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Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du 10 juin 2009 à 11h00
Commission des affaires économiques

Carlos Ghosn :

Je sais tout l'intérêt que votre commission porte à l'industrie automobile, en particulier à Renault.

La dernière fois que vous m'avez auditionné, la crise en était à ses débuts. J'avais commencé à en parler dès juillet et l'on en avait conclu un peu vite que Renault rencontrait des difficultés. Lorsque la crise s'est précisée, nous sommes félicité de l'avoir anticipée et d'avoir pris des décisions, pour mal comprises qu'elles aient pu être en leur temps.

Depuis, les états généraux de l'automobile ont eu lieu, la prime à la casse a été instituée, l'État a consenti un prêt au secteur automobile et l'accord sur le temps partiel a été signé. En Europe, des plans de soutien à l'industrie automobile ont été adoptés et plus de douze pays de l'Union européenne ont versé des primes à la casse. En France, des plans de départs volontaires ont été élaborés, nous avons déployé un plan d'action de crise, adopté un contrat social de crise et pris des mesures de renforcement de l'Alliance. Beaucoup de choses se sont donc passées.

Le retournement d'activité a été brutal. Au premier semestre 2008, le marché automobile européen était à peu près stable ; au deuxième semestre, il a chuté de 21 %. Au plan mondial, le phénomène a été encore plus violent puisque les États-Unis sont toujours à moins 40 % par rapport à 2008, l'Espagne à moins 50 % et la Russie à moins 55 %. Le monde entier est touché, y compris les pays émergents, Chine exceptée.

Cette crise est d'abord de nature financière. Les dérèglements partis des États-Unis se sont répandus partout et nous ont particulièrement touchés car nous sommes de très gros utilisateurs des marchés financiers. C'est la seule raison de l'assèchement. Étant de gros investisseurs et de gros employeurs, nos besoins en fonds de roulement sont colossaux. Par ailleurs, les deux tiers de nos voitures sont financés par un crédit.

Pour autant, l'automobile n'est pas finie pour la simple raison qu'il n'existe pas de produit de substitution. Dans les pays développés, un ménage pourra peut-être se contenter de deux voitures au lieu de trois. Par contre, en Russie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient ou au Brésil, c'est le premier achat auquel les ménages aspirent.

Cette crise financière s'est traduite par une récession, aggravée par les problèmes structurels de notre industrie. Le nombre de voitures vendues dans le monde est tombé de 68 millions en 2007 à 64 millions en 2008, une coupure nette intervenant durant l'été. Pour 2009, nous prévoyons 55 millions de voitures, soit plus de 20 % de baisse, alors que l'industrie était déjà surcapacitaire en 2007, avec un potentiel d'environ 90 millions d'unités.

Le respect de l'environnement était une préoccupation : il devient une obligation, ce qui entraînera des bouleversements technologiques.

Renault a été touché comme tous les constructeurs, avec un exercice 2008 partagé en deux. Le début de l'année était très bon, avec de la croissance et plus de 4 % de marge opérationnelle. Puis nous avons été pris à rebours par un effondrement des marchés européens, mais aussi de ceux des pays en voie de développement.

Renault a pris toutes les mesures nécessaires pour faire face à la crise puisque, je le répète, nous avons été les premiers, en juillet, à voir arriver une récession, à l'annoncer et à prendre les mesures requises. Fin 2008, nos stocks étaient donc bien inférieurs à ceux de la plupart de nos concurrents et nous n'avons pas eu besoin de prendre des mesures précipitées.

Nous avons aussi été aidés par la réaction du gouvernement français, le premier à mesurer les conséquences de la crise pour l'industrie automobile et à prendre des mesures : une prime à la casse et un emprunt de 3 milliards d'euros pour Renault et PSA, avec un taux d'intérêt de 6 %. Presque tout le monde a suivi, y compris la Commission européenne, qui, au départ, avait émis des critiques contre ces mesures, jugées interventionnistes. Le gouvernement a donc soutenu son industrie à peu de frais puisqu'il n'a pas eu besoin d'intervenir dans le capital des constructeurs automobiles.

