Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par quelques éléments de macro-économie pour commenter ce collectif budgétaire.
Le projet de loi de finances rectificative est bâti sur une hypothèse de croissance de 2 % pour 2007. La loi de finances initiale 2007 tablait sur des objectifs de 2,25 à 2,5 %. Mais notre Premier ministre, François Fillon, avoue lui-même aujourd'hui que nous serons probablement plus proches de 1,9 %. Pour notre part, nous craignons que la croissance soit encore inférieure et le déficit plus important qu'annoncé dans ce texte. Des interrogations demeurent, en effet, sur les recettes fiscales supplémentaires annoncées ; Charles de Courson vient de le souligner pour ce qui concerne l'impôt sur les sociétés.
La croissance, monsieur le ministre, ne se décrète pas, pas plus que la confiance : nous l'avions dit au moment de l'examen de la loi TEPA cet été. À cet égard, les prévisions de l'INSEE pour 2008, publiées ce matin, nous laissent perplexes, tout comme les Français, avec la morosité en prime !
Oui, les Français s'inquiètent tous sur l'évolution de leur pouvoir d'achat, à l'exception de ceux que vous avez gâtés cet été, qui ne peuvent pas consommer davantage. Bref, vos mesures n'ont pas eu d'effet sur une relance réelle sur la consommation.
Cette inquiétude se fait plus grande devant l'effet sournois, mais réel, d'une inflation que vous persistez à sous-estimer. Je vous le dis, monsieur le ministre, le désarroi de nombre de nos concitoyens devant les augmentations de prix est profond, et la réalité est plus cruelle que vous le mesurez, dans leur vie de tous les jours.
Ce collectif budgétaire est aussi l'illustration d'une mauvaise méthode : précipitation, voire improvisation. J'en prendrai trois exemples : l'éco-pastille, la taxe « poissons » et la redevance audiovisuelle.
S'agissant de l'éco-pastille, où est le grand texte sur la fiscalité écologique attendu après le Grenelle de l'environnement ?
Le débat que nous avons eu sur ce sujet, notamment sur la familialisation, a été improvisé, approximatif et tardif – vous en êtes, vous-même, convenu, monsieur le ministre. Il reste donc inabouti, comme Charles de Courson vient de le faire remarquer. Celui sur les biocarburants n'a pas été abordé sous l'aspect scientifique. Il n'est donc pas étonnant que les associations quittent aujourd'hui la discussion de l'après-Grenelle, mesurant déjà l'écart entre les annonces faites et la réalité.
Les exemples de la taxe « poissons » et de la redevance télévision nous montrent, s'il en était besoin, l'intrusion permanente du Président de la République dans l'hémicycle, avant même la mise en oeuvre des préconisations du comité Balladur sur la réforme des institutions !
Devant la contestation des pêcheurs bretons en novembre dernier, le Président de la République a annoncé l'adoption par voie législative d'un mécanisme de compensation qui réintègre le coût du gasoil dans le prix du poisson vendu à l'étal. Le lendemain, alors qu'il recevait les pêcheurs à Paris, Michel Barnier est revenu sur les déclarations du Président, pour indiquer que ce mécanisme de compensation devrait veiller à ne pas pénaliser le consommateur. Nous voilà à nouveau en plein débat sur le pouvoir d'achat !
Le 28 novembre dernier, le Gouvernement annonçait, de nouveau, la mise en place d'une éco-contribution de 1 à 2 % sur le prix de vente final du poisson. C'est donc dans la cacophonie la plus totale – les députés « marins » UMP ne voulant pas, à juste raison, endosser la responsabilité d'une rédaction approximative d'un amendement contestable – que le Gouvernement a fait adopter un amendement à la loi de finances rectificative, qui prévoit l'application d'une taxe de 2 % sur la vente du poisson à la première vente, c'est-à-dire au niveau des mareyeurs.
Face aux engagements pris par le Président de la République au Guilvinec d'adopter un mécanisme de compensation d'ici à la fin de l'année, le Gouvernement a agi dans l'urgence et la confusion. Les mesures adoptées à la sauvette par les députés de la majorité n'auront pas les effets escomptés et risquent, de plus, d'avoir des conséquences sur toute la filière.
L'article adopté le 6 décembre à l'Assemblée a mobilisé toute la filière contre lui. De surcroît, l'euro- compatibilité de cette disposition n'est même pas assurée.
