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Séance en hémicycle du 26 juin 2008 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

Monsieur le président, messieurs les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense, mesdames et messieurs les députés, nous avons en partage une responsabilité sacrée, celle de protéger la France et les Français de toute agression. Nous avons aussi un devoir, celui de contribuer à la sécurité de nos alliés et au respect des règles internationales et des droits de l'homme.

Pour tout cela, la France déploie une diplomatie active, constructive, destinée à apaiser les tensions du monde. Et elle est dotée, pour agir, d'un outil de défense dont les concepts et l'organisation doivent être adaptés en permanence.

En juillet 2007, le Président de la République a confié à une commission réunissant parlementaires, militaires, représentants de l'administration et personnalités qualifiées la rédaction d'un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont il a dévoilé les conclusions le 17 juin dernier.

Penser les engagements de notre pays pour les quinze prochaines années dans un contexte international très fluctuant était une tâche délicate. La commission placée sous la présidence de Jean-Claude Mallet l'a conduite avec discernement.

Pourquoi entreprendre cette réflexion ? Parce que la France doit demeurer une puissance politique et militaire. Parce que vingt ans après la fin de la guerre froide, la paix demeure un bien fragile et précieux. Parce que depuis 1994 et le dernier Livre blanc, le monde a changé. Au rythme de la mondialisation, les données de la sécurité nationale et internationale ont évolué. La hiérarchie des puissances, elle-même, s'est modifiée. En revanche, la révolution imposée à notre appareil de défense par l'effondrement de la bipolarité n'est pas complètement achevée. Dans la perspective de la loi de programmation militaire, qui vous sera présentée par Hervé Morin, il était nécessaire de retracer les lignes de force du paysage stratégique et de notre sécurité.

Le monde est-il devenu plus dangereux ? Franchement, je ne le crois pas. Il est simplement moins stable, moins prévisible, plus complexe que par le passé. Le délitement de certains États, les affrontements ethniques et culturels, le fanatisme religieux, les crises sanitaires, les catastrophes naturelles, les attaques informatiques, l'internationalisation des mafias, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques et alimentaires : tout cela dessine un très large spectre de menaces, en évolution constante.

Cet élargissement du « cône des possibles » se traduit par une dissémination accrue des armements : d'ici 2025, le territoire européen sera à portée des missiles stratégiques développés par de nouvelles puissances.

Il s'illustre aussi par la menace terroriste, devenue d'autant plus redoutable qu'elle joue à son profit des nouvelles technologies de l'information et qu'elle pourrait un jour prochain s'emparer d'armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques. Hier ponctuelle et contingente, cette menace est devenue – c'est l'une des constatations importantes du Livre blanc – une menace structurelle.

La France est à présent placée devant un large arc de crise qui couvre une zone allant de l'Atlantique à l'Océan Indien, où ses intérêts stratégiques se concentrent. Comme la plupart des pays européens, elle est aujourd'hui plus vulnérable qu'elle ne l'était dans les années 90. Elle l'est parce qu'à l'époque, l'équilibre de la terreur couvrait et dissuadait la plupart des scénarios conflictuels. Dorénavant, le spectre des menaces est élargi ; les conflits à venir se déclencheront de manière de moins en moins prévisible et prendront des formes imprévues. Le risque extrême prend aujourd'hui la forme de la « surprise stratégique ».

Une alliance qui se renverse, des comportements diplomatiques qui changent, un mode d'agression qui se réinvente, un groupe de fanatiques qui échappe aux règles de l'affrontement classique, et la surprise stratégique survient, comme la France en a déjà fait la cruelle expérience durant des périodes d'impréparation et de déni stratégique.

Le 11 septembre 2001, la surprise stratégique plongeait les États-Unis dans la stupeur. La surprise stratégique, c'est le défi que nos sociétés sont le moins capables de prévoir, et c'est justement celui qu'elles doivent dorénavant se préparer à affronter. Pour cela, il faut intégrer dans notre raisonnement des risques, des attaques, des dangers qui ne relèvent plus exclusivement de l'action militaire traditionnelle.

L'élargissement de notre horizon stratégique et la multiplicité des menaces ont plusieurs conséquences.

La première, c'est que nous devons assurer au pays les garanties les plus larges.

Face aux scénarios extrêmes, la dissuasion doit demeurer la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance de la France. Elle a pour seule fonction d'empêcher une agression d'origine étatique contre les intérêts vitaux du pays, d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la forme. Dans cet esprit, les deux composantes, sous-marine et aérienne, sont maintenues.

Face aux scénarios de conflits extérieurs, notre stratégie de projection doit être musclée. Si nous pouvons être menacés de loin, nous devons être capables de frapper loin. Le passage à la professionnalisation des forces a été réussi. Il reste maintenant à le compléter et à l'affûter en termes d'organisation et d'équipements. Nous avons, avec le ministre de la défense, fixé des objectifs clairs : nous voulons être capables de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combats, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.

Face aux scénarios de crise intérieure, dont le terrorisme de masse constitue l'un des points saillants, nous avons décidé d'inscrire nos choix dans le cadre global d'une « stratégie nationale de sécurité » associant étroitement sécurité et défense. Au regard de l'expérience du 11 septembre 2001, nous avons intégré les enjeux du « front intérieur ». Dorénavant, dans leurs missions de protection, les forces armées, les forces de police, de gendarmerie, de sécurité civile se verront assigner des objectifs opérationnels conjoints.

