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Séance en hémicycle du 26 mai 2008 à 9h30

Résumé de la séance

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  • judiciaire

La séance

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Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

J'ai reçu de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales une communication m'informant que M. Christian Estrosi a été élu hier député de la Ve circonscription des Alpes-Maritimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, après plusieurs heures de travail commun, nous constatons que nos échanges ont permis dans certains cas de rapprocher les points de vue, dans d'autres de constater des désaccords. Sur les quatre articles que nous avons examinés, nous avons ainsi voté contre deux articles, nous en avons voté un autre, et nous avons suivi le rapporteur dans sa demande de suppression d'un quatrième. Notre discussion nous a donc conduits à un résultat équilibré sur le plan politique.

Parallèlement à ce texte, nous avons déposé deux propositions de loi, portant l'une sur le mode d'élection des sénateurs, l'autre sur la comptabilisation du temps de parole du Président de la République dans les médias. La façon dont le Gouvernement a décidé d'écarter sans ménagement nos demandes dans ces deux domaines nous a froissés. En effet, si juridiquement elles n'ont pas à figurer dans le projet de loi constitutionnelle, politiquement elles étaient légitimes et essentielles pour l'avenir de ce texte.

Nous avons pris acte de l'intervention de notre président, Bernard Accoyer, qui, au cours du week-end, a estimé que le groupe UMP avait répondu « de façon un peu expéditive » à la demande de compensation du temps de parole médiatique du Président de la République. Je tiens à vous en remercier publiquement, monsieur le président. Malgré la façon dont nous avons été traités, il est donc possible, dans ce pays, de faire entendre sa voix ! Je vous indique qu'avant d'adopter, dans les heures qui viennent – nous allons travailler ensemble cette nuit et la nuit prochaine – une position définitive sur cette question, nous aimerions savoir si cette évolution positive va se confirmer.

Nous espérons que la question du mode d'élection des sénateurs connaîtra une évolution tout aussi favorable. Je crois savoir que les sénateurs eux-mêmes ont commencé à réfléchir, mais si vous voulez, mes chers collègues, que nous prenions une décision et que nous soyons au rendez-vous pour saisir les possibilités qu'offre ce texte, il ne faut pas trop tarder !

J'en viens aux sujets de désaccord. Nous avons voté contre l'article 4, relatif aux nominations relevant du Président de la République, car même s'il amène quelques progrès, il ne permettra pas à l'opposition de modifier le cours de ces nominations : il faudrait en effet qu'un nombre considérable de députés de la majorité désavouent les choix du Président de la République. Jean-François Copé déclarait récemment, avec sans doute un excès d'ironie, qu'il faut aimer les défis. Vous les aimez certainement, comme en témoigne la manière expéditive avec laquelle vous écartez les problèmes au lieu de chercher à les résoudre. Tout cela est d'autant plus important que nos voix compteront lorsqu'il s'agira d'approuver ou non ce texte.

Si nous obtenions d'autres réponses à nos demandes au cours des prochaines séances, comme le laisse entrevoir la prise de position du président de notre assemblée, la discussion se poursuivrait dans un climat plus serein.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Jeudi soir, l'Assemblée a continué l'examen des articles du projet de loi constitutionnelle, s'arrêtant à l'article 5.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 280, 316 et 386, tendant à supprimer l'article 16 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l'amendement n° 280.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Nous rejetons l'article 5 du projet de loi, qui tend à aménager les modalités d'application de l'article 16 en prévoyant l'intervention du Conseil constitutionnel saisi par le Parlement au-delà d'un délai de 30 jours. Nous pensons, pour notre part, que cet aménagement ne retire rien à la dangerosité intrinsèque du dispositif prévu à cet article par la Constitution de 1958, qui confie au chef de l'État l'ensemble des pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles, ce qui prive le Parlement de ses compétences législatives.

On peut comprendre l'inspiration des constituants de 1958, qui ont voulu, dans leur réflexion politique, tenir compte des graves événements auxquels la nation devait faire face, et qui allaient connaître un paroxysme de 1960 à 1962 en Algérie. Mais le caractère exceptionnel de ces événements ne légitime pas que l'on concentre les pouvoirs entre les mains d'un seul homme, fût-il le Président de la République, alors que l'ensemble des dispositifs constitutionnels, qu'ils soient nationaux comme le fonctionnement du Gouvernement, des institutions et du Parlement, ou qu'ils soient européens, sont de nature à garantir d'emblée notre souveraineté nationale et à assurer la sécurité de nos compatriotes.

Ayons le courage d'aller jusqu'au bout et reconnaissons qu'une situation exceptionnelle ne saurait être gérée par un seul homme, mais doit l'être, dans une vision moderne et progressiste, par l'ensemble des institutions : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le Conseil constitutionnel.

C'est pourquoi nous ne suivrons pas le Gouvernement et le rapporteur, qui proposent que soient contrôlées, après un délai de 30 jours, les conditions dans lesquelles ont été délivrés ces pouvoirs exceptionnels et de quelle manière ils sont appliqués. Nous, nous proposons de supprimer l'article 16. Évidemment, ce n'est pas rien, compte tenu du caractère emblématique – au même titre que la dissolution de l'Assemblée nationale – de cet instrument constitutionnel. Mais nous sommes entrés dans une ère nouvelle, sur le plan politique et institutionnel, et notre démocratie ne peut plus reposer sur un seul homme. Tous nos efforts pour moderniser la Constitution vont dans le même sens, celui du partage des responsabilités.

Nous vous suggérons donc de supprimer, purement et simplement, l'article 16 et d'en venir directement aux dispositions tendant à élargir et renforcer un pouvoir partagé en temps de crise – car personne, bien évidemment, ne remet en cause l'exigence pour notre pays d'assurer son intégrité, sa sécurité et celle de ses citoyens. Certaines d'entre elles figurent dès à présent dans la Constitution : nous les avons déjà évoquées et nous les retrouverons lors de l'examen des articles suivants.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l'amendement n° 316.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je fais miens les arguments de M. Le Bouillonnec et, comme lui, je demande la suppression de l'article 16.

Le comité Balladur a préconisé d'accorder à soixante députés ou sénateurs le droit de saisir le Conseil constitutionnel après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels. Cette disposition nous paraît bien fragile, car le Président de la République, lorsqu'il s'est accordé les pleins pouvoirs, peut modifier les droits fondamentaux sans qu'il soit alors possible de saisir le Conseil constitutionnel de ces atteintes. En outre, on peut imaginer qu'en cas de crise grave, le Conseil constitutionnel se trouve dans l'impossibilité de se réunir.

Enfin, la suppression de l'article 16 a une valeur extrêmement symbolique. Comme M. Sarkozy prétend nous y inviter, elle réduirait les hyper-pouvoirs du Président de la République, y compris en cas de crise. Je rappelle que nous sommes dans un régime parlementaire et que, à quelques rares exceptions près, les députés que nous sommes ne souhaitent pas changer de République. Nous souhaitons maintenir l'esprit de la Constitution de 1958, et je ne vois pas en quoi le parlementarisme rationalisé empêcherait le Parlement de se saisir d'une situation critique.

Pour défendre l'article 16, on invoque le risque d'actes terroristes. Or – on l'a vu récemment dans des circonstances qui n'avaient rien à voir – les dispositions sur l'état d'urgence permettent déjà au Gouvernement de faire face à des crises graves. Il nous semble donc que remettre entre les mains d'un seul homme l'ensemble des pouvoirs n'est pas d'actualité et représente un réel danger.

Une période encore récente de notre histoire a justifié le recours à l'article 16, lequel n'a été utilisé, fort heureusement, qu'une seule fois, mais pendant près de six mois, entre avril et septembre 1961. On ne peut pas imaginer revenir à des situations de cet ordre. Quoi qu'il en soit, même si nous devions connaître à nouveau de graves crises, nous devrions pouvoir y répondre par des moyens autres que ceux consistant à déléguer l'ensemble des pouvoirs au Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l'amendement n° 386.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Cet amendement vise également à supprimer l'article 16 de la Constitution, car celui-ci, chacun le sait, permet au Président de la République d'exercer une sorte de dictature temporaire ou, au mieux, d'instaurer un état d'exception en cas de crise grave. C'est l'une des plus graves anomalies de nos institutions.

Le projet de loi prétend mieux encadrer l'exercice de ces pouvoirs exceptionnels en permettant à des parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel pour faire constater qu'il n'y a plus lieu de les maintenir. L'efficacité de ce dispositif sera cependant toute relative. Juridiquement, un avis négatif du Conseil constitutionnel n'obligera pas le Président à mettre fin à l'application de l'article 16 et, en cas de crise grave, le Conseil constitutionnel peut être dans l'incapacité de se réunir. Surtout, cette réforme ne touche pas à l'essentiel, puisque les actes présidentiels pris en application de l'article 16 dans le domaine de la loi, et donc des droits fondamentaux, ne peuvent faire l'objet d'aucun contrôle juridictionnel.

Il nous paraît donc abusif de voir dans cette adjonction, comme l'affirme la majorité, une réelle limitation des pouvoirs présidentiels, s'agissant d'un article fort heureusement tombé en désuétude. En vérité, l'article 16 est à la fois inutile et dangereux. Inutile, car il existe d'autres dispositifs, comme l'état d'urgence et l'état de siège, qui permettent de faire face aux crises, tout en protégeant davantage les libertés publiques. Dangereux, comme l'a montré son seul usage depuis 1958. Cette disposition de la Constitution qui, pour ses rédacteurs, renvoyait au souvenir de la débâcle de juin 1940, mais aussi à la situation de guerre en Algérie, peut et doit être supprimée aujourd'hui. Tel est l'objet de notre amendement n° 386.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Avis défavorable à ces trois amendements. En cinquante ans, l'histoire a montré que l'article 16 était très peu utilisé : une seule fois. Mais il peut survenir des circonstances, qui ne relèvent ni de l'état d'urgence ni de l'état de siège, dans lesquelles il aurait une utilité. De plus, le projet de loi présenté par le Gouvernement renforce le contrôle de son application.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

L'article 16 de la Constitution, lié à des circonstances historiques – juin 1940 et la guerre d'Algérie –, n'a été mis en oeuvre qu'une seule fois, en avril 1961. Son utilisation n'a donc pas, jusqu'à présent, été abusive.

Cela étant, même si nous ne sommes plus en guerre depuis 1945, nous ne sommes pas à l'abri de circonstances particulières liées au terrorisme. Cet article est certes un outil extrêmement fort, mais le texte que nous vous proposons vise à encadrer sa durée d'application, qui peut – contrairement à sa mise en oeuvre – poser problème. C'est pourquoi nous sommes défavorables aux trois amendements de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Chers collègues de l'opposition, je comprends, à titre personnel, ces amendements de suppression. Bien après la guerre d'Algérie, seul événement à nous avoir conduits, sous la Ve République, à y recourir, l'article 16 peut sembler désuet, voire liberticide, dans la mesure où il suspend les pouvoirs du Parlement. Et ce n'est pas à un parlementaire de venir expliquer ici combien il serait formidable de supprimer les pouvoirs du Parlement !

Cela étant, depuis la fin de la guerre froide, nous ne sommes plus dans un contexte de guerres interétatiques où peuvent s'appliquer les procédures classiques de déclaration de guerre prévues par la Constitution. Nous sommes malheureusement entrés dans une ère nouvelle, celle du terrorisme de masse, et nous ne pouvons exclure certaines hypothèses, dont une qui, personnellement, me glace le sang : celle d'une attaque terroriste contre l'une de nos villes avec des armes de destruction massive. Il n'est donc pas absurde de laisser au Président de la République les moyens de garantir la continuité de l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Je vous rappelle, mes chers collègues de l'opposition, que le Président Mitterrand, après avoir dénoncé le « coup d'État permanent » en s'appuyant sur l'article 16 pour essayer de démontrer l'aspect liberticide, voire quasi dictatorial de la Ve République, dont il condamnait la dérive institutionnelle, s'était interrogé, une fois élu, sur le maintien de cet article. Le comité Vedel, consulté sur cette question, avait conclu qu'il fallait laisser au Président de la République la possibilité de défendre les intérêts de la nation dans de telles circonstances, et le Président Mitterrand s'était rangé à son avis.

À l'inverse, quand le Parlement a voté les pleins pouvoirs, en juin 1940 lors de la débâcle – et on se souvient à qui ! – ou bien quand, plus récemment, aux États-Unis au lendemain du 11 septembre, le Congrès, unanime, a, lui aussi, voté les pleins pouvoirs au Président Bush, cela n'a pas empêché les pires dérives, notamment en matière de droits de l'homme, puisqu'on a vu se multiplier des mesures liberticides, impensables en droit anglo-saxon. Le fait, pour une assemblée parlementaire, de déléguer les pleins pouvoirs n'est donc pas une garantie des libertés fondamentales.

C'est la raison qui m'amène à penser que la solution proposée par la commission Balladur, et aujourd'hui retenue, c'est-à-dire un encadrement constitutionnel et parlementaire de l'exercice de ces pouvoirs exceptionnels après une certaine période, est la moins mauvaise possible. Non que je me réjouisse qu'il faille donner à un seul homme des pouvoirs exceptionnels, mais le monde dans lequel nous vivons est devenu dangereux. Il n'est pas exclu que la France soit un jour dans une situation de crise et que le Président ait besoin d'utiliser ces pouvoirs. Aussi, la possibilité, pour le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, de saisir le Conseil constitutionnel pour contrôler, au bout de trente jours, si la réalité de la situation exige le maintien de ces pouvoirs, est une mesure sage. D'autant que, si le Président de la République n'obtempérait pas, une fois le danger passé, il se trouverait dans une situation politiquement intenable.

Compte tenu de ces diverses expériences – la guerre d'Algérie, la menace terroriste que nous connaissons aujourd'hui et l'octroi des pleins pouvoirs au Président des États-Unis après le 11 septembre –, le dispositif qui nous est proposé est probablement le plus sage. Il a l'avantage de donner au Président de la République les moyens d'agir et à la représentation nationale ceux de contrôler son action, tout en restant dans l'esprit de nos institutions.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de voter avec nous la modification de l'article 16 et de ne pas en faire, monsieur Montebourg, un casus belli idéologique car, vous l'avez bien compris, je ne suis pas, pour ma part, partisan de donner le pouvoir absolu au chef de l'État ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Nous n'avons jamais considéré que ce sujet était central, mais il n'est ni anodin ni anecdotique. D'autant que nous avons entendu Mme la garde des sceaux justifier l'usage de l'article 16 au regard des événements liés au terrorisme de masse qui pourraient affecter la nation. Si l'on considère qu'il s'agit d'une disposition théorique, laissons-la s'abîmer au fil du temps. Le simple fait de la réformer en l'encadrant, même très légèrement, est une manière de la restaurer. Nous avons donc, pour cette raison, déposé nous aussi un amendement de suppression.

Le débat s'engage à propos de ces amendements et Mme la ministre vient de nous dire que l'article 16 pourrait encore être utile. Je vous rappelle qu'aucune démocratie – pas même les États-Unis d'Amérique – n'ont recouru à la suppression du Parlement. Il n'existe aucune démocratie qui ait eu à faire face à autant de drames que notre pays et qui utilise la concentration « auto-instituée » des pouvoirs ! Car si l'on demandait au Parlement de voter, il ne donnerait pas nécessairement les pleins pouvoirs au Président de la République. Lorsque les parlementaires ont décidé à Bordeaux, en 1940, de se défaire de la IIIe République et d'instaurer le régime de Vichy, ils ont tout de même voté, et le nom de ceux qui exprimèrent leur refus est resté inscrit au frontispice des héros de la nation. Mais ce n'est pas ce dont nous débattons : il s'agit en l'occurrence d'un homme seul qui, face à une situation qu'il est seul à apprécier, décide seul de s'octroyer les pouvoirs à lui seul.

Nous sommes consternés par les déclarations de Mme la ministre. Nous n'avons pas fait de ce sujet une question centrale, parce que nous pensions qu'il n'était pas dans les intentions de la majorité de s'y intéresser à ce point. Et voici qu'on vient nous dire que l'article 16 pourrait peut-être servir à nouveau ! L'affaire devient sérieuse…

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Notre réaction est unanime sur les bancs de l'opposition : cette réforme va mettre l'article 16 entre les mains de quelqu'un que nous connaissons bien et que certains d'entre vous arrivent encore à soutenir ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Vous voyez chez les autres vos propres turpitudes !

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Notre inquiétude est d'autant plus vive que notre droit contient déjà tout un arsenal législatif, avec des instruments tels que l'état de siège et l'état d'urgence, permettant de faire face aux crises, notamment en restreignant les libertés des citoyens : liberté de la presse, libertés de circuler, de s'exprimer ou de manifester. Mais la possibilité de supprimer le Parlement par décret n'existe nulle part au monde, dans une démocratie moderne !

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Je n'en fais pas une affaire idéologique, car cela relève simplement du bon sens et de l'observation de ce qui se passe dans le monde. Le constituant que je suis veille seulement à ce qu'il va voter. Permettez-nous de mesurer la portée de nos actes avant de vous donner quitus de cette réforme ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Le temps d'un week-end suffit à changer le ton de nos débats ! Lorsque nous nous sommes quittés la semaine dernière, nous étions parvenus, ensemble, à des avancées sur les langues régionales ou le référendum d'initiative citoyenne. Dès les premières minutes de ce débat, nous avons pu constater, à travers la défense de ces trois amendements de suppression, un changement d'attitude.

Pourtant, pas une seule fois, lors des auditions présidées par notre rapporteur, l'opposition n'avait soulevé le problème de l'article 16 car, dans le droit actuel – tous ceux qui ont suivi des cours de droit le savent –, figure un article exceptionnel, unique au monde, sans le moindre encadrement, qui permet au Président de la République de décider d'une seconde à l'autre d'exercer tous les pouvoirs, sans limitation dans le temps, sans aucun contrôle et sans qu'il soit possible de l'interpeller de quelque façon que ce soit. La seule compensation, si faible soit-elle, c'est que « le Parlement se réunit de plein droit ». Tel est, aujourd'hui, la teneur de l'article 16.

Je peux comprendre que l'on souhaite sa suppression, au prétexte que nous n'en aurions plus besoin. Mais dans un texte constitutionnel figurent nombre de principes dont on pourrait ne pas avoir besoin si les circonstances et les moeurs politiques le permettaient. Et aucun d'entre nous ne peut dire si ce qui s'est produit en 1961 ne se reproduira pas dans dix ou vingt ans. Et s'il avait fallu, à cette époque, réunir le Parlement pour prendre une décision, je doute fort que nous ayons été en situation de le faire. La République aurait alors été dans une situation intenable, face à un putsch – faut-il le rappeler ? – auquel le chef de l'État devait faire face.

