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Intervention de Guy Carcassonne

Réunion du 30 juin 2009 à 8h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Guy Carcassonne, professeur à l'Université Paris X-Nanterre :

C'est toujours un plaisir et un honneur de me trouver devant votre Commission.

Vous m'avez d'abord interrogé sur le périmètre de la question de constitutionnalité.

Quels sont les principes constitutionnels qui devraient être le plus souvent invoqués par les requérants ? Ce seront sans doute souvent les mêmes que dans le contrôle préventif, et en particulier le principe d'égalité. Peut-être un accent particulier sera-t-il mis sur ce qui, ailleurs, relève du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et que, ici, on appelle la garantie des droits, en particulier ce qui touche à l'équité d'un procès, au déroulement de la procédure et aux droits de la défense. Contrairement à d'autres, je ne pense pas qu'il faille s'attendre à un déferlement d'actions, tout simplement parce que je ne crois pas que notre droit positif soit à ce point truffé de dispositions inconstitutionnelles. Depuis 1974, presque tous les textes posant problème ont déjà été déférés au Conseil constitutionnel ; les gisements de dispositions susceptibles d'être déférées sont donc antérieurs à 1974, et je ne pense pas qu'ils soient très nombreux. Mais il y a sans doute des « filons » : le droit fiscal et, surtout, le droit douanier sont très menacés. Les administrations concernées seraient d'ailleurs bien inspirées de devancer les censures, faute de quoi ces dernières risquent de faire l'affaire de fraudeurs et de trafiquants.

Les « lois du pays » entrent-elles dans le champ des dispositions susceptibles d'être contestées au titre de l'article 61-1 de la Constitution ? Pour moi, la réponse est clairement « non ». La locution « loi du pays » vise un objet juridique tout à fait différent des « lois » et des « dispositions législatives » qu'elles contiennent.

Pourra-t-on invoquer une incompétence négative du législateur ? La question est plus délicate, mais pour moi il ne fait aucun doute que la réponse est « oui ». En effet, je considère qu'à la lumière de l'article 61-1, qui crée au profit du justiciable un droit subjectif – notamment celui d'obtenir l'abrogation d'un texte inconstitutionnel –, l'article 34 crée un autre droit subjectif, celui de tous les citoyens à ce que le législateur exerce ses compétences, et surtout à ce que les compétences qui lui sont confiées ne puissent être exercées que par lui. Au demeurant, l'incompétence négative devrait la plupart du temps viser des textes antérieurs à 1974, et souvent à 1958 ; je ne pense pas que le grief puisse se rencontrer fréquemment, mais ne s'agirait-il que d'un seul cas, il est normal que le Conseil constitutionnel puisse le sanctionner.

Enfin, la disposition proposée pour l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et selon laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation procède au renvoi au Conseil constitutionnel dès lors que « la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse » est purement et simplement absurde. Je n'ai pas le moindre doute sur le fait que vous allez la modifier. D'abord, l'emploi de l'expression « difficulté sérieuse » est désobligeant à l'égard du Conseil d'État et de la Cour de Cassation. Et surtout, cette disposition n'a pas de sens : la « nouveauté » est déjà une condition de la recevabilité de la question dans le dispositif de l'article 23-2. Quant à l'existence d'une « difficulté sérieuse », il s'agit d'un critère non pertinent : lors même qu'une inconstitutionnalité serait évidente, il faudrait néanmoins saisir le Conseil constitutionnel car c'est à lui qu'il revient de la sanctionner. Je suggère fortement que l'on s'en tienne dans la loi organique à la notion de « question sérieuse », en retirant ces deux ajouts qui n'ont aucune raison d'être : pour que la question soit transmise au Conseil constitutionnel, il faut et il suffit que la question soit sérieuse.

Votre deuxième groupe de questions concerne les rapports entre contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité.

Oui, bien sûr, la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est une nécessité. La première raison en est que, faute de cette priorité, l'article 61-1 serait mort-né. Les juridictions suprêmes sont en effet réticentes à l'égard de cette nouvelle procédure ; l'une des conditions prévues par le texte proposé pour l'article 23-2 de l'ordonnance étant que la disposition contestée commande l'issue du procès, le fait d'examiner d'abord la question de conventionnalité leur permettrait, le cas échéant, d'écarter l'application de la disposition au motif qu'elle est contraire à une convention internationale, et ainsi d'éviter de saisir le Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité. Parmi les partisans de la nouvelle disposition constitutionnelle, on s'est d'abord inquiété que le filtre ne devînt pas un bouchon ; et on a découvert un autre risque, celui que le bouchon laisse la place à un canal de dérivation, détournant vers le contrôle de conventionnalité tout ce qui, en bonne logique, devrait relever du contrôle de constitutionnalité, lequel n'aurait alors plus aucun sens.