Cette stratégie nationale de sécurité exige une réorganisation des pouvoirs publics. L'ordonnance du 7 janvier 1959 résulte d'un contexte historique et stratégique radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Sa révision est donc absolument indispensable.

Nous avons décidé de créer un Conseil de défense et de sécurité nationale. Il sera présidé par le Président de la République. Il dotera l'État, au plus haut niveau, d'une enceinte où des sujets tels que la programmation militaire, la programmation de sécurité intérieure, la politique de dissuasion, la lutte contre le terrorisme ou la planification des réponses aux crises majeures pourront être abordés. Le Conseil national du renseignement en sera l'une des formations. Il reviendra au Premier ministre la charge de diriger l'application de l'ensemble des décisions qui y seront prises.

La deuxième conséquence, c'est que nous devons disposer d'un préavis, en prenant la menace en compte le plus en amont possible. Dans un monde rapide, le temps gagné décide de tout. La fonction « connaissance - anticipation » nouvellement identifiée par le Livre blanc vise à nous donner le préavis nécessaire à l'action. Cette fonction repose en grande partie sur le renseignement spatial, qui devra donc faire l'objet d'un effort substantiel.

Elle repose aussi sur le renseignement humain. Nos services doivent être plus efficaces et mieux coordonnés. C'est pourquoi nous avons décidé le regroupement des services de renseignement du ministère de l'intérieur au sein de la nouvelle direction centrale du renseignement intérieur. Nous avons également décidé de créer le poste de coordonnateur du renseignement, placé auprès du Président de la République. Il sera chargé d'animer et de coordonner les travaux des différents services de renseignement.

La troisième conséquence, c'est que nous devons conserver notre aptitude à monter en puissance et à nous réadapter si la situation venait à changer. L'imprévisibilité de la menace nous impose un dispositif de veille technologique poussé. Elle suppose, dans le domaine industriel, le maintien des bureaux d'études et la réalisation de démonstrateurs précurseurs d'une série de matériels qui pourraient être lancés en fonction des besoins. Dans tous les domaines – prévention, intervention, protection – nous devons demeurer à un niveau de crédibilité qui garantisse notre capacité de réaction.

La quatrième conséquence, c'est la notion de résilience, qui est au centre de l'analyse du Livre blanc. Ce concept désigne la capacité du pays à maintenir ou à rétablir au plus vite son fonctionnement normal en cas de crise majeure. Accroître cette résilience implique de développer nos moyens de surveillance des espaces français ; de renforcer la capacité de réaction des pouvoirs publics ; de mettre les dispositifs de communication et d'alerte massive au centre de la gestion des crises ; d'assurer la protection des populations.

Mesdames et messieurs les députés, avec une dissuasion qui garantit la préservation de l'essentiel ; avec des moyens de renseignement qui nous permettent d'anticiper ; avec des capacités de projection qui nous permettent d'agir plus vite et plus fort ; avec des outils qui assurent le fonctionnement optimal des pouvoirs publics et la protection des citoyens, notre dispositif peut être considéré comme complet.

Mais il serait insuffisant sans l'adhésion de la nation. De ce point de vue, le Livre blanc suggère plusieurs pistes. L'une d'entre elles est, bien entendu, l'intervention du Parlement. Si le projet de loi constitutionnel qui vous a été proposé est adopté, votre rôle sera renforcé. (Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous serez systématiquement informés de l'envoi de militaires français en opération, et systématiquement consultés par un vote dès lors que la question de leur maintien dans des opérations extérieures au-delà de quatre mois se posera.

Le Parlement sera par ailleurs informé de tous les accords liant la France à des partenaires étrangers, dès lors que ceux-ci pourront conduire à engager les moyens de défense du pays au bénéfice d'autres États.

La sécurité est une affaire collective. Nous partageons plus que nos valeurs avec l'Union européenne et avec les pays de l'Alliance atlantique. Le renforcement des liens que nous entretenons avec eux est indispensable.

L'Europe est une puissance,…

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

…mais qu'est ce qu'une puissance sans réels moyens militaires ? L'Union européenne doit prendre ses responsabilités en matière de sécurité et de défense ! Sinon, elle n'aura jamais l'influence politique qu'elle est en droit d'exercer compte tenu de son histoire, de son poids et de son avenir.

Des progrès ont été réalisés depuis dix ans, notamment depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo. L'Union a des instruments, des procédures, une expérience en commun dans 17 opérations de plus ou moins grande ampleur. Tout cela est utile, mais reste très insuffisant.

Pour être efficace, l'Europe doit prendre l'initiative et s'employer à prévenir les menaces avant qu'elles ne surviennent, là où elles prennent naissance, c'est-à-dire souvent hors de son territoire.

Je crois que pour être pleinement respectée, l'Europe doit comprendre qu'avec un effort cumulé de recherche six fois inférieur à celui des Américains et inférieur de moitié en matière de défense,...