J'ajoute que le chef de l'État détient déjà dans notre Constitution, et de par son mode d'élection, des pouvoirs exceptionnels. Ainsi, en tant que chef des armées, il dispose de l'arsenal nucléaire, et si d'aventure il devait en faire usage, il serait le seul à prendre la décision : on ne réunit pas le Parlement en pareilles circonstances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Cet article est gênant, tout le monde le reconnaît – notamment pour les parlementaires. Mais il a été utile, et nul ne peut affirmer qu'il ne le sera pas à nouveau. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le vrai problème de cette disposition est identifié depuis des décennies : ses conditions d'application ne sont pas suffisamment encadrées. Or l'article 5 du projet de loi a justement pour but d'y remédier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La seule question vraiment digne d'intérêt posée par les défenseurs des amendements est la suivante : que se passera-t-il si le Conseil constitutionnel, saisi par les parlementaires, ou bien décidant de sa propre initiative après soixante jours, conclut, dans son avis public, que le Président de la République n'est manifestement pas fondé à continuer de s'arroger tous les pouvoirs et que le Président passe outre ? La réponse, chers collègues, figure aussi dans la Constitution – même si ce n'était pas le cas en 1961. L'article 68, dont la rédaction est issue des réformes de juillet 1993 et février 2007, permet en effet aux parlementaires – réunis de plein droit, je le rappelle, pendant la durée d'application de l'article 16 – de se constituer en Haute Cour et, dans le mois suivant, de prononcer la destitution du Président de la République, au motif que ce dernier aura outrepassé ses droits et violé la Constitution.

L'article 5 du projet, tout en laissant au Président de la République la capacité de faire face à une crise exceptionnellement grave, nous confère donc, à nous parlementaires, un pouvoir de contrôle qui peut avoir des conséquences politiques importantes. Voilà en quoi le texte proposé me paraît équilibré. D'ailleurs, si certains de nos collègues jugent à ce point insupportable l'existence même de l'article 16 – bien que son usage, de l'avis général, semble être tombé en désuétude –, cette capacité de s'opposer à d'éventuels abus du Président de la République devrait leur paraître une avancée. Il serait donc dommage de ne pas l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

Debut de section - PermalienRoger Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement

Je souhaiterais, avec l'autorisation de Mme la garde des sceaux, répondre d'un mot à M. Montebourg.

Je suis, monsieur le député, étonné et même chagriné par vos propos, qui ne correspondent ni à la vérité historique, ni à la nature de l'article 16. En 1961, la France était menacée. La République était menacée. Des généraux, avec des amitiés en métropole, se préparaient à un putsch. Sans l'article 16, nous aurions peut-être connu un coup d'État militaire. Le recours à cette procédure a sauvé la démocratie.

C'était, il est vrai, il y a quarante-sept ans et, heureusement, cet article n'a jamais plus été utilisé depuis. Mais il demeure un rempart de la République. Dans la mesure où le Parlement siège de plein droit, permettre, comme nous le faisons, au Conseil constitutionnel d'intervenir rapidement est une façon d'entourer de toutes les garanties l'utilisation de cet article. Le supprimer au prétexte de sa prétendue inutilité serait, au contraire, une lourde erreur du point de vue de la défense de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Que personne ne s'énerve, car les amendements tendant à supprimer l'article 16 ont été défendus sans esprit polémique ! Mais le simple fait de vouloir modifier cet article est une façon de le raviver. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce n'est pas une critique, mais une évidence. Tout le monde, en effet – qu'il s'agisse des constitutionnalistes, des étudiants ou des citoyens intéressés par la question –, jugeait la disposition tombée en désuétude.

Par ailleurs, madame la garde des sceaux, la situation de juin 1940 était différente,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

…puisque ce sont les parlementaires eux-mêmes qui ont voté les pleins pouvoirs.

S'agissant de la crise ouverte le 21 avril 1961, on peut noter que le fameux quarteron de généraux était hors d'état de nuire dès le 25 avril. Or les pouvoirs exceptionnels ont été appliqués jusqu'en septembre. Toutes les critiques ont porté sur ce délai, qui modifie le sens de la procédure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

L'article 16 – le Conseil constitutionnel l'a rappelé – ne peut être mis en oeuvre que « lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». En tant que constituants, nous devons donc concentrer la réflexion sur ce point. Or des attentats ou des actions terroristes ne sont pas, à mes yeux, des événements susceptibles d'entraîner cette conséquence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ils peuvent constituer une menace pour l'intégrité du territoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

C'est ce en quoi les propos de Mme la garde des sceaux sont inquiétants : les situations de tension, de crise ou de menace terroriste qu'elle évoque peuvent certes menacer l'intégrité du territoire, la sécurité des biens et des personnes ou le respect de nos alliances, mais pas le fonctionnement des pouvoirs publics. En ravivant l'article 16, n'est-on pas en train de réduire le niveau de gravité à partir duquel les pleins pouvoirs pourraient s'appliquer, d'élargir les cas d'application aux simples exigences de la sûreté de l'État ou de la sécurité publique ?

C'est d'ailleurs le grief qu'ont les parlementaires américains à l'égard de leur Président.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Cela n'a rien à voir : ils ont voté les pleins pouvoirs !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ils le regrettent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Certes, il les ont votés mais, à l'époque, la confusion a été entretenue entre ce qui relevait de la sauvegarde de l'entité américaine après une agression et la défense des institutions. Aujourd'hui, les constitutionnalistes américains estiment que le Président n'était pas fondé à obtenir de tels pouvoirs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Il ne s'agit pas de faire de la dentelle politicienne. Le fond du débat, c'est qu'avec de telles dispositions, on se retrouve un jour avec Guantanamo ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Guantanamo a été approuvé par le Parlement américain. L'exemple est mal choisi pour dénoncer le pouvoir personnel !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Je ne dénonce pas ce risque chez nous, mais nous avons, tous ensemble, la charge de défendre les droits individuels, et des précautions…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Monsieur Le Bouillonnec, je vous ai à nouveau donné la parole alors que vous aviez déjà présenté l'amendement. Veuillez vous en tenir là.

Sur le vote des amendements nos 280, 316 et 386, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jacques Myard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

J'entends dire que l'article 16 serait obsolète. Mais aucune disposition de la Constitution, dès lors qu'elle n'est pas abrogée, ne peut être qualifiée ainsi : des situations que nous ne pouvons même pas imaginer peuvent toujours survenir et en justifier l'application. C'est une simple vérité juridique et politique.

Par ailleurs, et contrairement à ce que vient d'affirmer notre collègue, une attaque terroriste de grande ampleur pourrait être de nature à interrompre le fonctionnement régulier des institutions dans certains départements français. Rien n'empêcherait alors le Président de la République de recourir à l'article 16. Nous devrions tous être d'accord là-dessus, en tant que républicains – les exemples sont d'ailleurs nombreux dans l'histoire depuis Cincinnatus. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Ma seule interrogation vient du fait que le Conseil constitutionnel est formé de juges, alors que le contrôle de la mise en oeuvre des pleins pouvoirs relève aussi d'une appréciation politique – qui s'exprimera cependant si le Conseil est saisi par les parlementaires. Quoi qu'il en soit, M. Lagarde a eu raison de mettre l'accent sur l'équilibre garanti par notre Constitution : des pouvoirs exceptionnels peuvent être accordés au Président mais, si ce dernier outrepasse ses droits, sa responsabilité peut être alors mise en cause conjointement par les deux chambres – devant la Haute Cour, par exemple.

Il faut donc absolument maintenir l'article 16 ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

M. Le Bouillonnec a soulevé un argument intéressant en rappelant que ce qui motive le recours à l'article 16, c'est la remise en cause des pouvoirs constitutionnels. En revanche, l'exemple de l'action terroriste évoqué par le Gouvernement n'est pas pertinent. Si l'on admet une telle hypothèse, l'article 16, en déléguant presque sans contrôle tous les pouvoirs au Président de la République, constitue moins un outil destiné à protéger l'intégrité de la République qu'une menace pour celle-ci.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Avec Noël Mamère pour président, c'est certain ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Le cas des États-Unis est à cet égard exemplaire. Deux lois très importantes y ont été votées avec l'effet de dessaisir le Congrès d'une partie de ses pouvoirs. La première, le War powers act, qui date de 1973, était censée apporter d'importantes restrictions aux opérations militaires menées par les États-Unis, mais elle a été largement détournée de son sens. La deuxième, le Patriot act, permise par la véritable opportunité politique qui se présentait au lendemain de l'attaque terroriste contre les Twin towers, a contribué à donner au Président des pouvoirs qui auraient dû être contrôlés par le Parlement – et nous savons ce qu'il est advenu. C'est donc tout le peuple américain, et pas seulement les parlementaires et les constitutionnalistes, qui garde de cet épisode un goût amer. Ne commettons pas la même erreur.

Il serait plus responsable d'abroger l'article 16, porteur de très graves dangers, que de suivre le Gouvernement et de laisser au Président de la République toute liberté de décider à partir de quel moment une menace pèse sur les pouvoirs constitutionnels. Le Parlement ne doit pas accepter de lui donner un tel pouvoir d'appréciation, une autorisation aussi floue.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur les amendements identiques nos 280, 316 et 386.

(Il est procédé au scrutin.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 90

Nombre de suffrages exprimés 90

Majorité absolue 46

Pour l'adoption 25

Contre 65

Les amendements identiques sont rejetés.

Je suis saisi de deux amendements, nos 387 et 317, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l'amendement n° 387.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Nous avons déjà indiqué que nous étions favorables à la suppression pure et simple de l'article 16, que nous estimons non seulement inutile, mais surtout extrêmement dangereux, parce qu'il autorise le chef de l'État à prendre, seul, des décisions relevant du domaine de la loi et de la protection des droits fondamentaux sans aucun contrôle juridictionnel.

L'article 5 propose l'instauration d'un contrôle renforcé de l'exercice des pouvoirs exceptionnels par le Conseil constitutionnel, dispositif qui représente, certes, une petite avancée, hélas très insuffisante. Il ne suffit pas que le Conseil constitutionnel puisse dire si les conditions exigées pour la mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels sont réunies ou non ; encore faudrait-il que ses avis soient contraignants.

Le comité Vedel avait proposé, en son temps, que le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, puisse constater que les conditions ne sont plus réunies pour l'application de cet article et préciser la date à laquelle les pouvoirs exceptionnels cessent de produire leurs effets. Sans doute serait-il difficile de lui reconnaître un tel pouvoir. Pourquoi ne pas alors le reconnaître au Parlement et permettre à ce dernier de se prononcer, une fois l'avis rendu public, sur l'opportunité de mettre fin ou non à ces pouvoirs exceptionnels ? C'est ce que nous proposons dans cet amendement.

Si le juge constitutionnel n'a pas vocation à apprécier des situations qui n'ont pas nécessairement de caractère juridique – et nous comprenons les objections formulées par le rapporteur sur ce point – le Parlement possède, quant à lui, la légitimité nécessaire. En effet, les parlementaires sont les représentants du peuple, et il convient ici de se prononcer notamment sur la date à laquelle doivent prendre fin les mesures de nature législative prises par le Président en application de l'article 16. Le respect de l'équilibre des pouvoirs et de leur séparation, comme la sagesse la plus élémentaire, qui commandaient les préventions du comité Vedel, impose aussi, me semble-t-il, de souscrire à la proposition que nous formulons.

Cet amendement tend donc à substituer à l'alinéa 2 de l'article 5 les quatre alinéas suivants :

« Le Conseil constitutionnel peut être saisi à tout moment par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, un groupe politique, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa sont réunies.

« Il se prononce dans un délai d'un jour franc par un avis public.

« Il procède de plein droit à cet examen.

« Une fois l'avis rendu public, le Parlement se prononce sur l'opportunité du recours au présent article, après un débat en séance publique. »

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l'amendement n° 317.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 387.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 317.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi d'un amendement n° 258.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Cet amendement reprend une disposition commune aux deux précédents, que nous venons de rejeter.

Pour qu'aucun de nos collègues ne soit troublé, je ferai tout d'abord observer à M. Le Bouillonnec qu'il ne s'agit pas du tout, dans la Constitution, d'utiliser l'article 16 – donc de donner les pleins pouvoirs au Président de la République – seulement lorsque les pouvoirs constitutionnels sont interrompus. Cet article s'applique « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire – c'était le cas en 1961, avec la sécession de l'Algérie, alors département français – ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. » Cette dernière condition et au moins l'une des précédentes sont cumulatives et doivent être réunies même dans l'hypothèse d'actes terroristes, et ceux-ci devraient donc représenter une menace d'une gravité tout à fait exceptionnelle.

Ces conditions seront désormais soumises au Conseil constitutionnel. Il est donc légitime que celui-ci porte une appréciation juridique et non politique sur le fait de savoir si elles sont ou non réunies.

Dans la rédaction actuelle de l'article 5, seuls le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Il nous paraîtrait légitime qu'un groupe parlementaire constitué dans l'une ou l'autre des deux chambres puisse le saisir également. En effet, un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale représente au moins près de deux millions d'électeurs. Si, dans des circonstances aussi exceptionnelles et rares – et c'est heureux – que celles justifiant le recours à l'article 16, le Président de l'une ou l'autre assemblée ou soixante députés ou sénateurs s'abstiennent, toute fraction de la représentation nationale reconnue significative – comme l'est un groupe parlementaire, ne serait-ce que par le règlement de l'assemblée à laquelle il appartient – doit pouvoir interpeller le Conseil constitutionnel pour lui demander d'apprécier la légitimité et la légalité du recours aux pleins pouvoirs. Cela nous paraît de bon sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

La commission a émis un avis défavorable. La notion de groupe est interne aux assemblées. Étendre la capacité d'agir d'un groupe, s'agissant de demandes d'acte ou de procédure au sein de son assemblée, ne me choque pas. Lui donner des compétences dans le cadre de procédures auprès d'organes extérieurs soulève beaucoup plus de problèmes. Ses caractères sont définis par le règlement intérieur. De plus, le nombre de ses membres varie. Il suffit d'un simple changement du règlement pour décider, à l'avenir, qu'il peut être composé de cinq,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

… quinze ou vingt membres. Le nombre de membres nécessaire pour constituer un groupe n'est pas identique à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Donc, donner à une structure qui peut varier au gré des règlements la possibilité d'accomplir un acte qui concerne le fonctionnement des pouvoirs publics, comme la saisine d'un organe extérieur, ne me semble pas une démarche suffisamment solide. Il convient de différencier ce qui est interne et ce qui est externe.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Même avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche soutiendra l'amendement du groupe Nouveau Centre.

Nous ne sommes pas d'accord avec le maintien de l'article 16, d'autant qu'une querelle sur l'interprétation de l'usage que le Président de la République pourrait en faire s'est engagée. M. Lellouche, M. Myard et Mme la garde des sceaux…

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Montebourg

…se sont exprimés à titre personnel, s'agissant de mes honorables collègues parlementaires, et au nom du Gouvernement pour ce qui concerne Mme la ministre. L'interprétation de l'usage que l'on pourrait faire de l'article 16 nécessite un contrôle. Étendre ce contrôle à tout ce qui ne serait pas dans le fait majoritaire et le verrouillage auquel il aboutit est utile à l'intérêt général.

Voilà pourquoi nous adressons à nos collègues du groupe Nouveau Centre nos encouragements pour la réussite de cet amendement !

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra l'amendement présenté par le groupe Nouveau Centre pour les mêmes raisons. Suite au refus qui nous a été opposé de supprimer l'article 16, donc face à la menace qui pèse sur nos droits fondamentaux, il est utile de se doter d'une sorte de garde-fou qui contribuera non à une protection, mais à une moindre fragilisation de nos libertés.

Chaque fois que le Parlement peut se mêler de ce qui le regarde, c'est-à-dire de la défense des libertés des Français, il faut qu'il assume cette responsabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Cet amendement me cause une certaine gêne. En effet, il ne faut jamais oublier que cette assemblée est composée de députés de la nation, chacun pris individuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Ce sont ces députés qui s'engagent lorsqu'ils signent une requête adressée au Conseil constitutionnel. Comment ferez-vous, dès lors, en cas de dissidence au sein d'un groupe qui s'exprimera officiellement ? Le pouvoir, qu'il soit législatif ou de requête, appartient à chaque député individuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Mais ils doivent être soixante, en l'occurrence, pour agir. On commet là un mélange des genres, nocif à la notion de député de la nation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Mes chers collègues, cet amendement a déjà donné lieu à trois prises de parole. Ceux qui n'ont pas pu s'exprimer auront l'occasion de le faire ultérieurement.

Avant de passer au vote, je donne la parole à M. François Sauvadet, coauteur de l'amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Sauvadet

J'ai écouté avec attention les prises de position des uns et des autres et notamment celle de M. Myard. Je lui ferai observer que ce que nous proposons n'est pas exclusif de la démonstration qu'il vient de faire, puisque les parlementaires, de quelque groupe ou formation politique qu'ils émanent et quelle que soit leur histoire, peuvent décider individuellement de se regrouper pour faire un recours.

La question qui nous est très directement posée – comme l'a expliqué Jean-Christophe Lagarde – concerne le rôle des groupes politiques. J'ai été très attentif à vos propos, monsieur le rapporteur, lorsque vous avez expliqué votre conception du groupe et de sa fonction dans une démocratie moderne. Considérer que le nombre de leurs membres pouvant varier du fait de la modification du règlement, le rôle des groupes n'a pas à être reconnu dans cette assemblée, pose un problème de fond. Chaque groupe politique a un rôle éminent à jouer. Nous avons d'ailleurs un débat similaire sur les concepts de majorité et d'opposition. Ne nions pas que l'expression des groupes participe de la vitalité de la vie démocratique française. Pour beaucoup d'entre eux, ils sont l'émanation de formations politiques légitimées par le suffrage universel.

Monsieur le rapporteur, ne balayez pas d'un revers de main notre proposition, au motif que le règlement pourrait faire varier le nombre de parlementaires nécessaires pour former un groupe. Les députés du groupe Nouveau Centre seront toujours attentifs à ce problème de fond.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Vous avez la parole pour une très courte intervention, monsieur de Charette.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Monsieur le président, je ne m'exprime jamais très longtemps. Et ne dites pas que les intervenants ont été assez nombreux. Si vous ne leur permettez pas de prendre la parole, il ne faudra pas vous étonner que de moins en moins de députés assistent aux débats ! Si moi, je ne peux pas parler, je prends mes affaires et je rentre chez moi ! Je vous le dis franchement !

L'article 16 n'est pas banal. C'est même un des piliers de la Constitution de 1958, donc de la Ve République. Le fait qu'il n'ait que très peu servi n'enlève donc rien à son importance significative. Je ne suis d'ailleurs pas surpris que la gauche ait déposé des amendements tendant à le supprimer. Mais, malgré des lignes de clivage fortes, préserver cet article me paraît être un devoir fondamental.

Je ne crois pas que le comité Balladur ait été bien inspiré de soulever ce couvercle, ni que le Gouvernement l'ait été de le suivre. L'article 16, tel qu'il est rédigé, comporte des règles, principes et éléments de sauvegarde qui se suffisent à eux-mêmes.

Cet article aurait pu être utilisé en 1940 puisqu'il a été rédigé, précisément, en pensant au désastre politique consécutif à la défaite. Tel aurait pu être également le cas pendant la guerre de 1914-1918. En effet, si vous connaissez ce conflit, ce dont je ne doute pas, vous savez que la conduite du gouvernement et du Parlement pendant cette période n'a pas suscité l'admiration générale !

