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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 20 novembre 2008 à 9h30
Création de la commission prévue à l'article 25 de la constitution et élection des députés — Article 1er, amendement 35

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Pour une fois, vous avez raison, monsieur le secrétaire d'État, la constitutionnalisation d'une telle commission est quelque chose de nouveau dans notre histoire juridique. Cela mérite que l'on s'y intéresse parce que nous avons constitutionnalisé l'indépendance d'une commission, sans que personne n'ait été capable de préciser au mois de juillet ce qu'est l'indépendance.

Nous étions, nous, attachés au pluralisme de la commission, mais, puisqu'il est question d'indépendance, il est important que la commission présente des gages d'impartialité, car, par essence, même si l'on peut le regretter, le traditionnel travail de ciselage des circonscriptions est rarement politiquement neutre. Souffrez donc que l'opposition se méfie des moyens prévus pour procéder au redécoupage.

Ce type d'opération, Christophe Caresche l'a très bien expliqué tout à l'heure, fut dans le temps réservé au Parlement souverain. Aujourd'hui, c'est l'exécutif qui pratique les découpages, mais il fut des régimes antérieurs qui n'étaient pas si condamnables qu'on veut bien le croire où c'est le Parlement qui procédait, et c'était assez logique, aux redécoupages.

La commission existe, mais nous en contestons la composition, et avec d'autant plus de force quand nous regardons ce qui se passe ailleurs. Les Français ont une espèce d'incapacité à s'inspirer de ce qui marche à l'extérieur. M. Dosière a parlé du Québec. Au Royaume-Uni, la commission en question est présidée par le speaker, dont les qualités d'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif sont avérées quels que soient les sujets. L'on peut aussi s'inspirer utilement de l'Australie, du Canada, de l'Allemagne, du Portugal. Partout, une telle commission est, par la partialité de sa composition, beaucoup plus crédible.

Si l'on veut rester en France, regardons notre passé et, notamment, ce qu'ont proposé des comités ayant travaillé sur cette question, animés par des personnages éminemment respectables comme Georges Vedel ou Édouard Balladur.

En 1993, le doyen Vedel, qui, à la demande du Président Mitterrand, avait animé une commission de réforme du mode du scrutin, proposait une commission composée de membres des juridictions administratives et judiciaires.

C'est la tradition que vous évoquiez tout à l'heure, même si, à titre personnel, j'émets les mêmes réserves que mes collègues. Je ne vois pas en quoi un magistrat de la Cour des comptes serait compétent en matière de découpage électoral, ce n'est pas parce qu'il s'occupe des comptes de campagne qu'il a une quelconque expertise en la matière. Mais, foin de ces remarques de mauvais coucheur, admettons que la tradition s'impose et continuons.

Le comité Vedel proposait donc que la commission soit composée de membres des juridictions administrative et judiciaire, ainsi que d'experts dans les disciplines de la démographie, de la géographie et des sciences politiques. C'est exactement ce que suggérait le comité Balladur dans ses recommandations rendues au Président de la République.

Voici d'ailleurs ce que nous affirmait au mois de juillet Mme la garde des sceaux en défendant le projet de réforme constitutionnelle : « Je vous précise que cette commission sera composée d'experts. Ce seront des démographes, des statisticiens, des juristes et des experts en droit électoral. » Ce n'était pas une simple observation en l'air puisque Mme Dati a confirmé ses propos au Sénat : « Nous souhaitons qu'y siègent également des experts, par exemple des statisticiens. »

La France appartient au Conseil de l'Europe. Il y a, à côté, un organisme consultatif qui s'appelle la commission de Venise, dont, j'imagine, les travaux vous éclairent. Elle a fait des propositions en matière de redécoupage électoral, qu'elle a qualifiées de code de bonne conduite en matière électorale et adoptées lors de sa cinquante-deuxième session. C'était il y a quelques années, le 18 et le 19 octobre 2002, mais l'avis qu'elle émettait est tout aussi pertinent.

Elle souligne que, pour opérer un découpage loyal, les pays membres du Conseil de l'Europe devront prendre l'avis d'une commission indépendante comprenant en majorité des membres indépendants, de préférence des géographes, des sociologues et des représentations équilibrées des partis.

En dépit de tous ces conseils et de toutes ces invitations, le Gouvernement est revenu à une composition beaucoup plus traditionnelle puisque vous nous proposez ce que l'on connaît pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, avec la même source, le Président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale. Nous ne pensons malheureusement pas que le CSA soit indépendant.

Nous sommes donc extrêmement attentifs à cette composition, d'autant qu'il n'y a pas dans la constitution française de dispositions expresses sur la répartition des sièges ou les critères de découpage qui auraient parfaitement pu y figurer. Je vous renvoie pour comparaison à l'article 16 de la constitution irlandaise ou à l'article 49 de la constitution belge.

Cette commission ne pourra donc, a minima, presque a posteriori, comme l'a très bien dit Bruno Le Roux, suivre la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

C'est la raison pour laquelle nous proposons, par cet amendement, que les magistrats ne soient pas en majorité dans la composition de la commission, et que l'opposition y figure. Ainsi, la commission ne sera peut-être pas indépendante, mais elle sera au moins pluraliste.

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