Cela a aidé Renault, PSA et les fournisseurs, pour lesquels la situation serait bien plus difficile si le gouvernement avait tergiversé pendant deux ou trois mois.

Sur le plan commercial, nous avons subi la crise, mais ni plus ni moins que les autres, et nos parts de marché sont stables. Nos sites industriels souffrent mais la situation est très contrastée : les sites qui produisent des voitures petites et bon marché tournent à plein régime cependant que ceux qui travaillent dans les segments de moyenne et haute gammes, peu demandés aujourd'hui, connaissent une baisse d'activité et du chômage partiel. À cet égard, compte tenu de sa structure de l'offre, concentrée sur des voitures petites et abordables, Renault est plutôt bien positionné.

Parmi nos sites travaillant à plein, je citerai Flins, avec la Clio, Novo Mesto, en Slovénie, avec la Twingo, Pitesti, en Roumanie, avec Dacia, Palencia, en Espagne, avec le lancement de la Mégane – bientôt suivi, je l'espère, par Douai –, Valladolid, en Espagne, avec la Modus, et Bursa, en Turquie, avec la Clio. En revanche, les sites fabriquant des Laguna ou des véhicules utilitaires souffrent.

Il n'en demeure pas moins que la prime à la casse a été positive pour ces catégories : Sandouville n'atteint pas le niveau de production des sites spécialisés dans les petites voitures, mais il connaît un rebond. Cela vaut aussi pour les sites fabriquant des organes mécaniques, comme Cléon.

La crise va durer. Et c'est pourquoi nous avons opté pour une stratégie de sortie de crise rapide. Les années 2009 et 2010 seront difficiles et, une fois la reprise acquise, il faudra du temps pour retrouver le niveau de 2007. Cela étant, si nous avons tort, nous n'aurons aucun problème car nous ne fermons pas de capacité ; nous sommes donc en mesure de repartir très vite.

Si le marché européen ne se porte pas si mal, c'est essentiellement grâce à la prime à la casse, mais celle-ci ne durera pas éternellement, sans compter qu'elle aura forcement un impact à la baisse sur le marché. Nous devons aider les pays européens à trouver les meilleures solutions pour sortir graduellement de ce dispositif.

Notre contrat social de crise a permis de partager les difficultés entre l'ensemble des employés, notamment entre cols bleus et cols blancs, et de rendre ainsi les conséquences de la crise acceptables par tous.

Nos équipementiers souffrent aussi beaucoup. Nous en avons d'autant plus conscience que, en tant que constructeur, nous sommes aussi faibles que le plus faible de nos fournisseurs ; en effet, si un seul d'entre eux cesse de produire, nous arrêtons aussi. Notre direction des achats, au sein de laquelle travaillent plusieurs centaines d'employés, passe plus de 40 % de son temps non pas à négocier des contrats pour l'avenir, mais à traiter les problèmes de fourniture. Je sais que PSA rencontre les mêmes difficultés, tout comme les constructeurs allemands et américains. L'affaiblissement de l'industrie automobile est donc alimenté par celui des équipementiers. Aux Etats-Unis - outre General Motors et Chrysler, Delphi -,Visteon et bien d'autres fournisseurs américains sont en faillite. Certains d'entre eux possèdent des filiales en Europe. En outre, certains fournisseurs européens sont aussien difficulté.

Nous avons la responsabilité de faire traverser la crise à notre entreprise, mais aussi de nous assurer qu'elle sera prête pour l'après : lorsque la crise sera terminée, il faudra avoir les produits, la technologie, le management et l'état d'esprit pour repartir. Après la consolidation, la restructuration et la réorganisation actuelles, nous risquons de vivre une période de tirage ; il faut s'y préparer.

Quels sont les grands projets de l'après-crise ?

S'agissant des voitures à zéro émission, chaque constructeur possède sa stratégie. Certains estiment que la voiture électrique n'a pas d'avenir ou se développera très lentement. Tant mieux pour nous ! Quand Toyota a lancé ses premiers véhicules hybrides, il y a dix ans, personne n'y a cru. Pour la voiture électrique, nous constatons les mêmes réactions : un de nos concurrents japonais n'a-t-il pas affirmé que le moteur électrique n'était bon que pour les voitures de golf ?