Reste que, depuis que la Ve République existe, il n'a été utilisé qu'une seule fois. Comme nous sommes loin de ce temps-là et que nous ne voyons pas de menaces à l'horizon, certains veulent l'encadrer. C'est déjà un immense progrès qu'au-delà de quelques relents de l'histoire, plus personne ne le conteste sérieusement et qu'on n'en trouve pas trace dans les textes des professeurs de droit. Le monde juridique français l'a accepté.

Personnellement, je ne voterai pas le texte du Gouvernement. Quant à cet amendement, même si j'ai beaucoup d'amitié et de considération pour M. Lagarde et le groupe qu'il représente, car je suis moi aussi un homme du centre…

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

…et j'écoute avec un a priori positif tout ce qui vient de ce groupe, je ne le voterai pas non plus.

L'article 16 est ce qu'il est. Il n'est pas près de servir, Dieu merci,…

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

…parce que nous ne vivons pas dans un monde où il puisse être utilisé dans l'immédiat, mais laissons-le tel qu'il est et nous ne nous en porterons que mieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 258.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Bernard Debré, inscrit sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Le droit de grâce est une prérogative personnelle du Président de la République, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'instituer une commission pour l'encadrer.

Quel type de commission, d'ailleurs ? Doit-elle être composée de magistrats ? Il s'agirait alors d'un appel sur un appel. Il y aurait une première instance, un appel, puis ce nouvel appel. Cela me semble déplacé. Doit-elle être composée de députés et de sénateurs ? Il y aurait alors une confusion incroyable entre le judiciaire et le législatif.

Je ne vois donc pas très bien l'utilité d'une telle commission, qui, au contraire, pourrait être néfaste. Je préfère qu'on laisse au Président de la République le droit de grâce.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

J'aurai ainsi défendu, monsieur le président, mon amendement de suppression de l'article 6.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Voilà encore un article – l'article 17 – emblématique de la Constitution de 1958.

L'abandon du droit de grâce collective qu'exerçait le Président de la République est sans nul doute une bonne chose.

Pour le droit de grâce individuelle, pourquoi ne prenons-nous pas comme structure de consultation pour avis le Conseil supérieur de la magistrature, comme c'était le cas lors de l'exercice du droit de grâce en faveur d'un condamné à mort avant que la peine de mort ne soit abolie ?

Même si nos amendements n'étaient pas acceptés, l'avis du Conseil supérieur de la magistrature serait d'autant plus pertinent qu'après cette révision constitutionnelle, il sera plus encore considéré par le corps judiciaire mais également par les citoyens comme l'institution qui préserve les grands enjeux de l'autorité judiciaire. On contournerait ainsi l'objection de M. Debré selon laquelle ce serait un appel. Le droit de grâce individuelle, on peut imaginer qu'il s'exercera tous recours épuisés – la loi d'ailleurs y oblige – et que la peine pourra être dans sa phase d'exécution.

Nous proposons donc que l'avis soit demandé au Conseil supérieur de la magistrature plutôt qu'à une nouvelle institution, une commission dont le fondement et peut-être même l'inspiration seront décalés par rapport au Conseil, dont la vocation, dans sa nouvelle composition, sera renforcée par les dispositions que nous allons adopter.

Cela dit, madame la garde des sceaux, si l'on renonce aux grâces collectives à l'initiative du Président de la République, il faut s'interroger sur la situation dans les prisons. On ne peut pas supprimer un instrument sans considérer les effets. Actuellement, 66 720 personnes sont sous écrou alors qu'il y a environ 50 000 places. Vous avez annoncé la semaine dernière un décret sur l'encellulement individuel, qui a été voté dans notre pays il y a huit ans, et sans nul doute était-ce la présence du commissaire européen aux droits de l'homme qui vous incitait à rappeler cette exigence. Nous sommes collectivement totalement incapables d'offrir un cadre carcéral répondant aux exigences de la dignité humaine. La prison, c'est seulement la privation de liberté, et pas, en plus, la maladie ou, éventuellement, la violence ou l'absence de lien affectif de toute nature.

J'appelle votre attention sur le fait qu'on ne peut supprimer la grâce collective sans s'interroger sur notre capacité à réguler la population carcérale. En 2004, 9 000 détenus avaient été libérés dans le mois de la décision de la grâce collective, 6 000 en 2006. C'est dire qu'elle était utilisée pour décompresser au sens quasi vital le monde carcéral.

La suppression du droit de grâce collective jusqu'à présent reconnu au Président de la République ne doit pas intervenir sans que la nation s'interroge sur les conditions dans lesquelles elle exécute les peines privatives de liberté et qui font que la France sera à nouveau condamnée dans quelques années si l'on n'y prend garde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Cet article 6 pose problème au groupe Nouveau Centre en raison des deux phrases que comporte le second alinéa.

Première phrase : « Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel. »

Nous ne voyons aucune espèce de raison objective pour que le Président de la République, élu certes par tous les Français, ait un quelconque droit exceptionnel, extraordinaire en matière judiciaire. Nous ne sommes pas dans le cas de l'article 16 où le Président de la République doit faire face à une situation d'urgence, de gravité exceptionnelle, et où la préservation des institutions dépend de sa propre personne et des fonctions qui lui ont été confiées. En l'occurrence, au nom de quoi, une fois que la police judiciaire a achevé son travail d'enquête et d'instruction et que la justice a jugé en première instance, vraisemblablement en appel et parfois même en cassation, le Président de la République, seul, pourrait-il décider d'effacer une condamnation, ou du moins ses effets, alors qu'elle a été prononcée au nom du peuple français par les magistrats de tout un système judiciaire que nous mettons ensemble en place pour essayer de faire en sorte que les jugements soient équitables ? N'ayant pas pris d'engagement à ce sujet lors de la campagne électorale – s'agissant d'un droit de grâce individuelle, c'était évidemment impossible –, il ne saurait être responsable devant les Français, alors que les juges le sont.

L'amnistie, c'est autre chose. Ce sont les parlementaires, représentant la volonté du peuple, qui, à titre individuel ou à titre collectif, décident d'effacer la faute commise et condamnée. Nous avons d'ailleurs eu ce débat sur les amendements avant l'article 1er.

En tout état de cause, au nom de quoi, si ce n'est d'un résidu monarchique qui demeure dans notre Constitution, le Président de la République aurait-il le droit de passer par-delà la justice française, alors même qu'il ne sera plus le président du Conseil supérieur de la magistrature et que l'on sépare la fonction régalienne de l'exécutif de la fonction judiciaire ?

Seconde phrase : « Il exerce ce droit après avis d'une commission dont la composition est fixée par la loi ».

Il y a fort peu de garanties dans la Constitution sur la composition de cette commission, qui pourra varier d'une majorité à l'autre, d'une loi à l'autre, ce qui est regrettable. À tout le moins, si cet article devait être maintenu, ce qui est déplorable et fait de nous une exception – quel autre chef d'État au monde, dans une démocratie, a un droit de grâce individuelle ? –, il me semble que c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui devrait émettre un avis, d'autant que le Président de la République n'en sera plus le président.

On pourra objecter que ce n'est pas vraiment son rôle, à lui non, plus de passer outre au pouvoir judiciaire, outre aux décisions de justice, mais, dans notre droit, avant l'abolition de la peine de mort, c'est lui qui émettait des avis sur la peine la plus grave qui puisse être prononcée. Il sera composé de personnalités reconnues, dont la nomination sera désormais contrôlée par le Parlement. Si l'on maintenait ce droit inutile, il faudrait au moins que ce soit lui qui se prononce sur les grâces éventuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Merci, monsieur le président, de me donner la parole. Je vous suis très reconnaissant de ce geste de courtoisie.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Monsieur de Charette, j'applique le règlement. Tout à l'heure, un grand nombre d'intervenants étaient déjà intervenus sur l'amendement en discussion, au-delà de ce que prévoit le règlement d'ailleurs. Ce que je souhaite, c'est que nos débats soient le plus compréhensibles possible, que les arguments puissent être saisis par chacun d'entre nous et par tous ceux qui suivent nos travaux. C'est le seul but qui nous rassemble.

Vous êtes inscrit sur l'article 6 et vous avez la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Vous savez l'admiration et l'affection qui me portent vers vous. (Exclamations sur divers bancs.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Mes chers collègues, vous vous rappelez sûrement cette phrase du général de Gaulle – je suis le seul à le citer et j'en profite parce que je trouve ça drôle : « Tout pouvoir procède du Président de la République, y compris le pouvoir judiciaire. »

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Aujourd'hui, ça ne fait plus aucun effet, mais ce fut un beau tollé il y a près de quarante ans.

Je pense en effet que, sous des formes qui peuvent évoluer avec le temps, le Président de la République est responsable du bon fonctionnement de l'ensemble des pouvoirs publics, inclusivement le pouvoir judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

C'est à cette réflexion que se raccroche ce que nous avons à dire sur le droit de grâce.

Je pense vraiment que, dans une société quelle qu'elle soit, de quelque temps qu'elle soit, et si parfaite que puisse y être la justice, laquelle fait naturellement tous ses efforts, il peut être utile, il est même absolument nécessaire qu'il y ait quelque part quelqu'un pour exercer ce qui s'appelle le droit de grâce. Et le seul personnage de la République qui le puisse, c'est le Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Sur cette base, vous avez cru nécessaire, madame la ministre, à la suite de la commission Balladur, dont, décidément, j'approuve assez peu des conclusions, de distinguer le droit de grâce collective et le droit de grâce individuelle.

En ce qui concerne d'abord le droit de grâce individuelle, la proposition que le Président prenne l'avis d'une commission avant de l'exercer me ferait éclater de rire si elle n'était pas sérieuse. Quelle commission – composée par qui ? comprenant qui ? – aurait le droit de partager ce privilège quasi sacré de revenir sur la décision prise par des juges et revêtue de toute leur dignité et de toute leur expérience juridique ? Où ira-t-on chercher des gens susceptibles de conseiller le Président en la matière ? Quelle est cette farce ?

Cette responsabilité est entre les mains du Président. Je vous renvoie aux quelques pages des mémoires de Giscard d'Estaing consacrés au droit de grâce, qu'il avait dû exercer une fois au cours de son mandat. Son refus de l'accorder avait été à l'époque très discuté. Il y décrit l'émotion et le trouble qu'il avait ressentis alors. Je crois, pour ma part, que cette fonction, cette émotion, ce trouble, même si la peine de mort n'existe plus, ne se partagent pas. C'est une fonction qu'on doit exercer seul, comme toutes les grandes fonctions d'autorité. Voilà pourquoi je ne voterai pas une disposition qui impose au Président de la République de demander à une commission Théodule ce qu'il doit faire. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

S'agissant du droit de grâce collective, une fois encore, madame la ministre, on se drape dans la vertu pour se scandaliser de ce que le Président, sous prétexte qu'il a été élu, gracie je ne sais combien de personnes uniquement parce que les prisons sont surpeuplées. D'abord, cela peut être pour d'autres raisons : on ne sait pas quelles circonstances peuvent justifier une grâce collective, mais ce que j'ai à dire vaut dans tous les cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Je n'en ai que pour deux secondes, monsieur le président.

En toute hypothèse, madame la ministre, avant que nous ne votions un texte qui supprime un moyen d'alléger des prisons surpeuplées, il faudra nous dire ce qu'on compte faire pour régler ce problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Le droit de grâce n'est pas un reliquat de la monarchie : c'est une nécessité de la justice des hommes. Et je m'étonne que de la gauche nous viennent des attaques contre le droit de grâce du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Il suffirait que nos collègues se remémorent l'affaire Dreyfus pour comprendre l'utilité du droit de grâce : il a permis de faire revenir le capitaine Dreyfus, sans attendre la révision finale de son procès, du bagne où il avait été injustement emprisonné. Il est donc nécessaire de garder dans la justice des hommes ce droit de grâce, a fortiori individuel – pourquoi le qualifier ? –, et il est clair qu'il doit relever du Président de la République, qui est au sommet de la construction juridique et étatique.

Et si le Président doit absolument recueillir un avis, comme cela a déjà été le cas dans le passé, pourquoi recréer une commission Théodule alors qu'il existe le Conseil supérieur de la magistrature ?

Ma position est donc d'abord de rejeter cet article, qui n'ajoute rien à un texte qui doit rester intact. Mais s'il fallait absolument l'avis d'une commission, seul le CSM serait habilité à remplir ce rôle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Dans ce débat absolument passionnant sur une notion fondamentale, je me retrouve totalement dans les propos d'Hervé de Charette et je ne comprends pas la position de Jean-Christophe Lagarde. De son point de vue, la justice française est pure et parfaite,…

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Parce que le Président de la République, il est pur et parfait ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Non plus ! Mais une imperfection peut en corriger une autre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

…toutes ses décisions doivent s'imposer, et on doit par principe s'interdire toute soupape de sécurité.

Ce qu'on nous propose ici, c'est d'abord une confirmation du droit de grâce, acquis fondamental de la Ve République, même si c'est un héritage plus ancien.

Deuxièmement, une loi fixera la composition de la commission créée par cet article. Au moment où nous en débattrons dans cet hémicycle, il faudra éviter que cette commission soit exclusivement composée de magistrats, afin que le Président de la République puisse être éclairé par une palette de points de vue.

Mais le principe reste inchangé : la décision appartient en dernière instance au Président de la République. Je souhaite pour ma part que la République française puisse libérer toute personne qui a fait l'objet d'une erreur judiciaire avérée sans attendre un procès en révision. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Vous confondez grâce et révision : ce n'est pas la même chose !

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Nous sommes d'accord, cher collègue : du point de vue de la condamnation, la grâce est une chose, et la révision en est une autre. Mais en considération du principe même, en souvenir de l'affaire Dreyfus, vis-à-vis de l'opinion publique et dans l'intérêt des personnes en cause, je suis attaché à cette possibilité de libération.

Voilà pourquoi je voterai cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Je le voterai d'autant plus volontiers qu'il permet au Président de la République de conserver son droit de grâce, tout en créant une commission, sur la composition de laquelle nous aurons à nous prononcer le moment venu, pour éclairer son choix.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Cet article est certainement l'un des moins contestables du texte, car il marque un progrès évident.

Il est vrai d'abord – pourquoi ne pas le dire ? – qu'il conserve un des meilleurs aspects du pouvoir monarchique :…

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

…la possibilité pour le roi de réparer ce qui paraissait, eu égard à la personne en cause, parfaitement injuste. Je vous en donnerai rapidement deux illustrations littéraires : à la fin de Tartuffe ou du César Birotteau de Balzac, c'est l'intervention du roi qui sauve un pauvre homme d'une injustice.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Autrement dit, le droit de grâce n'est pas la réparation d'une erreur judiciaire : c'est la pratique la plus élevée de l'équité, c'est-à-dire de la prise en compte de l'histoire d'une personne et d'un événement particulier qui s'y est produit. Je rejoins là encore, cher Noël Mamère, le personnalisme. Étant donné que la loi ne vise pas les personnes, il est bon que de temps en temps le pouvoir, au plus haut niveau, puisse les prendre en compte.

C'est pourquoi je m'inscris en faux contre ce que vous avez dit, monsieur Le Bouillonnec : qu'on limite le droit de grâce à des cas individuels me paraît une nécessité évidente. Si le droit de grâce, pour reprendre la formule d'un procureur de la République, ne doit servir qu'à la « gestion hôtelière des prisons », il devient synonyme de l'injustice la plus totale.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Je frémis quand je pense aux nombreux articles de presse qui seront encore consacrés à la récidive de tel ou tel personne qui devrait être en prison. De tels articles, vous en lisez comme moi tous les jours, mes chers collègues. Alors de grâce, si j'ose dire, agissons de façon responsable. Il y a aujourd'hui moins de prisonniers en France qu'en Grande-Bretagne. Il est vrai qu'ils sont fort mal logés. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Qu'en termes galants ces choses-là sont mises !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

La raison en est très simple : nous n'avons pas assumé notre responsabilité, qui aurait dû nous imposer de prévoir suffisamment de lieux d'incarcération. La gauche n'a strictement rien fait sur ce plan. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

C'est elle, en tout cas, qui en a fait le moins. Au contraire, chaque fois que nous avons été majoritaires, nous avons apporté une réponse à cette question, soit en construisant davantage de lieux de détention, soit en créant des peines de substitution. Vous qui y avez beaucoup travaillé, monsieur le rapporteur, vous ne me démentirez pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Assumons nos responsabilités : faisons en sorte que les prisonniers, plus nombreux, soient mieux logés. Surtout, mettons fin à la profonde injustice que sont les grâces collectives. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Clément

Si je rejoins la plupart des intervenants sur le droit de grâce individuelle, monsieur le président, j'avoue que je n'ai pas le même avis sur les grâces collectives.

Le droit de grâce individuelle n'est pas spécifique à la monarchie : c'est simplement un droit ancien, le dernier droit de l'innocent. Pour les cas où une erreur judiciaire apparaîtrait dans des délais qui, par définition, excèdent celui du jugement, parfois de plusieurs années, le droit français prévoit la procédure de révision, lourde à mettre en oeuvre et à l'issue incertaine. Quand l'erreur est évidente, le chef de l'État – depuis un millénaire en France – a le droit de rapporter une décision de justice. C'est arrivé à peine une fois par septennat : depuis la décision qu'a dû prendre M. Giscard d'Estaing au cours du sien, je ne suis pas sûr qu'il y en ait eu d'autre. C'est dire qu'il s'agit d'une question plus théorique que pratique. Il est cependant toujours opportun de laisser une porte ouverte par où sauver un innocent.

Quant aux grâces collectives, même si c'est la mode de les remettre en cause et si elles ont été effectivement refusées, c'est à mes yeux une erreur, pour une raison simple. Si la France disposait des capacités de détention qu'elle souhaite, c'est-à-dire non pas 50 000 mais un peu plus de 60 000 places puisqu'elle compte 63 000 détenus, si j'ai bien lu les articles parus ces jours-ci, je concevrais tout à fait qu'elle refuse, par notre vote, de reconnaître au Président de la République un droit de grâce collective, soit une remise de peine de trois semaines, ce que tout le monde ne sait pas – ce n'est pas trois ans ! –, qui permet aux prisons françaises de respirer.

Mais nous, Français, n'avons pas encore toutes les places de prison que nous souhaitons, et nous ne les aurons pas avant 2010, voire 2012, à l'issue du programme de création de 10 000 places lancé par le gouvernement Raffarin. D'ici là, s'accrocher par principe au refus des grâces collectives est extrêmement choquant car c'est méconnaître les conditions de vie des détenus.

Voilà pourquoi je vous le dis clairement : je suis pour les grâces collectives tant que nous n'aurons pas inauguré les dernières prisons du programme lancé par le gouvernement Raffarin.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Clément

Oui, mais qui concerne des hommes, ne l'oublions pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Noël Mamère pour une brève intervention, car il y a déjà eu beaucoup de prises de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

C'est un sujet important, monsieur le président. De plus, cette discussion sur l'article nous permettra de défendre plus brièvement nos amendements.

Après avoir écouté votre conclusion, monsieur Clément, j'ai l'impression, pour reprendre l'exemple de M. Vanneste, que nous sommes en pleine « tartufferie ». Comment pouvez-vous nous dire, vous qui avez été garde des sceaux, et responsable à ce titre de la politique pénale, que votre objectif est de mettre moins de personnes en détention ? Les uns et les autres, vous avez fait voter par cette assemblée des lois qui contribuent à remplir toujours davantage nos prisons, telle la loi créant des peines planchers en cas de récidive. Comme l'a rappelé M. Le Bouillonnec, la France compte plus de 63 000 détenus pour 50 000 places de prison.

