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Intervention de Didier Quentin

Réunion du 18 février 2009 à 9h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin :

Au retour d'une mission accomplie, avec mes collègues Philippe Gosselin et René Dosière, du 2 au 6 février dernier à Mayotte, nous souhaitons apporter à notre commission un éclairage concret sur le projet de départementalisation du statut de cette collectivité. Parler de Mayotte sans s'y être préalablement rendu serait en effet bien difficile. En effet, il faut avoir mesuré directement les attentes de la population, les grands progrès déjà accomplis, et ceux qui devront rapidement l'être pour réussir la départementalisation. Il s'agit d'un enjeu majeur pour l'avenir de nos compatriotes mahorais, car nous avons pu constater l'attente que suscite, chez les élus et dans la société civile, ce projet si longtemps différé.

Comme le permettait la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, ce changement de statut a été demandé par le conseil général de Mayotte dans une résolution adoptée, le 18 avril dernier, à l'unanimité. Il a également fait l'objet, à la demande du conseil général, d'un débat dans notre hémicycle et dans celui du Sénat mercredi et jeudi derniers. Le Président de la République a décidé que la population de Mayotte serait consultée sur ce projet le 29 mars prochain et devrait répondre à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en collectivité unique, appelée département, régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et régions d'outre-mer ? ».

Alors que l'Union africaine a adopté, voici deux semaines, un texte inacceptable – qui me paraît même, personnellement, scandaleux – qui condamne l'organisation d'un référendum à Mayotte, prétendument « occupée par une puissance étrangère », il me semble utile de dissiper par avance tout malentendu : quelle que soit la réponse apportée par la population à la question posée – qui ne concerne que notre organisation administrative interne –, Mayotte restera française. Elle l'est depuis 1841 et sa population a librement confirmé ce choix, à 64 % puis 99 %, lors des référendums de 1974 et 1976.

La départementalisation est un enjeu déterminant pour l'avenir de cette collectivité, qui sera désormais, si les électeurs de Mayotte répondent favorablement à la question posée, régie non plus par l'article 74 de la Constitution, consacré aux collectivités d'outre-mer (COM), mais par son article 73, relatif aux départements et régions d'outre-mer (DOM-ROM). Cette transformation statutaire entraînera des conséquences juridiques importantes, dont le remplacement du principe de spécialité législative par celui de l'assimilation législative : cela signifie que, sitôt la départementalisation effective, nos lois et règlements deviendront de plein droit applicables à Mayotte, sauf lorsqu'ils en disposeront autrement de façon expresse. Dans ce cadre, des adaptations législatives demeureront évidemment possibles et nécessaires – j'y reviendrai tout à l'heure. Mais il nous faudra d'abord examiner, avant la fin de l'année 2009, une loi organique modifiant l'actuel statut de l'île, puisque la collectivité départementale de Mayotte devrait devenir, comme le permet l'article 73 de la Constitution, une collectivité unique, tenant lieu à la fois de DOM et de ROM, dont le conseil général exercerait à la fois les compétences départementales et régionales. Il ne s'agit ici que de parvenir à une organisation simple, rationnelle et économe des deniers publics, car la superposition d'un conseil général et d'un conseil régional, disposant éventuellement de majorités politiques contraires, aurait bien peu de sens sur ce petit territoire de 374 kilomètres carrés.

Si le projet de départementalisation nous a semblé faire, a priori, l'objet d'un grand consensus politique à Mayotte – ses habitants l'attendent depuis plus de 50 ans –, il reste en revanche nécessaire de s'interroger sur le calendrier, les modalités et les conséquences d'un tel changement.

Il est clair que Mayotte n'est pas encore parvenue à un niveau de développement satisfaisant : l'habitat et la voirie y sont souvent très dégradés, les projets économiques trop dépendants du soutien des pouvoirs publics, le niveau d'instruction et la maîtrise de la langue française insuffisants – ne serait-ce que parce que l'école n'est devenue obligatoire qu'au début des années 1980. Ajoutons à cette situation le poids de l'immigration clandestine, qui représenterait environ 60 000 personnes, soit le tiers de la population insulaire, la jeunesse de la population – 54 % des habitants sont âgés de moins de 20 ans –, la quasi-absence de médecine libérale, de notaires, de cadastre à jour et, surtout, d'état civil fiable, et l'on mesure la longueur du chemin qui reste à parcourir. A cet égard, procéder dès 2011 à une départementalisation peut paraître bien ambitieux : c'est assurément un grand défi.

Cette ambition devrait favoriser une prise de conscience collective sur l'urgence de la situation et permettra d'accélérer les efforts entrepris pour remédier au retard de développement et aux dysfonctionnements administratifs. Si nous devions attendre la réunion de toutes les conditions avant de procéder à la départementalisation, celle-ci risquerait fort, comme par le passé, d'être continuellement différée. À Mayotte, le poids de la tradition, des habitudes, la tolérance ou le relativisme de l'administration et des élus ont trop longtemps conduit au fatalisme et la résignation, voire tout simplement à l'indifférence ; la départementalisation pourrait enfin donner un nouveau souffle à la volonté politique et l'ardeur réformatrice.

