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Intervention de François Brottes

Réunion du 8 janvier 2009 à 9h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2009 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Brottes :

Je comprends que cela vous agace, madame la rapporteure. Si cette réforme subite et à l'évidence mal placée dans votre projet de loi doit justifier autre chose, il vous reste à nous l'expliquer clairement, ce que vous aurez sans doute le temps de faire au cours du débat. S'agit-il d'avaliser la première étape vers la construction de nouvelles villes nouvelles, comme le rêve M. Attali ? Ou s'agit-il plus prosaïquement de donner les moyens au ministre et au super-préfet en charge du Grand Paris de passer par dessus les collectivités locales dès que « l'intérêt supérieur de la nation », incarné par le Président de la République, l'exige ?

J'en veux pour preuve deux exemples d'opérations d'intérêt général – pris au hasard, bien entendu, et qui n'ont, cela va de soi, rien à voir avec la couleur politique des collectivités concernées.

Le plateau de Saclay, d'abord : le Président de la République y nourrit de grandes ambitions en termes de développement économique et scientifique, que l'on peut d'ailleurs partager, à condition d'en neutraliser les effets collatéraux. En commission, M. Devedjian nous a confirmé que ce plateau serait immédiatement concerné par la réforme.

Le quartier d'affaires de la Défense, ensuite, si cher à M. le ministre de la relance – dont je salue l'arrivée parmi nous –, également président du conseil général des Hauts-de-Seine et président de l'établissement public d'aménagement de la Défense, ou EPAD. Il nourrit pour son lucratif territoire un ambitieux projet d'extension, dont Le Monde s'est d'ailleurs largement fait l'écho dans son numéro d'avant-hier. Les mauvais esprits pourraient voir dans votre texte un moyen efficace d'assouvir l'appétit de la Défense pour les friches limitrophes sur la commune de Nanterre, que celle-ci vous refuse. L'absorption programmée de l'établissement public d'aménagement propre à Nanterre par l'EPAD permettra de boucler la boucle.

Rappelons-nous comment, alors que le sénateur Karoutchi était à la manoeuvre sous la précédente législature, et malgré l'embouteillage des projets de loi ultra-urgents, nous avions assisté à l'adoption en un temps record, juste avant Noël, de la loi créant l'établissement public de gestion du quartier de la Défense – l'EPGD, ce petit arrangement entre amis des Hauts-de-Seine pour passer par dessus le Conseil d'État, récupérer la manne financière et doter le quartier de la Défense de règles d'urbanisme autonomes visant essentiellement à la construction de bureaux, loin de toute cohérence avec la démarche initiée dans l'ensemble de l'Île-de-France. (M. le ministre en charge de la relance désapprouve de la tête.) Vous le savez bien, monsieur Devedjian. À vous de démontrer qu'il s'agit bel et bien de l'intérêt général, et non pas de satisfaire les velléités tentaculaires du conseil général des Hauts de Seine. Le doute est permis, en effet.

Le deuxième pan de votre projet consiste à « faciliter les programmes d'investissement ». Pour peu que le projet de loi de Mme Boutin sur le logement ne soit pas déjà mort et enterré après le fiasco de son examen par le Sénat, peut-être s'agit-il ici de la partie la plus importante du plan de relance dont la France a besoin : à défaut du financement privé spontané, et compte tenu des difficultés de crédit, c'est à l'État et aux pouvoirs publics qu'il revient en effet de donner l'impulsion nécessaire à la reprise de l'activité.