Vous avez tort, monsieur Vanneste, de dire que seule la droite a mené des politiques pénitentiaires. Vous oubliez que c'est sous la gauche que la commission d'enquête parlementaire sur la situation des prisons a été créée.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

À l'unanimité des commissaires, elle a dénoncé une situation qui vient à nouveau de l'être par les enquêteurs du Conseil de l'Europe. Nous sommes l'un des pays d'Europe où la condition des détenus est la pire. Comme l'a écrit Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, une fois franchie la porte de la prison, il n'y a plus de citoyenneté : c'est un autre monde qui commence, soumis à d'autres lois. Nous devons d'autant moins accepter que nos détenus vivent dans des conditions aussi barbares qu'elles sont aussi l'image de notre démocratie et de notre conception des libertés.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une politique qui, loi après loi, criminalise d'une certaine manière l'ensemble de la société et ne cherche pas de solutions alternatives. Et la loi pénitentiaire en cours de préparation n'a rien pour nous rassurer.

Le droit de grâce du Président de la République – cette survivance car, bien que M. Clément nous explique qu'il ne s'agit pas d'un pouvoir monarchique, c'est bien là pourtant'un héritage du « bon plaisir » – a permis de disposer, pour reprendre l'expression du professeur Guy Carcassonne, d'une sorte de soupape républicaine pour éviter l'engorgement de nos prisons. Mais doit-il vraiment servir de soupape à une politique pénale condamnable et condamnée par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ? C'est par là qu'il faut commencer. Ne traitons pas les causes par leurs effets et considérons qu'en tant que constituants investis du rôle de réformer les institutions, la suppression du droit de grâce, à titre collectif ou individuel, est une nécessité, comme l'est d'ailleurs la suppression de l'article 16 de la Constitution. Vous n'allez pas nous faire croire, en effet, qu'en examinant ce projet de loi article par article, on pourrait oublier dès l'article 6, relatif au droit de grâce, ce qui vient d'être dit à propos de l'article 5. Additionner l'article 16 et le droit de grâce, c'est beaucoup pour un seul homme et c'est trop pour la République !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Alors, voilà cinquante ans que nous vivons dans une République monarchique et bananière !

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Les idées que je défends et celles de Noël Mamère se rencontrent souvent, mais pas sur ce sujet. Il faut en effet qu'il y ait dans la République une sortie de secours pour des situations de crise qui n'ont pas été prévues antérieurement par le législateur.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Je ne songe pas tant à la gestion des prisons qu'à de grands événements historiques qui pourraient exiger que, pour que la nation échappe à un affrontement interne, le Président de la République décide, sans loi d'amnistie, d'exercer son droit de grâce. S'il doit y avoir un droit de grâce, il ne doit pas être trop étroitement enfermé. Nicolas Sarkozy a d'ailleurs montré qu'une élection du Président de la République sans droit de grâce automatique était tout à fait possible.

Il faut donc conserver cette issue qui permet à celui qui a en charge la nation et son avenir de décider qu'une situation de crise mérite une mesure de clémence exceptionnelle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Sur l'article 6, je suis saisi de deux amendements de suppression, nos 123 et 440.

La parole est à Mme Sylvia Pinel, pour soutenir l'amendement n° 123.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvia Pinel

Je souscris aux propos qui viennent d'être tenus, notamment par François Bayrou. L'amendement n° 123 vise à supprimer l'article 6, selon lequel le droit de grâce du Président de la République s'exerce après avis d'une commission dont la composition est fixée par la loi.

Les auteurs de l'amendement s'interrogent en effet sur la composition et sur l'utilité de cette commission, qui n'apparaît pas nécessaire. Non pas que le Président de la République ne doive pas bénéficier d'un avis : cela nous paraît au contraire un préalable indispensable à toute décision de grâce, mais parce que cet avis existe déjà. En effet, les recours motivant les demandes de grâce font l'objet d'une instruction par le bureau des grâces de la chancellerie, qui transmet au secrétariat général de la présidence ceux qu'elle juge fondés, exerçant ainsi un rôle de filtre et donc de recommandation et d'avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvia Pinel

C'est par exemple ce bureau qui a décidé du bien-fondé de la demande de grâce de Paul Touvier, laquelle a été ensuite accordée par le Président Pompidou.

Le projet de loi constitutionnelle n'apporte donc rien de véritablement nouveau, puisqu'il ne prévoit qu'un simple avis que le Président de la République ne sera pas tenu de suivre, comme c'est déjà le cas aujourd'hui pour l'avis du bureau des grâces. Si donc il faut encadrer le droit de grâce, pourquoi ne pas confier au CSM la charge d'émettre cet avis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

L'amendement n° 440 a été défendu par M. Debré dans son intervention sur l'article.

Quel est l'avis de la commission sur les amendements de suppression ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

L'avis de la commission est défavorable.

Le droit de grâce, qui est une solution à certaines situations, est une nécessité dans un État, et ce serait, à mon sens, une très profonde erreur que de le supprimer. Le texte qui nous est proposé par le Gouvernement en supprime l'utilisation collective. De fait, depuis 1980, le droit de grâce collective a en quelque sorte été une drogue que s'est auto-administrée notre système pour tenter de limiter l'inflation carcérale – le summum ayant été atteint en 2000, certains détenus ayant bénéficié cette année-là de remises de peine d'une durée excédant celle des peines effectuées. Sans doute s'agissait-il là d'une dégradation de l'utilisation du droit de grâce collective et il me semble positif que le précédent Président de la République ait commencé d'en limiter les effets et que le Président actuel ait entrepris d'y mettre un terme.

L'article 6 prévoit néanmoins de conserver le droit de grâce individuelle – ce qui est heureux, car ce droit est nécessaire dans certaines situations. Il prévoit également de faire examiner les demandes de grâces par une commission. Un filtre existe déjà aujourd'hui, Mme Pinel l'a rappelé, celui du bureau des grâces du ministère de la justice. Je précise que ce bureau a été saisi en 2007 de 7 018 recours en grâce et que seuls 43 décrets de grâce individuelle ont été accordés par le Président de la République, dont 40 concernant des peines d'amende. Ce droit, dont l'exercice est donc très limité, me semble jouer simplement le rôle de soupape de sécurité.

Quant à savoir s'il faut garder le système de filtre du bureau des grâces de la chancellerie ou s'il faut, comme le suggère le projet de loi, confier ce rôle à une commission, auquel cas nous serions les décisionnaires, je comprends les motivations du Gouvernement en la matière. Il ne s'agira toujours que de rendre un simple avis, la commission étant chargée de débroussailler les dossiers, de les filtrer et d'interroger les parquets locaux pour en analyser le contenu. Elle devrait être un peu plus ouverte que ne l'est un organe exclusivement issu du monde judiciaire mais, en substance, le droit n'est pas changé : le droit de grâce est un droit personnel qui appartient à la personne du Président de la République et s'exerce sur des dossiers individuels.

La commission des lois est donc défavorable aux amendements de suppression de l'article et favorable au maintien du droit de grâce individuelle du Président de la République, ainsi qu'à la création d'une commission chargée d'éclairer ses choix, dès lors que la décision finale continue de lui appartenir.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

J'ajouterai, pour compléter les propos du rapporteur, que le droit de grâce ne doit pas être un moyen de régulation de la population carcérale.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

C'est en effet absolument incompréhensible pour les Français et c'est injuste, en particulier pour ce qui concerne les longues peines – par exemple lorsqu'une personne condamnée à 27 ans de prison se trouve en fin de peine au bout de 18 ans.

La grâce collective va à l'encontre de la réinsertion et de la lutte contre la récidive, qui sont nos deux priorités. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République a anticipé la mise en oeuvre de son engagement et qu'il n'y a pas eu de grâce collective l'année dernière.

À en croire M. Mamère, la droite n'a rien fait et la gauche a réuni une commission. Non, la droite a agi et elle seule a construit des places de prison – avec Albin Chalandon en 1987, puis avec le grand programme de construction de places de prison lancé en 2002. La gauche, elle, s'est contentée d'une commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

C'est la gauche qui a construit les places de prison qu'a inaugurées M. Perben !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Monsieur Le Bouillonnec, seule Mme la garde des sceaux a la parole.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Aucun programme de construction de places de prison n'a été engagé sous un gouvernement de gauche. D'ici à 2012, il y aura 13 200 places de prison supplémentaires, dont 3 000 cette année.

Mais vous avez observé à juste titre qu'il existe deux moyens de faire exécuter les sanctions de la manière la plus digne : construire des places de prison – et avoir ainsi des établissements pénitentiaires qui soient à l'honneur de notre pays – ou aménager les peines. L'aménagement des peines, qui a stagné pendant des années, touche désormais plus de 34 % des personnes condamnées, et cela en moins d'un an : c'est un taux sans précédent. Quant aux libérations conditionnelles, qui sont le meilleur outil de réinsertion, si elles ont stagné en 2003, 2004 et 2005, leur proportion est passée, en moins d'un an, à plus de 10 %.

Notre priorité, je le répète, est de lutter contre la récidive et de réinsérer les personnes détenues. Le Gouvernement est opposé à la grâce collective, qui va à l'encontre de la réinsertion, mais il est indispensable de maintenir le droit de grâce individuelle du Président de la République pour des situations exceptionnelles, voire humanitaires. Dans la même logique que celle qui a prévalu à notre souci d'encadrer les pouvoirs du Président de la République en matière de nominations, nous avons souhaité encadrer l'exercice de ce droit par la création d'une commission ad hoc, dont la composition sera déterminée par la loi et qui pourra comprendre des parlementaires, des experts et des membres d'associations de victimes. Un filtre existe déjà, en effet, avec le bureau des grâces de la chancellerie, mais les grâces accordées, notamment individuelles, portent essentiellement sur les amendes. Peut-être cette commission sera-t-elle, si j'ose dire, un peu plus désinhibée que le bureau des grâces, dont les magistrats ont parfois un peu de mal à instruire favorablement les recours, et ira-t-elle un peu plus loin.

La composition de la commission sera déterminée par la loi. Il est vrai, comme le rappelait M. de Charette, que le CSM donnait autrefois son avis sur les recours en grâce des personnes condamnées à mort. Ce n'est plus le cas et, depuis la réforme de 1993, le CSM a pour fonction la nomination, la promotion et la discipline des magistrats, et non pas l'instruction des demandes de grâce individuelle, que nous souhaitons plutôt confier à la nouvelle commission.

Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements de suppression de l'article 6.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe Caresche

Une rapide précision s'impose, notamment après les propos du rapporteur. Nous sommes favorables au maintien du droit de grâce individuelle, mais nous souhaitons également que ce droit soit encadré. Certaines décisions récentes, en effet, n'ont pas été très convaincantes et ont même pu choquer nos concitoyens. Le fait qu'un avis préalable soit rendu par un organe indépendant nous semble être une garantie face à d'éventuelles dérives, et cet encadrement nous paraît essentiel.

Le comité Balladur avait suggéré que ce rôle soit attribué au CSM. Toutefois, l'argument, avancé lors des auditions tenues par la commission des lois, selon lequel le CSM ne serait pas forcément le mieux placé pour remettre en cause des décisions de justice peut plaider pour que cette mission soit plutôt confiée à une commission ad hoc. En tout état de cause, il est important que le droit de grâce soit encadré et puisse réellement s'exercer conformément à l'esprit dans lequel nous l'adoptons.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 123 et 440.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 259, 318 et 388.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l'amendement n° 259.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Comme je l'indiquais tout à l'heure, le groupe Nouveau Centre considère que le droit de grâce n'a pas de justification en tant que tel et je remercie M. Vanneste d'avoir reconnu qu'il s'agissait d'un résidu monarchique dans notre Constitution.

M. Chartier s'interroge sur notre opposition à cette prérogative. Eh bien non, mon cher collègue, nous ne considérons pas que le système judiciaire soit pur et parfait, ni que toute décision judiciaire soit assurément la meilleure ou même qu'elle soit toujours juste. Et contrairement à ce que vous dites, nous ne refusons pas qu'il existe une soupape, mais que ce rôle soit confié au Président de la République.

Le droit de grâce, j'y insiste, est un résidu monarchique. Or la fonction du Président de la République n'est pas de nature monarchique. Sous la monarchie, le roi, de droit divin, était jugé infaillible et pouvait passer par dessus une justice rendue, je le rappelle, en son nom. Aujourd'hui, le Président de la République n'est pas un monarque, ni même l'héritier d'un monarque : je pense d'ailleurs que l'actuel titulaire ne cherche pas à l'être mais entend simplement exercer ses fonctions de premier des citoyens. À ce titre, il n'a pas de légitimité pour prononcer, en aval de l'ensemble du système judiciaire, un nouveau jugement.

J'entends l'objection soulevée par quelques-uns ici, selon qui le droit de grâce serait nécessaire dans des périodes historiques exceptionnelles ou pour trouver une « sortie de secours ». Mais cette exception à la règle commune au nom de la réconciliation des Français, ce n'est pas par le droit de grâce d'un homme seul qu'il faut y parvenir, mais par notre droit d'amnistie à nous, représentants du peuple. En effet, ce sont les représentants de la nation, qui sont le mieux placés pour déceler le dysfonctionnement d'un système judiciaire qu'ils ont mis en place et sont chargés d'évaluer, et pour ouvrir ensuite la sortie de secours. Lorsqu'il s'agit de circonstances historiques exceptionnelles, c'est bien à la volonté générale, dont nous sommes l'expression, et non au Président de la République, de se prononcer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Il représente le peuple, mais pas la volonté générale, monsieur Vanneste. Reprenez vos cours d'histoire et de droit constitutionnel, vous le verrez. La volonté générale s'exprime par les représentants du peuple que sont l'Assemblée nationale, et, par le biais des territoires, le Sénat. C'est donc au Parlement que devrait se décider, sinon la grâce, en tout cas l'amnistie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Toute autre solution ferait du Président de la République une sorte de monarque.

Il nous paraît d'autant moins bon qu'il conserve un tel pouvoir que ce projet de révision tend à le faire sortir du système judiciaire en lui enlevant la présidence du CSM. Le Président de la République ne doit plus décider seul, sans être tenu d'en rendre compte devant qui ce soit ! Le projet lui en laisse pourtant la possibilité. À la limite, j'aurais pu concevoir qu'un Premier ministre, responsable devant nous, ait cette compétence. Mais un Président de la République qui n'est responsable devant personne…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

…et qui a le droit de passer outre aux décisions de la justice française, cela me paraît anachronique dans une Constitution. J'observe d'ailleurs que les autres pays démocratiques n'accordent pas à leur chef d'État un tel pouvoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Noël Mamère, pour défendre l'amendement n° 318.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Nous avons eu l'occasion, dans la discussion sur l'article, d'exposer nos arguments, assez semblables à ceux deJean-Christophe Lagarde, qui justifient cet amendement tendant à la suppression de l'article 17 de la Constitution. S'il est repoussé, nous reviendrons, dans des amendements de repli, sur l'encadrement du droit de grâce donné au Président de la République. Il nous semble que l'article 6 du projet se situe dans la continuité de l'article précédent puisqu'il donne encore un peu plus de pouvoirs à un Président qui en a déjà beaucoup. Une telle prérogative ne peut pas contribuer à l'équilibre de notre République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Roland Muzeau, pour défendre l'amendement n° 388 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Nous demandons bien évidemment la suppression de l'article 17 de la Constitution, où nous voyons l'expression directe des droits régaliens d'un président tout puissant, certains disent d'un « président-roi ». Cet article n'a donc pas sa place dans la loi fondamentale, pilier d'une République de droit, parce qu'il renvoie à une vision vraiment archaïque de la démocratie.

En tout état de cause, ce n'est pas en limitant les pouvoirs exceptionnels autorisés par l'article 16 ou le droit de grâce que l'on corrigera l'excès de présidentialisme qui, au quotidien, caractérise, chacun le sait, les dérives d'une Ve République faussement moderne.

Tant dans la forme que sur le principe, le droit de grâce, discrétionnaire par essence, n'a plus lieu d'être dans notre démocratie et renvoie à quelques réminiscences monarchiques profondément rétrogrades. Nous considérons donc que ce droit exorbitant du Président de la République doit être purement et simplement abrogé. Bien évidemment, si, comme je le présume, nous n'étions pas suivis, nous aurions, nous aussi, un amendement de repli qui permettrait de mieux en encadrer l'exercice.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

L'avis du Gouvernement est également défavorable.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

De grâce, monsieur Le Bouillonnec ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Je ferai trois observations.

Monsieur Lagarde, le droit de grâce et l'amnistie, ce n'est pas la même chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Le droit de grâce n'emporte pas suppression de la condamnation ni de plusieurs de ses effets – je pense au casier judiciaire –, alors que l'amnistie les supprime.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

De ce fait, ce n'est pas la même chose de gracier et d'amnistier.

Deuxièmement, tout corps social doit pouvoir se doter d'un instrument de régulation placé au-dessus du processus ordinaire de réglementation, de sanction et de condamnation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

S'il ne possède pas un tel instrument juridique, le corps social contredit sa condition fondamentale de fonctionnement, c'est-à-dire de son humanité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

De plus, comme l'a dit M. Bayrou, aucun corps social ne peut construire des règles répondant à toutes les circonstances susceptibles de se présenter un jour à lui.

Mais qui doit disposer d'un tel instrument juridique ? Il serait contraire à sa nature que l'on en fasse un usage collectif. En revanche, il n'est pas absurde de placer cet instrument entre les mains du Président de la République, seul à détenir en propre sa légitimité du peuple français,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

…alors que nous, nous la partageons.

Sans revenir sur la condamnation ou l'exécution de la peine, il faut pouvoir prendre en compte d'autres considérations – le principe d'humanité ou encore les circonstances – afin de permettre au corps social de mieux se réguler.

C'est pourquoi supprimer le droit de grâce exercé par le Président de la République à titre individuel affecterait la capacité de la société à s'humaniser et l'empêcherait de régler des situations non prévues par le droit qu'elle élabore. Le groupe socialiste est donc contre ces amendements de suppression. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Je m'étonne tout d'abord que l'on ne soit pas assez réaliste pour admettre la continuité de l'État en France. Il y a eu une monarchie ; il y a maintenant une République : considérer qu'entre le monarque et le plus haut degré de l'exécutif il existe une continuité pour remplir une mission d'humanité, comme M. Le Bouillonnec vient fort justement de le souligner, cela me convient très bien. Quand on parle des pouvoirs régaliens, il s'agit des pouvoirs qui appartenaient au roi et qui appartiennent maintenant à l'exécutif de la République. Cela n'a rien de choquant.

Au-delà de ce problème de sémantique, vous avez commis, monsieur Lagarde, un contresens. Il faut bien évidemment respecter le principe de la séparation des pouvoirs, mais on peut accepter que, dans des cas tout à fait exceptionnels, le plus haut niveau du pouvoir exécutif puisse remédier à une situation personnelle après une décision judiciaire. En effet, d'où émane cette décision ? Elle provient, d'une part, des magistrats, qui ont appliqué la loi, avec sans doute une notion d'équité, et, d'autre part, de ceux qui ont fait la loi, c'est-à-dire des parlementaires. Ces derniers la font avec un seul objectif : l'intérêt général. « Il n'y a de loi que du général », disait Aristote. Et c'est toujours vrai. Nous ne faisons pas de loi particulière. Lorsque nous nous y risquons, nous ne sommes alors plus en République – souvenons-nous de la Convention. C'est la raison pour laquelle nous sommes les derniers à pouvoir exercer un droit de grâce car ce serait nous nier nous-mêmes, aller à l'encontre de la loi et de son application par l'autorité judiciaire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

M. Le Bouillonnec a fait une très remarquable démonstration dont je partage entièrement l'argumentation. Rien n'est pire que de vouloir soumettre toute la vie à l'esprit de géométrie en considérant que l'ensemble de l'architecture du droit et des décisions de justice devrait avoir un caractère absolu. La vie exige au contraire que l'on garde possible le recours à l'esprit de finesse, capable, lui, de pressentir, dans ce qui paraît une situation générale, des cas particuliers ou exceptionnels qui méritent une intervention au nom de l'humanité. C'est par là, par cette petite lumière qui apparaît au bout du tunnel, que l'humanité de notre architecture de justice et de droit est garantie.

Ce serait donc une grave erreur de supprimer le droit de grâce. Il faut au contraire le sauvegarder. Je suis absolument certain que nous connaissons tous des situations dans lesquelles il est apparu comme vital, comme une raison de vivre, pour ceux qui étaient soumis à de telles décisions de justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Mes chers collègues, nous avons commencé la séance de cet après-midi sur un désaccord à mon avis excessif au sujet de l'article 16 de la Constitution. Nous savons tous, en effet, que nous vivons malheureusement dans un monde dangereux et qu'il faut bien, dans certains cas, préserver des pouvoirs exceptionnels. Mais je suis satisfait de constater que, sur le droit de grâce, je me retrouve entièrement dans ce qu'a dit, très brillamment, M. Le Bouillonnec. Pourtant, c'est un sujet tout aussi symbolique que celui de l'article 16, et le symbole de la survivance d'un droit ancré dans des temps très anciens. Le fait que le groupe socialiste et le groupe UMP se retrouvent à ce sujet me renforce dans l'idée que nous sommes tous des constituants, que nous sommes tous libres dans nos têtes – en tout cas, je le suis – et que nous pouvons probablement arriver ensemble à de bonnes décisions dans l'intérêt du pays.

Il reste tout de même parmi nous d'éminents collègues qui, pour des raisons proprement idéologiques, critiquent ce qu'ils appellent « l'archaïsme » du droit de grâce et veulent le supprimer. Je le regrette parce qu'à pousser trop loin l'idéologie de la fausse modernité, on risquerait de supprimer la seule soupape de sécurité qui permette de maintenir l'humanité de notre système. Nulle justice n'est parfaite. Aucune justice humaine ne peut préjuger de toutes les situations.

Qui doit ouvrir la soupape ? M. Lagarde, je le lui dis en toute amitié, confond à cet égard le droit de grâce et le droit d'amnistie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Pas du tout ! Vous n'étiez pas là quand j'ai parlé, monsieur Lellouche !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Si, j'étais présent ! Je vous rappelle que l'amnistie efface l'infraction et ne peut donc être que le résultat d'une loi, tandis que la grâce n'efface rien, mais interrompt l'exécution.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Dès lors, le droit de grâce ne peut pas être exercé par un organe collectif comme l'Assemblée nationale, contrairement à ce que vous avez suggéré. Si l'amnistie relève indéniablement du domaine de la loi et donc du Parlement, la grâce, elle, n'a littéralement rien à faire avec nous : elle relève d'un autre pouvoir qui doit être, lui aussi, légitime.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Elle ressortit donc, soit au pouvoir judiciaire, soit, selon nos traditions, au plus haut représentant du pouvoir exécutif, qui tire sa légitimité de l'élection par le peuple.

Pour toutes ces raisons, il faut garder le droit de grâce. Je suis heureux de constater qu'il existe un certain consensus parmi nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 259, 318 et 388 rectifié, sur lesquels le Gouvernement et de la commission ont émis un avis défavorable.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 260, 319 rectifié.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l'amendement n° 260.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Il a en fait été défendu pendant la discussion sur l'article. Selon l'un des arguments invoqués tout à l'heure, la commission en question ne devrait pas être issue du monde judiciaire. Je ne sais plus qui a utilisé cet argument pour expliquer que le Conseil supérieur de la magistrature serait peu qualifié pour revenir sur une décision de justice. Pour notre part, nous pensons qu'à partir du moment où notre assemblée décide d'accorder le droit de grâce à un homme seul, les membres du pouvoir judiciaire doivent conserver un rôle.

Rappelons que le CSM était consulté sur la peine capitale – c'est-à-dire sur la décision la plus lourde en matière de grâce – lorsqu'elle existait encore dans notre pays. Quant aux chiffres donnés par Mme la garde des sceaux, ils contredisent le caractère exceptionnel et extraordinaire du droit de grâce, évoqué par certains orateurs : une cinquantaine de grâces sont prononcées chaque année, la plupart d'entre elles pour des amendes effectivement extraordinaires, exceptionnelles et gravissimes. C'est dire l'importance de la décision d'un Président de la République, mobilisé pour effacer des amendes, voire celle d'une commission que nous allons créer dans la loi pour effacer une cinquantaine d'amendes par an !

Il nous semble que le CSM serait, comme cela a été le cas par le passé, le mieux placé pour émettre un avis, d'autant plus qu'il ne sera plus majoritairement ni même paritairement composé de magistrats, si l'Assemblée et le Sénat décident d'adopter la nouvelle composition prévue dans le projet du Gouvernement. Il sera composé de magistrats, mais aussi de représentants de la société civile nommés par le Président de la République et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Donc, le CSM nous paraît le mieux placé pour émettre cet avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l'amendement n° 319 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Nous avons exprimé nos réserves sur cet article, nous les avons expliquées. Nos arguments n'ont pas été entendus, et d'ailleurs la majorité s'est très brillamment exprimée. Puisque ces propositions n'ont pas été adoptées par l'Assemblée, nous considérons que, plutôt que d'attendre une commission dont on ne connaît pas la composition, il serait utile de revenir à ce qui existait jusqu'en 1993 : le droit de grâce ne peut s'exercer qu'après consultation du CSM.

Au cours de ce débat, nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir sur ce qu'est et ce que deviendrait le CSM si, d'aventure, le projet était voté. Nous avons un certain nombre d'amendements à défendre à ce sujet. Mais il nous semble que les amendements proposés par notre groupe, le groupe Nouveau centre et le groupe socialiste, radical et citoyen visent à offrir la garantie que le Président de la République ne puisse pas faire n'importe quoi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

La commission a émis un avis défavorable. Je voudrais préciser que certaines personnes auditionnées se sont montrées pour le moins réticentes, voire très défavorables à l'idée de confier cette fonction au CSM. Ce fut notamment le cas du Premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, qui a exercé les fonctions de secrétaire général du CSM au cours de sa carrière. S'appuyant sur son expérience passée, il nous a expliqué que c'était une très mauvaise idée de donner ce pouvoir d'avis au CSM, pour des raisons liées à la charge de travail de cette institution, et aussi de positionnement un peu délicat de ses membres, qui sont amenés à prendre des décisions concernant la carrière des magistrats. Compte tenu de ces auditions, nous ne sommes pas du tout convaincus par ces amendements. Avis défavorable, donc.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Par le passé, le CSM donnait son avis en cas de demande de grâce pour des personnes condamnées à mort. Depuis la modification de 1993, ce n'est plus le cas. Le bureau des grâces, le filtre qui instruit les demandes de grâce, est composé de magistrats. Le CSM est lui-même composé de magistrats. Il vaut mieux avoir une commission plus diversifiée et beaucoup plus ouverte, pour donner un avis plus éclairé sur les demandes de grâce.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Garrigue

Dans ce débat sur le droit de grâce, on voit apparaître une tentation récurrente, consistant à considérer qu'il existe un pouvoir judiciaire. Il y aurait trois pouvoirs en France : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Cela tient à une révérence faite à Montesquieu. En réalité, nos institutions n'ont jamais prévu de pouvoir judiciaire. La justice est une branche de l'exécutif…

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Garrigue

…qui est entourée d'un certain nombre de garanties. Les magistrats eux-mêmes bénéficient d'un certain nombre de garanties pour dire le droit ; il est normal que le CSM suive le déroulement de leur carrière et leur assure une certaine protection. Mais il ne s'agit pas d'un pouvoir judiciaire.

Par conséquent, quand le Président de la République exerce le droit de grâce, il le fait en tant que chef suprême de l'exécutif dont dépend la justice. Il exerce une fonction de régulation dont nous avons rappelé l'utilité tout à l'heure : en cas d'erreur judiciaire, la grâce permet de ne pas attendre l'issue du procès en révision ; lors d'un débat de politique pénale difficile, comme celui sur la peine de mort avant son abrogation, le Président de la République pouvait utiliser la grâce pour intervenir et donner une direction au débat ; cette mesure peut aussi permettre de revenir sur des décisions prises dans un contexte difficile, exigeant des réponses un peu hâtives, une fois que les choses se sont apaisées.

Tout à l'heure, nous discutions de la suppression du droit de grâce. Maintenant, dire que cette commission doit être le CSM revient à mélanger les genres et à considérer qu'il existe un pouvoir judiciaire dans ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Garrigue

Je suis désolé : nos institutions ne prévoient pas de pouvoir judiciaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Une chose est sûre : depuis 1958, il existe une autorité judiciaire. Mais il s'agit d'un revirement ! Avant 1958, ce n'était pas tout à fait le cas.

Fermons la parenthèse et revenons à ce qui nous rend plus perplexes : les dispositions de ce texte en ce qui concerne l'avis que doit recueillir le Président de la République lorsqu'il exerce son droit de grâce. Le CSM, tel que dessiné dans le projet de loi mais aussi dans l'amendement de M. Warsmann, n'est pas seulement compétent en matière de recrutement des magistrats et d'organisation du corps judiciaire, et cela quel que soit le sort réservé à nos amendements.

La consultation du CSM dans le cadre de la grâce présidentielle nous paraît d'autant plus pertinente que le projet de loi prévoit la modification du mode de désignation de ses membres, une présence accrue de non-magistrats, et la création d'une présidence en plus de la présidence de chaque section. Madame la garde des sceaux, si, dans sa configuration antérieure, le CSM était considéré comme apte à donner son avis sur les demandes de grâce des condamnés à mort, on peut considérer qu'il l'est encore davantage lorsque les enjeux sont moins lourds.

De plus, je pense que nous avons intérêt à ne pas multiplier les références de légitimité. Nous sommes d'autant plus réticents à l'égard de cette commission, que vous ne donnez aucune précision sur sa situation : à qui sera-t-elle rattachée ? Comment va-t-elle fonctionner ? Alors qu'avec le CSM, nous disposons d'un cadre bien clair, et nous pouvons en faire l'instrument nouveau que vous préconisez vous-même. Nous aurons des garanties.

Ce doit donc être au CSM de donner un avis au Président de la République. Lié au garde des sceaux dans un cadre défini, il sera composé d'une majorité de non-magistrats. Le CSM aura la légitimité pour appréhender la situation dans son ensemble – les circonstances, voire le cursus judiciaire de l'intéressé, dont la connaissance est nécessaire pour apprécier le droit de grâce – et pourra donner un avis éclairé au Président de la République qui, de toute façon, disposera d'une autonomie complète de décision. Vous avez donc l'occasion de valider l'évolution du CSM, tout en donnant une dimension un peu judiciaire à l'exercice de ce droit de grâce.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 260 et 319 rectifié, sur lesquels le Gouvernement et la commission ont émis un avis défavorable.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi de deux amendements, nos 156 et 389, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jacques Myard, pour soutenir l'amendement n° 156.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Monsieur le président, j'avais pensé qu'ils seraient soumis à discussion commune avec les précédents puisqu'ils sont de même nature.

Puisque nous avons – heureusement – fait grâce au droit de grâce et que nous gardons cette soupape nécessaire, l'article 17 de la Constitution me paraît tout à fait bien rédigé, à charge pour le Président de la République de consulter qui de droit, sans que ce soit nécessairement écrit dans la Constitution.

On nous demande de créer une commission. Je souscris à la remarque précédente : pourquoi créer une nouvelle commission alors que nous avons le CSM ? Ce dernier aurait trop de travail, nous dit-on. Je m'étonne que le président Lamanda, un bourreau de travail que je connais un peu, se plaigne d'être débordé. Il me semble que le CSM est structurellement, constitutionnellement, l'organe idoine qui doit être consulté en cas de grâce. Je ne vois pas de raison de l'écarter pour chercher une nouvelle commission à définir, de renvoyer par procrastination constitutionnelle cette recherche mythique de la commission idoine. Il me semble que le CSM réformé – ouvert davantage sur la société, et pas seulement constitué de magistrats – peut être cette commission nécessaire, s'il est besoin d'encadrer le pouvoir du Président de la République qui, par nature et constitutionnellement, est un homme responsable devant le peuple, élu au suffrage universel, et donc sage.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Roland Muzeau, pour soutenir l'amendement n° 389.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

L'article que vous nous proposez ici interdit les grâces présidentielles collectives et subordonne les grâces présidentielles individuelles à un avis préalable d'une commission.

Nous soutenons le premier point qui pourrait apparaître comme une avancée non négligeable pour atténuer l'un des droits rétrogrades du Président de la République. En revanche, le second point, portant sur l'avis préalable d'une commission, ne nous satisfait absolument pas. Au contraire, dès lors que l'on ne sait rien de cette éventuelle commission dont la composition est renvoyée à une loi ultérieure, il nous semble difficile d'approuver une telle démarche de principe.

La consultation préalable du CSM – existant avant la révision constitutionnelle de juillet 1993, et préconisée par la commission Balladur – serait probablement plus logique, dès lors qu'une prérogative présidentielle influe directement sur l'exécution d'une décision de justice. C'est seulement en donnant réellement les moyens d'encadrer plus fortement l'exercice du droit de grâce, avec l'appui du Parlement et du CSM – plutôt que celui d'une nouvelle commission indépendante –, que vous ferez preuve d'une réelle résolution pour changer quelque peu la donne.

Il nous semble aussi essentiel que le décret de grâce soit contresigné par le Premier ministre et le garde des sceaux, et qu'ils endossent, de fait, la responsabilité politique de cette décision politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Même avis que la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 156.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 389.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article 7.

La parole est à M. Bernard Debré.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

J'avoue ne pas comprendre l'utilité de cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Si le Président de la République, qu'il soit de droite ou de gauche, veut s'adresser à la nation, il peut le faire à la télévision : aucun ne s'en est jusqu'à présent privé.

Que le Président vienne devant l'Assemblée ou le Sénat me semble en revanche surprenant. Il y fera par définition un discours de politique générale, discours que nous n'aurons pas le droit de discuter en sa présence mais seulement dès qu'il sera parti, et qui ne sera suivi d'aucun vote. Je ne vois pas l'intérêt d'une telle mesure, si ce n'est qu'elle diminuera fortement le poids du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Certes, il ne s'agira pas du discours du trône de la reine d'Angleterre, puisque celle-ci lit le discours du Premier ministre. Peut-être ce discours s'apparentera-t-il à celui de l'état de l'Union, mais je ne crois pas que notre République soit comparable aux États-Unis.

On observe que des présidents étrangers peuvent s'exprimer devant notre assemblée. Mais cela n'a rien à voir : que je sache, ils ne font pas de discours de politique intérieure et ne disposent pas du droit de dissolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Un amendement du rapporteur propose que ce discours ait lieu devant le Congrès réuni à Versailles. Outre qu'il y aurait là une solennité trop grande, je n'en vois pas davantage l'intérêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Debré

Peut-être, d'ailleurs, le Président fera-t-il non pas un seul mais plusieurs discours par an, et ce seront tous des discours de politique générale. Là encore, cela entraînera l'abaissement du Premier ministre et une confusion des pouvoirs. Je comprends très bien, dès lors, que l'opposition demande que le temps de parole du Président soit comptabilisé, puisque ce dernier deviendra ipso facto le responsable de la majorité. Je suis donc tout à fait défavorable à cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Je reprendrai les arguments de M. Debré et en ajouterai quelques autres.

La règle selon laquelle le Président ne peut venir s'exprimer devant les assemblées – que ce soit séparément ou via la réunion de celles-ci en Congrès – vient, non seulement de 1873 et des enseignements tirés des relations entre Adolphe Thiers et le Parlement, mais plus profondément de Montesquieu : je veux parler de la règle constitutionnelle, propre à toute démocratie, de la séparation des pouvoirs. Or les pouvoirs sont aussi séparés symboliquement, par une distance qu'il faut mettre entre eux, et nous voulons conserver ce symbole.

On parle beaucoup, notamment dans cet hémicycle, de la révision constitutionnelle. On s'interroge, et les socialistes eux-mêmes s'interrogent, sur le vote final. Rien n'est joué ; tout reste ouvert. François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Jean-Pierre Bel le disent : tous les socialistes, députés comme sénateurs, aimeraient beaucoup voter une grande révision de la Constitution. La seule condition générale pour nous est que cette révision renforce le Parlement. Or l'article 7 va exactement dans le sens contraire. Que le Président de la République puisse s'adresser à des parlementaires sagement assis et l'écoutant, comme il se doit, avec respect, sans même pouvoir débattre en sa présence, reviendrait à infantiliser, à domestiquer le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Loin de revaloriser le Parlement, cela l'abaisserait, et nous ne pouvons pas l'accepter.

Je sais, chers collègues de la majorité, que les Français s'interrogent parfois sur notre opposition à cette disposition : qu'est-ce que cela peut bien faire, nous disent-ils, que Nicolas Sarkozy ou ses successeurs puissent s'exprimer devant le Parlement ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

J'espère tout de même, monsieur Myard, que Nicolas Sarkozy aura des successeurs !

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Le Président de la République, nous disent-ils, ne s'exprime-t-il pas devant les parlements étrangers, et les chefs d'État étrangers ne s'expriment-ils pas devant vous ? Mais, comme l'a dit Bernard Debré, cela n'a rien à voir. Comment mettre sur le même plan des allocutions diplomatiques, souvent protocolaires ? Certes, elles ne le sont pas toujours : on se souvient encore, notamment sur les bancs socialistes, de l'intervention de Tony Blair ici. Si ces allocutions ne sont pas toujours protocolaires, elles revêtent néanmoins un caractère diplomatique. Quand le Président de la République se rend devant un parlement étranger, ce n'est pas la même chose non plus : il ne s'agit pas d'une intrusion présidentielle dans les débats parlementaires.

Nous avons fait des recherches sur ces deux cas de figure – celui où un chef d'État étranger s'exprime devant nous, et celui où le Président de la République française s'exprime devant un parlement étranger. Nous nous sommes aperçus que si l'article 7 était adopté, la France serait le seul État démocratique au monde où le chef de l'exécutif pourrait s'exprimer devant le Parlement et faire pression – l'expression n'a pas de connotation péjorative dans ma bouche – sur les parlementaires, où il conserverait le droit de dissolution tout en demeurant politiquement irresponsable devant eux.

