L'amendement n° 98 tend à maintenir en l'état la situation de la RATP comme de la SNCF, où il existe un processus d'alarme sociale ou d'accords négociés qui donnent de bons résultats, et dont la direction de l'entreprise comme les organisations syndicales se disent satisfaites. En 2006, la RATP en était à son troisième accord, après ceux de 1996 et de 2001. C'est dire que l'histoire de l'entreprise est aujourd'hui rythmée par ces avancées. Comme l'accord de 2001, celui de 2006, d'abord oublié dans le projet de loi, prend en compte dix ans d'expérience commune de la part de la direction de l'entreprise et des organisations syndicales, ce qui est extrêmement intéressant et positif. Car, si un accord est une bonne chose, ce qui compte dans la vie d'une entreprise, c'est surtout qu'il soit renouvelé à échéance et qu'il prenne en compte l'expérience collective pour essayer de l'améliorer.
C'est pourquoi je trouve que le projet de loi prend beaucoup de risques. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) C'en est un que de dire aux responsables de l'entreprise et aux organisations syndicales que, même si leur histoire a été prise en compte, ils tomberont désormais sous le coup du droit commun, dont on ne sait d'ailleurs pas exactement ce qu'il est. Que prévoira l'accord cadre ? De quelle prévisibilité disposons-nous ? À mon sens, vous prenez un risque inutile qui, dans tous les cas, va modifier la règle pour les partenaires sociaux. Comment réagiront-ils face à cette intrusion du pouvoir politique ou de la loi dans le mécanisme qu'ils ont réussi à organiser et qui, d'une certaine façon, nous sert de référence, puisque nous voulons le généraliser ?
La première mesure de bon sens, tout au moins de prudence, serait d'acter l'existence de ces accords et de laisser aux entreprises concernées leur autonomie par rapport à la loi. J'insiste sur le risque qu'il y a à transformer du cousu-main en prêt-à-porter, et à substituer à de tels accords le droit commun. Même s'il y a peu d'exemples de ce type dans notre pays, reconnaissons que certains syndicalistes et certains chefs d'entreprise ont réussi, par leur travail, une oeuvre que nous nous accordons à trouver bonne. Pourquoi ajouter un grain de sable dans cet engrenage, au risque de gripper les rouages ?
Nous touchons au coeur du problème, monsieur le ministre. Même si les médias ne s'en font pas largement l'écho, votre réponse à M. Brottes, que nous avions anticipée dès le début du débat, est capitale. Je le dis gravement : si l'on va au bout de la mécanique de votre projet de loi, ce ne sont pas vos attaques ponctuelles, auxquelles nous répondrons par la suite, ce qui remettent véritablement en cause le droit de grève, mais la manière dont vous assimilez les grèves interprofessionnelles aux conflits d'entreprise, et votre volonté que chaque entreprise suive une même procédure, y compris pour des revendications interprofessionnelles.
Vous le savez fort bien : les grèves les plus longues et les plus difficiles qu'a connues notre pays ont été, à quelques exceptions près, des mouvements interprofessionnels. Ce sont eux que vous visez. L'attaque est du reste habile et le texte bien ciselé – mais il ne peut pas fonctionner. Quand on atteint un tel niveau de conflit – je vous renvoie à tous les grands mouvements de l'histoire depuis 1963 –, et quelles que soient les règles de droit qu'on ait imaginées, les conflits entre les hommes relèvent d'une solution politique et non plus d'un cadre juridique. Or vous ne laissez pas d'autre porte de sortie. En instaurant ce système, en effet, vous voulez, sinon interdire la grève, du moins dissuader tous les salariés de la faire et, en les obligeant à respecter de telles procédures, rendre quasiment impossible l'expression d'un mouvement de grève collectif et interprofessionnel dans l'ensemble du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)