Or, quelles sont ici vos priorités ? L'article 3 modifie le régime des contrats de partenariat, qui vient pourtant d'être profondément remanié par la loi du 28 juillet 2008 – une réforme encore tiède, donc, sur laquelle nous ne disposons d'aucun recul ni d'une quelconque étude d'évaluation. Vous nous proposez d'ouvrir la possibilité de céder la créance du contrat de partenariat à 100 % contre 80 % de la rémunération due au titre des coûts d'investissement et de financement depuis juillet 2008, afin de rendre l'opération plus attractive pour le partenaire privé, qui pourra ainsi obtenir des conditions de financement de son investissement plus rapides et plus favorables. Sur le papier, tout va bien ; les choses se corsent dès lors que l'on envisage les effets possibles d'une telle mesure. Tout d'abord, vous prévoyez que la personne publique, c'est-à-dire celle qui passe la commande, puisse limiter son acceptation à 80 % de la créance : soit. Néanmoins, ce régime, très favorable au concessionnaire, est risqué pour la personne publique car le transfert de risque est opéré à son détriment. En cas de résiliation du contrat, l'acteur public devra-t-il dans tous les cas payer à la banque 80 % de la rémunération due pour les coûts d'investissement et de financement ? C'est ce que l'on comprend ici, et c'est tout à fait excessif. En cas de défaillance du cocontractant privé ou de sinistre de l'objet du contrat, comment la collectivité publique pourra-t-elle, riche de ses 20 % non cédés, infliger les pénalités nécessaires au partenaire privé et responsable du marché ? Cela lui sera bien difficile, voire impossible.

Autre risque que comporte votre réforme, et non des moindres, dans le contexte de crise financière grave que nous connaissons : la titrisation des créances liées à ces contrats, puisque une créance cédée à une banque pourra l'être encore à une autre, et ainsi de suite. Or nous avons vu les dérives possibles d'une telle logique de rentabilité financière sur un seul titre. À vouloir panser les plaies d'une crise née de l'excès de spéculation sur titres de créances, vous en recréez les conditions futures. Un comble ! C'est un peu comme si vous étiez déjà en train de préparer la crise d'après. Où sont les garde-fous dans ce projet de loi ? Je les cherche encore. À vous de nous les montrer au cours du débat.

Ce qui est sûr, en revanche, c'est que ce sera tout profit pour les grandes entreprises privées, déjà en situation de quasi-oligopole dans les secteurs du BTP ou de l'environnement, qui pourront se rémunérer grassement sur des contrats passés avec le public, avec un minimum de risques… Et ne parlons même pas des banques, qui sont encore bien servies par ce dispositif : cela en deviendrait indécent par les temps qui courent !

Soyons plus légers, et passons à la partie « poids plume » de votre projet : l'article 4, arme censément redoutable pour accélérer massivement nos investissements, mais dont la puissance de feu m'a franchement échappé. Les quelques lignes de cet article entendent revenir sur la décision du Conseil constitutionnel relative à la même loi du 28 juillet 2008, en corrigeant, semble-t-il, une coquille. Rien de très glorieux, ni de très nouveau non plus !

L'article 5, quant à lui, a l'efficacité d'un véritable aveu, puisqu'il prévoit de faciliter la vente des établissements publics de santé en permettant de retarder le déclassement d'une installation après sa vente. Autrement dit, les hôpitaux pourront encaisser le produit de la vente avant même que l'acte juridique premier d'un transfert effectif de propriété ne soit signé. Il fallait y penser !

Les hôpitaux, étranglés par des plans d'assainissement de leur budget, par la réduction lente de leurs financements depuis plusieurs années, vont pouvoir disposer, pendant trois ans, d'une bouffée d'air frais. Mais, compte tenu de leur situation actuelle de déficit, il faudra encore m'expliquer en quoi ces ventes anticipées favoriseront de nouveaux investissements – à moins qu'elles ne soient subordonnées à de nouvelles constructions hospitalières ou para-hospitalières, mais je n'en vois nulle trace dans votre projet et, quoi qu'il en soit, leur situation financière étant ce qu'elle est, cet argent frais ira directement à la réduction des déficits de fonctionnement. Un emplâtre sur une jambe de bois !

Bref, après lecture des deux principaux titres de votre projet de loi, on reste franchement sur sa faim ! Force est de constater que le plus important se trouve dans les silences des deux derniers articles, qui, de fait, échappent au Parlement, puisqu'il s'agit d'une série d'habilitations à légiférer par ordonnance.

