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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 28 avril 2009 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Je voudrais tout d'abord, monsieur le président de l'Assemblée nationale, vous remercier au nom du groupe SRC d'être venu vous exprimer devant notre Commission. Notre collègue Manuel Valls en avait formulé le voeu en Commission le 8 avril dernier. Il ne semblait pas en effet prévu de vous entendre. Or, il nous paraissait logique, sinon évident, que le président de l'Assemblée nationale vienne présenter lui-même aux députés sa proposition de résolution. Nous sommes donc heureux que les parlementaires de l'opposition vous aient permis de vous livrer à l'exercice.

Quel est notre état d'esprit ? Je le qualifierai de « volontairement constructif ». Réformer notre Règlement n'est pas tâche aisée. Tout d'abord, parce que la matière est aride, au point de paraître hermétique à beaucoup. Ensuite, parce que ces modifications ne sont pas fréquentes et que, s'il faut toujours chercher à faire évoluer les habitudes, il faut dans le même temps se méfier des modes ou des pulsions du moment. Ainsi, notre Règlement comporte-t-il encore, et ce doit être une fierté, des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale le 29 juillet 1789. Enfin, parce que la tentation est toujours forte, pour la majorité du moment, voire de l'instant, d'imposer un texte qui a seul ses faveurs.

Pour surmonter ces difficultés, l'examen des réformes passées et l'histoire même de la Ve République peuvent nous éclairer sur la voie à suivre.

Après son adoption initiale le 21 juillet 1959, notre Règlement a fait l'objet de 31 réformes, de plus ou moins grande ampleur. Il y a peu à voir entre la grande révision de 1969, qui modifiait cinquante-sept articles, ou celle de 1994, qui en réécrivait soixante-dix-huit, et celle de 1964, qui n'a fait qu'instituer les questions orales, ou encore celle de 2004 relative à l'information de l'Assemblée en matière d'application des lois.

Dans vingt-trois cas, ces réformes ont été menées dans le consensus, que l'adoption ait eu lieu sans débat comme dans deux cas, que le vote ait été unanime, comme dans six, ou que l'opposition se soit abstenue de manière positive, comme dans quinze. Souvent d'ailleurs, le consensus avait été trouvé dès le travail en commission. C'est ainsi que les présidents de la commission des lois, Marcel Sanmarcelli en 1961, Jean Foyer en 1980, Michel Sapin en 1990 ou Philippe Houillon en 2005 sont parvenus, par leur ouverture d'esprit et leur habileté, à rapprocher les points de vue. Il est même arrivé à trois reprises qu'une proposition de résolution de modification du Règlement soit déposée par des parlementaires appartenant à des groupes politiques différents. Ce fut le cas de la réforme engagée par Jacques Chaban-Delmas ou bien encore de celle conduite par Jean-Louis Debré, votée le 6 mars 2003.

Le plus souvent cependant, le consensus s'est construit dans l'hémicycle, où presque jamais ne furent déposées de motions de procédure, preuve s'il en est que les uns et les autres abordaient le débat dans une confiance réciproque. Une seule fois, en 2006, des motions furent présentées. C'est tout à fait logiquement par l'intégration d'amendements issus de tous les groupes que peu à peu, le contrat s'élaborait au fil des débats.

Ces rappels sonnent ici comme des voeux : quelle que soit l'ampleur des changements voulus, quel que soit le contexte, il est de la responsabilité du président de l'Assemblée nationale de permettre le rassemblement de toute l'Assemblée. Nos collègues du Sénat sont d'ailleurs sur le point de parvenir à un tel consensus.

Pour notre part, nous sommes prêts à faire le chemin nécessaire pour trouver des compromis permettant d'élaborer un « pacte parlementaire », et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, nous souhaitons que l'Assemblée nationale reste le coeur du débat démocratique, le lieu privilégié de la confrontation des opinions, l'atout irremplaçable assurant l'équilibre d'une société moderne. Voilà des décennies que l'on discourt sur le déclin du Parlement. C'est d'ailleurs logique dans la mesure où nos assemblées ont souvent été identifiées à la démocratie elle-même et, dès lors, n'ont jamais pu et ne pourront jamais être à la hauteur des espoirs infinis placés en elle. Pour autant, nous devons constamment, chacun à notre place, contribuer à leur adaptation aux enjeux du moment.

