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Intervention de Émile Blessig

Réunion du 30 avril 2008 à 11h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmile Blessig, rapporteur :

, a rappelé que la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile avait été adoptée en première lecture par le Sénat le 21 novembre 2007. Il a précisé que cette réforme était issue d'une longue réflexion, notamment marquée par un avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, rédigé sous la direction de M. Pierre Catala. Il a souligné que la proposition de loi était également le fruit des travaux d'une mission d'information de la commission des Lois du Sénat sur le régime des prescriptions civiles et pénales, présidée par M. Jean-Jacques Hyest.

Il a indiqué que la réforme de la prescription en matière civile était particulièrement attendue tant la complexité et la multiplicité de ses règles sont dénoncées. Il a précisé que la réforme portée par la présente proposition de loi reposait sur trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, la simplification de leur décompte et l'autorisation encadrée de leur aménagement contractuel.

Il a estimé que les deux mesures les plus importantes étaient le raccourcissement du délai de droit commun de trente ans à cinq ans et l'institution d'un délai butoir de vingt ans, corollaire de la définition d'un point de départ de la prescription « glissant ».

Après avoir précisé que la modernisation du droit de la prescription civile devait permettre de jeter les bases de la réforme à venir du droit des obligations, il a rappelé que la proposition de loi avait fait l'objet d'un large consensus au Sénat, puisque seul le groupe CRC s'était abstenu.

Il a souligné que la question du traitement de la prescription en matière salariale avait fait l'objet de vives inquiétudes.

Il a rappelé que, selon les articles L. 3245-1 du code du travail et 2277 du code civil, la prescription en matière de paiement des salaires était de cinq ans et que ce principe était confirmé par l'article 8 de la proposition de loi. Après avoir indiqué que la discrimination syndicale était définie par l'ancien article L. 412-2 du code du travail, repris par les actuels articles L 2141-5 à L. 2141-8 du même code, il a souligné qu'elle se prescrivait selon le délai de droit commun, actuellement de trente ans. Il a précisé, que, dans le silence de la loi quant à la combinaison de différents délais de prescription, la Cour de cassation avait rappelé, dans une affaire qui concernait à la fois une action en réparation de la perte de salaire et une discrimination, que « l'action en réparation du préjudice résultant d'une telle discrimination, se prescrit par trente ans » et avait ainsi renoncé à isoler la question de la réparation de la perte de salaire.

Il a constaté qu'en l'état, la proposition de loi adoptée par le Sénat prévoyait un délai de droit commun fixé à cinq ans et un point de départ de ce délai correspondant au moment où « le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Il a donc observé que ces dispositions semblaient moins favorables au salarié que le droit en vigueur.

Il a indiqué que le président de la commission des Lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, avait souhaité régler cette question à l'occasion du débat sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Il a indiqué que l'article 4 bis de ce projet de loi visait, d'une part, à préciser que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrivait par cinq ans « à compter de la révélation de la discrimination » et, d'autre part, à préciser que les dommages et intérêts réparaient « l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ».

Il a donc affirmé que l'amendement du président Hyest réglait sans le moindre doute la question de l'ampleur de la réparation du préjudice. En revanche, il s'est demandé si le délai de prescription courant à compter du jour de la « révélation » de la discrimination faisait taire toutes les inquiétudes. Il a précisé que, selon la doctrine, cette notion pourrait être comprise comme « la connaissance du manquement et du préjudice en résultant ».

Il a rappelé que la discrimination se caractérisait par le fait qu'il était très difficile de déterminer un « fait générateur » identifiable, puisqu'elle prenait la forme d'une série de décisions de l'employeur.

Il a indiqué que la « révélation » de la discrimination était un point de départ issu de la jurisprudence, notamment d'un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 22 mars 2007.

Il a insisté sur le fait que la « révélation » n'était pas la simple connaissance de la discrimination par le salarié, mais qu'elle correspondait au moment où le salarié disposait des éléments de comparaison qui mettent en évidence la discrimination. Il a donc estimé que tant que le salarié ne disposait pas d'éléments probants, la discrimination ne pouvait pas être considérée comme révélée et, donc, que le délai de prescription de l'action du salarié ne pouvait pas courir.

Il a donc conclu que, compte tenu de cet encadrement, la réduction de trente ans à cinq ans du délai de prescription ne nuirait pas aux capacités d'action des salariés.

Il a ensuite indiqué qu'il souhaitait procéder à une harmonisation des dispositifs applicables aux différentes professions juridiques. Il a également annoncé son souhait de préciser, en matière de dommage corporel, que la notion de « consolidation » d'un dommage s'appliquait tant au dommage initial qu'à l'éventuel dommage aggravé. Enfin, il a souhaité consolider la construction jurisprudentielle selon laquelle les actions en responsabilité contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent de manière identique, qu'elles relèvent ou non du droit commun.

Tout en convenant de la nécessité de réformer les délais de prescription civile, M. Jean-Michel Clément a estimé que la proposition de loi ne mettrait pas fin à la persistance de délais spécifiques en la matière. Il a souhaité plus particulièrement insister sur deux aspects du texte critiquables à ses yeux, sans qu'ils épuisent à eux seuls les contestations du groupe SRC à l'endroit de la proposition de loi.

Il a ainsi jugé, en premier lieu, que la diminution de 30 à 5 ans du délai au terme duquel les actions en matière civile seront prescrites risquait de placer brutalement l'ensemble des relations contractuelles dans un rapport de forces inégal. Dans la lignée de ce constat, il a fait valoir qu'un délai alternatif de prescription au bout de 10 ans apparaissait préférable et davantage compatible avec les conditions d'exercice des rapports contractuels, ce sentiment étant partagé non seulement par les magistrats de la Cour de cassation mais aussi par une grande partie de la doctrine.

Il a considéré, en second lieu, que la possibilité offerte par le texte de négocier les délais de prescription comportait en elle le germe d'une déstabilisation des relations contractuelles, cette éventualité ne pouvant concrètement jouer qu'à la baisse des délais au profit des acteurs économiques les plus puissants, vis-à-vis desquels les autres parties se trouvent dans une situation de dépendance. Pour cette raison, il a qualifié de déplacée toute affirmation selon laquelle les cocontractants resteraient, aux termes de la proposition de loi, sur un pied d'égalité.

En conclusion, il a observé que la proposition de loi soumise à l'examen de la Commission avait des conséquences plus profondes que son aspect technique laissait penser, y compris vis-à-vis du droit du travail. Il a ainsi annoncé que le groupe SRC défendrait un certain nombre d'amendements visant à rétablir un nécessaire équilibre dans les relations contractuelles et à supprimer le délai butoir qui, sous couvert d'un allègement de la charge de travail de l'institution judiciaire, affaiblira la situation des personnes se trouvant déjà dans un état de dépendance.

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