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Intervention de Christian Paul

Réunion du 29 avril 2009 à 15h00
Protection de la création sur internet — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Paul :

Nous l'avons fait sans penser que ces formes de protection, parce qu'elles étaient collectives, affaiblissaient les droits sacrés des auteurs.

Au nom de ce bien commun qu'est la culture, des espaces de gratuité furent construits : des bibliothèques, des musées, des radios libres, sans jamais penser que la gratuité dévalorisait l'oeuvre ou l'artiste.

Voilà ce qu'est l'exception culturelle, celle que plusieurs générations ont défendue, tant ici même, dans cet hémicycle, que dans le concert des nations, pour affranchir la culture du mouvement de marchandisation, qui transforme l'économie de la culture en industrie du divertissement, avec son marketing mondialisé.

Aujourd'hui, en demandant que l'on invente des règles exceptionnelles, des financements nouveaux pour la création dans la civilisation numérique, nous nous inscrivons dans cette histoire et nous reprenons ce flambeau. Bien loin de vos caricatures, madame la ministre, nous défendons une régulation moderne, non une croisade archaïque. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Or quel est, ces jours-ci, le message de la France à l'Europe ? Le message de notre pays se résume ainsi : la chasse aux pirates, les certitudes paresseuses des lobbies, la surveillance sophistiquée de l'Internet, l'entêtement d'un gouvernement, le mépris de la jeunesse, une pédagogie réactionnaire tant elle va à rebours de l'histoire.

Enfin, comme l'ont souligné mes collègues, aucune réponse sérieuse n'est apportée face à la crise de l'économie culturelle. En avril 2009, la France de Voltaire et de Beaumarchais, quand elle parle de culture, se borne à surveiller et à punir.

Le Parlement européen, lui, se tourne vers l'avenir. Il fait à l'Internet toute sa place pour l'exercice de droits fondamentaux, et il le revendique, malgré les terribles pressions qu'exerce, à Bruxelles comme à Strasbourg, le Gouvernement. C'est l'Europe, non plus la France, je le constate à regret, qui donne aujourd'hui la bonne direction.

Mesdames et messieurs, si ce débat acquiert une réelle gravité, c'est que votre leçon de politique répressive est inquiétante autant pour la démocratie que pour la culture. Dans notre histoire, culture et démocratie vont de pair. Les moments d'élan culturel accompagnent les conquêtes démocratiques. Quand la démocratie est affaiblie, la politique culturelle régresse. Nous en sommes là.

Les péchés originels de la HADOPI, je le rappelle, ne sont pas seulement des contresens culturels ; ce sont également des fautes démocratiques, qu'un pouvoir trop centralisé commet inévitablement. La loi HADOPI a voulu organiser la victoire des uns sur les autres, sanctuariser les rentes de situation et faire triompher des intérêts particuliers.

Le rapport Olivennes n'a pas permis de susciter le débat national que l'ampleur et la complexité du sujet rendaient nécessaire. Les accords de l'Élysée sont l'exemple même d'un contrat forcé, le pistolet sur la tempe. Un accord interprofessionnel ne saurait, à lui seul, servir de base à une loi sur les droits d'auteur qui, tel un point d'équilibre, doit toujours refléter un compromis social. Dans une démocratie malade, de tels signaux, c'est vrai, ne sont ni vus ni entendus.

Je me rappelle les divergences exprimées par des députés, qu'on s'est efforcé de faire taire dans les rangs de l'UMP. Je me rappelle également les appuis quémandés dans l'opposition, pour faire diversion. Or la position des socialistes, madame Albanel, Martine Aubry l'a clairement énoncée, et nous l'avons de nouveau exprimée tous ensemble cette semaine.

Je me rappelle enfin les voix rebelles, celles des internautes que l'on méprise, puisque ce sont évidemment des voleurs, et celles des artistes opposés à la HADOPI qu'on disqualifie, puisque ce sont des rêveurs.

Les artistes, toutefois, on les craint, puisqu'on les appelle à la raison et qu'on recourt à des méthodes d'intimidation pour les faire taire.

Avec la HADOPI, Nicolas Sarkozy avait découvert l'occasion de se proclamer protecteur des arts et des artistes. Il entrera plutôt dans l'histoire comme le chef des lobbyistes.