Bien sûr, les lacunes et les insuffisances sont encore nombreuses, et nous avons noté que les acteurs économiques et sociaux peinent encore à mettre en place, dans les conditions légales, des projets porteurs de développement à long terme, notamment en matière agricole, aquacole ou touristique. Nous avons aussi constaté avec inquiétude la persistance de graves difficultés matérielles dans la gestion de l'état civil, qui a été laissé dans un état de délabrement inimaginable jusque dans les années 1980 – comme nous l'avons constaté en visitant de service de l'état civil de la mairie de Mamoudzou, les registres de cette époque ne sont bien souvent qu'une pile de feuilles éparses, jaunies, et racornies, raturées, voire trouées, et presque illisibles !

Il n'en demeure pas moins que certains signes sont déjà encourageants. Les indicateurs économiques et sociaux sont mieux orientés : le nombre d'enfants par femme mahoraise a été ramené de 8,1 à 3,4 en trente ans et, en dix ans, le chômage est passé de 41 à 22 % de la population active. L'île a été progressivement désenclavée, tant sur le plan portuaire qu'aéroportuaire : la circulation aérienne a été multipliée par quatre depuis 1996, même si la liaison directe avec la métropole reste attendue. Mayotte dispose aujourd'hui, nous l'avons constaté, d'un centre hospitalier moderne et performant - qui a réalisé près de 8 000 accouchements en 2008, chiffre stabilisé depuis 2004. Entre 2003 et 2007, les effectifs de ce centre ont cru de presque 64 %. L'instruction s'étend avec une efficacité croissante : grâce au doublement des moyens alloués par l'État depuis 2003, elle concerne désormais 73 000 élèves (contre 43 708 en 1997), sur une population aujourd'hui estimée à 186 000 habitants. Les revenus augmentent, comme en atteste le doublement en six ans du salaire minimum, la modernisation de certains bâtiments ou le développement de l'automobile – il existe désormais des embouteillages à Mamoudzou !

Par ailleurs, la modernisation juridique entreprise en 2003 et en 2006, à l'initiative du député Mansour Kamardine, portent aujourd'hui leurs fruits. Les femmes disposent des moyens de s'émanciper du droit local – qui ne concerne plus que 10 % des naissances à Mamoudzou – et de se dégager du poids de traditions incompatibles avec les principes républicains inscrits dans notre Constitution : la polygamie a reculé ; le rôle juridictionnel des cadis, ces magistrats de droit musulman, s'est amoindri ; l'égalité des droits entre les hommes et les femmes est mieux assurée.

Enfin, grâce à la réforme de la législation des étrangers adoptée dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, ainsi qu'au renforcement des moyens alloués aux forces de l'ordre, la lutte contre l'immigration irrégulière a gagné en efficacité. Alors que le revenu par habitant est dix fois moindre aux Comores, en proie à une instabilité politique incessante – une vingtaine de coups d'État y ont été organisés en trente ans d'indépendance – et à des conditions sanitaires épouvantables, la stabilisation de cette immigration constitue déjà une performance remarquable : au cours des trois dernières années, près de 50 000 étrangers clandestins ont été éloignés et le nombre d'embarcations interceptées en mer a presque triplé, grâce notamment à la mise à disposition des forces de l'ordre de trois radars et de nouvelles vedettes rapides. La surpopulation que nous avons constatée dans le centre de rétention administrative et, surtout, la maison d'arrêt de Majicavo (où il n'existe que 90 places pour 239 détenus, essentiellement des passeurs), qui seront prochainement agrandis, sont la conséquence des succès enregistrés dans cette lutte.

Ces constats sont bien sûr encourageants, mais la départementalisation de Mayotte nous obligera à franchir de nouvelles étapes. La modernisation du droit local, dont l'article 75 de la Constitution nous interdit de remettre en cause l'existence même pour les citoyens qui n'y ont pas renoncé, devra être accentuée avant 2011 afin de respecter pleinement nos principes constitutionnels et les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Comme nous le leur avons expliqué, les cadis ne pourront plus rendre la justice, mais uniquement jouer un rôle de médiation sociale ou d'expertise auprès des tribunaux de droit commun. En outre, les discriminations sexuelles en matière successorale devront prendre fin, l'âge légal du mariage devra être relevé de 15 à 18 ans pour les femmes et les répudiations, comme les nouvelles unions polygames, seront proscrites pour tous les mahorais, quel que soit leur âge.

