Les collectivités territoriales d'outre-mer occupent une place particulière dans notre droit, et chacun de leurs statuts définit une organisation institutionnelle originale, à l'image du lien qu'entretient la population concernée avec la métropole.
Les projets, organique et ordinaire, qui nous sont aujourd'hui soumis selon la procédure accélérée illustrent bien cette diversité. Lors des auditions, un certain nombre de mes interlocuteurs se sont d'ailleurs interrogés sur la signification du regroupement, au sein d'un même projet de loi organique, de dispositions prévoyant à la fois un nouveau renforcement de l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie et la départementalisation de Mayotte. Même s'il s'agit assurément de deux évolutions inverses, elles ont en commun une même démarche consensuelle : respecter les engagements pris solennellement devant nos concitoyens d'outre-mer, qu'il s'agisse de l'accord conclu à Nouméa le 5 mai 1998 ou du résultat de la consultation organisée à Mayotte le 29 mars dernier. Les assemblées délibérantes des deux collectivités ont d'ailleurs rendu, les 8 et 12 juin, un avis favorable sur le projet de loi organique qui leur était soumis.
Le projet de loi organique, adopté le 7 juillet dernier par le Sénat, comporte désormais soixante articles, dont un seul – mais non des moindres – concerne Mayotte, collectivité dont nous avions étudié, au mois de février dernier, la future départementalisation à la suite d'une mission que j'avais effectuée sur place avec nos collègues Philippe Gosselin et René Dosière.
Comme l'ont approuvé à plus de 95 % nos compatriotes Mahorais, l'actuelle collectivité départementale de Mayotte, qui relève de la catégorie des collectivités d'outre-mer (COM) régies par l'article 74 de la Constitution, deviendra, après le renouvellement de son assemblée délibérante en 2011, une collectivité unique, régie par l'article 73 de la Constitution et qui prendra le nom de « Département de Mayotte », mais qui tiendra lieu, en réalité, à la fois de département d'outre-mer (DOM) et de région d'outre-mer (ROM). Cette formule n'aura pas de conséquence sur le rapprochement souhaité par rapport aux normes de droit commun, lequel ne devra pas remettre en cause les adaptations requises dans des domaines tels que la protection sociale et le droit des étrangers, compte tenu de la situation économique et sociale et, notamment, de la forte pression migratoire, dont nous avons débattu à de nombreuses reprises. L'existence d'une collectivité unique sera, en revanche, un facteur d'économies et, surtout, un gage de cohérence politique. Je vous proposerai seulement de préciser que, conformément au dernier alinéa de l'article 73 de la Constitution, cette collectivité unique exercera les compétences dévolues aux départements et régions d'outre-mer, qui sont un peu plus étendues que celles des départements et régions de métropole.
S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, le projet de loi organique procède à une rénovation statutaire, dont les lignes directrices ont été approuvées le 8 décembre 2008 par le Comité des signataires de l'accord de Nouméa. Les changements proposés ne bouleversent pas les grands équilibres institutionnels et préservent les singularités institutionnelles de cette collectivité territoriale. Surtout, et c'est essentiel, ils respectent les orientations de l'accord de Nouméa, qui ont valeur constitutionnelle en application de l'article 77 de la Constitution.
Mais je vous rappelle que cet accord prévoyait précisément qu'une autonomie croissante serait accordée à la Nouvelle-Calédonie en plusieurs étapes, avant que la question d'une éventuelle « accession à la pleine souveraineté » ne puisse être posée entre 2014 et 2018. Le projet de loi organique précise les conditions du transfert, prévu par l'accord de Nouméa pour intervenir avant le terme du mandat du congrès élu le 10 mai dernier, de nouvelles compétences à la Nouvelle-Calédonie. Celles-ci concernent l'enseignement primaire et secondaire, le droit civil, le droit commercial, la sécurité civile, l'état civil, ou encore la réglementation des transports maritimes et aériens intérieurs.
Afin de bien préparer techniquement les transferts en matière civile et commerciale, le projet de loi allonge le délai dans lequel ils pourront être demandés par le congrès de la Nouvelle-Calédonie. Ce choix paraît sage et a fait l'objet d'un consensus au sein du Comité des signataires, mais il doit respecter complètement les exigences constitutionnelles. La rédaction initiale du projet portait de six mois à cinq ans le délai accordé au congrès pour demander le transfert, mais subordonnait en outre celui-ci à l'intervention d'une loi organique ultérieure, le rendant ainsi hypothétique contrairement aux orientations arrêtées dans l'accord de Nouméa. Je vous propose de souscrire à la solution plus prudente retenue par le Sénat, laquelle consiste seulement à allonger de deux ans le délai laissé à l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie pour adopter la « loi du pays » arrêtant l'organisation du futur transfert, sans imposer une nouvelle loi organique à ce sujet.
Pour ce qui touche aux conditions humaines et financières selon lesquelles interviendra le transfert des autres compétences, en particulier pour l'enseignement, le Sénat a renforcé les garanties accordées à la Nouvelle-Calédonie. Tel est le cas pour la définition de la période de référence retenue au titre de la compensation des charges d'investissement, les années 1998 à 2007 étant plus favorables, ou encore avec la mise à disposition globale et gratuite des personnels de l'État auprès de la Nouvelle-Calédonie à compter du transfert de la compétence relative à l'enseignement. Il s'agit d'avancées déjà très importantes pour la Nouvelle-Calédonie, qui pourront encore être complétées pour que la compensation financière évolue de façon plus dynamique que la dotation globale de fonctionnement. Nous devons en revanche nous garder de toute surenchère qui remettrait en cause la responsabilité financière de la collectivité attributaire d'une compétence ou porterait atteinte aux prérogatives du Gouvernement pour définir le contenu des programmes scolaires.
S'agissant plus généralement des règles de répartition des compétences, je vous propose de revenir sur l'article 9 ter introduit par le Sénat, qui permettrait de répartir les compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie par simple convention. Alors que les règles de répartition prévues par le statut actuel ne laissent pas de vide juridique, cette nouvelle modalité risquerait d'être source de confusion juridique et de contrevenir aux orientations constitutionnelles de l'accord de Nouméa.
En revanche, je vous proposerai de souscrire à l'essentiel des modifications sénatoriales destinées à conforter le statut des élus locaux et la transparence de la vie politique, ainsi qu'à clarifier les règles applicables aux finances locales.
En ce qui concerne, enfin, de la rénovation des institutions néo-calédoniennes, le Sénat a apporté des compléments et précisions le plus souvent utiles et il vous sera seulement proposé quelques amendements destinés à éviter tout alourdissement excessif des procédures en matière d'échanges entre le congrès et le sénat coutumier, de consultation du congrès sur les propositions de loi, ou de modalités d'association des exécutifs locaux à certaines négociations internationales.
Les dispositions statutaires qui nous sont soumises pour la Nouvelle-Calédonie et pour Mayotte opèrent des changements limités au nécessaire, qui sont d'inspiration consensuelle mais qui appellent toute notre vigilance, tant il est important de préserver l'équilibre politique et social encore fragile de ces collectivités territoriales.