Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 7 janvier 2009 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2009 — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Cette crise, comme celle de 1929 à laquelle on l'a comparée, comporte deux faces. La face émergée, c'est évidemment la crise financière. Des exigences de rentabilité incompatibles avec l'économie réelle, entretenues par la multiplication d'innovations financières, se sont effondrées lorsque les anticipations des marchés se sont retournées. Ces exigences n'ont pu tenir que dans la phase où la multiplication des innovations financières ont permis un décalage en s'appuyant sur l'appréciation des actifs financiers.

Mais il y a aussi une face cachée à la crise : la pression constante sur les salaires résultant de ces exigences de rentabilité qui, dans tous les pays, mais particulièrement aux États-Unis, a profondément creusé les inégalités entre les revenus salariaux et les revenus du capital et conduit les familles les plus modestes à s'endetter massivement pour acheter leur logement. Le salaire médian américain n'a pas augmenté pendant dix ans, et c'est pour l'essentiel, l'endettement qui a nourri la croissance américaine. Ce n'est donc pas un hasard, si nous ne cessons de vous rappeler l'importance du pouvoir d'achat.

Nous ne sommes déjà plus dans une récession ordinaire. Nous sommes déjà entrés dans une phase où la politique monétaire, après avoir été impuissante à résoudre une crise de liquidités – puisque pour la première fois, il a fallu une intervention massive des États pour garantir le crédit interbancaire alors que ce n'est pas leur rôle –, est aujourd'hui quasi impuissante à répondre à l'ampleur de la récession et à stimuler l'activité économique. Pour sortir de la récession, des relances budgétaires massives sont indispensables.

Il n'est possible de sortir de la crise qui ne fait que s'amplifier depuis l'été que par une politique qui prendra réellement en compte tous ses aspects.

La réponse en matière de régulation internationale – quasi inexistante – n'est pas à la hauteur de la crise.

La politique que vous conduisez depuis dix-huit mois est en complet décalage. Une politique économique digne de ce nom consiste à anticiper les situations. Or les mesures que vous avez prises sont en porte-à-faux avec la réalité économique, et cela vaut également pour le plan de relance dont nous sommes saisis.

La réponse européenne, non plus, n'est pas à la hauteur.

Si, contrairement à la crise de 1929, les gouvernements ont su réagir rapidement pour éteindre – au moins provisoirement – l'incendie financier, ils n'ont cependant pas pris la dimension du changement profond qu'il faudrait introduire dans la régulation mondiale pour répondre réellement à cette crise.

Après la crise de 1929, Roosevelt a pris des mesures radicales, en séparant les banques d'affaires des banques de dépôt, ces dernières devant assumer une sorte de mission de service public : accueillir les dépôts des particuliers et leur accorder des crédits. Les États avaient la charge de préserver cette mission de service public. Quant aux banques d'investissement, elles pouvaient se permettre de faire de la spéculation, mais si elles prenaient des risques les États n'avaient pas à leur venir en aide.

De la même façon, avec le New Deal, Roosevelt a introduit le rôle de l'État dans le soutien de l'activité économique et jeté les bases de l'État-providence, qui n'existait pas aux États-Unis. Il a su conduire un véritable changement structurel. C'est cette généralisation des politiques publiques conjuguée au développement de l'État-providence et à une économie financière fortement régulée qui a contribué à la croissance des trente années où prévalait le système de Bretton Woods.

Il y a, aujourd'hui, un fossé entre les moyens mobilisés par les gouvernements pour éteindre l'incendie financier et l'absence quasi totale de régulation. Commentant les plans de sauvetage des banques, Joseph Stiglitz écrivait en décembre dernier : « des centaines de milliards ont été dépensées pour préserver des institutions en dysfonctionnement. Mais rien n'a été fait pour revoir leurs structures perverses d'incitations, qui encouragent des prises de risques excessives ».

La première condition pour rétablir la confiance dans le système financier mondial, c'est de faire en sorte que les banques fassent leur métier. Leur métier, c'est prêter, ce n'est pas de spéculer sur les marchés financiers ou d'accorder des crédits en se défaussant immédiatement des risques correspondants par la titrisation ou les produits de couverture, comme cela s'est pratiqué pendant des décennies.

On s'étonne aujourd'hui des prises de risques excessives qui ont conduit à la crise alors que toutes les innovations financières des deux dernières décennies ont consisté à inventer des instruments de défausse systématique des risques de crédit. En 2003, Warren Buffet, qui n'est pas un enfant de choeur en matière financière, qualifiait les produits dérivés d'armes de destruction massive.

On ne peut pas continuer avec un système financier où l'activité de casino l'emporte sur l'activité économique, où le capital financier représente quinze fois le produit intérieur brut mondial et où celui qui prend des risques et qui fait courir des risques à son institution ou au système financier mondial n'en supporte pas les conséquences. Les traders sont rémunérés en fonction des gains qu'ils obtiennent, mais ils ne supportent pas les pertes. Il en va ainsi pour l'ensemble du système financier. C'est, en effet, l'argent du contribuable qui a sauvé les banques qui ont pris le plus de risques ! Nous sommes dans un système qui pousse à la prise de risques. Lorsqu'il y a des profits, ils restent privatisés. Mais en cas de pertes, celles-ci sont, hélas, socialisées.

Pour que la confiance revienne, il faut mettre rapidement en oeuvre un nouveau système de régulation s'appliquant à toutes les institutions de crédit. Il faut limiter les effets de levier. Un minimum de régulation aurait pu éviter la faillite de banques comme la banque Bear Stearns qui a fait des placements d'un montant de plusieurs centaines de milliards. Il faut obliger les institutions qui accordent le crédit initial à porter l'essentiel du risque, ce qui implique une véritable réforme du système. En outre, il faut mettre fin aux paradis fiscaux. Si les grandes nations européennes et américaines s'accordaient pour ne pas accepter des transactions avec les paradis fiscaux, on pourrait en finir avec eux. S'il est un domaine dans lequel l'Europe a un rôle à jouer, c'est bien celui-là. L'union monétaire européenne, qui représente un pôle de stabilité, pourrait donner l'exemple en matière de régulation financière.

S'agissant de la relance de 1981 que vous avez évoquée, je rappelle que le déficit extérieur qui a conduit à changer de politique économique s'élevait à 79 milliards de francs, soit 12 milliards d'euros, contre 55 milliards aujourd'hui ! Depuis 2003, le déficit extérieur n'a cessé de croître. Si l'union monétaire n'existait pas, il y a longtemps que la France aurait dû dévaluer et aurait connu des crises de change.

D'une certaine façon, votre gouvernement – celui de M. Fillon – peut donc remercier MM. Mitterrand et Delors d'avoir su faire l'union monétaire, protégeant ainsi notre économie de crises de change…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion