cinquièmes des membres de la commission compétente, vous avez vidé de sa substance une idée que je crois partagée sur ces bancs, toutes tendances confondues. Vous avez, encore une fois, gâché une occasion de faire progresser réellement la pratique démocratique dans notre pays.
C'est tellement vrai que, amené à se justifier des conditions, très comparables, de nomination des présidents des chaînes publiques de radio et de télévision, le Président de la République lui-même a été amené à décrire un système en réalité très différent de celui qui nous est proposé ici.
C'était à la télévision – comme toujours, avec le Président de la République –, en avril dernier. Reportons-nous quelques instants, j'imagine que vous n'y verrez pas d'inconvénient, à la parole présidentielle : je sais que vous y êtes, en général, très attachés.
Évoquant le nom du candidat proposé par le Gouvernement et approuvé par le CSA, le Président précisait devant des millions de téléspectateurs : « Ce nom part aux commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat et, tenez-vous bien » – le conseil est présidentiel, ce n'est pas moi qui insiste, même si, avec Nicolas Sarkozy, c'est vrai, il faut parfois se tenir, voire se pincer – « tenez-vous bien, disait le président, ce nom doit être accepté à la majorité des trois cinquièmes, l'opposition doit être d'accord avec la majorité pour accepter le nom ».
De deux choses l'une, mes chers collègues. Soit le Président de la République exprimait alors le fond de sa pensée, et dans ce cas il est encore temps de rédiger votre texte pour le mettre en conformité avec le discours présidentiel, soit Nicolas Sarkozy a menti aux Français.
Comme je suis plutôt magnanime, je vous suggère de retenir la première de ces deux hypothèses. Il nous faut, dans ce cas, amender la Constitution.
C'est la voie que je vous propose, ce qui rend bien entendu inutile l'examen de ce projet de loi, et c'est la raison pour laquelle je vous engage à voter cette motion de rejet préalable.