L'augmentation du coût du gasoil est un problème complexe, je vous le concède, dont les répercussions ne sont pas les mêmes selon les flottilles. Il nécessite une réflexion approfondie, en concertation avec l'ensemble des acteurs de la filière, ce qui n'a pas été le cas.
Au lieu de cela, le Gouvernement a agi de manière précipitée et improvisée en adoptant des dispositions inefficaces et pour le moins dangereuses. Ceux qui connaissent bien le milieu de la pêche nous mettent en garde : si cette disposition venait à être définitivement adoptée, elle aurait de graves conséquences. Concentrer le poids de la taxe sur une seule partie de la filière risque de peser lourdement sur ceux qui y seront assujettis. Ce sont ainsi toutes les activités de transformation et de valorisation du poisson qui se trouveraient pénalisées, au bénéfice des produits d'importation déjà transformés.
Dans un contexte de relations tendues, la répercussion du surcoût pourra difficilement se faire vers la distribution ; elle risque de se faire au détriment du prix du poisson payé au pêcheur, en contradiction avec l'objectif du dispositif.
Même amendé au Sénat, solution qui a été retenue en commission mixte paritaire, l'article 22 quater ne résout en rien le problème de l'augmentation du coût du carburant : il ne fera que masquer les difficultés rencontrées par les pêcheurs et constitue une menace pour la filière de transformation et de valorisation des produits de la mer, et se répercutera sur les consommateurs.
Autre sujet illustrant vos mauvaises méthodes : le débat sur la redevance audiovisuelle. Nous, au parti socialiste, nous réclamons, depuis 2004, le maintien de l'exonération de redevance pour les retraités modestes, contrairement à la réforme du ministre des finances d'alors, Nicolas Sarkozy.
Le débat a été relancé dans le cadre du projet de loi sur le pouvoir d'achat, puisque les exonérations temporaires prennent fin cette année. On nous avait alors accusés de démagogie. Que n'avons-nous entendu, ici et au Sénat ! M. Marini, rapporteur général du Sénat, nous a accusés de vouloir jouer les bons apôtres et a déclaré que nos amendements relevaient de la manoeuvre politicienne. Vous-même, monsieur le ministre, probablement un peu agacé, avez répondu que le Gouvernement s'était exprimé mille fois sur le sujet. Tout cela pour en arriver à cette demi-mesure réduisant de moitié le montant de la taxe de la redevance audiovisuelle pour les 700 000 à 800 000 Français concernés.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Hier, le Président de la République a décidé de maintenir, pour des raisons d'affichage – élections municipales et cantonales obligent –, l'exonération temporaire pour un an seulement. Nous sommes confrontés à des injonctions présidentielles qui ne font que repousser le problème après les élections de 2008. Au total, textes et intentions se chevauchent, et le pouvoir d'achat est toujours malmené. Bref, nous ne faisons pas du bon travail : alors que nous avons, mardi, voté le projet de finances pour 2008, les prévisions sont déjà fausses du fait des décisions que nous prenons aujourd'hui. Il faudra nous dire, monsieur le ministre, si les amendements du Gouvernement viendront préciser la pensée présidentielle.
Je voudrais revenir sur les quelques mauvais coups supplémentaires contenus dans cette loi de finances rectificative. Naïvement, les Français pensaient que leurs mutuelles les protégeraient des franchises médicales. Or l'article 45 quater nous montre, en intervenant sur les contrats entre assurés et mutuelles, que les Français seront directement soumis aux franchises.
Vous ajoutez dans ce collectif budgétaire des mesures qui augmentent les exonérations et les cadeaux accordés cet été dans la loi TEPA. Vous avez déjà instauré l'impôt choisi, et en relevant à 20 000 euros, en doublant donc, le plafond des sommes placées en fonds d'investissement de proximité et en exonération d'ISF, vous montrez une fois de plus qu'il n'y en a jamais assez pour les nantis, et cela alors que nous n'avons pas encore de retour sur l'impact de la mesure prise il y a cinq mois.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne travaillons pas dans de bonnes conditions. Le Parlement est manipulé, nous le dénonçons. Les Français ne sont pas entendus, nous le regrettons. Les réponses qu'ils obtiennent sont des réponses de circonstance, de pure opportunité. Décidément, nous ne pouvons voter ce collectif budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)