…ceux pour lesquels on piétine les promesses faites à l'été 2004 à cette même tribune par le ministre de l'économie, devenu depuis Président de la république. Souvenez-vous : « EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées ! »…
J'en viens, pour terminer, au problème de la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Europe, qui s'éloigne de la polémique, mais sur lequel nous aurons à revenir car c'est un problème grave qui touche déjà d'autres pays européens, comme l'Allemagne. La France y échappe pour l'instant, mais, dans les années qui viennent, nous serons tous confrontés au problème de l'approvisionnement énergétique. Et si l'État perd la main, si nous nous en remettons aux actionnaires privés que je viens de stigmatiser, je crois que nous pouvons avoir les plus grandes craintes pour l'énergie de notre pays.
La politique européenne de l'énergie doit comporter une dimension de sécurité énergétique, car l'énergie n'est pas un bien de marché classique. Je crois que l'on parle trop sur ces bancs de l'énergie comme d'une marchandise ordinaire, ce qu'elle n'est pas.
Deux raisons fondamentales font que l'énergie ne peut être considérée comme un pur bien de marché : c'est une ressource dont l'offre est de plus en plus perçue comme limitée ; c'est une ressource très mal distribuée géographiquement.
L'énergie est de plus en plus perçue comme une ressource limitée, d'abord.
Ce concept de limitation de la ressource énergétique, apparu dans les années soixante-dix, se fait de plus en plus précis.
Cette menace de l'épuisement des ressources d'énergie fait bien sûr débat.
Il est évident que cette menace d'épuisement est lointaine, plus lointaine qu'on ne le dit, mais elle est bien réelle.
On peut toujours argumenter que la consommation des réserves connues d'énergie fossile s'accompagne de découvertes régulières de nouvelles réserves, et que ces découvertes repoussent toujours plus loin la frontière de l'épuisement, à la manière de l'horizon qui recule lorsqu'on s'en approche.
Mais que l'on soit partisan ou non du « pic » de production d'hydrocarbures, il n'en reste pas moins que nous allons vers un épuisement de la ressource, en tout cas sa limitation, et vers des difficultés économiques.
En tout cas, force est de constater que la montée en puissance des économies du tiers monde – la Chine, l'Inde, le Brésil – et la pression qui en résulte sur la demande mondiale d'énergie ont l'effet attendu d'une prise de conscience du caractère fini de la ressource fossile d'hydrocarbures, et que le prix de celle-ci augmente.
Les circuits d'approvisionnement sont façonnés par la géographie et par l'histoire.
La Commission veut raisonner comme si le libéralisme, les règles du marché devaient s'appliquer de façon uniforme partout à l'intérieur de notre continent européen. Or l'énergie n'est pas répartie de la même façon partout. L'Angleterre dispose encore, pour peu de temps, de ressources d'hydrocarbures. L'Allemagne, soi-disant antinucléaire, est avant tout charbonnière. Quant à la France, elle n'a comme ressource principale que ses centrales nucléaires. L'Europe est très diversifiée, et la Commission européenne, si elle condescend à réfléchir un peu au-delà de la réflexion sur le marché, l'économie et les bénéfices des actionnaires, devra se pencher sur ce problème, sur les circuits d'approvisionnement des pays de l'Est de l'Europe qui sont tournés vers la Russie, et sur ceux de la France qui sont davantage tournés vers la Méditerranée.
Il y a donc des gains considérables à bien utiliser, en matière d'énergie, les relations internationales, et la politique énergétique européenne doit faire à cette dimension diplomatique une part au moins aussi importante que celle qu'elle accorde à la constitution du marché intérieur de l'énergie.
Une politique de sécurité énergétique permettrait à l'Europe de jouer de son poids.
Une politique européenne de l'énergie axée exclusivement sur la concurrence génère des effets pervers en matière de sécurité énergétique.
Je ne vais pas développer ce point, car nous aurons sans doute d'autres occasions d'évoquer ce problème au cours de la législature. Mais nous avons un véritable déficit politique et la France aurait tout à gagner à plaider pour une véritable politique européenne des approvisionnements, plutôt que de céder à cette manie du marché et des prix venue des libéraux européens. D'ailleurs, le commissaire européen chargé de l'énergie sera auditionné ce mercredi 12 décembre par la commission des affaires économiques de l'Assemblée.
Les freins à la concentration consolident la faiblesse de la négociation européenne.
Enfin, et ce sera ma dernière remarque sur ce point, la constitution d'un oligopole européen va maximiser l'impact des chocs extérieurs. La politique européenne de la concurrence en matière d'énergie va conduire à la constitution sur le marché intérieur d'un oligopole européen, qui va se trouver en situation de répercuter toutes les hausses de coût de fourniture de l'énergie, en suivant plus lentement les mouvements à la baisse, du fait d'une imperfection du mécanisme de la concurrence.