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

..elle ne peut être que l'ombre d'elle-même. Faire de l'Union européenne un véritable acteur de la sécurité internationale et de la gestion des crises, susciter la rédaction d'un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité, multiplier les synergies industrielles : tout cela fait partie de nos objectifs, et la présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de proposer à nos partenaires des priorités en ce sens.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

Que voulons-nous ? D'abord, une actualisation et une concrétisation des missions militaires que les Européens se sont assignées. L'objectif que nous voulons fixer à l'Union européenne, c'est la capacité de déployer 60 000 hommes en 60 jours. Nous voulons ensuite avancer concrètement avec les pays qui veulent s'engager. Il s'agit de renforcer nos moyens par des coopérations pilotes et des mutualisations entre États membres : c'est la projection de force avec les Britanniques ; c'est le transport aérien avec, notamment, l'Espagne, l'Allemagne la Belgique ; c'est l'espace avec les Italiens et les Allemands.

Nous voulons enfin que l'Union européenne soit véritablement en mesure de conduire des opérations civiles et militaires. Fondé sur cinq états-majors nationaux que l'on doit réorganiser à la hâte à chaque opération, le système actuel atteint vite ses limites. Nous proposons donc à l'Europe de la doter d'une capacité de planification et de commandement permanente et crédible.

Quant à l'Alliance atlantique, nous voulons aborder le sujet avec rigueur et pragmatisme. Le Livre blanc le rappelle : l'Alliance est aujourd'hui seule en mesure de conduire des opérations militaires de grande envergure et d'assurer la sécurité de l'espace euro-atlantique. Sur les vingt-sept membres de l'Union européenne, six seulement ne font pas partie de l'Alliance. Voilà les faits avec lesquels nous devons composer.

Le Président de la République a eu l'occasion d'exprimer ce qu'est la démarche française. Au regard des avancées de l'Europe de la défense, la France se montre ouverte, sous certaines conditions, à retrouver sa place dans le dispositif militaire de l'Alliance atlantique, à l'exclusion des questions nucléaires. Par ailleurs, comme l'a affirmé le Président de la République, la France gardera en toutes circonstances une liberté d'appréciation totale sur l'envoi de ses troupes en opération et elle ne placera aucun contingent militaire sous commandement de l'OTAN en temps de paix.

Pour nous, une Europe de la défense renforcée va de pair avec une OTAN rénovée, c'est-à-dire plus souple, plus flexible et dont les moyens militaires puissent être mobilisés par l'Union européenne. Dans cet esprit, nous voulons contribuer à la rédaction d'un concept stratégique, qui sera débattu lors du prochain sommet de l'OTAN, organisé conjointement par la France et l'Allemagne.

La France insiste aussi, avec son partenaire allemand, sur la nécessité de respecter la Russie.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

Cette grande nation européenne, sortie de soixante-dix années de dictature communiste, s'est engagée, pas à pas, sur le chemin de la démocratie et contribue de façon constructive aux équilibres du monde. (« Très bien ! »sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mesdames et messieurs les députés, la contrainte budgétaire pèse sur les choix à venir, comme elle a pesé sur la réalisation du modèle d'armée 2015. Il aura manqué 24 milliards d'euros de crédits d'équipement sur la période 1997-2007 pour financer les acquisitions et les dépenses d'entretien initialement prévues dans les programmations : 24 milliards d'euros !

Dans le même temps, les effectifs du ministère de la défense n'ont pas évolué à la baisse, alors même que des efforts financiers d'amélioration de la condition militaire accompagnaient la professionnalisation.

Les conséquences du déséquilibre qui en résulte, nous les connaissons tous : des retards dans le renouvellement des matériels, l'allongement des phases de conception, de développement et de fabrication, des matériels anciens, parfois à bout de souffle, qui restent en service et génèrent à leur tour un surcoût de maintenance. Nos avions ravitailleurs accusent leurs 45 ans ; nos blindés légers et nos hélicoptères Puma approchent les 30 ans d'âge, mais leur remplacement simultané dépasse désormais nos possibilités.

L'urgence, aujourd'hui, c'est également de respecter notre objectif d'équilibre budgétaire à l'horizon 2012. C'est aussi important pour notre sécurité que l'appareil de défense que nous construisons. Être totalement dépendant d'un endettement accru n'est pas la meilleure façon de construire la sécurité de notre pays.

Atteindre l'équilibre budgétaire exige que la progression des dépenses de l'ensemble des administrations publiques soit plafonnée à 1,1 % par an. Compte tenu de l'augmentation tendancielle des pensions et de la dette, cela signifie une stabilisation en valeur de toutes les autres dépenses de l'État, sans compensation de l'inflation.

Ce 1,1 % par an, c'est un effort considérable que nous nous imposons. Le ministère de la défense devra naturellement y contribuer, par le biais des réductions d'effectifs que nous avons décidées. Les réformes à venir – y compris celles qu'induira la révision générale des politiques publiques – se traduiront par une baisse de 54 000 hommes. D'ici six à sept ans, le format global des forces armées, civils et militaires compris, sera de 225 000 hommes ; l'armée de terre en comptera 131 000, l'armée de l'air 50 000 et la marine 44 000.

En faisant cela, nous ne sacrifierons pas notre outil militaire à des impératifs financiers. Nous n'hypothéquerons pas notre sécurité de long terme à seule fin de franchir un cap budgétaire. Le Livre blanc qui vous est présenté ne consacre pas une politique de renoncement. Il pose au contraire les bases de la seule politique durable, c'est-à-dire d'une politique de double réalisme, militaire et économique. Ainsi, la France consacrera à sa défense un effort financier majeur et cohérent avec les choix retenus pour ses capacités.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

La loi de programmation militaire 2009-2014, qui vous sera prochainement soumise, attestera cette volonté de donner à la France l'outil militaire rénové qui répond à ses besoins. Les crédits de la défense ne baisseront pas.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

Dans un premier temps, jusqu'en 2012, ils augmenteront à hauteur de l'inflation. Dans un second temps, à partir de 2012, le budget de la défense pourra progresser de 1 % en volume par an, c'est-à-dire 1 % au-dessus de l'inflation, si naturellement nous avons d'ici là atteint l'équilibre budgétaire qui est la condition de cet effort.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

D'ici 2020, l'effort total consenti pour financer la priorité donnée à la défense atteindra les 377 milliards d'euros. Cet effort sera rendu possible au premier chef par les marges de manoeuvre budgétaires que la réduction des effectifs doit nous assurer.

Aujourd'hui, l'administration et les soutiens accaparent 60 % de nos moyens en personnels, contre 40 % pour les forces opérationnelles. Notre objectif est d'inverser le ratio, comme c'est le cas dans l'autre grande armée européenne, celle de la Grande-Bretagne.

D'autres marges naîtront de la restructuration de nos capacités de soutien, qui sont aujourd'hui éclatées et dispersées. Nous voulons mettre en place une nouvelle organisation, qui reposera sur 90 « bases de défense », réparties dans 400 communes, et qui pourront mutualiser leurs moyens de soutien au profit de 2 800 personnes par base en moyenne.

Cette réorganisation se traduira par un certain nombre de fermetures ou de transferts d'unités militaires. Ces mesures seront complétées par un large dispositif d'accompagnement : accompagnement social d'abord, au profit des personnels militaires et civils de la défense affectés par ces transferts ; accompagnement territorial ensuite, ayant pour objectif principal la création de nouveaux emplois. Les communes les plus touchées feront l'objet d'un accompagnement personnalisé. Des contrats de site ou des conventions d'aménagement seront proposés. Un dispositif de soutien au financement des communes dont le budget sera fortement déséquilibré est également prévu : 320 millions d'euros de subventions d'investissements y seront consacrés.

Les marges ainsi dégagées seront intégralement réinvesties au profit de la condition du personnel, et surtout du budget d'équipement, qui passera de 15,5 milliards d'euros en 2008 à 18 milliards d'euros par an en moyenne pour la période 2009-2020. La trajectoire financière retenue maintiendra la France dans le peloton de tête des pays européens, avec la Grande-Bretagne.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, il faut peu de temps pour réviser une stratégie. Il faut une ou deux décennies pour concevoir et fabriquer un armement. Mais la qualité morale et professionnelle de nos forces armées vient de loin, de très loin. Il faut des siècles d'histoire et de traditions pour créer un état d'esprit, une cohésion, une abnégation aussi remarquables que ceux dont nos armées font preuve. Nos armées font partie des meilleures au monde, et je tiens ici, devant vous et avec vous, à rendre hommage au courage de ces hommes et de ces femmes qui frôlent quotidiennement la mort, loin de leurs familles et de leurs foyers. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Nouveau Centre et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Leur engagement est porté par des valeurs, des idéaux, et nous avons des devoirs vis-à-vis d'eux.

La France ne baisse pas sa garde, car la paix n'est jamais acquise, elle n'est pas une donnée permanente de l'histoire. Notre indépendance n'est pas négociable, et la liberté n'est pas dissociable du fil de l'épée. Notre sécurité exige notre vigilance. Mesdames et messieurs les députés, ce Livre blanc vient éclairer notre responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Accoyer

La parole est à M. Philippe Folliot, premier orateur inscrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, madame la ministre de l'intérieur, madame la secrétaire d'État chargée des droits de l'homme, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour un moment important, d'abord parce qu'il n'arrive que tous les quinze ans et ensuite parce que nous allons discuter des orientations de la France en matière de défense pour les deux décennies à venir. Ce n'est pas rien.

Pour nous, centristes, certains sujets doivent transcender les clivages, et la défense est de ceux-là. Le concept de consensus autour de la défense est au coeur même du pacte républicain auquel nous sommes profondément attachés. Je suis donc très heureux et très honoré de pouvoir participer à ce débat à l'Assemblée et de m'y exprimer au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés.

Je tiens d'abord à féliciter toutes celles et ceux qui ont participé, de près ou de loin, à l'élaboration de ce Livre blanc. Préparer la rédaction de ce document-programme en y associant militaires, experts de la société civile et personnes qualifiées a été un signe d'intelligence et de démocratie. Le travail qui a été effectué a pu ainsi être de très grande qualité.

Je tiens surtout à saluer la très grande pédagogie dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre de la défense, ainsi que la qualité de vos informations et celle de votre communication avec les parlementaires, grâce à une collaboration régulière avec la commission de la défense. Le sujet est délicat, technique et à dimension internationale : il méritait bien autant d'attention.

Permettez-moi, avant d'entrer dans le vif du sujet, d'avoir une pensée plus particulière pour le 8e RPIMa basé à Castres, qui, dans quelques jours, va être projeté en Afghanistan pour une des missions les plus délicates et dangereuses que notre armée va avoir à mener depuis bien des années. Je connais peut-être mieux que quiconque le professionnalisme, le sens de l'engagement et la loyauté des volontaires du 8, exemplaires de l'état d'esprit de toutes nos forces armées. J'en profite également pour rendre hommage à tous nos militaires, qui font un travail difficile et périlleux, tant à l'autre bout du monde que sur le territoire national, pour assurer notre défense et notre sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

L'élaboration de ce Livre blanc a été une formidable occasion pour chacun d'entre nous de prendre du recul et de se pencher sur l'état du monde – et la place que la France y tient –, sur ses évolutions passées, sur le chemin qu'il prend et sur celui que nous voulons lui faire prendre.

Le constat, nous le partageons tous. Depuis le dernier Livre blanc, le monde a beaucoup changé sous l'effet, notamment, de la mondialisation : celle des échanges et celle des moyens de communication et d'information.

Dans ce monde désormais globalisé, les menaces ont, elles aussi, changé ; ce ne sont plus les mêmes. Au temps de la guerre froide et dans les années qui ont suivi, elles étaient davantage identifiées : le monde était globalement bipolaire, avec un bloc contre l'autre, les revendications et les moyens d'attaque étaient connus et l'équilibre de la terreur permettait une lecture finalement assez simple des relations internationales, avec des menaces si ce n'est de bloc à bloc, tout au moins identifiées d'État à État.

Plus particulièrement avec les attentats du 11 septembre 2001, la donne a changé et les choses ne sont plus aussi claires. Tout semble se brouiller : les groupuscules terroristes se multiplient ; les revendications changent ; les moyens utilisés sont plus diversifiés, souvent nouveaux, bien plus puissants et parfois technologiquement à la pointe ; les frontières disparaissent ; des alliances nouvelles et de circonstance apparaissent.

Le monde tend à devenir multipolaire. Les menaces naissent n'importe où, l'hyperpuissance américaine est partout remise en cause, des foyers de risque sont identifiés, comme en Corée et en Iran, et une menace plus diffuse est incarnée par Al Qaida dans de nombreux pays. Les conflits ont aujourd'hui un nouveau visage sous l'influence, notamment, des fanatismes religieux. Il ne s'agit pas, comme certains le disent, de décrire un monde plus dangereux, mais il serait justement dangereux de se voiler la face. Comme le dit très bien le Livre blanc, le monde est surtout plus instable et la menace est plus diffuse.

En effet, nous devons affronter de nouvelles menaces. Je pense aux cyber-attaques, aux risques de pandémie, notamment dans le cadre d'une guerre bactériologique, mais également aux conflits liés à la sécurité des approvisionnements énergétiques et des matières premières, aux problèmes liés à l'accès à l'eau et aux changements climatiques, à la nécessité de nourrir toujours plus d'habitants sur la planète.

Les récentes émeutes de la faim ne sont-elles pas le signe avant-coureur d'instabilités futures ? Le cas de l'Estonie, victime d'une cyber-attaque l'année dernière, est la preuve du caractère très concret de ce type de menace. Nous devons nous préparer à y faire face sur notre territoire, car nos sociétés sont plus complexes, mais aussi plus fragiles et dépendantes de ces nouvelles technologies. Le Président de la République a d'ailleurs réaffirmé son intention de donner à la France les moyens de se prémunir, mais également de répondre à ces attaques informatiques menées par des groupes mafieux ou terroristes, ou par des officines plus ou moins liées à des États.

Ces nouvelles menaces transforment notre vision de la sécurité et justifient le rapprochement entre les deux notions de sécurité extérieure et de sécurité intérieure, autrement dit de défense et de sécurité nationale. Cette nouvelle stratégie de sécurité nationale doit s'appuyer sur une définition très précise de ces deux notions, malgré tout distinctes, et sur une organisation qui puisse faire face aux deux.

Bref, le monde occidental et l'Europe sont aujourd'hui confrontés à un monde très différent de celui de 1994, date de la rédaction du dernier Livre blanc qui tirait les leçons de l'effondrement du bloc soviétique. Une réforme est donc aujourd'hui nécessaire et même vitale pour nous donner les moyens d'anticiper les menaces et de nous défendre. Cela est d'autant plus vrai que notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, notre présence sur tous les continents et notre histoire singulière nous donnent une responsabilité spécifique, une vocation planétaire à défendre la paix.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

C'est pour faire face à cette nouvelle donne que le Livre blanc, tout en les distinguant, place la défense et la sécurité intérieure sur un pied d'égalité et les inclut ensemble dans sa nouvelle stratégie de sécurité nationale. Cette grille de lecture peut surprendre, mais elle permet de prendre en compte les nouvelles menaces et de ne pas se limiter à une vision dépassée des conflits armés.

Il me semble évident que si la France a connu la paix sur son territoire métropolitain pendant plus d'un demi-siècle, la sécurité extérieure et la sécurité intérieure ne sont plus indissociables aujourd'hui. Il faudra cependant veiller à encadrer très précisément la définition de la sécurité intérieure qui est maintenant accolée à la défense, pour que cette stratégie de sécurité nationale ne perde pas en signification et donc en force.

