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Intervention de Étienne Blanc

Réunion du 2 décembre 2008 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, rapporteur :

Le droit à l'information a pour corollaire direct le droit à la protection du secret des sources des journalistes. La possibilité pour un journaliste de taire l'origine de ses informations permet d'éviter un tarissement de ses sources et constitue donc une condition de la liberté d'informer et du droit des citoyens d'être informés. Or notre droit n'a jusqu'ici pas érigé le principe de la protection du secret des sources journalistiques comme règle générale : depuis la loi du 4 janvier 1993 est seulement reconnu aux journalistes un droit de non-divulgation de leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins dans le cadre d'une procédure d'instruction.

Il est d'autant plus urgent pour notre pays de se doter d'une telle législation que la Cour européenne des droits de l'Homme a, sur le fondement de l'article 10 de la Convention, consacré depuis dix ans la protection des sources journalistiques comme « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». Déjà condamnée plusieurs fois, la France risquerait l'être à nouveau pour ses pratiques insuffisamment protectrices du secret des sources.

Le projet de loi qui nous est soumis en deuxième lecture répond aux limites actuelles de notre droit : son article 1er inscrit au niveau législatif, qui plus est au sein de la grande loi républicaine qu'est la loi de 1881 sur la liberté de la presse, le principe de protection du secret des sources des journalistes et précise les conditions dans lesquelles il pourra être porté atteinte à ce principe. Les autres articles tirent les conséquences de ce principe général en matière de procédure pénale, en complétant les garanties offertes aux journalistes pour protéger leurs sources en cas de perquisitions (article 2), lors de leurs auditions en tant que témoins (article 3), mais aussi, depuis l'examen du texte par notre Assemblée, dans le cadre des réquisitions judiciaires (article 3 bis) et de la retranscription des écoutes téléphoniques (article 3 ter).

Je rappelle que lors de son examen du projet de loi en première lecture le 15 mai dernier, notre Assemblée avait sensiblement modifié le texte, adoptant pas moins de vingt-deux amendements, dont dix-sept de la Commission. Le Sénat a quant à lui adopté seize amendements au projet de loi, adopté en première lecture le 5 novembre dernier, apportant des modifications parfois substantielles.

Au total, à l'issue de ces deux lectures, si seulement un article a été adopté dans les mêmes termes, il se dégage un très large accord sur le fond du texte entre les deux assemblées. Si elles ont toutes deux affirmé leur souhait de voir consacré dans la loi le principe de la protection du secret des sources des journalistes, elles se sont aussi accordées sur le fait que cette protection ne saurait être absolue ni faire du journaliste un citoyen hors du commun, jugeant nécessaire d'établir une liste de critères permettant une atteinte légitime au principe. Les deux assemblées ont d'ailleurs invité la profession de journalistes à se doter d'un code de déontologie.

Les deux assemblées se sont aussi accordées sur la nécessité de protéger toute la chaîne de l'information : l'Assemblée nationale avait d'ailleurs adopté un amendement incluant les « atteintes indirectes » au secret des sources pour bien préciser que le secret protège la source, quelle que soit la personne qui en raison de ses relations personnelles ou professionnelles avec un journaliste a été amenée à la connaître.

Elles se sont aussi toutes deux prononcées en faveur de la consécration par le projet de loi d'un droit absolu des journalistes au silence lorsqu'ils sont entendus comme témoins tout au long de la procédure pénale, étant précisé que ce droit absolu s'applique, y compris lorsque les conditions seraient réunies pour autoriser des investigations de la justice à porter atteinte au secret des sources en matière. En revanche, le Sénat s'est, comme l'Assemblée, refusé à accéder à une demande parfois exprimée par la profession consistant à encadrer le régime des gardes à vue pour les journalistes : toute personne placée en garde à vue étant libre de se taire, le journaliste est a fortiori libre de ne pas révéler ses sources. Modifier la loi sur ce point consisterait à prendre acte d'éventuelles pratiques contraires à la loi consistant à exiger d'un journaliste placé en garde à vue qu'il livre ses sources, ce que la loi ne peut faire. Cela consisterait aussi à faire des journalistes des citoyens hors du commun, ce que nous ne voulons pas.

Le Sénat a en outre apporté de nombreuses clarifications rédactionnelles, redéfinissant certains termes pour lever des ambiguïtés (il a notamment défini explicitement les « atteintes indirectes ») et apportant d'utiles précisions (il a complété la disposition excluant à l'égard de journalistes poursuivis pour diffamation toute poursuite du chef de recel de violation du secret de l'instruction par la mention du secret professionnel).

Sur le fond, il a apporté deux modifications essentielles : il a tout d'abord reformulé les critères justifiant qu'il soit porté atteinte au secret des sources. À l'issue des travaux de l'Assemblée nationale avaient été retenus deux niveaux de critères : des critères généraux, tout d'abord, applicables en toute matière (aussi bien administrative que civile ou commerciale) permettant une atteinte au principe « à titre exceptionnel » et « si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie » et des critères spécifiques à la procédure pénale, qui justifiaient une atteinte si « la nature et la particulière gravité » de l'infraction sur laquelle porte la procédure rendent cette atteinte « strictement nécessaire ». Le Sénat a redéfini ces deux niveaux de critères pour en rapprocher la rédaction de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Désormais, d'une manière générale, les mesures susceptibles de porter atteinte au secret des sources lorsqu'un impératif prépondérant d'intérêt public existe doivent être « strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Le Sénat a ainsi fait « remonter » le critère de proportionnalité de l'atteinte au niveau des critères généraux, pour qu'il soit respecté pour toute levée du secret, même en dehors de la procédure pénale. Dans le cadre d'une procédure pénale, il a précisé les trois critères –cumulatifs– dont il doit être tenu compte pour déroger au principe : la gravité du crime ou du délit, l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et le fait que « les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ».

Seconde modification de fond apportée par le Sénat, qui m'a posé à titre personnel plus de difficultés : il a supprimé la référence à « l'intérêt général » dans le premier alinéa de l'article 2 de la loi de 1881, pour prévoir que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public », là où nous avions maintenu « information du public sur des questions d'intérêt général ». Je suis réservé sur la suppression de cette mention qui figure d'ailleurs expressément dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Dans mon esprit, l'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers et il est exclu que le principe de la protection du secret des sources puisse être invoqué pour soutenir des intérêts particuliers ou personnels. Je veux croire que le fait que le Sénat ait eu le souci de maintenir la référence à « la mission d'information du public » exclue les cas où le journaliste s'exprimerait en dehors de tout cadre professionnel… Je note surtout que la suppression de la notion ne confère aucune immunité au journaliste qui demeure responsable de ce qu'il écrit ou énonce. Il peut être poursuivi sur les chefs de diffamation ou d'atteinte à la vie privée.

Je me range donc à l'avis du Sénat (le secret de la source doit pouvoir être invoqué quelle que soit la nature de l'information, dans le seul but de ne pas amoindrir la relation de confiance qui s'établit entre le journaliste et sa source) et vous invite à adopter le projet de loi sans modification.

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