Ce n'est pas seulement une boutade. Je le dis solennellement : il faut être très prudent. Ce fonds n'est pas un jouet : c'est beaucoup d'argent. Il faut avoir des doctrines, garantir les positions. Il faut renoncer à investir dans telle ou telle affaire – par exemple dans un groupe équipementier automobile rencontrant des difficultés depuis des années – où l'on risquerait d'engloutir des sommes considérables sans avoir la certitude de faire oeuvre utile. Il faut avoir un peu de recul. C'est d'ailleurs la raison d'être de la Caisse des dépôts, qui agit en investisseur avisé, et en toute autonomie : le directeur général de la Caisse est inamovible pendant cinq ans. Pendant cent quatre-vingt-dix ans, quels que soient les gouvernements, on a su qu'il fallait que la Caisse soit loin de Bercy et, autrefois, de la Rue de Rivoli.
La question de la gouvernance, que je viens d'aborder, mérite d'être posée. Je ne doute pas des compétences de la présidente du comité d'investissement, Mme Barbizet –espérons qu'elle sera tout aussi compétente pour l'intérêt public qu'elle l'a été pour M. Pinault. Mais elle a été nommée avant que le conseil d'administration ne soit créé, avant que le directeur général du fonds ne soit connu. Je n'ai jamais vu cela dans aucune société ! Et elle a été nommée par une personne – le Président de la République – qui ne détient pas la majorité dans le capital. Aussi clairvoyant soit-il – et, étant républicain, je suis respectueux du Président de la République –, il n'a pas à nommer le président du comité d'investissement, pas plus qu'il n'a à nommer M. Dehecq président du comité d'orientation. Si ce fonds n'est pas un jouet au service du pouvoir exécutif – ce que je ne crois pas –, il doit servir à éviter que des secteurs entiers, notamment dans l'industrie, mais peut-être aussi dans les services, ne soient sous-capitalisés, avec des risques d'OPA substantiels de la part d'autres fonds souverains, voire de fonds privés qui, à un moment donné, reviendront saisir les opportunités.
Je le répète, nous souhaitons qu'une doctrine soit définie pour l'investissement. On doit savoir dans quel secteur travailler car, avec 6 milliards, on ne pourra pas agir tous azimuts.
D'autre part, il faudra monter progressivement en charge. Ce n'est pas un secret, l'État apporte une petite partie de France Télécom dans ses 7 milliards d'actifs. Or France Télécom est cessible, sa cotation n'ayant pas dégringolé comme la plupart des valeurs du CAC 40. Mais d'autres actifs, qui peuvent être apportés par la Caisse ou par l'État, ne sont pas obligatoirement cessibles dans l'immédiat : il vaut mieux attendre de retrouver une valorisation correcte et il serait dommage d'être obligé de vendre trop tôt. Si nous dépensons trop vite les 6 milliards en numéraire, nous serons contraints de vendre une partie des actifs apportés, ce qu'il conviendrait d'éviter dans les six prochains mois.
Sans esprit polémique, mais avec fermeté, je répète qu'on n'a pas le droit de jouer avec cela, car des centaines de milliers d'emplois sont en jeu. Il est un peu dommage que, à l'occasion de l'examen du plan de relance, la question du FSI ne soit pas au centre des préoccupations. La Caisse des Dépôts a 51 % ; c'est son directeur général qui est le président du fonds ; elle est donc responsable : dans ces conditions, quel est le niveau d'autonomie du fonds ? Tout cela, mon collègue Michel Bouvard, ici présent, pourra le dire mieux que moi, avec sa sensibilité politique, forcément différente de la mienne.