Pour faire face à ces nouvelles menaces et appuyer, notamment, cette stratégie de sécurité nationale, le Livre blanc propose un nouvel équilibre des grandes fonctions stratégiques en donnant une place nouvelle au renseignement. Il y a d'abord la prévention, orientée vers la lutte contre les trafics, contre la prolifération des armes et contre les crises d'origine non intentionnelle. Il y a ensuite la dissuasion, articulée autour d'une double composante nationale, aéroportée et océanique. Il y a également la protection, qui passe par la surveillance et le contrôle des espaces nationaux et de leurs approches, la réaction rapide et ce que le Livre blanc définit comme la résilience. Il y a enfin l'intervention qui s'appuie sur des capacités militaires polyvalentes, réactives, en nombre suffisant et interopérables, et concentrées sur un axe allant de la France jusqu'à l'océan Indien. Désormais, nous avons l'anticipation, qui s'appuiera sur une meilleure connaissance des zones d'opérations potentielles, une meilleure maîtrise de l'information et le renforcement de la prospective.

Au regard de ce nouvel équilibre, nous sommes en accord avec le Livre blanc dans sa redéfinition du contrat opérationnel : être en mesure d'envoyer 30 000 hommes sur un axe allant de la Mauritanie à l'Afghanistan répond davantage à cette nouvelle exigence mondiale que pouvoir en envoyer 50 000 en Europe de l'Est, comme c'était le cas précédemment.

Je me félicite que cette dimension soit la marque de fabrique du Livre blanc et que, encore une fois, les moyens nécessaires l'accompagnent, car faire de l'anticipation la grande orientation de notre doctrine militaire pour les quinze années à venir constitue, pour le Nouveau Centre, le signe d'une ambition réelle et nouvelle. Et sur ce sujet, les investissements annoncés dans le domaine spatial nous semblent utiles, tant nous devons conserver la plus grande autonomie possible dans ce domaine et ne surtout pas négliger le caractère stratégique du centre spatial guyanais à Kourou avec toutes les interrogations que suscite le devenir de ce département.

(M. Jean-Marie Le Guen remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Certains critiquent ce Livre blanc, argumentant qu'il répond uniquement à des nécessités d'ordre budgétaire et que c'est cet objectif de réduction du budget qui a commandé les réformes proposées.

Je ne le pense pas et je dirai même plus : je m'étonne d'une vision aussi peu réaliste des choses. Car nous devons avoir le courage de reconnaître et d'accepter que les difficultés budgétaires ne font que commencer. Et si nous, centristes, demandons depuis longtemps l'instauration de la fameuse règle d'or, entendue comme l'équilibre des budgets en fonctionnement, c'est bien par souci de rendre ces difficultés moins pesantes et inévitables. Doit-on rappeler que la seule charge des intérêts de la dette est plus importante que le budget de la défense ? Cela n'est pas acceptable et ne saurait durer.

En ce sens, la volonté de réorganiser l'armée et la défense à des fins, notamment, d'efficacité budgétaire ne me semble pas du tout condamnable, bien au contraire. Toutefois il doit absolument y avoir un continuum entre le Livre Blanc, la réforme générale des politiques publiques et, demain, la loi de programmation militaire. On ne peut atteindre les objectifs du Livre blanc que par rapport à la nécessité de réussir la RGPP défense. L'un et l'autre sont intimement liés.

Il ne faut pas laisser croire que l'efficacité de notre armée et de notre défense tient uniquement au nombre de ses militaires. Elle tient tout autant à leur motivation et à leurs équipements, aujourd'hui trop souvent obsolètes, M. le Premier ministre l'a rappelé à l'instant. Nous devons donc mieux gérer, et la défense a son rôle à jouer, comme chacun des autres ministères, ni plus ni moins. Je souhaite naturellement qu'on n'en demande pas plus aux militaires qu'aux diverses composantes de la société civile, l'armée ayant déjà fait beaucoup en matière d'économies et de rationalisation. Oui, l'armée a déjà fait une grande part de sa RGPP au moment de la professionnalisation. Je sais que de nouveaux efforts peuvent être consentis sans altérer la qualité de notre défense, bien au contraire. Mais il faudra être très juste et équilibré, car il ne serait pas acceptable de demander aux militaires de faire plus d'efforts qu'aux autres.

Je ne peux alors qu'espérer que les 54 000 suppressions de postes annoncées se fassent avec intelligence, sans compromettre l'opérationnalité de nos forces, défendue à juste titre par le Livre blanc, et en mettant en place l'accompagnement social auquel ont droit nos militaires, accompagnement légitime auquel François Sauvadet, ici présent, est particulièrement attaché.

Heureusement, le ministre et le Président de la République ont donné des garanties quant au budget de la défense, qui ne sera pas diminué et sera même augmenté quand la situation financière aura été redressée, nous l'espérons, à partir de 2012. Pour être en mesure d'atteindre cet objectif, nous devons gérer plus efficacement notre budget. Il sera donc maintenu à son niveau actuel, l'intelligence étant d'utiliser les économies réalisées, notamment par la déflation des effectifs et la vente d'actifs immobiliers, pour les réinjecter dans d'autres domaines de la défense comme le matériel, l'entraînement et la condition militaire.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

C'est une excellente orientation que je soutiens sans retenue. Notre système militaire est en effet à bout de souffle et il faut absolument lui donner une nouvelle dynamique.

