Les artistes qui soutiennent cette loi devraient se demander pourquoi tous les acteurs de l'informatique sans exclusive critiquent sévèrement ses dispositions techniques.
Il s'agit en fait d'un débat transversal entre ceux qui s'arc-boutent sur un modèle dépassé et ceux qui essaient de trouver des solutions au respect du droit d'auteur, dans le cadre d'un nouveau modèle numérique. En effet, on ne peut plaquer sur un support dématérialisé des solutions imaginées pour des supports physiques. Puisque internet est un outil fantastique de diffusion, de création et d'accès à la culture, nous devons repenser les droits d'auteur dans ce nouveau contexte.
S'il est juste que ceux-ci soient respectés, vous ne pouvez vous désintéresser, madame la ministre, des dispositions de cette loi attentatoire aux libertés. Vous ne pouvez ignorer qu'il n'existe aucune méthode fiable pour relier le titulaire de l'abonnement à internet à l'adresse IP qui aura été relevée par les sociétés d'ayants droit. Vous ne pouvez admettre sereinement que 30 à 40 % des abonnés puissent être mis en cause sans s'être rendus coupables d'aucune atteinte aux droits d'auteur. Vous ne pouvez accepter que des internautes se voient couper leur connexion à internet, désormais indispensable dans la vie courante, sans décision d'un juge et sans suspension du paiement de l'abonnement. Ce point ouvre la porte à tous les arbitraires, puisque, en fonction de leur situation professionnelle, les uns verront leur abonnement suspendu et pas les autres.
Au final, cette loi n'apportera pas un centime aux artistes, puisque le maintien du paiement des abonnements suspendus ne profitera ni à la création culturelle ni aux auteurs, mais aux fournisseurs d'accès, comme les revenus supplémentaires dégagés par la baisse des coûts de production et de diffusion consécutive au passage au support numérique ont été intégralement empochés par les majors.
Beaucoup de ceux qui critiquent aujourd'hui la gauche avaient de même approuvé aveuglément la loi DADVSI. Mais le temps a montré que nos évaluations étaient justes : votre obstination à vouloir protéger les parts de marché de quelques sociétés n'a pas incité les consommateurs à utiliser les plateformes de téléchargement. Aujourd'hui, on nous propose une nouvelle solution miracle, tout aussi absurde techniquement, technologiquement dépassée et inutilement coûteuse.
Cette loi ne sanctionne pas le téléchargement, mais le défaut de sécurisation par l'abonné de sa connexion internet. Elle impose aux simples particuliers et aux petits entrepreneurs comme les artisans de maîtriser leur système informatique, alors même que les administrations ou les entreprises disposant d'un service informatique n'en sont pas toujours capables. Il faudra donc installer un mouchard, dont la désactivation pourra être sanctionnée, sur chaque ordinateur connecté ou sur chaque box utilisée par les fournisseurs d'accès à internet. Ceci, ajouté à la volonté de faire labelliser par une autorité administrative des sites proposant des oeuvres musicales ou cinématographiques, met gravement en danger la neutralité de l'internet.
Le fantasme de contrôle du réseau conduit à étendre l'application de dispositions destinées à lutter contre le terrorisme à la défense d'un droit de propriété. Les sanctions proposées sont tout à fait démesurées et s'apparentent à des sanctions collectives, puisque c'est l'abonné qui sera sanctionné et non l'auteur de l'infraction. « Si ce n'est toi, c'est donc ton frère », disait le loup à l'agneau. Les poursuites pour contrefaçon et celles pour défaut de sécurisation de la connexion pourront se cumuler. Ces sanctions permettent, sans contrôle du juge, non seulement une suppression de l'accès à internet, mais aussi à la messagerie. Madame la ministre, vous persistez à refuser l'intervention de l'institution judiciaire, alors même que le Parlement européen a réaffirmé une nouvelle fois à une large majorité de 407 voix contre 57 qu'aucune restriction ne peut être imposée aux droits fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable de l'autorité judiciaire.
Votre défense des droits d'auteur est fluctuante, puisque, lorsqu'il s'agit des journalistes, à la demande de certains patrons de presse, vous ne respectez pas les engagements pris, y compris par le Président de la République, et vous imposez le droit de ne plus rémunérer les articles reproduits sur divers supports.
Cette loi est donc tout sauf une réponse satisfaisante pour les droits d'auteur. Elle a déjà fait une victime, en la personne du journaliste de TF1 licencié suite à une dénonciation par un membre de votre cabinet ministériel, certes mis à pied, mais seulement pour une durée d'un mois, alors que le journaliste, lui, se retrouve au chômage. Cet épisode montre que votre ministère n'a rien à refuser à TF1.
Pour notre part, nous soutenons la démarche des assises de la création et de l'internet annoncées pour l'automne afin d'associer à la réflexion nécessaire sur les droits d'auteur l'ensemble des parties, artistes, consommateurs et internautes : c'est la démarche inverse de celle des accords de l'Élysée. Vous aurez compris que les députés Verts, communistes, ultramarins et du parti de gauche du groupe GDR voteront contre cette loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)