Mais, en réalité, cela amène à travailler moins bien… Si lors de l'examen de ce texte au moins de décembre dernier, vous aviez été moins pressés, vous auriez sans doute évité l'erreur juridique qui rend ce second examen nécessaire. Voilà toute l'estime que l'exécutif a pour le Parlement ! C'est bien la peine d'aller claironner sur les antennes radiophoniques que la réforme institutionnelle revalorisera la place de l'institution parlementaire ! Commencez par instaurer un climat de sérénité et non d'urgence permanente !
Pour ce qui est de l'efficacité, permettez-moi d'en douter. Si vous agissez, c'est souvent en totale contradiction avec les objectifs que vous annoncez. Ainsi, vous avez avancé une revalorisation du pouvoir d'achat des salariés mais en offrant de nouveaux cadeaux fiscaux aux patrons ; vous avez prétendu faire baisser les prix dans les grandes surfaces, mais en leur permettant d'augmenter encore un peu plus leurs marges. Aujourd'hui, vous affirmez revaloriser le pouvoir d'achat des ménages, mais en augmentant de 4 % le tarif du gaz !
Quels sont les intérêts en jeu dans ce texte ? Le diagnostic de départ est loin de se réduire à la nécessaire protection des consommateurs. Certes, vous évoquez l'injustice pour les nouveaux occupants d'un logement d'être liés par le choix de sortie des tarifs des occupants précédents. Mais vous mettez aussi fortement en avant l'échec de l'ouverture à la concurrence en France. Le second rapport de M. le sénateur Poniatowski est très clair à cet égard, qui intitule un de ses chapitres : « l'échec de l'ouverture totale à la concurrence sur le marché français » dans le domaine du gaz et de l'électricité. Échec patent : sur 26 millions de consommateurs, 6 600 sites de consommation particuliers auraient fait le choix de la concurrence. Pour le gaz, ce seraient 13 ou 14 000. Disons quelques dizaines de milliers, 30 ou 35 000 – RTE reste très prudent sur cette estimation.
Face à cet échec, il faut sauver le soldat concurrence ! Tout est mis en oeuvre pour l'ouvrir, et vite. Vous restez dans le dogme d'une concurrence qui serait nécessairement plus bénéfique pour réguler le secteur énergétique, et défendez bec et ongles ce modèle économique, en refusant de vous pencher sérieusement sur les conséquences de l'ouverture et de la privatisation du secteur. Le refus, en première lecture, d'adopter notre amendement demandant un simple bilan de l'expérience étrangère est révélateur. Vous avez bien compris que l'irréversibilité de la décision de quitter les tarifs avait effrayé les consommateurs et donc contribué à mettre en échec l'ouverture à la concurrence du secteur. Il est vrai que l'expérience des clients non domestiques est loin d'avoir été concluante et on comprend leur inquiétude à la perspective de la fin du fameux TARTAM. Les entreprises du secteur électro-intensif ont ainsi subi, en quatre ans, une hausse des tarifs de 117 %, qui en a mis bon nombre en difficulté et conduit certaines à la faillite !
Pour sauver le marché et favoriser le grand saut hors des tarifs, vous feignez d'y introduire un peu plus de sécurité. Ce texte n'est rien d'autre que la volonté de mettre un peu d'ordre dans la jungle de la loi du marché, pour ne pas trop effrayer les consommateurs et donner une chance aux distributeurs privés de gagner des parts de marché et réaliser des profits. Mais hormis le principe de réversibilité jusqu'au 1er juillet 2010, quelle protection est réellement garantie aux consommateurs ? Vous ne nous avez apporté aucun élément de réponse convaincant lors de la discussion en première lecture, monsieur le ministre. Vous vous êtes contenté d'évoquer des offres aux consommateurs « plus à leur avantage, plus adaptées à leur besoin, moins chères », sans produire à l'appui aucun argument ni élément factuel avéré. Du reste, ce n'est pas ce qui s'est passé dans les différents pays européens qui ont ouvert leur marché.
Alors que son opérateur énergétique intégré faisait de la France le pays offrant l'énergie parmi les moins chères d'Europe, et que l'ouverture du secteur à la concurrence s'est soldée ailleurs par des hausses de prix vertigineuses, vous prétendez qu'elle fera ici baisser les prix. Alors que notre sécurité d'approvisionnement et la sûreté de nos réseaux de transport et de distribution ont fait leurs preuves depuis des dizaines d'années, et que les habitants des pays pionniers dans la libéralisation ont été confrontés à de gigantesques pannes d'approvisionnement, vous parlez aux consommateurs d'offres « adaptées à leurs besoins » !