La départementalisation ne pourra réussir que si une forte volonté politique et des moyens exceptionnels sont mis au service de quelques priorités stratégiques, telles que :

- la stabilisation de la démographie insulaire, grâce à la planification des naissances et au renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine, car la densité de population dépasse déjà 500 habitants au kilomètre carré et ne pourra s'élever indéfiniment ;

- l'apprentissage de la langue française dans les écoles, dans lesquelles le nombre d'heures de cours prévues pour chaque élève demeure, paradoxalement, inférieur aux normes métropolitaines, du fait du manque de salles de classes ;

- la construction des infrastructures nécessaires au développement de l'économie productive, en particulier dans les secteurs prometteurs de l'aquaculture et du tourisme, car Mayotte peut s'appuyer sur un patrimoine naturel hors du commun – alors que la fréquentation touristique ne s'élève qu'à environ 30 000 personnes par an. Cela suppose notamment de doter l'aéroport de Pamandzi d'une piste longue, capable d'accueillir des avions assurant une liaison directe avec la métropole, comme cela est évoqué depuis de nombreuses années ;

- la mise en place d'un état civil fiable, comme nous l'avions déjà demandé en 2006 dans le cadre d'une mission d'information sur la situation de l'immigration à Mayotte. À cet égard, il est inadmissible que la Commission de révision de l'état civil (CREC), mise en place en 2001, ait été privée de présidence pendant 6 mois en 2006 et le soit à nouveau depuis le mois d'août dernier, ou encore qu'elle n'ait rendu l'an dernier que 746 décisions, alors que plus de 16 000 dossiers attendent encore sa décision. Il conviendra de la doter d'une présidence à temps plein – on nous a assuré que ce devrait être fait le mois prochain –, d'un secrétariat général à même de superviser l'instruction des dossiers par les rapporteurs, et de moyens informatiques lui permettant de communiquer directement avec la préfecture et les services communaux de l'état civil.

Il nous faudra, par ailleurs, faire preuve de souplesse et de discernement dans l'application du droit commun à Mayotte en 2011 : des adaptations législatives demeureront évidemment nécessaires en matière d'entrée et de séjour des étrangers, ainsi que de protection sociale.

L'élévation du niveau de vie qui résultera du processus de départementalisation et, je l'espère, de l'obtention du statut communautaire de région ultrapériphérique (RUP), réduira le différentiel entre Mayotte et La Réunion, île où résident déjà 20 000 à 30 000 mahorais, parfois mal acceptés. Mais à l'inverse, le différentiel de niveau de vie augmentera entre Mayotte et les Comores, ce qui pourrait accroître les flux migratoires au sein de l'archipel. Le développement de Mayotte, perçu comme un petit Eldorado par la population des Comores, implique donc d'offrir à ces dernières – et en particulier à l'île autonome d'Anjouan, distante de 70 kilomètres seulement – une aide au développement nettement supérieure, notamment en matière d'état civil et de santé. Nous avions d'ailleurs suggéré, en 2006, comme l'a rappelé la semaine dernière notre collègue Jean-Christophe Lagarde, de construire à Anjouan une maternité dotée d'équipements modernes et de doter celle-ci d'une équipe permanente de médecins français. Si la coopération entre États ne porte pas ses fruits, la coopération décentralisée offre encore des possibilités d'action, notamment pour la région Réunion qui peut trouver son intérêt à une stabilisation des flux migratoires.

La France de l'époque coloniale avait négligé Mayotte. Cette époque est bien révolue, en particulier grâce à la détermination des mahorais, et toutes les conséquences doivent en être tirées. Notre collègue René Dosière citait Charles Péguy, je ferai pour ma part référence à Paul Morand, selon lequel « la France est partout où l'on ne renonce pas ». Nos compatriotes de Mayotte sont pleinement français et attendent beaucoup de la République ; nous avons écouté leurs élus avec attention et ils nous ont semblé conscients des droits et des devoirs qu'impliquerait une départementalisation. À l'approche d'une échéance décisive pour l'avenir de Mayotte, il nous faut adresser à la population et aux élus de cette collectivité un message d'espoir et de confiance, mais aussi les appeler à l'action et à la responsabilité. Cet appel vaut aussi pour notre État, qui doit rapidement et énergiquement se donner les moyens de faire respecter à Mayotte les règles de droit. Alors que le consensus qui semble localement entourer le projet de départementalisation permet d'envisager sereinement l'issue du prochain référendum, les espoirs que cette démarche fait naître ne devront pas être déçus. Pour faire face aux retards prévisibles ainsi qu'aux risques pour la sécurité publique et la santé de nos compatriotes, comme pour juguler les dérives constatées, des moyens exceptionnels devront être engagés à Mayotte. Dans ces conditions, une départementalisation adaptée de Mayotte pourrait tirer le meilleur parti de ses atouts naturels et ses spécificités historiques et culturelles enrichir notre modèle républicain, afin que ce petit territoire devienne un jour le 101ème département français.

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