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Intervention de Martine Billard

Réunion du 12 mars 2009 à 10h00
Protection de la création sur internet — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Madame la présidente, madame la ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, bien des raisons justifient le renvoi en commission du projet de loi relatif à la création sur Internet. Elles portent tant sur le fond que sur la forme de nos travaux. Dans la mesure où les droits d'auteur et droits voisins sur Internet constituent une matière législative particulièrement technique, il serait nécessaire que la commission des lois, celle des affaires culturelles et celle des affaires économiques, qui ont pris des positions contradictoires sur nombre de dispositifs du texte – par exemple sur l'interopérabilité –, puissent de nouveau en débattre sereinement.

Le Gouvernement n'avait pas ménagé les artifices de procédure pour faire passer en force le texte de la loi DADVSI. Certes, nous légiférons aujourd'hui sur la base du rapport de Denis Olivennes – à l'époque PDG de la FNAC –, mais il ne serait pas moins indispensable de disposer d'un bilan de cette loi. Nous aimerions savoir, en effet, pour quelles raisons la majorité UMP s'est finalement rangée à l'idée qu'elle serait inadaptée et déjà obsolète – ce que l'opposition n'avait cessé de répéter lors des débats de 2005-2006.

À l'époque, la majorité de l'Assemblée affirmait de façon péremptoire, au mépris des mises en garde lancées par les acteurs des cultures numériques, notamment ceux du mouvement qui défend le principe des logiciels libres, que la protection juridique des « mesures techniques de protection » – DRM, en anglais – était le seul moyen de sauver la création : reconnaît-elle aujourd'hui s'être trompée ? Il est désormais avéré que ces DRM ne remplissent pas le rôle de protection des droits des créateurs. Et ce sont aujourd'hui les majors de la musique qui abandonnent ces dispositifs de contrôle anti-copie, tant ceux-ci sont rejetés par les consommateurs qui se retrouvent empêchés de jouir légitimement de leurs droits sur des biens qu'ils ont acquis légalement. On peut citer l'exemple de la plateforme multimédia MySpace sans DRM, lancée il y a plus d'un an par quatre majors. Les DRM sont donc abandonnées, mais les plateformes multimédias sont toujours inaccessibles au logiciel libre, et les rémunérations des artistes ne sont pas améliorées !

L'article 52 de la loi DADVSI fait obligation au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre de ladite loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation et précise : « Ce rapport comporte un chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d'une plateforme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve absent de l'offre commerciale en ligne, de mettre ses oeuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d'en obtenir une juste rémunération. » – cette dernière phrase étant issue d'un amendement de notre collègue Frédéric Dutoit. Le renvoi en commission permettrait de laisser au Gouvernement le temps de nous présenter ce fameux rapport d'application, dont nous aurions dû avoir communication dès l'an dernier.

Un autre point de forme plaide pour le renvoi en commission. Contrairement aux affirmations du Gouvernement et du rapporteur, les conclusions du rapport de la mission Olivennes ne font en rien consensus parmi les professions concernées par la protection des droits d'auteur et de la création sur Internet. Ainsi, alors que le rapporteur qualifie d'« historique » et d'« exemplaire » l'accord signé, le 23 novembre 2007 à l'Élysée, entre quarante-deux organisations réunissant les fournisseurs d'accès à Internet, des chaînes de télévision, des représentants des ayants droit de l'audiovisuel, du cinéma et de la musique, nous apprenons ces derniers jours par voie de presse que plusieurs représentants des FAI récusent leur signature de cet accord et expliquent que les négociations se sont faites sur des bases bilatérales avec le négociateur Olivennes, et non multilatérales dans le cadre d'une discussion commune. Ils auraient signé un texte dont ils ne connaissaient pas le contenu ! Avouez qu'il y a là motif à organiser de nouvelles auditions devant les commissions pour connaître le fin mot de l'histoire et savoir quelle est la position réellement défendue par les FAI.

Ce texte s'apparente à un tel bourbier juridique que M. Pierre Kosciusko-Morizet, président de l'association pour le commerce et les services en ligne, qui ne représente pas moins de cent quatre-vingts entreprises, juge que le projet de loi « date un peu et n'est pas tellement adapté ». Il demande « un moratoire de six mois » pour donner au Gouvernement le temps de réécrire sa copie. Six mois : c'est précisément le temps nécessaire à la représentation nationale pour retravailler le texte après son renvoi en commission !

Cela permettrait en outre de revenir sur les causes de la censure constitutionnelle décidée à l'été 2006 contre les dispositifs qui prévoyaient déjà une « riposte graduée » en trois étapes, en cas de téléchargements illicites. Or la finalité même du texte relatif à la diffusion et à la protection de la création sur Internet est d'instituer une Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet – HADOPI – pour réintroduire la riposte graduée censurée en 2006. Comme le téléchargement est difficile à prouver, à moins d'aller inspecter le disque dur de la personne suspectée, le Gouvernement a cherché un autre critère d'incrimination et n'a rien trouvé de mieux que d'obliger les particuliers à installer un logiciel de sécurisation de leur poste et, en cas de défaut d'installation, de les rendre responsables de tout téléchargement jugé illicite par les représentants des ayants droit.

À propos de cette question centrale de l'obligation de sécurisation, Fabrice Le Fessant, chercheur à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique et enseignant en informatique à l'École polytechnique, indique, dans une note diffusée le 16 février dernier, que « cette loi est inadaptée à un certain nombre de caractéristiques techniques des réseaux et d'Internet ». La note met en évidence que « le système d'identification du coupable, fondé sur l'adresse de la connexion Internet, implique une sécurisation de l'installation informatique, hors de portée des simples particuliers ». Les grandes entreprises salarient des experts en informatique pour la maintenance de leurs postes et la protection de leurs accès au réseau ; nous ne pouvons en attendre autant de particuliers. Les députés peuvent d'ailleurs constater eux-mêmes que, malgré toutes les protections dont sont dotés leurs postes de l'Assemblée nationale, de nombreux spams arrivent encore à passer, dont certains sont d'ailleurs assez désagréables. Du reste, la première faille de sécurité est souvent le logiciel : un grand éditeur de logiciels a dû effectuer quarante-neuf mises à jour critiques de sécurité en 2006 et quarante-trois en 2007, car des failles permettaient à un intrus de prendre le contrôle de l'ordinateur. Quant aux connexions sans fil, chacun sait qu'il est facile de se connecter sur un réseau wi-fi qui n'est pas le sien.

Les réseaux de pair à pair vont migrer vers les nouveaux réseaux sociaux « d'amis à amis », beaucoup plus difficiles à contrôler. Je crois, mes chers collègues, que nous devrions auditionner les experts de l'INRIA, afin d'éviter un faux pas législatif.

Mais je voudrais aussi, madame la ministre, vous interpeller à propos de spams que nous recevons en ce moment et qui sont envoyés par une liste de diffusion appelée « J'aime les artistes ! ». Je les reçois sur ma messagerie personnelle : cette intrusion dans ma vie privée est un peu surprenante. Je me suis demandé qui était derrière « J'aime les artistes ! » et j'ai découvert que ces pourriels étaient envoyés par la société Push It Up, qui s'exprime ainsi sur son site : « Push It Up conçoit vos campagnes Internet, intégrant la recherche de relais et supports, la diffusion de spots viraux… De la création d'outils marketing classiques à la réalisation de mini-sites satellites, en passant par des campagnes de mots clés, emailing ciblé, jusqu'au marketing viral. » Des « spots viraux » ! Du « marketing viral » !

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