Ces trois exemples suffisent à montrer que votre gouvernement se moque bien de bâtir un nouveau modèle de rémunération des créateurs et préfère entonner, une fois de plus, le refrain bien connu – tout comme son auteur – de la dénonciation et de la répression.
Madame la ministre, vous écrivez à votre tour une nouvelle page de la « Complainte de Mandrin » : « La première volerie que je fis dans ma vie, c'est d'avoir goupillé la bourse d'un curé. Ces messieurs de Grenoble » – référence locale oblige (Sourires) – « avec leurs longues robes et leurs bonnets carrés m'eurent bientôt jugé. Compagnons de misère, allez dire à ma mère qu'elle ne me reverra plus, je suis un enfant perdu. »
Vous croyez encore, madame la ministre, aux vertus de la peine exemplaire, ici peine plancher, là peine capitale avec le couperet de la suspension de l'accès à Internet dès lors qu'une adresse IP aura été trois fois identifiée comme fraudeuse, quel que soit l'usager et même si le titulaire de l'abonnement n'a rien à y voir, de sorte que les innocents aussi sont concernés.
Exit, donc, le principe du renversement de la charge de la preuve, que le Président de la République invoquait, en un temps qui paraît désormais bien lointain, dans le domaine des atteintes à l'environnement. Avez-vous seulement tenté de transposer la vertu grenellienne à l'environnement culturel français? Que nenni – et vous noterez que je n'ai pas dit « quenouille » (Sourires) – : ce sera au titulaire de l'abonnement Internet de prouver qu'il n'est pas l'auteur de l'infraction. Naïvement, nous nous attendions qu'il revienne à l'HADOPI de prouver qu'il y a bien eu piratage. Las, vous avez choisi le chemin de la facilité, et contournez les principes de base du droit pour traquer les pirates. Une fois de plus, et comme l'a encore fait Mme la ministre de l'intérieur cet après-midi, vous légalisez la pratique de la bavure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Car vous pensez encore que la peine exemplaire supprime la délinquance et la violence. On sait pourtant bien que plus la pression est forte en ce sens, plus la subversion et la colère prennent le dessus, parfois même avec une certaine jubilation.
Ne faites pas croire aux créateurs que vous allez régler le problème avec cette illusion ! Je viens de vous citer plusieurs occasions que vous avez manquées de traiter la question du droit d'auteur plus sereinement et plus durablement.
Et puisque nous sommes aussi sur un sujet technologique, sachez encore – mais vous ne l'ignorez pas – qu'avec la formule du streaming, on peut pirater. Même après cette loi, on pourra continuer à le faire tout à fait légalement. Sans entrer dans le détail, il suffit de copier en analogique un morceau et de le caler sur un site de streaming – par exemple, Deezer qui est votre référence – pour que cette version analogique soit transcrite en numérique. C'est beaucoup plus simple et de meilleure qualité qu'à l'époque où l'on enclenchait le magnétophone à cassette couplé au transistor pour enregistrer sa chanson préférée.
Je ne parlerai même pas de la facilité avec laquelle on peut se faire héberger hors de France et rendre impossible la détection de son adresse IP : les forums du web s'en chargent déjà largement.
Sans faire une séquence « nostalgie », je vais vous parler « d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » – je cite pour les droits d'auteur… (Sourires.)
Il se trouve que, pendant cinq ans de ma vie professionnelle, j'ai été producteur et animateur sur une radio du service public. Après chaque émission, je passais au moins une vingtaine de minutes à remplir ligne par ligne les feuilles de droits d'auteurs pour que ceux qui avaient donné de la substance à mon programme puissent être rétribués de cette contribution. Chaque fois que je croisais ensuite l'un de ces artistes et qu'il me faisait part de sa satisfaction d'avoir été programmé et de l'importance que cette rémunération avait pour lui – et je ne parle pas des grandes stars du showbiz –, je prenais conscience de l'importance de ce petit pensum qu'était la fiche à remplir. J'éprouve d'ailleurs la même sensation aujourd'hui lorsque je signe, comme maire organisateur de spectacles, les relevés envoyés à la SACEM. Je vous raconte cela pour que mon vote contre ce texte ne soit pas l'objet d'un procès en sorcellerie…
Que les choses soient claires : les socialistes sont pour trouver une solution au problème, mais contre l'arbitraire de votre réponse, qui soufflera plus sur les braises qu'elle n'éteindra le feu. Votre savant dispositif, dont personne ne sait encore comment il pourra être mis en oeuvre sans provoquer de dégâts collatéraux, notamment juridiques et constitutionnels, aggravera au contraire la situation.
Plus l'interdit est puissant, plus la tentation de le contourner devient enthousiasmante. C'est un propos de législateur lucide. Mieux vaut prendre le temps de trouver des solutions certes moins spectaculaires, mais plus efficaces car réellement opérationnelles, que de brandir le bâton avec la certitude qu'il se retournera contre soi.
Pour vous montrer, s'il en était besoin, que je ne suis pas sectaire, je voudrais vous lire le mail d'Olivier, un adhérent de l'UMP de mon département, que j'ai reçu hier matin :
« Je prends rarement la plume pour écrire à un de nos représentants au sein de l'Assemblée nationale, mais voilà, ce projet de loi HADOPI m'ulcère au plus haut point pour plusieurs raisons. Il est avant tout le fruit d'une industrie qui s'est laissée dépasser une fois de plus par la technologie – ils avaient déjà hurlé au loup pour la cassette audio puis le CD. Et, plutôt que de s'adapter, ils exercent un lobbying incroyable pour survivre grâce à cette loi. »