Quand répondrez-vous sérieusement à nos questions, au lieu de vous réfugier dans des propos de nature purement incantatoire ?
Pouvez-vous nier que les tarifs régulés ne sont pas en lien direct avec l'alliance de la qualité de service et de la modicité des prix, qui a caractérisé le secteur énergétique français pendant des années ?
Oserez-vous contredire le fait qu'ils ont permis le financement d'un réseau au maillage dense, de haute qualité et de haute fiabilité, avec des bénéfices – des excédents, comme on disait à l'époque –, attribués en premier lieu à l'investissement, à la recherche, à la rémunération de salariés qualifiés ?
Pouvez-vous apporter une preuve quelconque qui indiquerait que ce modèle serait aujourd'hui périmé ? J'en doute ! Et pourtant, les logiques promues par les fanatiques du libéralisme économique ont bien changé la donne !
Le Conseil d'État a validé une hausse supplémentaire du gaz. Mais où va l'argent ? Dans la poche des actionnaires ! Aurez-vous enfin le courage de dire dans cet hémicycle ce que vous pensez de ces logiques qui lèsent la majorité des consommateurs au profit des détenteurs de l'argent ?
J'avais, lors de ma dernière intervention, égrené les différentes augmentations du résultat opérationnel net, des dividendes des actionnaires, etc., dont se flatte GDF. Cette fois-ci, je dénoncerai une autre opération : celle qui a trait au salaire – si on peut appeler cela un salaire – de son PDG, qui a créé un « comité de rémunération », dont les représentants de l'État restent soigneusement exclus, pour mieux espérer harmoniser son salaire avec celui de M. Mestrallet, PDG de Suez ! Il semble que M. le PDG de Gaz de France souffre de la comparaison et aimerait obtenir une augmentation conséquente… Il faudrait pour cela que l'État, qui est aujourd'hui le principal actionnaire, donne cette autorisation. Il y aurait donc constitution d'un petit comité ad hoc. Il faudrait donc multiplier la rémunération de M. Cirelli par dix…
On voit que la hausse du prix du pétrole et du gaz n'est finalement pas une barrière si insurmontable que cela pour certains acteurs du secteur.
Face à cet environnement privatisé, quelles protections seront garanties aux consommateurs après le 1er juillet 2010 ? Elles risquent d'être bien maigres ! On croit d'ailleurs rêver en lisant le compte rendu des débats du Sénat, dans lequel M. le secrétaire d'État déclarait sereinement que, « après le 1er juillet 2010, les règles d'éligibilité voulues par le Conseil Constitutionnel en 2006 s'appliqueront ». Qu'est-ce que cela signifie, si ce n'est que le dispositif censé venir protéger le consommateur et son porte-monnaie s'appliquera pendant deux ans et demi, et que, après cette trêve, les règles iniques que vous vous empressez de dénoncer seront de nouveau en vigueur ?
Il n'est qu'à lire les propos de M. Mestrallet dans un document qu'il nous a fait parvenir le 14 décembre à propos des tarifs régulés : « Les États membres doivent veiller à ne pas imposer des tarifs réglementés à des niveaux bien inférieurs au prix du marché de l'électricité et du gaz, de tels tarifs ayant un effet désincitatif sur les investisseurs, ce qui a un impact négatif sur la sécurité d'approvisionnement. » M. Mestrallet ne fait qu'exprimer à sa façon ce que j'ai dit ici, à plusieurs reprises : il ne s'agit pas pour vous de supprimer les tarifs régulés, mais tout simplement, et cela conforte les propos tenus tout à l'heure par M. Gaubert, de faire en sorte que les tarifs régulés soient plus élevés afin que nous payions le gaz au tarif moyen du marché en Europe… Le voilà, votre objectif ! Les tarifs régulés ne disparaîtront pas, ils seront adaptés. C'est ce que demande la Commission européenne, c'est ce que confirme M. Mestrallet.
Quelle crédibilité comptez-vous donc avoir en légiférant sur une période aussi courte et sans apporter de garantie pour l'avenir ?