Par le passé, le format de nos armées et les objectifs ont été trop souvent fixés en fonction de programmes d'armement. Je pense, par exemple, aux chars Leclerc. On a décidé ce programme en fonction d'objectifs tactiques liés à la guerre froide. Mais avec notre habitude d'accuser des retards structurels, au moment où il arrive enfin à sa réalisation, le programme est déjà stratégiquement dépassé. Et on le poursuit, sans raison opérationnelle majeure et avec des coûts importants. Ces choix ou non-choix ont entraîné à la fois des difficultés budgétaires et une impasse stratégique et capacitaire.

Le Nouveau Centre vous propose également une autre piste pour faire des économies, piste qui n'a pas été assez abordée par la RGPP : entre les unités de base et les états-majors, il y aurait lieu de s'interroger sur la pertinence ou, du moins, sur l'ampleur de certains échelons intermédiaires.

Cette réorganisation des armées devra aller vers un pouvoir accru donné au chef d'état-major des armées et entraînera la nécessité de faire des choix et de rendre certains programmes plus prioritaires que d'autres en matière d'investissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je pense notamment au second porte-avions, à l'opportunité duquel nous devons réfléchir, notamment au regard d'autres programmes tels que l'A400M ou le NH90. Cela ne veut pas dire que la construction du deuxième porte-avions ne doit pas être envisagée, mais si le choix est fait de le construire, cela ne doit en aucun cas avoir pour conséquence de retarder plus encore d'autres programmes, notamment ceux en lien avec notre capacité de projection.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

La réforme de la carte militaire entre parfaitement dans cet objectif de rationalisation et doit permettre, à terme, une meilleure organisation et une meilleure utilisation des crédits. Mais, comme pour la réforme de la carte judiciaire ou scolaire, il faut du courage pour revenir sur les situations acquises, et je salue bien volontiers le vôtre, monsieur le ministre de la défense, pour vous être attaqué à cette « montagne ». Remettre à plat l'organisation de la présence de l'armée sur notre sol entraîne forcément des mécontentements car il faut faire des arbitrages. Mais nous ne pouvons pas continuer ainsi une « politique au fil de l'eau » consistant à ne vouloir toucher à rien.

Pour la défense, l'aménagement du territoire doit être un objectif mais ne doit pas prendre le pas sur la cohérence organisationnelle et opérationnelle. Nous nous félicitons qu'une véritable réflexion ait été conduite quant à l'impact de la disparition de certains régiments ou de certaines unités sur la vie de certaines villes ou départements. J'espère que les annonces qui seront faites dans les jours à venir en tiendront compte mais, d'ores et déjà, je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, pour la concertation que vous avez menée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Lamy

Il a droit à une permission, lui ! Sauvé par Marleix !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je vous félicite également pour les mesures d'accompagnement que vous avez annoncées et pour lesquelles vous avez su vous doter de marges de manoeuvre. Les mesures d'accompagnement immobilières, le triplement du FRED, le fonds pour les restructurations de la défense, le fléchage du fonds d'aménagement du territoire et des contrats de sites, la mobilisation interministérielle, les mesures d'accompagnement social et votre implication personnelle auprès des acteurs économiques, plus particulièrement les groupes du CAC 40, sont autant de gage de réussite de ces reconversions. Élu tarnais, je peux témoigner que la disparition il y a une quinzaine d'années du 7e RCPS d'Albi a finalement été bien compensée par des mesures similaires.

Quoi qu'il en soit, cette réorganisation doit se faire, je le répète, avec comme seul objectif le caractère opérationnel de nos forces. La compagnie doit être maintenue comme cellule de base de nos régiments et de notre engagement sur le terrain. Faut-il un nombre minimum de compagnies de combat plus important qu'aujourd'hui pour que la structure d'accueil qu'est le régiment ait une consistance opérationnelle efficace ? La réponse est oui.

Ces éléments de densification pourront peut-être se conjuguer à plusieurs niveaux. Il sera nécessaire de redensifier quelques régiments, dans un premier temps, avec un objectif essentiel pour l'infanterie : la capacité de projection. Les menaces actuelles nous font penser qu'il s'agit là d'un enjeu particulièrement important et nous nous félicitons que le Livre blanc fasse de cette opérationnalité l'objectif à atteindre. Renverser le ratio 6040, force de soutienforce opérationnelle, voilà un objectif ambitieux et courageux qui est, selon nous, une condition essentielle, sinon centrale, de l'efficacité et de la grandeur de notre armée.

Cette idée de grandeur de l'armée française soulève une question importante, celle de la nécessité et de l'intérêt pour la France de réintégrer le commandement militaire de l'OTAN. Le Président de la République a relancé le débat tout en repoussant la décision à 2009. Au Nouveau Centre, nous nous en félicitons car nous pensons que nous devons avoir sur ce sujet un vrai débat pour nourrir notre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

À ce stade, une discussion contradictoire est engagée entre nous,…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je dois avouer qu'à titre personnel, en tant que gaulliste, cher Jacques Myard,…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je pense que nous devons vraiment nous interroger sur le rapport coûtavantage, c'est-à-dire sur le différentiel entre le coût politique d'une telle proposition et le gain opérationnel que nous en retirerions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Pour le Nouveau Centre, le plus urgent est de jeter des bases concrètes pour une Europe de la défense efficace et qui pèse. Le retard pris par l'Europe en matière de défense est une caricature. Les membres de l'Union ne cessent de rédiger des communiqués de victoire pour donner l'impression que la défense européenne est construite. En réalité, il n'en est rien. Chacun continue à construire tant bien que mal sa propre défense.