En effet, le processus d' « atomisation » ne peut pas aller jusqu'à son terme, c'est-à-dire la constitution d'une multitude de petites entreprises – dont rêvent certains dogmatiques libéraux – sans pouvoir de marché, car il se heurterait au fait que les infrastructures énergétiques sont très lourdes, notamment en vue d'assurer la sécurité des dispositifs de transport et de distribution, et qu'il faut permettre l'exploitation des économies d'échelle possibles. La rentabilité des entreprises suppose qu'elles aient une taille leur assurant au moins de couvrir leurs coûts. La politique de la concurrence doit donc laisser subsister des entreprises d'une certaine taille.
Les économies d'échelle donnent un avantage aux entreprises plus grosses, qui ont donc tendance, pour continuer à grossir, à absorber les plus petites. Cette dynamique inévitable des fusions va finir par créer un oligopole européen d'entreprises, dans la mesure où les fusions successives seront fortement encadrées pour éviter la constitution de monopoles nationaux, sur le modèle de l'obstacle mis à la fusion EDF-GDF.
Cette situation crée un « effet de cliquet » sur le niveau des prix, qui vont monter sans difficulté à la suite de tout choc externe, mais qui vont avoir plus de difficulté à redescendre.
La même raison va d'ailleurs pousser les entreprises de l'oligopole à retenir leurs investissements, car une augmentation des capacités de production tend à accroître l'offre sur le marché, et donc à baisser les prix. La réaction immédiate des entreprises concurrentes de l'oligopole, qui vont ajuster leurs prix à la baisse pour défendre leur part de marché, va neutraliser le gain attendu d'une capacité supplémentaire de production. L'incitation à investir s'en trouve freinée. Ce dernier mécanisme est notamment l'une des composantes de la crise de l'électricité en Californie de l'hiver 2001, suite à la libéralisation de 1996. Retenez bien cet écart : cinq ans.
On perçoit là tous les enjeux d'un renforcement de la coordination des régulateurs européens, qui constitue un enjeu des directives en discussion, puisque la régulation nationale aura moins d'emprise sur les entreprises d'envergure européenne.
Mais cette situation fait apparaître que tout renforcement de la concurrence sur le marché intérieur doit impérativement s'accompagner de progrès dans la mise en place d'une politique de sécurité énergétique, pour atténuer autant que faire se peut les chocs externes qui verront leurs effets amplifiés par la structure du marché en oligopole.
Le plan d'action de mars 2007 a par ailleurs pris acte de la contribution de l'énergie nucléaire à la lutte contre l'effet de serre, en soulignant l'importance de la poursuite des recherches sur la sûreté nucléaire et sur la gestion des déchets radioactifs. C'est là une reconnaissance de l'efficacité du choix stratégique de la France ou de la Belgique en la matière, la Belgique produisant 55 % de son électricité à partir de centrales nucléaires. C'est une manière de laisser ouverte l'option pour d'autres pays membres, comme le Royaume-Uni, qui produit aujourd'hui 20 % de son électricité à partir de centrales nucléaires, et qui sera confronté à l'horizon 2015 à la diminution de ses ressources d'hydrocarbures.
L'état insatisfaisant de maturité de la politique européenne de l'énergie, trop exclusivement focalisée sur des principes de libéralisation, justifie pleinement le développement d'une nouvelle composante, centrée sur la sécurité énergétique.
Il s'agit en fait, dans le cadre d'une démarche dont on pourrait dire qu'elle relève d'un nouveau « fédéralisme industriel », de retrouver le chemin choisi par la France et les pays de la CECA en 1951 : le chemin d'une forte coordination pour renforcer les atouts de l'ensemble économique européen en lui donnant les moyens de gérer au mieux l'absorption des chocs extérieurs.
À cet effort pour développer une politique d'indépendance énergétique européenne, toutes les actions menées au service de la lutte contre l'effet de serre vont apporter indirectement une contribution substantielle. Au nombre de ces actions, l'option d'un développement de l'énergie nucléaire reste ouverte.
Vous voyez donc, mes chers collègues, que le problème des tarifs n'est pas l'alpha et l'oméga d'une véritable politique européenne et en est même, sous certains aspects, à l'opposé.
Nous n'avons pas de complexe à nourrir par rapport à la conception européenne de l'énergie.
Je le disais tout à l'heure, le commissaire européen chargé de l'énergie, M. Piebalgs, vient demain devant la commission des affaires économiques, et j'espère avoir, avec d'autres, l'occasion de lui dire que la libéralisation du marché et l'accroissement des tarifs ne sauraient être considérés comme une politique. C'est la volonté et l'ambition qui manquent. Et le modèle français, que votre politique met à mal, est un bon exemple de volonté publique en matière d'énergie.
Pour mieux attendre M. Piebalgs, je vous propose donc, mes chers collègues, de renvoyer cette proposition de loi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)