Madame la ministre, je dois vous avouer que mon attente a été déçue par ce que j'ai pu lire dans le rapport et dans le projet de loi lui-même. Nous avions au moins en commun la conscience qu'il faut lutter contre le piratage des oeuvres et la copie illimitée, que ce nouveau mode de diffusion des oeuvres ne doit surtout pas accentuer le fossé entre les artistes et le public internaute.
Or, nous avons été extrêmement déçus, puisque aucune rémunération supplémentaire n'est prévue pour les artistes. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
On sait – de nombreux orateurs l'ont d'ailleurs dit – que la situation sociale et matérielle de beaucoup d'artistes et d'interprètes est extrêmement précaire, et que la majorité d'entre eux sont en fait des intermittents du spectacle, qui ont d'ailleurs beaucoup de mal à obtenir assez de cachets pour obtenir le statut d'intermittent. Nombre de nos collègues parisiens savent, la plupart des intermittents étant concentrés sur la capitale, qu'une bonne partie d'entre eux perçoivent des revenus inférieurs au SMIC et mènent, pour poursuivre leur passion artistique, des vies extrêmement difficiles, et qu'aucun système de retraite complémentaire ne vient améliorer la faible retraite des artistes-interprètes.
Nous sommes donc extrêmement déçus, et nous pensons que ce texte est une occasion manquée. Il est très riche, par contre, en démarches répressives, disproportionnées par rapport à son objet. On a parlé de mort sociale à propos de la coupure de connexion, d'ailleurs techniquement difficile, qui peut être étendue au téléphone et à la télévision. Vous avez déclaré, madame la ministre, que ces personnes pourraient toujours aller chez leurs voisins ; cette réponse n'est pas à porter à votre crédit. Comment feront-elles pour déclarer leurs impôts, suivre un cours par correspondance, répondre à des offres d'emploi ou envoyer des mails professionnels ? Ce dispositif est en totale contradiction avec le développement de la « France numérique 2012 », que M. Besson – le nouveau ministre de l'intégration, dont on a beaucoup parlé aujourd'hui – avait mis en avant.
Par ailleurs, la création de ce fichier automatisé, qui pourra être systématiquement consulté par les fournisseurs d'accès, est inquiétante au regard des libertés individuelles. Techniquement parlant, il est toujours possible, sinon aisé, de falsifier un numéro IP, si bien que la recherche risque d'être inopérante. Les vrais pirates, ceux qui en font un métier – et dont on ne sait s'ils sont si nombreux que cela – continueront d'avoir les moyens techniques et techniques d'échapper à tout contrôle. Les internautes que vous atteindrez sont un public très différent, et vous le savez.
Je passe sur les conséquences dommageables pour les collectivités territoriales, les hôpitaux, les entreprises, partout où le réseau Wi-Fi est important. Cette immense armée de contrôleurs va nous faire ressembler à tel ou tel pays où l'accès à Internet est étroitement contrôlé par le pouvoir politique. Des milliers de recherches seront faites sur la Toile pour retrouver celui qui aura téléchargé tel ou tel morceau de musique.
Beaucoup de nos collègues l'on dit : nous aurions préféré une avancée sur la modernisation des modes de diffusion rémunérée des oeuvres. Pourquoi les majors ont-elles perdu ? Parce qu'elles ont été incapables de prévoir et comprendre ce que l'iPod – pardonnez-moi de citer une marque – allait amener de nouveau dans la façon d'écouter et de conserver les oeuvres.
Monsieur le rapporteur, vous qui connaissez le problème, essayez de convaincre vos collègues que nous sommes entrés dans un monde nouveau, que vous ne pourrez contrôler car déjà il vous échappe ! À peine aurez- vous publié les décrets d'application de la présente loi et installé l'HADOPI – cette Haute autorité en dehors de tous les canaux de notre droit, comme le rappelait M. Brottes – que sera mis en oeuvre un autre système, dont on parle d'ailleurs déjà. Aujourd'hui, les jeunes ne stockent plus : ils sont dans le flux, adeptes du streaming. Aussi votre loi sera-t-elle, dès demain, techniquement dépassée.
Souvenez-vous de la loi DADVSI : on chantait alors les vertus des DRM, qui devaient être le verrou, la forteresse, le mur impénétrable auquel les pirates allaient se heurter. Aujourd'hui, la plupart de ceux que vous défendez ont déjà abandonné les DRM !
Les internautes seront démunis devant le système accusatoire et inquisitoire de l'HADOPI.