Un mot sur le rôle du Premier ministre : Bernard Debré et les gaullistes – n'est-ce pas, cher Jacques Myard – y seront sans doute sensibles.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Je m'adresse aux gaullistes, monsieur le président : vous devriez écouter !

Le général de Gaulle, ainsi que Michel Debré, déclaraient en 1958 que la Ve République était aussi un régime parlementaire. Certes, elle n'est pas que cela mais, même depuis 1962, elle est aussi cela. Dans certains États étrangers – Autriche, Pologne, Finlande ou Portugal –, même si le chef de l'État est élu au suffrage universel, le Premier ministre joue tout son rôle. En permettant au Président de s'exprimer devant le Congrès autant de fois qu'il le souhaite – pourquoi pas dix fois par an, puisque aucune périodicité n'est prévue –, on effacerait encore davantage le rôle du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Vous avez épuisé votre temps de parole. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Il y a douze inscrits sur l'article ! Merci de conclure d'un mot.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Un sondage du CEVIPOF, le Centre d'études de la vie politique française, indique que 66 % des Français restent très attachés au rôle du Premier ministre, et souhaitent que le Président de la République soit un arbitre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Je tiendrai compte de vos remarques, monsieur le président, et m'efforcerai d'être bref.

Nous discutons d'un point qui, s'il n'est pas le plus important du projet de loi, n'en est pas moins essentiel. Que ceux qui font la grimace s'expriment clairement : on peut aisément rejeter l'article. Ce qui est en question, c'est la place particulière du Président dans la Ve République, lequel n'est pas tout à fait le pouvoir exécutif mais quelque chose d'autre : telle est l'inspiration de base de la Constitution. Quand M. Vallini a assimilé le Président de la République au pouvoir exécutif, sa démonstration, par ailleurs séduisante, s'en trouvait faussée.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

C'est bien toute la question, d'ailleurs : si le Président de la République représentait le pouvoir exécutif, il n'y aurait rien d'embarrassant à ce qu'il vienne dans notre enceinte. Comme j'ai essayé de le montrer dans la discussion générale, nous sommes en train de transformer par petites touches cet équilibre particulier, qui fait la force des institutions de la Ve République, en un simple régime présidentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Lorsque le Président viendra devant le Parlement – a fortiori si c'est devant chaque assemblée –, ce sera pour parler des mille et une choses de la vie quotidienne. Il jouera donc le rôle du chef du Gouvernement, ce qui change fondamentalement la nature des choses.

Une telle disposition aurait un effet majeur sur le rôle du Premier ministre. On ne peut soutenir le contraire : le Président de la République et le Premier ministre expliquent depuis deux ans que c'est cela qu'ils avaient en tête, l'effacement progressif du Premier ministre vers un rôle de coordonnateur ou de collaborateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Je ne dis pas cela pour vexer le Premier ministre, pour qui j'ai beaucoup de respect, mais parce que c'est bien l'esprit de la réforme que l'on nous propose.

Peut-on néanmoins voter cette mesure que, vous l'avez compris, je n'ai pas envie de voter ? Tout d'abord, il est vrai que le Président de la République l'avait annoncée, et que les Français l'ont soutenu en connaissance de cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

On n'est certes pas obligé de soutenir tout ce qu'un candidat propose, mais enfin il avait annoncé la disposition : je le concède volontiers à mes collègues de l'UMP.

Par ailleurs, la commission des lois a consenti un effort dans notre sens : le Président ne s'exprimerait pas devant chaque assemblée, ce qui était à mes yeux inacceptable, mais devant le Congrès réuni à Versailles pour un débat étrange – vous verrez à quel point ! –, sans vote. Bref, une sorte de succédané de l'Académie française !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Vous êtes injuste avec vous-même, madame Billard : vous êtes capable d'interventions brillantes ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Demander à des parlementaires d'écouter quelqu'un sans pouvoir répondre, c'est déjà insupportable. Mais je vous assure que devoir écouter quelqu'un, fût il Président de la République, puis écouter les réponses d'un orateur par groupe en n'ayant que le droit de se taire et de rentrer chez soi,…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ce sera dur !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Sans compter qu'aller à Versailles, cela coûte cher au contribuable ! À l'heure où l'on parle de faire des économies…

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé de Charette

Bref, cette réforme a belle allure mais elle est mauvaise. À ce stade, je ne suis donc pas disposé à la voter, même si, en mon for intérieur, j'aimerais beaucoup faire plaisir au Président de la République. Voilà où j'en suis de mes réflexions, mes chers collègues. Je me déciderai donc le moment venu.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Lecou

À ce stade du débat, il me paraît utile de faire le point. À diverses reprises, le noble terme de « constituant » a été utilisé. Il a pour mérite de situer, grâce à sa signification chargée d'histoire, l'importance de notre travail législatif, et je mesure l'intérêt d'y participer. L'expression « gravé dans le marbre », que l'on emploie au sujet de la Constitution, en dit long, elle aussi, sur l'enjeu de nos débats.

Fallait-il ou ne fallait-il pas faire évoluer la Constitution de 1958, qui a fait ses preuves, a permis à la France de surmonter des crises importantes et de stabiliser sa vie politique ? Faut-il ou ne faut-il pas permettre au Président de la République de s'exprimer devant le Parlement ? Avant d'aborder cette deuxième question, il me paraît nécessaire de répondre à la première.

J'avoue que je me posais des questions, car la Constitution de la Ve République, celle du général de Gaulle, c'est tout de même une référence ! Je me félicite de la tenue et de la qualité de ce débat – une qualité que vous contribuez à assurer, monsieur le président – qui rend possible l'expression d'opinions contradictoires. Si certains amendements nous ont parfois éloignés du texte gravé dans le marbre, tel n'est pas le cas aujourd'hui, et la progression de ce débat marqué du sceau de la légitimité de la démocratie représentative, et ayant vocation à éclairer notre vote, nous permet d'aboutir à des rééquilibrages judicieux, démocratiques, et conformes à la pratique de notre Constitution. Ainsi avons-nous limité le mandat du Président de la République à deux mandats consécutifs et encadré certains de ses pouvoirs – nominations, pouvoirs exceptionnels, droit de grâce –, mais aussi renforcé la démocratie parlementaire, de même que la démocratie directe, avec le référendum d'initiative populaire. Sans revenir à la IVe République, nous donnons plus de moyens aux parlementaires, tout en reconnaissant le rôle du Président, véritable clé de voûte de nos institutions. Il me semble donc, mes chers collègues – et je m'adresse tout particulièrement à ceux qui ont encore quelques réticences, peut-être par nostalgie, ce que je peux comprendre – que nous pourrions difficilement refuser de voter un texte aussi fondamental que celui-ci et allant dans le sens de la modernisation.

Pour ce qui est de l'expression du Président de la République devant le Parlement (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine),…

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Lecou

…j'ai entendu des craintes se manifester. Mais pourquoi ne parle-t-on pas plutôt du courage du Président pour s'exprimer non pas devant des caméras, mais devant des parlementaires ? Pourquoi passe-t-on sous silence le fait que, même sans débat en sa présence, le Président engagerait d'une certaine manière sa responsabilité ? Courage et responsabilité sont des qualités fondamentales qui correspondent fort bien à l'esprit de notre Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Lecou

Je conclurai en disant que nous nous dirigeons vers un texte équilibré et j'attends avec intérêt, comme je l'ai dit tout à l'heure, le débat qui va suivre sur l'article 7.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à Mme Chantal Brunel.

Je vous saurais gré de bien vouloir présenter vos arguments de façon synthétique, madame, car nous atteignons le nombre considérable de dix-sept inscrits sur cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Brunel

Je sais que ma position sera minoritaire, mais chaque position mérite d'être défendue dans cet hémicycle. Je suis tout à fait favorable à l'expression du Président de la République devant l'Assemblée nationale, mais je regrette que l'on ait renoncé d'emblée à la possibilité pour le Président de la République de s'exprimer devant l'une ou l'autre des deux chambres, pour ne retenir que l'hypothèse du discours devant le Congrès. Cette dernière solution péchera par la longueur des délais ainsi que par un aspect formel qui nuiront à la réactivité de l'exercice – et le rajout des parlementaires européens ne ferait qu'accentuer ces inconvénients.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Brunel

Ce discours ressemblera un peu au message sur l'état de l'Union aux États-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Mais nous ne sommes pas aux États-Unis ! Nous ne sommes pas dans un régime présidentiel !

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Brunel

Certaines circonstances appellent la venue du Président de la République devant l'Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Regardez TF1, vous verrez le Président de la République tous les soirs !

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Brunel

Des explications auraient été utiles lors de la signature du traité de Lisbonne, lors du renforcement de notre engagement militaire en Afghanistan, lors de la décision de François Mitterrand d'engager la France dans le premier conflit irakien ou du refus de Jacques Chirac de faire de même dans le second conflit. Aurons-nous le temps d'attendre la convocation du Congrès en cas de catastrophe naturelle ou de menace terroriste ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Le Premier ministre est là pour ça !

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Brunel

Certes, le Président de la République peut s'exprimer devant les médias, mais pour moi, une intervention devant les médias n'a pas la même force que celle effectuée devant le Parlement ou l'Assemblée nationale. Au moment où nous voulons restaurer le rôle du Parlement et de l'Assemblée nationale, il me semble utile que le Président de la République, dans certaines circonstances difficiles, puisse venir expliquer sa position devant le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Il me semble que la première question que l'on devrait se poser au sujet de l'article 7 est de savoir si la mesure proposée peut représenter un plus en matière de démocratie. Cela donnera-t-il plus de droits à nos concitoyens ? Leurs problèmes seront-ils mieux pris en compte ? Autrement dit, est-ce autre chose que l'article de l'envie ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Par ailleurs, j'ai lu dans la presse que voter cette disposition n'avait de toute façon pas grande importance, s'agissant d'une mesure d'une portée symbolique. Encore faudrait-il s'accorder sur le sens du mot « symbolique ». Le premier sens donné à cet adjectif est celui de quelque chose qui ne sert à rien. Ce serait donc, au mieux, un discours du trône – dont notre république peut se passer –, mais je ne ferai pas l'injure à la majorité et au Président de la République d'imaginer que l'intervention du Président devant le Parlement pourrait être assimilée à un discours du trône.

Il convient donc d'examiner l'autre terme de l'alternative, qui donne un sens politique à cette mesure. Quel serait ce sens politique ? Celui d'exercer une pression supplémentaire sur le pouvoir législatif, de renforcer davantage la prééminence du Président de la République, donc d'amoindrir encore le rôle du Premier ministre et du Gouvernement. L'exercice d'un tel droit mériterait la mise en oeuvre de contreparties qui, contrairement à ce que l'on nous affirme, ne sont pas présentes. Ces contreparties pourraient consister en un débat suivi d'un vote, en la suppression du pouvoir de dissolution, ou en la responsabilité devant l'Assemblée nationale.

Puisque certains font référence à ce qui se passe dans d'autres pays, je rappelle que notre chef de l'État est le seul à cumuler les pouvoirs du président des États-Unis et du Premier ministre britannique, sans la responsabilité corrélative devant le Parlement, pas même devant le groupe parlementaire et le parti majoritaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Le président américain ne peut pas être renversé par le Congrès !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Nous sommes plus près de la Monarchie de juillet que d'une république du XXIe siècle !

Avec l'élection au suffrage universel direct, l'assujettissement de l'élection législative à l'élection présidentielle et le droit de dissolution, la prééminence du Président de la République est déjà bien établie. Et vous voulez encore en remettre une couche ! Comme le dit le Premier ministre François Fillon, nous avançons inexorablement vers la présidentialisation du régime – ce en quoi nous voyons, personnellement, une progression vers le pouvoir d'un seul homme, c'est-à-dire le contraire d'une avancée vers la démocratie.

Ce ne sont pas les articles en trompe-l'oeil – et d'ailleurs conçus comme tels – sur des pouvoirs supplémentaires accordés au Parlement qui vont peser lourd face à cette dérive présidentialiste. Ce qu'il faut aujourd'hui, ce sont de vrais pouvoirs législatifs. C'est donc sur ce point que nous devons faire porter notre réflexion : la prééminence du Président de la République est, elle, d'ores et déjà acquise, et n'a nul besoin d'être renforcée. Le renforcement du pouvoir législatif passe par l'abrogation des articles 16, 38, 40, 44 et 49-3 de la Constitution, tout en réservant à la seule Assemblée nationale l'élection de ses membres au suffrage universel, ce qui évitera beaucoup de confusion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

S'il est un sujet qui a déjà été longuement débattu hors de cet hémicycle depuis l'annonce de la révision, c'est bien celui-ci. Sans doute, d'ailleurs, lui fait-on un peu trop d'honneur. Depuis le discours du Président de la République à Épinal, au cours duquel celui-ci a présenté son intention de révision, les propositions du comité Balladur, la lettre de mission du Président de la République au Premier ministre, le projet de loi constitutionnelle, puis le texte adopté il y a quelques jours par notre commission des lois avec un certain nombre d'amendements, constituent les différentes étapes de cette évolution progressive. Félicitons-nous que les choses bougent et voyons-y une preuve de la légitimité du débat parlementaire !

Toutefois, soyons sincères : ce droit nouveau – pour ne pas dire ce pouvoir – accordé au Président de la République ne concerne pas la nation, en tout cas pas les représentants que nous sommes. Si le Président souhaite s'adresser à la nation ou à l'opinion, il peut le faire par le biais d'une émission télévisée. L'attention suscitée par son intervention et son impact n'en seront que plus forts. La forme rituelle que constituerait une intervention du Président de la République devant notre assemblée ou devant le Congrès serait sans doute beaucoup moins attrayante. Ce droit nouveau doit donc s'apprécier au regard des rapports entre l'exécutif et le législatif, même si je comprends bien que l'on veuille discuter du périmètre de l'exécutif, auquel appartient le Président de la République.

Il faut, pour comprendre pourquoi le Président de la République ne vient plus dans l'hémicycle, remonter jusqu'au Président Adolphe Thiers. Que voulaient les parlementaires, à l'époque majoritairement monarchistes ? Éviter que le chef de l'État ne puisse faire pression sur eux par la magie de son verbe…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

C'est pourquoi ils l'avaient cantonné dans l'une des loges du public – sur la porte de laquelle figure toujours, me semble-t-il, l'inscription : « loge du Président de la République » –, de laquelle il assistait aux débats. La dernière fois qu'il a pris la parole, c'était pour un discours de trois heures, au terme duquel il a d'ailleurs été battu.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

C'est extraordinaire de voir un socialiste défendre les plus conservateurs des monarchistes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

À l'époque, on refusait la pression du chef de l'État sur les parlementaires. La situation est-elle différente aujourd'hui ? À moins que ce droit nouveau ne soit une « adresse » du Président de la République au Parlement, auquel cas les choses seraient plus claires quant à la nature du régime !

Outre que l'organisation d'un Congrès coûte très cher – je parle sous le contrôle de notre collègue René Dosière, spécialiste de ces questions – pour un discours qui durerait tout au plus quelques heures, je veux souligner le flou de l'expression utilisée – « le Président de la République peut prendre la parole devant le Parlement » –, qui laisse à celui-ci une liberté totale quant à la fréquence de ses interventions : il pourrait s'exprimer aussi souvent qu'il le souhaite, en fonction des circonstances. C'est, en fait, la même expression que celle utilisée aux États-Unis lors de l'adoption de la Constitution – from time to time – qui a finalement abouti à ce qu'un discours annuel s'impose. C'est d'ailleurs l'intention du Président de la République, qui déclarait, dans son discours d'Épinal du 12 juillet : « je souhaite que le Président de la République puisse s'exprimer au moins une fois par an devant le Parlement. »

Puisque la référence aux États-Unis est constante, il convient de rappeler que le discours du Président américain est immédiatement suivi d'un contre-discours de l'opposition prononcé non pas au Congrès, mais à la télévision – ce dont le Gouvernement pourrait s'inspirer au sujet de la prise en compte du temps de parole du Président de la République dans les médias. Cette année, c'est le gouverneur du Kansas qui a prononcé le discours au nom de l'opposition. Cette femme politique, totalement inconnue, a ainsi pu bénéficier d'un temps de parole considérable pour défendre des positions contraires à celles du Président américain. Nicolas Sarkozy, qui aime tant les États-Unis, pourrait s'en inspirer sur ce point-là au moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Comme vient de le dire M. Urvoas, l'article 7 a déjà suscité de nombreux débats et fait couler beaucoup d'encre. Nous sommes dix-sept à intervenir sur le sujet cet après-midi, ce qui prouve bien le malaise provoqué par cette disposition, y compris dans les rangs de la majorité, comme l'a expliqué Bernard Debré.

M. Urvoas a fait référence au discours du 12 juillet 2006, à Épinal, d'un président qui veut institutionnaliser ce que j'appellerai une équivoque institutionnelle et une pratique démocratique déviante. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nicolas Sarkozy a expliqué à cette occasion, en effet, que le Président de la République gouverne et que, de ce fait, il est responsable, ce qui lui a inspiré cette facilité politicienne : il doit pouvoir s'exprimer devant l'Assemblée nationale sans pour autant être sanctionné.

Si je parle d'« équivoque », c'est que, dans les institutions de la Ve République, le Président ne gouverne pas : il n'est qu'un arbitre. Cet article 7 mettrait un terme au découplage entre pouvoir d'État et responsabilité gouvernementale. Cela va d'ailleurs dans le sens de ce que nous avons déjà constaté. Le Président de la République accorde en effet bien peu de considération à son Premier ministre, qu'il a qualifié de collaborateur. Le Président de la République, qui est élu, non pas par l'Assemblée nationale, mais par le peuple, n'a de compte à rendre qu'au peuple. Seul le Premier ministre est responsable devant l'Assemblée nationale. Si le Président de la République vient devant nous, en étant en quelque sorte irresponsable, il apportera la preuve qu'il a contribué à pervertir nos institutions en faisant du Président le véritable chef de l'exécutif.

Pourquoi accepterions-nous de cautionner une dérive qui a été amplifiée par le gouvernement Jospin – je ne crains pas de le dire alors pourtant que je siège sur les bancs de la gauche ? C'est lui qui a inversé le calendrier électoral et fixé à cinq ans le mandat du Président de la République, le ramenant ainsi à la durée de celui des députés, ce qui rend la dissolution presque impossible.

Pour aller jusqu'au bout de la logique du Président de la République, il faudrait modifier plus significativement notre Constitution. Il faudrait notamment introduire une disposition qui existe par exemple dans certains États des États-Unis, le recall vote. C'est cette procédure qui a amené le gouverneur Schwarzenegger au pouvoir. Il suffit que 12 % des électeurs se rassemblent et demandent un référendum pour révoquer le gouverneur en place. Pourquoi ne pas prévoir une telle mesure puisque nous avons, paraît-il, adopté un référendum d'initiative populaire ? Celui-ci s'apparente surtout, à mon sens, à un référendum d'initiative parlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

On a tordu le cou à une belle idée… Bien évidemment, le comité Balladur n'est pas allé aussi loin dans ses propositions et je doute fort que nous puissions le faire. D'ailleurs, les événements politiques de ces dernières années ont montré que le Président de la République est bien protégé. Après la dissolution de 1997, le Président est resté alors que sa politique avait été rejetée. On pourrait citer encore bien d'autres exemples de cette forme d'irresponsabilité à laquelle on a ajouté l'irresponsabilité judiciaire par la loi de 2007.