Oui, je reproche au Président de la République d'avoir construit cette opposition contre-nature entre le public et les artistes et d'avoir créé, une nouvelle fois, avec l'aide, c'est vrai, d'un grand nombre d'entre vous, une crispation hexagonale, pour mieux apparaître comme le shérif ou le messie. J'ai le regret de constater que de bons esprits sont tombés dans le panneau.

Les défauts de la HADOPI ont été abondamment dénoncés à cette tribune. Le retrait serait la sagesse , mais si cette vertu est inaccessible au Gouvernement, emporté qu'il est par son aveuglement, c'est alors à nous qu'il appartient de penser à l'après-HADOPI, car, mes chers collègues, la HADOPI est derrière nous, quel que soit le résultat de cette bataille d'arrière-garde.

Qu'elle ne soit jamais appliquée ou qu'elle soit, de fait, inapplicable, qu'elle soit enterrée par vous ou abolie par nous, la HADOPI est déjà loin derrière. Voilà pourquoi nous devons apporter d'autres solutions. Après ces semaines de débats et ces années de travail collectif, en réponse à une propagande bien huilée, mais désormais en panne, personne ne peut dire que les socialistes n'apportent pas dans ce débat des contre-propositions crédibles.

Nous revendiquons des principes clairs et mettons en débat des solutions concrètes.

Notre premier principe est de permettre à la révolution numérique de transformer radicalement la diffusion et l'accès à la culture. Si des modèles commerciaux doivent évidemment permettre la diffusion des oeuvres, il ne convient pas pour autant d'interdire la possibilité d'échanges non-marchands, dans un espace où la copie devient un acte de partage entre les internautes. La technologie le rend possible. Faut-il le condamner et faire marche arrière, si tant est que cela soit possible, ce dont je doute fort – ? J'évoque ici, évidemment, les échanges hors marché, autrement dit les échanges effectués à des fins non commerciales.

Il n'est pas question ici, contrairement à la caricature que vous faites de nos propositions, de légaliser des sites qui proposeraient gratuitement de la musique en encaissant au passage des revenus publicitaires sans rémunérer personne, non les faussaires qui revendent les disques après les avoir reproduits en masse.

Notre deuxième principe, que vous refusez d'entendre, affirme que la gratuité n'est pas le vol, puisque la gratuité de l'accès ne signifie pas l'absence de rémunération du travail de l'artiste. La gratuité prend sa place aujourd'hui dans les modèles commerciaux, notamment ceux qui sont financés par la publicité, suivant en cela les modèles de référence que sont devenues la radio et la télévision.

La gratuité s'est également installée massivement dans les espaces non-marchands. C'est en ce domaine que nous sommes appelés, sans délai, à trouver des contreparties financières équitables, en rappelant sans ambiguïté qu'il ne saurait y avoir de création durable sans rémunération.

Nous affirmons également – tel est notre troisième principe – que les droits d'auteurs sont plus que jamais nécessaires à l'âge numérique. Personne n'imagine la création sans le droit d'auteur. Martine Billard l'a rappelé : ni le droit moral ni les droits patrimoniaux ne sont incompatibles avec le numérique. Toutefois, il n'y a ici personne de raisonnable pour penser qu'il ne faut pas profondément adapter les droits d'auteurs.

Où sont les vrais combats ? Où sont les modernes Beaumarchais ? J'entends ces jours-ci invoquer Beaumarchais comme on invoquait Marx dans les démocraties populaires, sans jamais l'avoir lu. Or les combats des modernes Beaumarchais devront en priorité s'attacher à éviter que les prédateurs ne dévorent les créateurs.

Pendant que vous chassez le pirate, madame la ministre, c'est une bataille mondiale visant à contrôler la diffusion de la culture qui se joue, bataille dont les acteurs se nomment Apple, Microsoft et Google, les majors, les opérateurs de télécoms et bien d'autres. Si on veut, sans diaboliser qui que ce soit, protéger les artistes et si les sociétés de droits veulent faire ce pour quoi elles sont rémunérées, tels sont les chantiers qu'il convient d'ouvrir en urgence.

Nous apportons des solutions concrètes, ainsi que les modes d'emploi. C'est pourquoi, monsieur Riester, vous devez vous préparer à réviser encore durant plusieurs jours les propositions socialistes.

C'est ainsi que nous avons chiffré les revenus d'une "contribution créative" ou d'une "licence globale" pour la musique. Commençons donc par cette grande négociation avant de passer à une réflexion collective sur le cinéma !

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