Indépendamment de ces raisons de politique jurisprudentielle, la priorité à donner à la question de constitutionnalité repose sur des raisons juridiques de fond : les effets des deux contrôles ne sont pas les mêmes. L'article 61-1 de la Constitution créant un droit subjectif à obtenir l'abrogation d'une disposition inconstitutionnelle, le justiciable doit être en mesure de le faire valoir, et il n'appartient à personne de se déterminer à sa place. Il peut arriver, dans le cadre de contentieux répétitifs, qu'il n'y ait aucun doute sur le fait qu'une disposition législative soit de nouveau déclarée contraire aux engagements internationaux de la France ; le justiciable a le choix entre cette issue certaine et la décision de poser d'abord la question de constitutionnalité.

D'ailleurs, le contrôle de conventionnalité, faut-il le rappeler, est lui aussi un enfant de la Constitution, puisqu'il est issu de son article 55. Que l'on commence par s'assurer de la conformité des lois à la norme suprême de notre ordre interne me paraît donc logique et naturel.

Si l'on ne veut pas que le contrôle de conventionnalité soit le moins du monde retardé par le contrôle de constitutionnalité, la seule solution est d'accélérer ce dernier. C'est la raison pour laquelle, à juste raison, ce projet de loi organique tend à créer en la matière une sorte d'autoroute : dès l'instant où une question sérieuse de constitutionnalité est posée, elle doit être tranchée rapidement. Le juge saisi n'en conserve pas moins la totalité de ses compétences au regard des questions de conventionnalité – que, s'il y a lieu, il examinera le moment venu, conformément aux principes fixés par l'arrêt Simmenthal rendu le 9 mars 1978 par la Cour de justice des Communautés européennes, et dans les délais habituels : ce contrôle n'est ni amputé ni différé en quoi que ce soit.

J'en viens aux dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation.

Si, alors qu'une question de constitutionnalité a été soulevée, un désistement de l'action ou de l'instance met un terme au procès, que se passe-t-il ? Il est logique que, quel que soit le stade de la procédure, l'action relative à la question de constitutionnalité prenne fin : on ne peut pas à la fois soutenir qu'il s'agit d'un droit subjectif reconnu à « tout justiciable » et admettre l'idée que, le justiciable ayant disparu, l'action continue de manière autonome.

Les décisions de renvoi au Conseil constitutionnel doivent-elles être motivées ? Non, car le renvoi au Conseil est une motivation en lui-même : il signifie que la question est jugée sérieuse par le Conseil d'État ou par la Cour de cassation, sans qu'il soit nécessaire de leur demander pourquoi – au risque de faire apparaître inutilement des nuances ou des désaccords au sein de ces hautes juridictions.

Celles-ci devraient-elles pouvoir reformuler les termes de la question ? Là encore, ma réponse est « non » car c'est au justiciable qu'un droit est reconnu ; c'est éventuellement lui que l'on pourra, dans le cours des débats, amener à reconsidérer les termes dans lesquels il a posé sa question, mais il n'est pas souhaitable qu'une juridiction se substitue à lui. En revanche, il va de soi que le Conseil constitutionnel, une fois saisi, formulera la réponse dans les termes qu'il estimera adéquats.

Nous en arrivons ainsi à votre dernière série de questions, relatives aux dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel doit-il être tenu par les termes de la question qui lui a été renvoyée ? Par la rédaction, sans doute pas, mais par l'objet, évidemment : il s'agit d'une disposition législative, contestée au titre d'un principe constitutionnel, et c'est dans ce cadre que le Conseil doit rendre sa décision.

Faut-il que le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat puissent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question de constitutionnalité qui lui est soumise ? Je considère que oui. Il faudrait également prévoir que les présidents des deux assemblées informent les membres de celles-ci et reconnaître la possibilité de formuler des observations à soixante députés ou soixante sénateurs. Cela permettrait en particulier aux membres de l'opposition de faire valoir leurs arguments lorsque la disposition législative contestée a été adoptée à un moment où leur famille politique était majoritaire.

Enfin, la présentation contradictoire des observations des parties devant le Conseil constitutionnel ne transforme-t-elle pas la question de constitutionnalité en un litige incident ? En réalité, peu importe car ce litige incident sera réglé très vite, et là est l'essentiel.

Pour conclure, permettez-moi de souligner que la réforme gagnerait, et sans doute gagnerions-nous tous, à ce que cette procédure reçoive un nom de baptême, si possible de vous qui avez adopté la réforme constitutionnelle. Techniquement, il ne s'agit pas d'une exception d'inconstitutionnalité : en principe, c'est le juge de l'action qui est juge de l'exception ; il y aurait exception s'il y avait contrôle diffus, mais il y a contrôle concentré et il s'agit donc d'une question. Cette question de constitutionnalité n'est pas une question préjudicielle au sens classique du terme : celle-ci n'est examinée que si elle gouverne l'issue du procès, ce que l'on ne détermine qu'à la fin de l'instruction ; elle n'est donc considérée comme telle qu'une fois que le juge a répondu à toutes les autres questions. Il s'agit en revanche d'une question préalable. Voilà pourquoi je suggère de dénommer cette procédure « question préalable de constitutionnalité ». Si vous retenez une autre dénomination, l'essentiel est qu'elle caractérise précisément ce dont il s'agit.

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