Comme l'a dit un dialoguiste célèbre du cinéma français, il ne faudrait pas que le Président de la République prenne les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Ou qu'il nous prenne pour des imbéciles en nous demandant de cautionner une opération politicienne. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Au risque de ne pas être dans la tendance au moment où le groupe socialiste se demande s'il va voter ou non ce texte, et où tout le monde s'interroge sur les tenants et les aboutissants de cette réforme historique, paraît-il, j'ai le sentiment quant à moi que le Président de la République n'a qu'une ambition : venir à l'Assemblée nationale. Le reste lui importe peu. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Une remarque légèrement ironique tout d'abord : j'ai trouvé savoureux que des élus de gauche viennent, deux siècles après, à la rescousse des parlementaires les plus réactionnaires opposés à un homme qui voulait simplement instaurer la République. Il a d'ailleurs été battu à cause de cela et ce fut la dernière fois qu'il a pu s'exprimer devant les parlementaires.

Au-delà, j'ai relevé quatre arguments contre cet article 7. Premièrement, c'est un droit nouveau qui nuirait, nous dit-on à la séparation des pouvoirs. Mes chers collègues, relisez donc la Constitution ! Le droit de message du Président de la République aux assemblées est un droit ancien. Et la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif est maintenue. Seule l'expression change : on passe du message lu par quelqu'un à l'intervention directe du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Sur le fond, et au-delà des circonstances historiques, quelque peu paradoxales, en quoi le fait que le Président de la République se déplace pour faire son discours dans le cadre d'une séance solennelle devant le Parlement va-t-il nuire aux droits des parlementaires ? Cela va-t-il remettre en cause la séparation des pouvoirs ? Bien sûr que non !

Deuxièmement, M. Vallini considère que l'article 7 va abaisser le Parlement. Il a même parlé d'infantilisation. Mais si c'était le contraire, mon cher collègue ? En effet, on peut tout aussi bien y voir une forme de respect du Parlement : le Président vient présenter solennellement aux assemblées le contenu de son programme pour l'année, au lieu de le faire à la télévision ou à RTL .

Troisièmement, M. de Charette a estimé qu'il était insupportable pour un parlementaire d'écouter un discours sans répondre. Mais, enfin, nous avons toute l'année pour répondre ! Nous ne serons privés ni de médias ni de débats. Si, par extraordinaire, les propos de tel Président ne convenaient pas à telle partie de l'hémicycle, les députés siégeant sur ces bancs-là auraient tout loisir de répondre par de multiples voies.

Quatrièmement, enfin, on nous dit que cela va réduire le rôle du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Non, l'article 7 ne va pas entraîner la suppression du discours de politique générale. Nul ne l'ignore, le Premier ministre, surtout depuis l'instauration du quinquennat, est l'exécutant du Président de la République. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Le Président est l'exécuteur du Premier ministre !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Mes chers collègues, vous êtes excessifs dans vos propos. Vous invoquez une Constitution qui n'existe pas.

Revenons à l'essentiel. Depuis le début de la discussion sur ce texte, nous n'avons cessé de rogner les droits symboliques du Président – droit de grâce, article 16, droit de nomination. Nous avons par ailleurs créé le référendum d'initiative populaire et nous allons renforcer les droits du Parlement. L'article 7 prévoit la seule disposition nouvelle concernant le Président de la République. Encore une fois, il aura pour unique conséquence de modifier l'expression du droit de message. Se servir comme vous le faites du symbole de 1873 est proprement stupéfiant. L'article 7 ne mérite ni cet excès d'honneur ni cet excès d'indignité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Clément

Quelques réflexions sur cet article 7 qui, grâce au ciel, n'est pas le plus important, mais apparaît sans doute comme le plus emblématique de la réforme constitutionnelle. Cette disposition est-elle bonne au regard des fonctions du Président de la République prévues par la Constitution, et notamment de l'article 5, qui dispose que le Président assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ?

Par ailleurs, le débat qui pourra avoir lieu après la déclaration du Président de la République ne sera pas suivi d'un vote. Mais il pourra y avoir sanction. Il suffira en effet à l'opposition de déposer une motion de censure, qui, par hypothèse, pourrait être adoptée quarante-huit heures après. Dès lors, le Gouvernement aurait à démissionner à la place du Président de la République. L'article 7 est donc en conflit avec l'article 50 qui prévoit la censure d'un gouvernement.

Certes, il y a quelque hypocrisie à ce que le Président de la République ne s'adresse au Parlement que par l'intermédiaire de la télévision ou de n'importe quel autre média. De même, je reconnais qu'écouter debout le discours du Président de la République est sans doute une formule dépassée. Mais exposer le Président de la République aux quolibets ou au chahut ne me paraît pas la solution la plus pertinente.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Nous n'y avions pas pensé ! (Rires sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Clément

Vouloir renouveler une disposition qui date est tout à fait légitime. Oui, le Président de la République est élu au suffrage universel. Mais l'introduction de la mesure prévue à l'article 7 nécessiterait des amendements de coordination aux articles 20, 50, 5. Au bout du compte, cela aurait des conséquences sur l'équilibre des pouvoirs entre le Président et le Gouvernement, qui, aux termes de l'article 20 de la Constitution, doit conduire et déterminer la politique de la nation. L'article 20 serait-il encore en vigueur ?

Eu égard à toutes les questions qu'il soulève, l'article 7 est peut-être une fausse bonne idée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

C'est bien la première fois que je suis d'accord avec Pascal Clément !

M. Lellouche nous a dit que l'article 7 prévoyait la seule mesure nouvelle concernant le Président de la République. Mais comme Bernard Debré pour l'UMP et d'autres sur tous ces bancs l'ont souligné, il faut choisir à un moment. Or nous avons le sentiment que Nicolas Sarkozy n'arrive pas à choisir quel type de République il souhaite. Par sa façon de procéder, il réduit totalement le rôle du Premier ministre.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est le quinquennat qui veut cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Cette réforme des institutions est née, au départ, de son souhait de parler devant les assemblées. Mais pourquoi ne va-t-il pas jusqu'au bout de son envie et ne propose-t-il pas une modification de la Constitution visant à établir un régime présidentiel ? Le débat serait clair. Au lieu de cela, il modifie par petites touches, du fait de ses rapports avec le Premier ministre ou de l'introduction de telles dispositions, le type de notre République.

Ainsi que Pascal Clément l'a fait observer, les parlementaires pourront répondre, notamment en déposant une motion de censure. Le rapporteur indique cependant dans son rapport qu'il ne faudrait pas détourner le nouveau droit attribué au Parlement de voter des résolutions. Il ne faut pas que cela serve à condamner le Président de la République deux jours après son discours. En outre, le droit de message du Président devant chaque chambre est maintenu. Tout cela est très incohérent. Qu'on supprime au moins le droit de message si l'on introduit l'article 7 !

Deuxièmement, il peut intervenir autant de fois qu'il le souhaite devant le Congrès, réuni à ce seul effet, ce qui risque de poser un problème. En effet, j'imagine mal les parlementaires rester sans réaction devant un long discours du Président de la République – car je pense qu'il ne se déplacera pas pour ne parler que dix minutes. Que se passera-t-il alors si nous avons affaire à un Président ayant le sang chaud et qui réagit un peu vivement ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Le voir s'adresser à des députés ou sénateurs l'ayant interpellé en termes peu amènes donnerait de la fonction présidentielle une image assez négative.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Par ailleurs, l'inversion du calendrier et le quinquennat font qu'une cohabitation devient fort peu probable, mais imaginons le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

C'est peut-être, au contraire, le seul cas intéressant.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Nous risquerions alors de voir le Premier ministre venir faire devant les parlementaires un discours de politique générale et le Président de la République convoquer le Congrès pour prononcer un discours contradictoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Ce risque de conflit entre le Premier ministre, qui dirige la politique du Gouvernement et le Président de la République montre bien qu'il s'agit là d'une mauvaise proposition.

Dernier point, plus anecdotique. Certains de nos collègues de l'UMP défendent avec enthousiasme le fait que la limitation du nombre des ministres soit inscrite dans la Constitution, afin de réduire les coûts financiers supportés par le budget de l'État. Mais à quoi sert de réduire le nombre de ministres si c'est pour augmenter le nombre de réunions du Congrès avec les surcoût que cela entraînera ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Je voudrais vous faire part de ma perplexité mais aussi d'une certitude.

Perplexité car je suis de ceux, naïfs sans doute, qui ne voient pas en quoi l'intervention du Président de la République va bouleverser l'équilibre institutionnel de la République ni constituer une avancée historique.

J'essaie de me représenter ce que sera cette intervention, dans le cadre un peu désuet – il faut bien le reconnaître – de Versailles et dans le vague brouhaha que Mme Billard a fort justement évoqué, tel propos entraînant telle répartie qui suscitera des rires, d'ailleurs inaudibles pour les téléspectateurs : je ne suis pas sûr qu'il y ait là matière à bouleverser ni l'opinion publique ni nos institutions. Mais je ne vois pas non plus en quoi cela constituerait un épouvantable recul, puisque, comme cela a été rappelé, le droit de message figure déjà à l'article 18.

M. Lellouche n'a pas tort quand il rappelle que la Constitution mentionne que « le Président de la République communique avec les assemblées ». C'est le verbe qui compte ici ; quant au moyen, ceux d'entre nous qui ont eu l'occasion d'écouter debout des messages du Président l'ont fait, je présume, avec le sentiment qu'il y avait quelque chose d'un peu anachronique dans cette manière de procéder. Ni formidable avancée ni formidable recul, donc.

Monsieur Vallini, vous avez évoqué la séparation des pouvoirs. Mais elle n'empêche pas que ces pouvoirs communiquent entre eux. Lorsque le Président de la République assiste à la rentrée solennelle de l'institution judiciaire, le pouvoir judiciaire s'adresse à lui et le Président l'écoute. De même, avec son droit de message, le Président de la République nous parle, comme nous nous adressons à lui en votant une motion de censure ; en vérité, chacun de nos débat est un message que le pouvoir législatif adresse à l'exécutif.

Quant aux risques de pression, certains ont évoqué la grande ombre de Thiers, mais si les parlementaires sont assez fragiles pour être ébranlés par un discours du Président de la République, cela prouve que leurs convictions étaient chancelantes !

Je préfère, pour ma part, citer Herriot, qui disait : « Un bon discours m'a parfois fait changer d'avis, jamais de vote. » Il n'en ira pas autrement d'une intervention du Président de la République.

J'en viens maintenant à ma certitude. Il est inconcevable que le Président de la République s'exprime devant les assemblées réunies en Congrès sans entendre ce que les assemblées ont à lui dire en retour.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Car, si le Président de la République considère que les représentants de la nation, porteurs d'une part de la souveraineté nationale, comme le dit notre Constitution, sont assez importants pour qu'il ait besoin de les réunir en Congrès, avec toute la pompe que cela implique, pour s'adresser à eux, il doit également considérer que leur importance justifie qu'il les écoute !

C'est la raison pour laquelle je défendrai tout à l'heure un sous-amendement visant à autoriser qu'ait lieu un débat en sa présence, à défaut de quoi non seulement la modification proposée est illogique mais elle est de surcroît humiliante pour les représentants du peuple, voués à se taire alors que le Président de la République aurait, lui, toute légitimité pour s'exprimer dans leur silence ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Pour l'heure, en tout cas, on ne se tait pas puisque nous en sommes au quatorzième orateur inscrit sur cet article.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'article 7 est curieux : très médiatisé, ayant focalisé toute l'attention avant même que soit connu le projet dans son ensemble, sa portée est en réalité largement symbolique dans la mesure où le Président de la République peut déjà s'adresser aux parlementaires. Il le fait certes par un biais assez déplaisant à mon goût, puisqu'il nous faut écouter son message debout – obligation qui ne figure d'ailleurs pas dans la Constitution mais que nous nous sommes imposée à nous-mêmes en l'inscrivant dans notre règlement –, sans doute en signe de respect pour son autorité arbitrale.

Pour beaucoup donc, en tant qu'arbitre, le Président de la République n'a pas à venir s'exprimer devant nous. Mais en votant le quinquennat et l'inversion du calendrier, nous avons changé la nature de la fonction présidentielle. Monsieur Debré, l'actuel Président de la République que vous avez soutenu le dit bien : il n'est plus un arbitre mais le chef de la majorité ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est à mes yeux une de ses vertus que de l'assumer sans hypocrisie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Il ne s'agit d'ailleurs pas de lui conférer un nouveau pouvoir mais un droit, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. À cet égard, je ne reviendrai pas sur l'idée extravagante selon laquelle permettre au Président de la République de s'exprimer devant les parlementaires exposerait ces derniers à une forme de pression. Faut-il, que nous soyons si sensibles et si fragiles que sa parole nous fasse changer d'avis et de vote – sachant qu'il est préférable que les votes s'accordent aux avis…

La forme a en revanche une importance sur deux points. Le projet de loi est d'abord inacceptable en l'état, car il n'est pas concevable que le Président de la République puisse choisir de s'adresser à l'une ou l'autre des assemblées à sa guise, ignorant, méprisant ou négligeant la seconde, voire la livrant à la vindicte populaire.

Ensuite, il n'est pas concevable non plus qu'il puisse s'exprimer à cette tribune, devant la représentation nationale qu'il peut dissoudre mais devant laquelle il n'est pas responsable ! Il y a là un grave déséquilibre.

La solution d'une intervention qui ne pourrait avoir lieu que devant le Congrès n'apporte rien d'indispensable – encore que le Président de la République puisse avoir des choses à dire à l'ensemble des parlementaires –, mais elle ne nous paraît pas dramatique. Et dans le cas – désormais, je l'espère, improbable – d'une cohabitation cette disposition pourrait même être utile pour permettre au Président de s'adresser aux parlementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Que le Président s'adresse donc au Congrès s'il le souhaite, mais en aucun cas à l'Assemblée nationale !

Je rejoins par ailleurs François Bayrou sur un point, celui de la nécessité qu'un débat puisse avoir lieu en présence du Président de la République après son intervention. Il est difficile de s'exprimer devant une assemblée sans s'exposer à un certain nombre de réactions. Par conséquent, il est impensable que cette assemblée n'ait pas la possibilité de répondre à l'orateur en sa présence, et si cet orateur n'est autre que le Président, parler devant un hémicycle à moitié vide ne peut qu'aboutir à dégrader son image et son statut de représentant de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Demandons-nous d'abord si l'article que nous examinons va considérablement modifier les choses. En 1958, la télévision n'était pas très répandue et les messages présidentiels peu nombreux. Mais nous sommes en 2008 : la télévision fait partie de notre univers quotidien, et le Président de la République, comme d'ailleurs la majorité ou l'opposition, s'y exprime régulièrement.

Ce mode d'expression est désormais une donnée de notre vie politique. Il lui manque cependant l'une des dimensions qui faisait, dans l'esprit originel de la Ve République, la particularité des messages présidentiels. Ces messages, en effet, entendaient témoigner, avec leur solennité, du respect du Président de la République pour les parlementaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Grand

Ce n'est pas un problème de solennité, c'est un problème de confusion !

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Aujourd'hui, que le Président de la République réunisse les parlementaires de la majorité pour exprimer sa position ou qu'il le fasse à travers les médias, comme, en l'espèce, demain matin sur les ondes de RTL, il ne lui est pas donné de témoigner de son respect à la représentation nationale, par un message direct relayé ensuite par la presse, ainsi que l'envisage cet article.

Le régime présidentiel est à mes yeux le mieux adapté à une reconnaissance des pouvoirs du Parlement. J'en veux pour preuve les difficultés qu'éprouvent bien des régimes parlementaires avec le fait majoritaire. Ainsi, au Canada, pourtant souvent cité pour ses institutions démocratiques, un ministre chargé des réformes démocratiques doit en permanence faire en sorte que le Parlement occupe dans la vie politique la place qui lui revient, afin que l'absence de majorité n'entraîne pas la chute du Premier ministre. En ce moment le pays connaît d'ailleurs un « gouvernement minoritaire » confronté à une opposition plus forte que la majorité, ce qui nécessite la recherche perpétuelle d'un équilibre subtil. Bref, le régime présidentiel permet au Parlement d'avoir toute sa place.

La présidentialisation du régime n'a pas commencé en 2000, reconnaissons-le, mais en 1962 avec l'instauration du suffrage universel pour l'élection du Président de la République. Le vote de tous les Français à l'élection suprême, voilà ce qui a changé radicalement la Ve République !

En 2000, cette présidentialisation du régime a été poursuivie, ce qui est très positif parce que le Parlement y trouve toute sa place. Et ce projet de loi, outre qu'il permet d'apporter quelques dispositions supplémentaires s'agissant de la gouvernance, nous offre – surtout – la possibilité de tirer toutes les leçons de cette présidentialisation du régime et de confier plus de responsabilités au Parlement.

Telle est la raison pour laquelle je souhaite que l'adresse du Président de la République se fasse de façon normale, moderne, et que – cela ne me fait pas peur – les parlementaires s'expriment lors du Congrès, la formule de la commission des lois me paraissant être la plus adaptée. Au nom de quoi, en effet, les parlementaires ne pourraient-ils pas marquer leur approbation ou leur désapprobation au Congrès ? Je n'ai nulle envie d'écouter debout, religieusement, un message délivré par le Président de la République, chef de la majorité politique ; cette situation ne serait adaptée ni à nos institutions ni, surtout, à notre pratique de la Ve République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Souhaitant une modernisation de notre République, je soutiendrai l'amendement de la commission des lois – dont la solution me semble être la meilleure – et ce faisant l'article 7.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Patrick Braouezec, seizième orateur inscrit sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Seize : un nombre que j'aime bien !

Je commencerai par une petite parenthèse avant d'en venir à l'article. Les députés communistes auraient aimé participer à une grande révision de la Constitution renforçant le rôle du Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Nous aurions aimé non seulement un renforcement du rôle du Parlement – que ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, ne permet pas car il ne contient que des mesures homéopathiques – mais surtout une réflexion sur la représentativité, l'image, la lisibilité du Parlement pour la population. Pour moi, une révision constitutionnelle à la hauteur des enjeux aurait dû nous permettre, je le répète, d'aborder le cumul et la durée des mandats – et donc le renouvellement des élus –, l'introduction d'une dose de proportionnelle dans toutes les élections et le droit de vote des étrangers.

S'agissant de l'article 7, je suis assez d'accord avec François Bayrou sur le fait de savoir s'il va changer quelque chose ou pas ; en tout cas, cet article constitutionnalisera la confusion qui existe entre le chef de l'État et le chef du gouvernement, deux fonctions très différentes. On pouvait être d'accord ou non avec la Constitution de 1958, mais elle avait placé le Président de la République dans un rôle, Hervé de Charette l'a souligné, au-dessus de la mêlée, lui permettant d'être le Président de tous les Français.

