Avec votre autorisation, monsieur le président, je présenterai en même temps l'amendement n° 134 , deuxième rectification. En effet, ces deux amendements entendent inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité de la loi. En droit pénal, ce principe est respecté, mais dans les autres domaines législatifs, il est régulièrement bafoué par les projets et propositions de loi que le Parlement vote. Or le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel eux-mêmes nous demandent depuis des années de clarifier la situation.
En première lecture – notre rapporteur l'a souligné dans son rapport –, notre assemblée avait adopté un amendement introduisant le principe de non-rétroactivité de la loi dans la Constitution afin de garantir une stabilité juridique des carrières professionnelles, des situations fiscales et des contrats qui sont toujours exposés au risque d'être bouleversés par les lois que nous adoptons. Le comité Balladur lui-même s'est montré sensible à l'instabilité juridique qui résulte trop souvent de la rétroactivité.
La loi doit pouvoir avoir des effets rétroactifs mais seulement quand des motifs d'intérêt général l'imposent et non en toutes circonstances comme c'est souvent le cas aujourd'hui. À cet égard, nous savons tous que le prochain projet de loi de finances, comme les précédents, comportera des dispositions rétroactives.
Le Conseil constitutionnel a clairement établi dans sa décision du 18 décembre 1998 que le « principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive », autrement dit, en matière pénale. « Néanmoins, si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant » a-t-il encore indiqué.
Nous souhaitons donc inscrire ce principe dans la Constitution pour mettre fin aux abus de législations rétroactives dans notre pays, qui sont régulièrement dénoncés. Le Conseil d'État, souvent saisi à ce sujet, souhaitait que nous puissions clarifier notre position dans le texte constitutionnel.
Le Sénat n'a pas voulu maintenir cette disposition, au motif qu'elle affaiblirait les possibilités d'agir du législateur et qu'elle serait contradictoire avec les principes applicables en matière pénale. Or ce n'est pas le cas.
Le rapporteur me répondra, reprenant les arguments exposés dans son rapport, que les juridictions assurent déjà une protection contre les lois rétroactives. Non, elles ne le font pas ! Le rapport précise par ailleurs qu'il pouvait être d'autant plus satisfaisant d'inscrire clairement le principe général de non-rétroactivité de la loi assortie d'une réserve précise dans notre Constitution que, demain, possibilité serait offerte au citoyen, par le biais de l'exception d'inconstitutionnalité, de saisir le Conseil constitutionnel à propos d'une loi rétroactive. Mais cela revient à accepter que des lois rétroactives soient renvoyées devant les tribunaux alors même que nous aurions pu les éviter en inscrivant le principe de non-rétroactivité dans la Constitution.
Toujours selon le rapport, « il convient de reconnaître que la protection apportée tant par le Conseil constitutionnel que par les juridictions ordinaires et la Cour européenne des droits de l'homme assure un niveau satisfaisant de sécurité juridique, les situations les plus aberrantes pouvant être sanctionnées ». Pour ma part, chers collègues législateurs et constituants, j'estime que notre rôle n'est pas de laisser les juridictions sanctionner les situations les plus aberrantes, car les moins aberrantes sont tout aussi inadmissibles. La loi, par sa rétroactivité, ne doit pas être à l'origine d'une instabilité juridique dans les contrats, les carrières ou dans le droit fiscal.