Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Delphine Batho

Réunion du 10 juin 2009 à 17h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

Le phénomène des bandes n'est pas une nouvelle forme de délinquance : cela fait des années que les élus locaux et les professionnels de la sécurité tirent la sonnette d'alarme. En revanche, il est vrai que de nouveaux paliers semblent avoir été franchis, avec des tirs sur les policiers, des rixes extrêmement violentes et parfois le passage d'une délinquance de rue au banditisme. Cette réalité, qui ne peut pas être séparée de la montée générale des faits de violence dans la société, est mal connue, si ce n'est à travers une monographie – dont nous ne disposons pas et que, monsieur le Président, vous avez bien voulu demander au ministère de l'Intérieur de nous communiquer – qui ferait état de l'existence de 222 bandes.

Le groupe SRC a procédé à vingt-sept auditions complémentaires de celles organisées par le rapporteur. Tous les acteurs de terrain ont souligné le caractère protéiforme du phénomène ; il convient de distinguer les bandes liées à la délinquance mafieuse, tirant leurs revenus de l'économie souterraine, des groupes beaucoup moins structurés, plus spontanés, dont les affrontements sont parfois fortuits mais extrêmement violents. Quoi qu'il en soit, on constate un durcissement de la situation, des faits concentrés géographiquement, avec pour terreau de graves carences dans la socialisation des adolescents, marquée par l'échec scolaire, le racisme, la pauvreté, qui les conduit à la tentation d'installer une contre-société, dans un contexte de ghettoïsation. Faire partie d'un groupe de substitution procure un sentiment d'appartenance sociale.

Pour le moment, le phénomène n'est pas comparable à celui des gangs qui se sont développés aux États-Unis ou au Canada. Mais on a vu se développer dans la période récente, particulièrement en Ile-de-France, des bandes plus structurées, se dotant d'un nom et de signes distinctifs. Pour les professionnels, c'est une bombe à retardement, qui pourrait exploser dans dix ans.

Comment en est-on arrivé là ? Force est de constater que ce qui a été fait depuis 2002 ne fonctionne pas, et contribue même au durcissement de la situation. L'attention s'est focalisée sur les statistiques, au point que sur ces phénomènes, du terrain a été cédé.

Le premier problème majeur auquel nous sommes confrontés est celui de l'économie souterraine qui structure ces bandes. Or on ne peut que constater l'absence totale d'investigations judiciaires. Comme nous l'a rapporté un commissaire, les enquêtes de police judiciaire n'intéressent personne, le combat contre les petits trafics n'est pas mené. Les GIR sont trop éloignés du terrain. Le travail de renseignement est insuffisant. Surtout, les moyens de terrain font cruellement défaut. Alors que la présence de la police devrait être quotidienne et pérenne, on privilégie les interventions de la police « militarisée », des incursions dans le cadre d'opérations superficielles de maintien de l'ordre. Celles-ci n'ont d'autre effet que de dégrader encore davantage les rapports entre la jeunesse et la police, sujet qui devrait grandement nous préoccuper. Les dispositifs correctifs tels que les unités territoriales de quartier ne suffisent pas à répondre à la situation.

Le deuxième problème majeur, c'est l'impunité. On connaît de nombreux cas où la police est intervenue, les auteurs ont été interpellés, puis déférés à la justice, mais soit aucune sanction n'a été prononcée, soit la peine n'a pas été exécutée. La seule réponse qui a été apportée à ce problème est l'inflation législative et le durcissement des peines. Or celui-ci n'est ni dissuasif ni efficace. Il est même contre-productif car il fabrique la récidive ; et dans le passage de la délinquance de rue au banditisme, la prison joue un rôle majeur.

A ces deux problèmes s'ajoutent ceux de l'échec scolaire et de la ghettoïsation, qu'on omet de traiter. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler toutes les promesses et les annonces faites aux acteurs de terrain après les émeutes urbaines de novembre 2005.

En préambule de nos débats, posons-nous cette question : devant cette situation, faut-il une loi de plus – la quinzième – ou des réponses nouvelles ? En ce qui nous concerne, il nous paraît clair qu'on ne pourra venir à bout de ces phénomènes que par une action en profondeur, déterminée et continue, et non par une énième loi.

