Au moment où vous vous apprêtez à voter, à la dernière minute, le principe de réversibilité totale, un verrou supplémentaire saute en faveur d'un rapprochement des tarifs vers les prix de marché.
Rappelez-vous, au mois de juin 2005, l'ancien ministre de l'énergie, M. Thierry Breton, avait signé un décret pour une augmentation du prix du gaz de 15,4 %, en trois fois. Curieusement, ce décret avait été publié au moment même où Gaz de France devait être mis en bourse et annonçait, dans son document de base remis à l'AMF, le doublement des dividendes aux actionnaires avant 2007 – de 420 millions, ils devaient passer à 840 millions d'euros.
De tels rendements financiers sont-ils acceptables dans le secteur énergétique ? La priorité n'est-elle pas à l'investissement industriel, au développement des infrastructures et des interconnexions gazières permettant la fluidification du marché, la solidarité énergétique et les approvisionnements gaziers en Europe, autant de chantiers qui imposeront des investissements coordonnés, lourds et de long terme ? Seront-ils réalisés à la hauteur des besoins, face à des actionnaires aussi exigeants ?
Dans tous les cas, ce sont bien les usagers qui font les frais de la déréglementation du secteur énergétique. On leur fait croire qu'ils paient la hausse des prix des matières premières, alors que tout porte à croire qu'ils paient aussi, et surtout, les dividendes des actionnaires.
On nous serine que les bénéfices des actionnaires sont nécessaires à l'investissement. Mais sans actionnaire, monsieur le secrétaire d'État, l'entreprise EDF-GDF avait pourtant réussi à investir massivement et durablement dans le secteur énergétique. Elle avait même réalisé la construction d'un parc nucléaire unique, maintenu des prix bas et produit des bénéfices suffisants pour couvrir ses coûts de production – approvisionnement, production, transport, rémunération des salariés. Tout cela avec des tarifs régulés, modérés, et contrôlés par l'État.
Dans le domaine électrique également, les évolutions en cours pourraient bien avoir des répercussions négatives sur le long terme pour les consommateurs. Ainsi, sous la pression du Conseil de la concurrence, l'opérateur historique a été contraint de baisser de 29 % ses prix de gros, « pour stimuler la concurrence », comme on dit. Les rivaux d'EDF reprochaient en effet à celle-ci de caler le prix de ses offres de gros, destinées à ses rivaux potentiels, sur celui du marché, alors que son parc de production, en grande partie amorti, lui permet, aux yeux de ses concurrents, de proposer de l'électricité à des conditions tarifaires bien plus intéressantes. La messe a été dite en faveur des opérateurs de distribution privés, si bien que ceux-ci se verront proposer à près d'un tiers de moins qu'il y a deux ans le prix du mégawatt.
Cette baisse faramineuse est-elle vraiment justifiée ? Je doute des bienfaits qu'en tireront les consommateurs. En effet, si les distributeurs privés diminuent probablement un peu leurs prix pour gagner des parts de marché, bien malin qui peut assurer qu'ils ne les élèveront pas ensuite, pour grossir leurs marges bénéficiaires, une fois qu'ils auront gagné quelques clients. N'oublions pas en effet que le principe d'irréversibilité est toujours aujourd'hui en vigueur ! Ces marges-là n'iront pas à l'investissement industriel, soyons-en sûrs !
En fait, les effets à long terme d'un tel changement risqueraient bien d'affecter les consommateurs moins positivement que les distributeurs d'énergie.
Ainsi, si le parc de production existant d'EDF est bel et bien en partie amorti, les besoins en investissement futurs sont cependant réels, en raison des besoins en électricité domestiques et industriels qui vont croissants dans notre pays, de l'arrivée en fin de vie de certaines centrales et des coûteux besoins de maintenance des centrales nucléaires et hydrauliques. Autant d'éléments qui justifient, en fait, un prix de vente de l'électricité qui permette d'investir dans les équipements nécessaires.
C'est selon ce principe que l'entreprise a fonctionné jusqu'à récemment. C'est selon ce principe que la sécurité des installations a été assuré, et que des investissements massifs ont pu être réalisés. Comment ne pas voir qu'en baissant les prix de vente aux distributeurs privés, l'entreprise sera contrainte de se serrer la ceinture, pour parler un peu vulgairement, et d'avoir recours à l'emprunt pour réaliser ces investissements nécessaires à la sécurité des installations et au transport d'électricité ? EDF répercutera-t-elle l'amortissement de ses taux d'intérêt dans le prix de vente aux particuliers ? Sans doute. Ou rognera-t-elle sur certains investissements pour moins emprunter ? Possible aussi. Quoi qu'il en soit, le bilan risque fort d'être négatif pour les consommateurs. Nous ne cautionnerons pas un tel système.