Nous retrouvons à l'article 6 notre « voiture-balai » de la révision générale des politiques publiques : la réforme des installations classées. En plein dans les discussions sur le Grenelle 1 et au lendemain de la présentation en conseil des ministres du projet de loi Grenelle 2, qu'est-ce qui peut bien justifier que l'on réforme, en ultra-urgence, le régime d'autorisation et de contrôle des sites industriels susceptibles de nuire à l'environnement et à la santé ? Mon petit doigt me dit – comme certaines associations ayant pris part au Grenelle – que cette disposition n'est en vérité pas très « grenello-compatible ». Vous avez déjà tenté de l'introduire par amendement lors de l'examen de la loi de modernisation de l'économie, pour le retirer d'ailleurs aussi sec ! Est-il si honteux que vous hésitez à l'exposer au grand jour, monsieur le ministre ?

Sous couvert d'application stricte des directives européennes et de simplification administrative, vous voulez créer ici une nouvelle procédure d'autorisation simplifiée, la troisième en ce domaine. Pour inciter les industriels à construire de nouvelles installations, vous voulez supprimer la procédure d'enquête publique et l'obligation d'étude d'impact pour les installations jugées les moins dangereuses, soit 20 % de celles actuellement concernées par le régime normal. Or ces procédures sont les seules qui peuvent actuellement donner les moyens aux élus concernés, aux populations et aux associations représentatives d'être correctement informés en amont et de s'exprimer sur le projet.

Cette réforme aurait pour autre vertu, selon vous, de réduire le travail des contrôleurs des DRIRE – futures DREAL, directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement –, qui sont déjà en sous-effectif chronique, ce qui ne va pas s'arranger avec les coupes budgétaires que vous nous préparez et celles que vous opérez déjà au sein de la fonction publique.

Il est à craindre que cet allégement du recours systématique aux inspecteurs d'État entraîne une extension du recours au « contrôle périodique », dont on sait qu'il fait largement appel au privé. Quelles garanties offrez-vous pour assurer l'indépendance de ces inspecteurs privés ? Quels gages donnez-vous quant à l'indépendance des futurs contrôles ? Quelles seront les prescriptions applicables aux installations classées soumises à autorisation simplifiée ? Comment ce nouveau régime s'articulera-t-il avec les plans de prévention des risques technologiques, et quel sera son impact sur le code de l'urbanisme ? Quelle place sera laissée aux élus locaux pour qu'ils aient les moyens d'exercer leur responsabilité ? De quelles informations préalables, de quelles possibilités de recours disposeront les populations ? Si le système nouveau est si vertueux, pourquoi rogner ce qui constitue un garde-fou juridique et démocratique, en cas de problème majeur ?

Je puis vous le dire, fort de l'expérience locale que j'ai en matière d'implantations à risque : moins il y a de transparence, plus il y a de doute et de méfiance de la part des populations, et moins le niveau d'acceptation des projets industriels est élevé.

1 commentaire :

Le 14/10/2009 à 15:39, Zouze (citoyen) a dit :

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"Le quartier d'affaires de la Défense, ensuite, si cher à M. le ministre de la relance – dont je salue l'arrivée parmi nous –, également président du conseil général des Hauts-de-Seine et président de l'établissement public d'aménagement de la Défense, ou EPAD.

[...]

Rappelons-nous comment, alors que le sénateur Karoutchi était à la manoeuvre sous la précédente législature, et malgré l'embouteillage des projets de loi ultra-urgents, nous avions assisté à l'adoption en un temps record, juste avant Noël, de la loi créant l'établissement public de gestion du quartier de la Défense – l'EPGD, ce petit arrangement entre amis des Hauts-de-Seine pour passer par dessus le Conseil d'État, récupérer la manne financière et doter le quartier de la Défense de règles d'urbanisme autonomes visant essentiellement à la construction de bureaux, loin de toute cohérence avec la démarche initiée dans l'ensemble de l'Île-de-France. (M. le ministre en charge de la relance désapprouve de la tête.) Vous le savez bien, monsieur Devedjian. À vous de démontrer qu'il s'agit bel et bien de l'intérêt général, et non pas de satisfaire les velléités tentaculaires du conseil général des Hauts de Seine. Le doute est permis, en effet."

Le doute grandit de plus en plus ces derniers jours avec l'arrivée de la famille royale à la direction de l'Epad...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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