Il est vrai aussi que, d'élection présidentielle en élection présidentielle, une dérive s'est opérée, accentuée par l'inversion du calendrier électoral pour les élections législatives et la présidentielle. Aujourd'hui, chaque candidat à l'élection suprême – et nous portons tous une part responsabilité, quel que soit notre groupe politique – est davantage axé sur des propositions de gouvernement que sur la recherche d'une posture de chef d'État. Le rôle d'un candidat à la présidence de la République est de donner du sens à une perspective politique, en délivrant de grandes orientations, et non pas de décliner ce que ferait son gouvernement s'il était élu Président.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Justement, les 110 propositions donnaient du sens, sans entrer dans le détail de la mise en oeuvre d'un futur projet gouvernemental. Sinon, il faut aller jusqu'au bout de la logique et supprimer la fonction de Premier ministre. S'il n'y a plus de différence entre la fonction de chef de l'État et celle de chef du gouvernement, cela signifie qu'il y en a un de trop !

En conclusion, voter la possibilité pour le Président de la République de prendre directement la parole devant le Parlement, et ce en toute irresponsabilité, c'est introduire dans la Constitution – et je rejoins les arguments développés par les uns et les autres – une confusion entre le rôle du chef de l'État et celui du chef du gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Nous en arrivons aux amendements de suppression, nos 186, 281, 320, 390 et 441, défendus au cours de l'intervention des orateurs inscrits sur l'article 7.

Quel est l'avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Nous sommes défavorables à ces amendements de suppression.

Durant nos longs débats en commission, au cours desquels ont été auditionnées un grand nombre de personnes sur le sujet, nous avons été réceptifs à l'argument selon lequel la possibilité pour un Président de la République de s'adresser à l'Assemblée nationale sans être responsable devant elle posait d'inévitables questions. C'est la raison pour laquelle nous proposons l'amendement n° 49 qui respecte la volonté du Gouvernement et l'équilibre des institutions, grâce à la possibilité pour les parlementaires de prendre la parole au Congrès.

Cet amendement ne prévoit pas une limitation du nombre d'interventions du Président de la République devant le Congrès car celle-ci se fera, selon nous, tout naturellement. En effet, si un Président de la République venait un jour s'adresser à l'ensemble des parlementaires avec un discours ne comportant aucune annonce, aucune nouvelle de fond, il subirait un affaiblissement politique immédiat, car tous les groupes parlementaires auraient le sentiment d'avoir été dérangés pour rien. Un Président de la République ne décidera de parler devant le Congrès que lorsqu'il aura des annonces à faire, soit dans le cadre de la politique qu'il entend mener, soit en raison de circonstances extérieures ou internationales graves.

L'amendement n° 49 nous semble donc un bon point d'équilibre.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Le droit de message du Président de la République devant les assemblées a besoin d'être modernisé. C'est un héritage de l'histoire, comme vous l'avez tous rappelé sur tous les bancs de cette assemblée. Aujourd'hui, cette restriction est complètement obsolète dans la mesure où le Président de la République peut s'adresser à tous les Français par le biais des médias. Les grandes annonces se font beaucoup trop en dehors du Parlement, comme l'a souligné Jérôme Chartier.

Grâce l'article 7, le Président de la République viendra devant les parlementaires pour leur adresser la primeur de sa vision de l'avenir du pays ou dans le cas de circonstances nationales ou internationales extrêmement graves. Puisque son allocution ne sera pas suivie d'un vote, il n'y aura pas de modification de la nature du régime.

Le Gouvernement est bien sûr défavorable à la suppression de l'article, tout en étant ouvert aux améliorations proposées dans les amendements qui vont suivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Compte tenu de la richesse de ce débat, manifestée par l'intervention d'un grand nombre d'orateurs inscrits, je souhaiterais une suspension de séance de quelques minutes afin que le groupe UMP puisse se réunir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

C'est surtout pour que vous arriviez à être suffisamment nombreux sur vos bancs, messieurs !

Article 7

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La séance est reprise.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 186, 281, 320, 390 et 441.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi d'un amendement n° 49, qui fait l'objet de plusieurs sous-amendements.

La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi d'un sous-amendement n° 242.

La parole est à M. Jérôme Chartier, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Je propose que, lorsque le Président de la République s'exprime devant le Congrès – puisque telle est la formule que préconise l'amendement de la commission des lois –, les membres français, élus en France, du Parlement européen puissent se joindre aux députés et aux sénateurs. Nous aurions ainsi la possibilité d'élargir le débat sur le message du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Et pourquoi pas les présidents des conseils généraux et régionaux ? Pourquoi pas le Conseil économique et social ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi d'un sous-amendement n° 594.

La parole est à M. François Bayrou, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Il s'agit d'un sous-amendement de dignité. Si nous l'adoptons, les parlementaires, représentants de la nation – c'est-à-dire, comme le dit la Constitution, capables d'exprimer la souveraineté nationale –, échapperont à l'humiliation de devoir écouter le Président de la République et de le voir ensuite quitter l'hémicycle sans qu'ils aient pu lui répondre, comme s'ils n'étaient pas dignes d'exprimer leur part de souveraineté nationale en face de lui. Il me semble que ce sous-amendement pourrait être soutenu sur tous les bancs. Il précise seulement que, lorsque le Président de la République se sera exprimé, les représentants du peuple – députés et sénateurs – auront à leur tour la faculté de s'adresser à lui. Si on les considère comme suffisamment importants pour venir leur parler dans le cadre solennel du Congrès, alors il faut admettre qu'ils ont assez de poids et de dignité pour s'exprimer en réponse.

Je pressens en outre que, comme l'a dit tout à l'heure Jean-Christophe Lagarde, cela pourrait permettre au Président de la République de s'exprimer dans un climat de sérénité et de respect. Je crains que, sans cela, des manifestations de mauvaise humeur, voire de contestation, ne viennent troubler le discours du Président de la République. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je suis saisi à l'instant même d'un sous-amendement n° 609.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le soutenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'amendement qu'a présenté notre rapporteur, au nom de la commission des lois, entend rendre l'expression du Président de la République devant les parlementaires plus solennelle, plus digne de la fonction du Président, qui, s'il est aujourd'hui le dirigeant d'une majorité politique élue, est également le représentant de tous les Français. Il nous paraît donc préférable d'éviter au Président des scènes comme en connaît l'Assemblée nationale, où, à l'occasion de séances particulièrement agitées, le Premier ministre – qui, lui, est responsable devant nous – est contesté et chahuté.

Le sous-amendement n° 609 reprend la logique de notre amendement n° 355, qui tombera si l'amendement de la commission des lois est adopté. La modification qu'il propose est modeste – les mots « en sa présence » étant substitués aux mots « hors sa présence » –, mais elle devrait changer considérablement les modalités de l'intervention du Président de la République devant le Congrès. En cas d'intervention militaire à l'étranger, par exemple, si le Président veut en saisir les parlementaires, non pas par un vote mais par un message, il paraît normal que les forces politiques de la nation puissent lui répondre.

J'insiste à nouveau sur ce que j'ai dit tout à l'heure, chers collègues : si les parlementaires n'ont pas la possibilité de s'exprimer, de répondre posément, de façon argumentée, ils risquent de le faire de manière plus bruyante, plus agitée, moins respectueuse du Président qui viendra, dans des circonstances solennelles, s'exprimer devant eux. Cela nous paraît non seulement un sous-amendement de dignité du Parlement, mais de protection de la fonction présidentielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Quel est l'avis de la commission sur ces trois sous-amendements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Nous avons eu l'occasion de parler longuement ensemble du sous-amendement n° 242 de M. Chartier. La question qu'il soulève n'est pas sans fondement, mais, à la réflexion, il nous semble beaucoup plus cohérent de limiter le Congrès aux députés et aux sénateurs, qui sont les parlementaires nationaux, ceux qui participent de la souveraineté nationale. Il ne me semble pas que nous gagnerions à leur adjoindre les députés européens. À la limite, on pourrait même parler d'une relative confusion des genres. Il serait préférable que M. Chartier retire son sous-amendement, faute de quoi je serais, à mon grand regret, obligé de donner un avis défavorable.

Quant aux deux autres sous-amendements, nos 594 et 609, ils témoignent bien des difficultés que soulève la recherche de l'équilibre auquel la commission est attachée. En effet, d'un côté, certains collègues disent que, en venant au Congrès, le Président de la République prend un risque pour la dignité de sa fonction, car il essuiera des quolibets, devra affronter des remarques et des interpellations. D'un autre côté, certains – qui sont souvent les mêmes – nous disent qu'il doit assister au débat. Mais, s'il assiste au débat, il entendra bien plus que des quolibets, il sera pris à partie sur le fond de sa déclaration. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Il vaut mieux qu'il ne vienne pas : comme ça, il n'y aura pas de problème ! Chacun chez soi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Si l'on veut qu'il assiste aux débats, je ne vois pas comment on pourra lui interdire de répondre. On ne va tout de même pas le laisser écouter pendant trois heures des discours mettant en cause ses déclarations sans lui accorder un droit de réponse !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Là, on change de système. Le bon équilibre – celui qui modernise ce droit de message archaïque aujourd'hui en vigueur, où nous nous levons pour écouter un texte que lit le président de l'Assemblée nationale –, c'est celui qui interdit au Président de la République d'aller devant l'Assemblée nationale, puisqu'il a le droit de dissolution, mais qui lui permet de s'adresser au Congrès et de ne pas assister à la suite. La suite n'est qu'un débat parlementaire, et le Président de la République n'assiste pas à ces débats.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Le Bouillonnec

Il faudrait revoter les amendements précédents et supprimer cette disposition !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Dans la mesure où les institutions ne prévoient pas que l'on puisse engager la responsabilité du Président de la République, il ne me paraîtrait pas logique de l'obliger à rester lors du débat, ce qui, du reste, le forcerait à répondre. Le bon chemin d'équilibre, c'est celui que nous avons suivi en commission : un débat pourra avoir lieu après la communication du Président de la République devant le Congrès, mais il n'y assistera pas. Nous ne changeons pas l'équilibre général des institutions, nous les modernisons. C'est, en tout cas, la volonté du projet du Gouvernement.

La commission est donc également défavorable aux sous-amendements nos 594 et 609.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Le sous-amendement de M. Chartier propose que les représentants de la France au Parlement européen puissent se joindre aux autres parlementaires lorsque le Président de la République s'adresse au Congrès. Cela ne nous semble pas opportun, car les députés européens font partie d'une autre instance représentative. Il n'existe pas de raison particulière qu'ils soient associés au Parlement français, puisque, lorsque le Président de la République vient s'exprimer devant les parlementaires, c'est aux représentants de la nation qu'il s'adresse, à propos de sujets qui concernent la nation et sa souveraineté. Nous vous demandons donc, monsieur Chartier, de retirer votre sous-amendement, auquel nous sommes défavorables.

En ce qui concerne les deux autres sous-amendements, je précise que l'enjeu de la réforme est de moderniser les modalités selon lesquelles le Président de la République peut s'adresser au Parlement.

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Cette simple modernisation ne doit entraîner aucun changement, aucun déséquilibre dans la nature du régime actuel. Il paraît préférable que le Président de la République n'assiste pas aux débats qui pourraient faire suite à sa prise de parole. Sa présence pendant ces débats favoriserait la politisation des débats. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Billard

Parce que sa déclaration n'aurait rien de politique, elle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Le Congrès se réunira-t-il pour ne pas entendre parler de politique ?

Debut de section - PermalienRachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice

Ce serait risquer une certaine confusion, alors qu'il doit être bien clair que le Président de la République n'est pas responsable devant le Parlement. Nous sommes donc défavorables à ces sous-amendements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Mes collègues se livrent là à deux exercices de confusion. Je regrette de le dire aussi crûment à mon ami Jérôme Chartier, mais convier des députés européens au Congrès à propos de débats concernant la nation, cela revient à envoyer des députés français au Parlement européen pour traiter des affaires de la Commission ou de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Les parlementaires européens français sont chargés de défendre les intérêts de la France dans l'Union européenne. Ils ne sont pas porteurs de la souveraineté nationale dans le cadre de notre Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus et que M. Chartier devrait retirer son sous-amendement.

Les deux autres sous-amendements sont à la fois très proches et différents. On a entendu tout à l'heure, parmi les critiques, qu'on allait vers une confusion des pouvoirs.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Permettre au Président de la République de venir s'exprimer devant l'Assemblée et au Parlement de débattre amoindrirait, prétendent certains, le rôle du Premier ministre qui, lui, est responsable devant nous. Mais nous sommes dans le cadre de la séparation des pouvoirs : il s'agit du droit de message, non du droit à un débat politique suivi d'un vote – soit dit en passant, je trouve que rien n'est plus stérile pour un parlementaire que de participer à un débat qui n'est pas suivi d'un vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Cela a déjà été dit ici même sur un autre sujet il n'y a pas si longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Nous ne sommes pas dans un exercice de motion de censure ou de discours de politique générale du Premier ministre suivi éventuellement d'une motion de censure ou d'un vote de confiance. Nous sommes dans autre chose qui s'appelle le droit de message. Celui-ci peut éventuellement faire l'objet d'une réponse des groupes après le départ du Président de la République mais il ne saurait être l'occasion d'un débat politique, à moins de donner lieu à un vote.

C'est précisément parce qu'il n'y a pas de vote que nous ne changeons pas l'équilibre des pouvoirs et que nous gardons le Premier ministre.

Voilà l'équilibre qui a été trouvé dans ce texte. Aller au-delà, demander un débat en présence du Président de la République sans vote ouvrirait la porte à la critique – certains nous reprocheraient le fait que le Congrès écoute sans pouvoir voter – et introduirait une confusion des genres, celle-là même que nous cherchons à éviter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je crois que l'Assemblée nationale est suffisamment informée sur ce point.

Monsieur Chartier, retirez-vous votre sous-amendement n° 242 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Chartier

Constatant le peu d'affection pour les parlementaires européens dans cet hémicycle, notamment de la part de M. Bouvard, je retire, moi qui les adore, mon sous-amendement. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Le sous-amendement n° 242 est retiré.

La parole est à M. Noël Mamère.

Debut de section - PermalienPhoto de Noël Mamère

Nous voilà au-delà de la confusion des pouvoirs : nous sommes en effet dans la confusion politique. Tout ce que nous entendons relève à tout le moins du bricolage d'une disposition qui s'avère totalement inefficace, en tout cas qui ne correspond pas à l'esprit de nos institutions.

Notre collègue Lellouche voudrait nous faire croire qu'il s'agit purement et simplement d'inscrire dans la Constitution le droit de message. N'aurait-il pas écouté le Président de la République expliquer le 12 juillet dernier à Épinal : « Puisque le Président gouverne, il faut qu'il soit responsable », ajoutant que « pour être responsable, il doit aller devant l'Assemblée nationale » ? Cela n'a rien à voir avec un droit de message, il s'agit d'une confusion pure et simple des pouvoirs, une mise au rancard du Premier ministre et des responsabilités gouvernementales.

En disant « je gouverne et donc je conduis et je détermine la politique de la nation », le Président de la République renforce son pouvoir. C'est contraire aux articles 20 et 21 de la Constitution. Le Président de la République sort de son rôle d'arbitre et, du point de vue institutionnel, nous introduisons une équivoque, avec un découplage entre le pouvoir d'État et les responsabilités gouvernementales. C 'est demander à l'Assemblée nationale de cautionner une dérive politique, et cela nous ne pouvons pas l'accepter.

Malgré le respect que je dois à notre collègue Bayrou, je considère que son sous-amendement n'est pas un sous-amendement de dignité mais un sous-amendement de rafistolage qui, de toute façon, n'empêchera pas le Président de la République de faire naître une confusion des pouvoirs que nous refusons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Je l'ai souligné tout à l'heure, cette disposition qui vise à permettre au Président de la République de s'exprimer devant le Parlement entraînera un effacement du Premier ministre. Notre collègue Lellouche a d'ailleurs dit clairement que le Premier ministre était « un exécutant » du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Je crois que, dans la pratique, le Président de la République se transforme, lui, depuis quelque temps, en exécuteur du Premier ministre, (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et cette réforme signera la fin de la fonction de Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

La discussion à laquelle nous assistons depuis dix minutes montre que la majorité est bien embarrassée.

Debut de section - PermalienRoger Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement

Mais non !

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Elle redoute la tournure que pourrait prendre le débat lors de la venue du Président de la République. Comment réagir aux sifflets, aux invectives ? Faudrait-il rester silencieux ? Pourrait-on débattre en sa présence ? Devrait-on le faire hors sa présence ? Je l'ai dit tout à l'heure, débattre hors la présence du Président reviendrait à infantiliser le Parlement. Ce serait comme de dire à des enfants : « maintenant que les choses sérieuses sont terminées, vous pouvez débattre entre vous ». C'est proprement humiliant pour le Parlement. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Quant aux réactions que pourrait susciter chez les parlementaires le Président de la République pendant qu'il s'exprime, on sait très bien qu'il n'y a aucun risque avec Nicolas Sarkozy : il ne donne jamais dans la polémique, l'agressivité ou la provocation, jamais. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il emploie toujours un ton très consensuel, très apaisé, très rassembleur. Mais nous pensons à ses successeurs.

Debut de section - PermalienRoger Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement

Vous craignez Mme Royal ? Je comprends.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Il faut évidemment éviter cela, faire preuve de sagesse, ne pas renforcer le présidentialisme. Nous ne participerons donc pas au vote des sous-amendements, qui ne font qu'aménager une disposition que nous condamnons.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Les deux sous-amendements qui nous sont proposés, et qui ne sont pas si proches que cela, ajouteraient encore à la confusion.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

En effet, ils nous donneraient un droit de réponse à quelqu'un qui n'est pas responsable devant nous.

Finalement, la confusion autour de cet article, y compris au sein de cette assemblée, le montre, on ne voit pas trop à quoi cela va servir que le Président de la République vienne himself devant le Congrès.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Je conclus.

M. Lellouche nous dit qu'il sera toujours possible que les représentants des groupes, les parlementaires, répondent. Mais ils répondront à qui ? À un Président de la République qui ne sera pas là ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

Cela n'a aucun sens.

D'un autre côté, on ne peut pas non plus admettre que le Président de la République soit là et ne réponde pas à des interpellations de députés.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Braouezec

C'est bien la preuve que cette mesure n'a aucun sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Muzeau

Vous êtes sans arrêt convoqués à l'Élysée. Pourquoi changer la donne ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. François Bayrou, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 100 du règlement. Je veux attirer l'attention sur le fait que les deux sous-amendements restant en discussion ne sont pas identiques. Ils ont certes un point commun, la proposition que le débat ait lieu « en » la présence du Président de la République, mais ils présentent une grande différence quant au verbe. En effet, le sous-amendement n° 609 ne propose pas de modifier la rédaction de la commission qui dispose que la déclaration « peut donner lieu à un débat » alors que, moi, je propose, dans le sous-amendement n° 594, que la déclaration « donne lieu à un débat ». Cet indicatif est, comme vous le savez, un impératif.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bayrou

Avec ma proposition, le débat ne relève plus du choix d'une majorité, ou d'un président – on ne sait, d'ailleurs –, il serait de droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix le sous-amendement n° 594.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix le sous-amendement n° 609.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Je mets aux voix l'amendement n° 49.

(L'amendement est adopté.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

En conséquence, ce texte devient l'article 7 et tous les amendements suivants sur l'article tombent.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma