Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs, depuis le 1er juillet dernier, les ménages français peuvent désormais quitter leurs opérateurs historiques, EDF et GDF, et opter pour des offres de marché dont les prix sont librement fixés par les fournisseurs d'énergie.
L'ouverture totale du marché n'est pas sans créer de nouvelles difficultés pour les consommateurs. En effet, le consommateur qui a fait usage de son droit d'éligibilité aux tarifs de marché et qui veut comparer les prix entre différents fournisseurs a du mal à s'y retrouver : les contrats proposés ne sont pas comparables entre eux, car ils ne portent pas uniquement sur la fourniture de kilowattheures d'électricité, mais sur un panier de services. Or les paniers de services ne sont pas identiques d'un opérateur à un autre, ni même d'un contrat à un autre chez le même fournisseur. Imaginez la complexité de l'exercice !
De plus, l'information qui devait accompagner l'ouverture à la concurrence est restée fort modeste au regard des enjeux et des conséquences que pouvait entraîner le choix d'un nouvel opérateur pour les particuliers. Vous me répondrez qu'un site Internet et un numéro vert étaient mis à la disposition des usagers, mais tous les citoyens n'ont pas accès à Internet, que ce soit pour des raisons financières ou à cause des inégalités de couverture du territoire par le réseau, parfois à l'origine de difficultés d'accès à l'information. C'est le cas dans mon département, l'Ariège, où, face à la carence des pouvoirs publics d'informer le citoyen, c'est le syndicat départemental d'électricité qui a dû éditer et distribuer à ses frais à 65 000 foyers une plaquette explicative sur les conséquences concrètes de l'ouverture du marché aux particuliers – une initiative qui, me semble-t-il, ne relevait pas de sa responsabilité.
Le modèle économique que vous organisez vise à promouvoir une concurrence pure et parfaite dans le secteur de l'énergie, dont la libre pratique aboutirait d'office à la satisfaction optimale de tous les acteurs – consommateurs comme actionnaires. Dans la réalité, l'efficacité de la régulation purement concurrentielle paraît fort douteuse : depuis l'ouverture du marché à la concurrence, les prix sur le marché libre n'ont cessé de croître, jusqu'à atteindre des niveaux fortement pénalisants pour les entreprises qui ont choisi d'exercer leur éligibilité. Force est de reconnaître qu'en laissant faire le marché, on substitue au monopole public le secteur privé, qui cherchera avant tout à répondre aux exigences des actionnaires. La libéralisation des prix de l'électricité et du gaz revient en fait à remplacer la régulation et la maîtrise tarifaire politique par une concurrence accrue s'exerçant au profit de quelques grands groupes et au détriment des consommateurs tant professionnels que domestiques.
Ainsi, la libéralisation à marche forcée introduit de véritables désordres sur le marché de l'électricité et du gaz, bien plus qu'elle ne contribue à répondre aux enjeux publics de l'énergie que sont la sécurité d'approvisionnement, la modération des prix, la diversification énergétique et la lutte contre la fracture énergétique et les inégalités.
Le risque est grand de voir s'alourdir encore la facture énergétique des familles – qui représente déjà près d'un tiers de leur budget logement – car la régulation des tarifs, qui a exercé un effet modérateur important, est aujourd'hui gravement menacée par la fin des tarifs réglementés. EDF et GDF, deux acteurs du marché libéral qui ont, comme les autres, des objectifs de rentabilité financière et des actionnaires à satisfaire, n'ont aucun intérêt à ce que les tarifs réglementés soient maintenus ! Pourquoi vendre le kilowattheure à un prix réglementé quand ils pourraient le vendre au prix du marché et augmenter ainsi leur marge bénéficiaire ? Les dirigeants d'EDF et GDF reconnaissent d'ailleurs ouvertement souhaiter voir les tarifs augmenter pour rejoindre les prix du marché.
Il est important de rappeler qu'EDF et GDF ont à la fois des clients au tarif réglementé et hors du tarif, ce qui augmente le trouble, l'incompréhension et les occasions de méprise des consommateurs face à ces offres multiples. Les deux opérateurs historiques multiplient auprès de leurs propres clients les propositions d'offres constituées de nouvelles formules incluant des services divers – diagnostic, suivi personnalisé de facture, dépannage à domicile, offres duales – mais sans toujours leur expliquer clairement que le choix de l'une de ces offres les fera sortir du tarif réglementé.
C'est pourquoi il est nécessaire aujourd'hui de renforcer l'information et de ne pas fixer de date butoir pour bénéficier des tarifs réglementés, afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. L'échéance de 2010 est bien proche, et les mesures adoptées aujourd'hui n'auront qu'un effet limité. Au moment où le Gouvernement s'engage sur l'augmentation du pouvoir d'achat des Français, la suppression de cette échéance aurait constitué un acte concret.
En conclusion, permettez-moi d'évoquer les fortes inquiétudes des territoires ruraux et de montagne. En effet, on peut logiquement supposer que les offres commerciales des nouveaux fournisseurs seront plus facilement rentabilisées en zone urbaine qu'en zone rurale, où l'habitat est peu dense.