Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous invite, deux ans après la loi DADVSI, à examiner un nouveau texte consacré, pour l'essentiel, au téléchargement. Il en a même déclaré l'urgence, comme s'il s'agissait d'une priorité absolue dans l'état actuel de crise économique et sociale ! À l'évidence, il semble mettre beaucoup plus d'ardeur à traquer le quidam derrière son ordinateur qu'à lutter contre d'autres formes de fraude qui nuisent plus gravement à notre pays.
Nous sommes tous d'accord pour lutter efficacement et avec détermination contre toutes les formes de trafic qui nuisent à la création, aux artistes ou à la filière cinématographique. Mais encore faut-il analyser correctement la situation, afin de concilier les exigences culturelles, la protection des libertés publiques et les évolutions économiques de secteurs artistiques en mutation.
S'il n'était pas dangereux pour notre économie et notre conception de la justice, s'il ne stigmatisait pas la jeunesse, nous pourrions examiner ce texte aussi vain qu'illusoire sans en débattre vraiment. Il présente en effet quatre défauts majeurs : il est inadapté à la lutte contre le piratage de la musique, qui constitue l'essentiel du téléchargement ; il est techniquement inefficace ; il est anti-économique ; il est dangereux pour les libertés publiques.
Le projet de loi est inadapté pour lutter contre le piratage de la musique, car le Gouvernement nous propose de lutter contre l'échange de fichiers en peer to peer au moment même où les internautes passent au streaming. Le téléchargement de musique va rapidement devenir ce que le microsillon a été au CD : un objet de collection. La musique ne se stocke plus vraiment, encore moins chez les plus jeunes : elle s'écoute en continu, jusqu'à donner l'envie d'aller au concert ou d'acheter l'album. Madame la ministre, vous confondez l'écoute, c'est-à-dire l'accès, et l'achat, c'est-à-dire l'appropriation.
La technologie d'aujourd'hui permet simplement de faire plus facilement et dans de meilleures conditions ce que la plupart d'entre nous ont pratiqué autrefois, quand nous enregistrions sur cassettes les disques empruntés à des amis faute de pouvoir les acheter. Il faut en effet admettre que jamais personne n'achètera toutes les musiques qu'il écoute, ne serait-ce que parce que le prix des originaux est trop élevé pour un pouvoir d'achat en berne.
En outre, les évolutions technologiques à venir feront qu'il sera toujours possible d'écouter et d'enregistrer gratuitement. Avec ou sans Internet, l'enregistrement de programmes musicaux diffusés par les futures radios numériques permettra à tout un chacun d'alimenter son MP3 sans risque, et en son numérique !
Sur le plan strictement artistique, le téléchargement payant proposé par les majors concernerait, nous dit-on, quatre millions de titres – beaucoup moins en réalité, compte tenu des rééditions, des compilations ou des remasterisations. En tout état de cause, ne sera concernée qu'une infime partie du patrimoine mondial auquel la technologie permet d'accéder.
Après avoir entendu, madame la ministre, vos propos sur la révolution numérique, on pourrait craindre la disparition des usages culturels parmi les générations dites digital native, c'est-à-dire familières des technologies de l'information et de la communication. Or, une étude réalisée par votre propre ministère et publiée par Culture Prospective montre que les nouveaux usages des jeunes ne sont pas exclusifs. Je cite : « Les pratiques artistiques amateurs, la fréquentation des équipements culturels et la consommation médiatique se maintiennent auprès des jeunes générations où l'usage de l'Internet apparaît lié à un intérêt plus global pour la culture et l'information ».
En vérité, le fonds de l'affaire est pour vous de préserver les majors de l'industrie du disque, à défaut de sauver les artistes. Pensez-vous que les fabricants de bougies aient été favorables à l'arrivée de l'électricité ?
Votre projet de loi est inefficace d'un point de vue technique, car l'identification par les adresses IP est totalement illusoire ! Contourner les IP est un véritable jeu d'enfants pour les internautes les plus avertis. Les pirates sont déjà prêts à faire face à la riposte graduée. Les moyens de filtrage qui seront mis à la disposition des internautes sont par nature contournables ; le Wi-Fi est perméable et vous savez également qu'il existe des trafics d'identifiants IP.
En réalité, les filets de l'HADOPI laisseront inévitablement passer les vrais trafiquants. L'évolution de la technologie et le caractère très inégal des connaissances de l'informatique condamnent la future Haute Autorité a n'attraper que Monsieur et Madame Tout-le-monde, qui seront le plus souvent de bonne foi.