C'est pourquoi nous proposons d'organiser la politique de sécurité autour de quatre axes : contre les zones de non-droit, la police de quartier ; contre l'impunité, la sanction précoce ; contre les violences juvéniles, la prévention précoce ; contre la loi du silence, la protection des victimes. Dans ce cadre, nous mettons en débat à travers des amendements une dizaine de propositions : création d'une police de quartier dotée de moyens d'investigations judiciaires ; clarification des dispositifs utilisables par les policiers lorsqu'ils sont confrontés aux bandes ; utilisation de la notion de co-auteur pour les actions violentes commises en groupe ; précocité des sanctions pour les primo-délinquants ; organisation territoriale des politiques de sécurité, notamment dans le cadre des CLSPD ; création, sur le modèle canadien, d'un centre national de prévention précoce des violences juvéniles ; création d'un nouveau corps de surveillants des établissements scolaires ; droit des victimes à un avocat dès le dépôt de plainte. Je regrette que trois de nos amendements n'aient pu venir en discussion car déclarés contraires à l'article 40 de la Constitution.

Sur le texte de la proposition de loi, un premier constat s'impose. A l'issue des auditions que vous avez organisées, monsieur le rapporteur, et des vingt-sept auxquelles nous avons nous-mêmes procédé, on ne peut être que frappé par le scepticisme, voire la défiance, de beaucoup de policiers et de la totalité des magistrats à propos des mesures proposées. Je regrette que l'on n'en tire pas les conséquences.

Ce texte apporte-t-il quelque chose ? Si l'on excepte quelques mesures de portée symbolique concernant la protection des enseignants, on peut en douter. Il est permis d'imaginer qu'il en ira du délit de participation à une bande violente comme du délit d'entrave à la libre circulation dans les halls d'immeuble, incrimination totalement inapplicable, ou encore du délit d'embuscade.

Y a-t-il un vide juridique empêchant de lutter contre les bandes violentes ? La réponse est non. S'il s'agit d'une bande structurée par l'économie souterraine, elle tombe sous le coup des dispositions relatives aux bandes organisées. S'il y a violences de groupe contre les forces de l'ordre, on se trouve dans la situation visée par les dispositions relatives au guet-apens et à l'embuscade. Enfin, s'il s'agit de violences telles qu'il s'en est produit à Paris à la gare de Lyon et à la gare du Nord, les dispositions réprimant la violence en réunion peuvent s'appliquer, de même que, préventivement, les dispositions relatives aux attroupements.

L'article premier, pierre angulaire du texte, donne à penser qu'en instaurant un mécanisme de responsabilité collective, on n'aurait plus à prouver l'implication individuelle. C'est une illusion car, à défaut d'avoir à prouver que tel individu a commis tel acte, il faudra prouver qu'il a, en connaissance de cause, adhéré à une bande qui avait elle-même le but de commettre des violences ou des dégradations. On comprend que policiers et magistrats se soient montrés si réservés, et on peut penser qu'après une ou deux tentatives d'application, ces dispositions tomberont en désuétude. Il est catastrophique de pratiquer ainsi une politique d'affichage qui affaiblit l'autorité de la loi républicaine.

Quant aux dispositions sur les cagoules, il semble qu'elles soient apparues pour faire oublier les défaillances de la chaîne de commandement dans la gestion des manifestations lors du sommet de l'OTAN à Strasbourg.

Ma collègue Sandrine Mazetier évoquera les mesures relatives aux établissements scolaires. Enfin, nous reviendrons dans la discussion des articles sur les dispositions relatives à l'enregistrement audiovisuel des interventions de la police et de la gendarmerie, dont la généralisation nous paraît souhaitable.

Je ne conclurai pas sans dire notre inquiétude que les dispositions prévues aux articles 2 et 7 puissent être utilisées à une tout autre fin que la lutte contre les bandes violentes – la répression de la contestation sociale. Des policiers ne nous ont-ils pas dit que la seule occasion où cette loi serait applicable serait les manifestations ? Nous proposerons donc des amendements de clarification.

Bref, il ne nous paraît pas sérieux de prétendre apporter une solution à des phénomènes aussi graves par des dispositions aussi rudimentaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion