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Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 6 novembre 2007 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2008 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, pour la sixième année consécutive, j'ai l'honneur de m'exprimer au nom de mon groupe lors des débats sur l'outre-mer, avec une constance que certains d'entre vous ont bien notée et qui, il y a peu, étonnait de la part d'un élu de métropole. Nous sommes désormais un certain nombre, ce dont on ne peut que se réjouir. Sans vouloir me comparer aux élus des régions ultramarines, qui ont évidemment une connaissance très fine du terrain, je pense néanmoins avoir progressivement, au fil des ans, acquis quelques notions, m'être forgé des idées qui peuvent être utiles à notre débat. Parmi celles-ci, je souhaite aborder trois idées fortes dans le temps qui m'est imparti.

Chaque année, dans cet hémicycle, le Gouvernement rappelle l'impératif de rattrapage de l'outre-mer français, si longtemps délaissé, négligé pour ne pas dire méprisé par la métropole. Et pourtant chaque année, les crédits et les missions gérés par le ministère de l'outre-mer voient leur périmètre réduit, amputé, transféré vers d'autres ministères. Chaque année, on nous donne une bonne raison pour justifier cette tendance que personne ne semble vouloir inverser. Cette année, nous dit-on, c'est pour « mieux prendre en compte les enjeux et spécificités de l'Outre-mer ».

Eh bien, je veux le dire d'emblée, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État : je ne crois pas à ces justifications successives. Je pense même que nous faisons l'inverse de ce qui serait utile. Cette orientation politique me semble une erreur pour trois raisons.

D'abord, elle donne de plus en plus l'impression, outre-mer, que le « rattrapage » légitimement attendu ne dépasse pas le stade des discours. C'est là un effet détestable.

Ensuite, elle ne permet pas d'identifier clairement les priorités ultramarines de l'État, celles-ci ne pouvant être jugées désormais que sur deux missions, c'est-à-dire sur une infime part de ce que l'État déclare consacrer à l'outre-mer. Mais, plus grave, la fongibilité des autres crédits dans les autres ministères fait courir en permanence à l'outre-mer le risque d'être la variable d'ajustement budgétaire, que l'on peut utiliser en toute discrétion. De plus, cette orientation interdit une évaluation sérieuse et approfondie de nos politiques outre-mer. Quelle réponse apporte-t-on aux difficultés d'accueil et de scolarisation dans les écoles à Mayotte ? Bien malin celui qui réussira à la trouver dans le budget de l'éducation nationale. Comment les moyens accordés en matière de politique sanitaire sont-ils répartis dans ces régions, où le retard est important ? Essayez de vous y retrouver dans le budget de Mme Bachelot. Voulez-vous comprendre pourquoi l'on ne remédie pas aux conditions de surpopulation carcérale, souvent honteuses, notamment dans le Pacifique ? Les arbitrages internes au budget de la justice pour l'ensemble de la nation vous apporteront sans doute la réponse, si tant est que vous puissiez la découvrir.

Enfin, cette orientation nuit à la clarté et à la transparence des débats, nous faisant perdre un temps précieux, chaque année sur des querelles de chiffres au lieu de porter sur l'essentiel, c'est-à-dire la stratégie de développement des outre-mer français et les bénéfices que la France pourrait en tirer. Je prends un exemple de ce manque de transparence, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État.

Vous annoncez cette année que les crédits placés sous votre tutelle s'élèvent à 1,73 milliard d'euros – je ne parle pas des quinze autres milliards – contre 1,85 l'an dernier, lesquels étaient déjà en baisse par « réduction de périmètre ». Vous nous dites qu'en réalité ce chiffre omet 158 millions désormais gérés par le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi. Admettons, et, si l'on en tient compte de ce chiffre, l'augmentation de vos crédits est alors de 1,6 %. Toutefois, le transfert de 158 millions à Bercy masque que les crédits qui étaient auparavant affectés à cette mission par votre ministère s'élevaient à 194 millions, soit 36 millions qu'on ne retrouve pas. Si ces crédits avaient été maintenus, la hausse des crédits à périmètre constant aurait été de 3,2 %. Ajoutons à cela que les périmètres ministériels sont en perpétuelle évolution ; le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi pourrait très bien, demain, être re-découpé à la faveur d'un remaniement ministériel, et nous comprenons tous que plus personne ne saura retrouver les sommes que je viens d'évoquer. C'est dommage.

Vous l'aurez compris : je plaide pour un renforcement du ministère de l'outre-mer, qui devrait regrouper en son sein tous les crédits afin de bien signifier la priorité que la France doit accorder à ses régions ultramarines, afin de redonner lisibilité et capacité d'évaluation à nos politiques en la matière, mais aussi de conférer plus de poids à la Rue Oudinot dans les arbitrages au sein du Gouvernement. Au lieu de demander des moyens aux différentes administrations, vous seriez en mesure, en raison d'un rapport de forces plus favorable, d'en discuter les modalités d'emploi, et non, comme vous le disiez, monsieur le rapporteur, de vous contenter d'une situation de pilotage.

Deuxième idée forte – et là, nous nous rejoignons –, faire des outre-mer français les vitrines du savoir-faire de notre pays, les têtes de pont commerciales et politiques de la France dans ces régions du globe. Pour cela, nous devons en finir avec une vision longtemps paternaliste, qui a par trop confiné l'économie utlramarine dans des productions à faible valeur ajoutée, fortement subventionnées, c'est-à-dire dépendantes de la métropole, qui ne seront jamais compétitives face à la concurrence de pays pauvres voisins. Nous croyons que La Réunion et Mayotte peuvent et doivent devenir une porte d'entrée dans l'océan Indien, et vers le sud et l'est de l'Afrique. On pourrait y développer des filières économiques valorisantes, présentant un apport indéniable dans nos échanges commerciaux internationaux. De même, les Antilles et la Guyane nous offrent une chance unique de développer la recherche, la formation, la production et l'exportation vers le continent américain dans des domaines comme les énergies renouvelables, l'agriculture biologique, les technologies de l'information ou encore nos connaissances en matière de santé tropicale.

La création de zones franches géographiques globales que vous proposez sera favorable à cette stratégie, mais, elles doivent être, à nos yeux, uniquement concentrées sur les activités économiques à forte valeur ajoutée. Mais elles ne seront d'aucun effet dans la France du Pacifique, par exemple. Il faut donc également que nos politiques éducatives et de formation – qui ne relèvent plus directement de votre ministère – correspondant à de telles filières, en même temps que celles conduites en termes d'infrastructures, d'énergie, de transport et de télécommunications suivent, si l'on veut en faire des économies compétitives et performantes. C'est à cette aune que nous jugerons au cours des prochains budgets de la législature – budget de transition selon un orateur qui m'a précédé – l'efficacité de la politique mise en oeuvre, mais également de la loi de programmation dont on nous annonce qu'elle est en préparation.

Troisième idée forte : la cohésion sociale outre-mer doit être très significativement améliorée si l'on veut donner à ces régions la chance de développer des économies fortes et autonomes. Pour cela, l'effort en direction du logement, mais pas seulement du logement social, est indispensable. Si l'effort en matière de logement social croît cette année, ce dont nous nous réjouissons, nous sommes loin d'être à la hauteur des enjeux et les opérateurs actuels demeurent en grande difficulté, en dépit des annonces, non suivies d'effets, faites par l'ancien Premier ministre pour assurer la promotion de sa tournée aux Antilles l'an dernier.

Faute d'avoir suffisamment de moyens publics à consacrer au logement social outre-mer, le Gouvernement annonce que tout l'effort en matière de défiscalisation se concentrera sur ce secteur.

Restons prudents ! Je vous adresse cette mise en garde dès à présent, même si le projet de loi sera examiné plus tard. Par le passé, j'ai eu l'occasion de nuancer les effets pervers du non-plafonnement par foyer fiscal des défiscalisations pour la construction de logements outre-mer – la moyenne tournant à l'époque autour de 90 000 euros par foyer fiscal. Aujourd'hui, je redoute que nous ne tombions dans l'excès inverse, ce qui conduirait à tuer la construction classique en croyant défendre le logement social.

Le bon système pourrait consister à plafonner la défiscalisation à environ 30 000 euros par foyer fiscal et par an, pour des locations au tarif défini actuellement. Parallèlement, pour les logements sociaux, la défiscalisation ne serait limitée par aucun plafond et elle pourrait être étalée dans le temps – sur dix ans par exemple. Nous jouerions ainsi sur les deux aspects de la construction de logements, sans risquer le déséquilibre entre l'un et l'autre, tous les deux étant également porteurs d'emplois. Mais nous reviendrons sur ce sujet lors de votre loi de programmation.

Enfin, comme chaque année, j'aborderai le thème de la continuité territoriale, qui constitue un aspect essentiel de la cohésion sociale pour nos compatriotes ultramarins, mais aussi – mes collègues les plus assidus ou anciens m'excuseront d'insister – pour ceux qui sont originaires d'outre-mer et vivent en métropole. Ces derniers devraient avoir droit à une vie de famille normale, comme toutes les autres familles françaises ; ils devraient pouvoir se rendre outre-mer, y téléphoner, y envoyer du courrier, etc.

Si un progrès est attendu sur le coût de téléphonie mobile pour ceux qui viennent en métropole, il y a encore beaucoup à faire sur les tarifs téléphoniques en général. Il s'agit simplement de permettre à chacun d'avoir des nouvelles des siens, de ses proches à des tarifs raisonnables et supportables par les familles.

S'agissant des tarifs aériens, aucun gouvernement n'a voulu assurer la transparence des prix pratiqués par Air France vers les Antilles et la Guyane. Le ferez-vous afin que les tarifs redeviennent tout simplement honnêtes ? Je ne comprends toujours pas pourquoi un vol entre Paris et Fort-de-France peut coûter quatre fois plus cher qu'un Paris-Saint-Domingue avec une semaine d'hôtel comprise, et proposé par la même compagnie – Air France !

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