Pour notre part, nous investissons massivement dans la voiture électrique, en vue de prendre le leadership mondial. Nous avons engagé un premier investissement portant sur 50 000 batteries, au Japon, dans l'usine de Zama. Des négociations sont en cours dans plusieurs sites européens, pour des productions de batteries représentant un montant de plusieurs centaines de millions d'euros. Le gouvernement américain est en discussion avec Nissan pour lui attribuer une aide concernant l'implantation d'une usine de batteries et de véhicules électriques.

Nous ne nous contenterons pas de produire quelques milliers de voiture pour suivre une mode. Nous ferons tout pour que le véhicule zéro émission soit commercialisable en France en 2012 au plus tard. En 2010, des voitures seront déjà disponibles aux États-Unis et au Japon. En 2011, le projet israélien démarre. Mais cela ne signifie pas que nous ne progressons pas sur les moteurs diesel et nous sommes parmi les trois constructeurs les plus efficaces en matière de consommation de carburant.

La sortie de crise passera aussi par les pays émergents. Alors qu'en France, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne, comme dans les autres pays européens, on compte 600 voitures pour 1 000 habitants – les États-Unis font exception parmi les pays développés, avec un rapport de 800 pour 1 000, – la Russie, en revanche, est à 150 pour 1 000, la Chine et l'Inde à 50 pour 1 000, la plupart des pays du Moyen-Orient autour de 100 pour 1 000, l'Iran et l'Irak à des niveaux ridicules, le Brésil à 150 pour 1 000. Avec les ressources dont ces pays disposent, il n'y a aucune raison pour qu'ils n'atteignent pas un ratio de 600 voitures pour 1 000 habitants d'ici dix ou vingt ans. A l'évidence la reprise partira surtout des pays émergents.

Or, Renault depuis son alliance avec AvtoVAZ – détenteur de la marque Lada, premier constructeur russe – est le premier groupe automobile implanté en Russie, et c'est l'un des premiers constructeurs européens à pénétrer l'Inde. Nissan est installé en Chine et, le moment venu, Renault le rejoindra. La marque est aussi implantée en Amérique du Sud et, grâce à l'Alliance, nous développons notre présence au Moyen-Orient, l'un des grands pôles de développement, avec des marchés comme l'Arabie saoudite, les pays du Golfe, l'Iran et l'Irak, puissances économiques régionales de demain.

Le consommateur est de plus en plus critique vis-à-vis du prix des produits. Il veut des voitures basiques, comportant des équipements essentiels, à prix abordable. Nous le voyons avec le succès de la Logan, de la marque Dacia en général et de la Twingo. Or notre offre, déjà très fournie sur ce segment, sera de plus en plus riche. C'est beaucoup plus facile pour Renault que pour les constructeurs allemands de répondre à cette demande d'avenir.

Le patron de Fiat a déclaré qu'un constructeur automobile n'a pas d'avenir à moins de 6 millions de voitures produites par an et il cherche des alliances avec Chrysler ou Opel pour atteindre ce niveau critique. Autour de nous, de nouveaux convertis aux alliances reconnaissent qu'une échelle minimale est nécessaire ; ils ont parfaitement raison, mais ils accusent dix ans de retard sur nous ! La seule alliance mondiale qui fonctionne, c'est Renault-Nissan-AvtoVAZ. En 2008, avec 6,8 millions unités vendues, elle était en troisième position mondiale. Renault est donc déjà à la bonne échelle ; notre challenge est de faire pleinement fonctionner l'Alliance, en resserrant plus encore les liens, en mutualisant les investissements et en développant ensemble la technologie.

Bref, nous avons une stratégie d'alliance très moderne depuis dix ans. Avec Dacia et sa Logan, nous sommes en pointe sur les véhicules abordables. Le véhicule électrique suscite de l'intérêt auprès de tous les dirigeants gouvernementaux, gouverneurs ou maires, toujours désireux de nous aider ; je ne doute pas que ce sera l'un des principaux vecteurs de transport de demain. À condition de bien traverser la crise, nous ferons partie des principaux constructeurs de demain.

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