Je l'ai déjà dit, monsieur le secrétaire d'État, mais peut-être pas à vous directement, si vous nous apportez la preuve que la concurrence est bonne pour les prix, pour les consommateurs, pour la sécurité énergétique ainsi que pour la sécurité d'approvisionnement, la sûreté des installations, l'environnement, l'aménagement du territoire, et les conditions de travail des salariés, il n'y a aucune raison pour que nous refusions la mise en concurrence. Mais voilà, nous attendons toujours cette démonstration !
Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir demandée. À chaque débat énergétique dans cet hémicycle, nous avons, notamment par voie d'amendement, proposé la réalisation d'un bilan par le Parlement, pour comprendre les conséquences de la libéralisation du secteur. Mais vous vous refusez avec toujours autant d'entêtement à évaluer, la tête froide, la pertinence de décisions prises par les institutions communautaires et les États membres au début des années quatre-vingt-dix, alors même que plusieurs éléments devraient vous inciter à réfléchir : les diverses pannes d'approvisionnement dans les pays précurseurs de la libéralisation, la flambée des prix du marché dans le secteur industriel, le sous-investissement qui menace dans le secteur électrique.
Je le répète, la transparence doit être faite à ce sujet ! Pourquoi, si le système économique que vous défendez est si transparent, notre demande d'un rapport sur le bilan de l'ouverture à la concurrence dans le secteur énergétique n'est-elle pas entendue ? Quelles marges les entreprises privées se font-elles ? Finalement, dans ce débat, qui sont les idéologues ? Qui sont les pragmatiques ?
Certes, relation de concomitance et relation causale sont deux choses distinctes. Mais, à tout le moins, l'accumulation de dysfonctionnements concomitants de la dérégulation du secteur aurait-elle mérité que les représentants du peuple cherchent à comprendre les causes de ces dysfonctionnements avant de faire plonger notre secteur énergétique dans la vague libérale. Mais il n'est jamais trop tard, et je vous proposerai un amendement supplémentaire sur ce fameux bilan pour que vous puissiez saisir votre chance.
Au final, la proposition de loi feint d'apporter une forme d'amélioration pour les consommateurs, mais pour deux ans et demi ! Pourtant, les risques inhérents à la mise en concurrence du secteur de la distribution perdurent. Ainsi, le risque de propositions alléchantes pour accrocher le client, en particulier ceux qui peinent à payer leurs factures, est toujours bien réel, sans espoir de retour, avec, au bout, l'aggravation des difficultés. J'y vois là un motif suffisant pour ne pas délibérer.
Ce texte n'est pas autre chose qu'une tentative de sauver la dérégulation en en corrigeant l'un de ses excès. Il passe à côté de l'enjeu fondamental du secteur : à quoi doivent servir les bénéfices d'une activité essentielle pour le bien commun de toute une société ?
Il n'apporte aucune garantie réelle sur le maintien de la maîtrise par la puissance publique des prix de l'énergie. Le maintien des tarifs régulés est pourtant un impératif. C'est à cette seule condition que le pays peut garantir à nos concitoyens une modération tarifaire et une égalité entre les usagers.
Ce texte laisse de côté l'épineuse question de la péréquation permettant un tarif unique sur l'ensemble du territoire, à un coût relativement limité. Il délaisse aussi la question du contrôle des prix des biens publics que sont le gaz et l'électricité.
Nous plaidons pour notre part pour la création d'une commission pluraliste de contrôle des prix, dont la mission serait de vérifier l'application de la formule tarifaire, à l'origine de la fixation des prix du tarif régulé. Cette commission serait constituée de dirigeants des opérateurs historiques, des syndicats représentant le personnel, d'associations de consommateurs et d'élus, nationaux et locaux.
Finalement, vous vous contentez de prendre en compte, à la marge, un aspect de l'intérêt des consommateurs, qui a certes son importance, mais refusez, une fois de plus, de poser les vraies questions de fond, témoignant de votre entêtement à libéraliser et à privatiser coûte que coûte, sans jamais apporter le moindre début de preuve du bienfait de tels choix pour les ménages et pour la société. Dans ces conditions, votre texte ne peut faire l'objet de notre part que d'un vote négatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)