S'il faut parvenir à un compromis, c'est aussi que, pour jouer pleinement notre rôle d'opposition, nous avons besoin d'un dialogue permanent avec le Gouvernement et sa majorité. Cet échange ne peut exister que si l'opposition, disposant des moyens d'être entendue, est parfois écoutée. Nous ne partageons pas du tout l'opinion du président du groupe UMP, qui explique dans son récent ouvrage que le fonctionnement de la démocratie est aujourd'hui assuré dans notre pays par deux couples inédits, l'un constitué du Président de la République et du président du groupe majoritaire à l'Assemblée, l'autre de ce dernier et de son homologue au Sénat – où, soit dit au passage, aucun groupe ne détient aujourd'hui la majorité à lui seul.

Soucieux que l'Assemblée nationale puisse se rassembler, nous avons étudié attentivement votre proposition de résolution qui tend à modifier cent trente-trois articles sur les cent soixante-dix-neuf que compte notre Règlement. Certaines des ces modifications visent simplement à supprimer des habitudes dépassées ou des pratiques désuètes. D'autres découlent logiquement de la dernière réforme constitutionnelle, et nous pouvons les comprendre, même si nous n'avons pas approuvé cette réforme. D'autres en revanche imposent de nouvelles contraintes inutiles et mesquines aux groupes de l'opposition. Parmi elles, je citerai la réduction de trente à quinze minutes de la durée de la défense des motions de procédure en deuxième lecture, lorsqu'il n'y aura pas de temps programmé, la restriction à « cinq ou dix minutes » contre quinze aujourd'hui des explications de vote après une déclaration de politique générale et à cinq minutes contre quinze aujourd'hui lors de la discussion d'une motion de censure. Nous reviendrons sur ces propositions difficilement compréhensibles demain en commission.

Sur deux points majeurs, nous souhaiterions que vous nous apportiez maintenant, monsieur le président, sinon des explications, du moins des éclaircissements.

Tout d'abord, le « temps législatif programmé ». S'il peut être légitime de vouloir éviter de perdre du temps dans la production législative, il nous paraît, à l'inverse, inacceptable de chercher à en gagner. Le 3 mars dernier, anticipant que ce temps programmé serait, selon toute vraisemblance, adopté contre notre gré, nous vous avons remis quatorze propositions visant à améliorer la procédure législative, dont six concernaient précisément l'aménagement de ce temps. Vous n'en avez retenu que deux, à savoir renoncer à l'application du temps programmé en cas d'engagement par le Gouvernement de la procédure accélérée et exclure l'expression des présidents de groupe du crédit-temps. Est-ce là votre dernier mot ? Êtes-vous prêt à accepter d'autres de nos propositions comme celle visant à ce que les modalités de ce temps programmé soient adoptées à l'unanimité de la Conférence des présidents, ce qui était d'ailleurs l'usage qui a prévalu entre 1958 et 1969 ?

Second point sur lequel nous souhaiterions des éclaircissements : l'activité de contrôle. C'est Georges Pompidou qui, le premier, le 6 juillet 1966, avait diagnostiqué que « si le travail législatif s'analyse en substance en un dialogue entre le Gouvernement et la majorité, l'exercice du contrôle est d'abord un dialogue permanent entre le Gouvernement et l'opposition ». Désireux, là encore, d'être constructifs, nous vous avons fait parvenir vingt et une propositions. Sauf erreur de ma part, aucune n'a été intégrée à votre proposition de résolution. Bien au contraire, l'ordre du jour des séances de contrôle sera arrêté par la Conférence des présidents et donc, de fait, par la seule majorité. De même, la composition proposée du comité d'évaluation et de contrôle est déséquilibrée au profit de la majorité. Bien que l'article 51-1 de la Constitution mentionne de nouveaux « droits spécifiques » pour l'opposition, cette coquille demeure désespérément vide. Si, chacun en convient, la logique majoritaire prime en matière législative, en matière de contrôle la règle doit être celle de l'égalité, au minimum, entre l'opposition et la majorité. Vous l'avez accepté dans la répartition du temps lors des questions d'actualité. Poursuivez dans cette voie pour la fixation de l'ordre du jour des séances de contrôle et pour la composition du comité d'évaluation. Ainsi deviendraient effectifs les « droits spécifiques » de l'opposition mentionnés dans la Constitution. Êtes-vous prêt à accepter cette proposition ?

Nous ne sommes plus sous la IIIe République où Raymond Poincaré pouvait s'écrier « Je me passerai d'une réforme constitutionnelle. Que l'on me donne un bon Règlement des Chambres, et cela suffit en fait à modifier la Constitution. » Nous savons toutefois que la teneur du Règlement conditionne pour une large part la qualité du travail législatif.

Parce que nous sommes, tout autant que vous, attachés au bon fonctionnement de notre Assemblée, nous espérons que vous saurez construire le consensus.

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