Alors que nous mobilisons des moyens élevés, avec environ 75 % des dépenses américaines, nous avons en Europe une capacité militaire largement inférieure à celle des États-Unis. Les pays européens conjuguent donc la dispersion des financements et des stratégies avec l'impuissance des moyens.

L'Europe de la défense passera, selon nous, par une véritable coopération entre les armées nationales et une plus grande mutualisation des forces. Attention ! nos armées devront rester nationales, il ne s'agit pas de revenir sur ce principe. Il faut procéder de manière ciblée, thématique et souple, tout en entretenant la communication sur des schémas et des éléments d'expérience. N'oublions pas que c'est aussi par une défense européenne cohérente et efficace que l'Europe sera considérée et respectée partout dans le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Entre les pays de l'Union, il faut également envisager la mise en place d'une stratégie commune en matière d'industrie de la défense. Nos entreprises ont beaucoup à offrir et nous devons en faire un avantage sur nos concurrents. Les emplois à la clé sont nombreux. En cela, je me réjouis des annonces faites concernant la mise en place d'un marché européen de l'armement.

Le budget de la défense a-t-il pour vocation de subventionner un secteur industriel militaire moribond, comme en témoigne l'interminable drame social de GIAT Industries ou, dans un autre registre, une certaine gabegie à la DCN ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Lamy

À moins que ce ne soit un réquisitoire contre le gouvernement précédent !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Non, ce n'est pas sa vocation. Il faut sortir d'une vision étatisée de l'industrie militaire pour encourager les transferts de technologies et de moyens du militaire au civil.

Dans le domaine de la recherche et de l'innovation militaire, les PME ne peuvent accéder aux grands marchés publics. Le modèle de la recherche duale doit inspirer notre stratégie d'équipement pour diffuser la croissance au plus près du tissu économique régional. Le cloisonnement à la française a fait son temps et, là encore, l'Europe peut montrer la voie à suivre pour de grands partenariats transversaux public-privé.

Il s'agit de soutenir non seulement nos grandes entreprises mais également les plus petites. Nous devons leur permettre de participer à la recherche et au développement des armées et les aider à relever les défis posés par une concurrence féroce sur des technologies de pointe. Le Livre blanc évoque l'idée de leur ouvrir davantage les marchés de défense et d'encourager les associations des grands groupes avec les petites entreprises. C'est une idée qu'il faut absolument concrétiser.

Nous comptons sur votre implication, monsieur le ministre, pour que, comme vous nous l'avez indiqué hier, la présidence française de l'Union européenne soit l'occasion d'avancées significatives telles qu'une réflexion commune sur les menaces et les risques et sur les capacités opérationnelles à mettre en oeuvre ; une formation commune des militaires sur le modèle d'Erasmus ; le développement de capacités communes en matière d'observation satellitaire ou en partie communes concernant le programme A400M par exemple ; ou encore la mise en place d'un plan d'évacuation des ressortissants européens en cas de crise dans le monde.

Un bémol cependant concernant l'arme nucléaire, qui est et doit rester une prérogative nationale. Cette indépendance totale issue de la position du général de Gaulle fait notre différence. Et bien que les choses aient beaucoup changé depuis l'élaboration de cette doctrine et que certains intérêts vitaux de notre pays soient devenus européens, c'est une nécessité pour nous d'affirmer une continuité et une indépendance en ce domaine.

Il est un autre sujet que je souhaite aborder et qui me tient à coeur, en tant que centriste mais surtout en tant que député : c'est le rôle du Parlement. Les pouvoirs du Président de la République sont renforcés, notamment par la création d'un Conseil de défense et de sécurité nationale mais également d'un coordonnateur national du renseignement et d'un Conseil national du renseignement. Pour notre part, nous soutenons cette orientation ainsi que l'idée de regrouper sur le site de Balard tous les centres décisionnaires en matière militaire. Au-delà des économies, ce sera un gage d'efficacité.

La défense est l'une des fonctions régaliennes du chef de l'État, la Constitution l'établit, et il me semble tout à fait logique et efficace que ce soit celui qui parle avec les grands de ce monde qui détienne les pouvoirs dans ce domaine et prenne les décisions qui engagent la France. Le Premier ministre a également un rôle de garant de la cohérence de l'action gouvernementale, il a donc tout à fait sa place dans cette nouvelle organisation des pouvoirs publics.

Mais, et ce n'est pas contradictoire, la défense doit avoir un lien privilégié avec la nation qui la supporte et la soutient. Et ce lien passe par ses représentants et donc le Parlement. Aujourd'hui, le rôle de celui-ci n'est que trop secondaire et nous considérons que ce n'est pas acceptable. Le contrôle n'est qu'a posteriori, tardif et limité. Sans tomber dans l'excès inverse d'une autorisation parlementaire préalable à toute action, nous sommes plutôt partisans d'une solution médiane consistant en une information donnée au Parlement dans un laps de temps court, comme nous l'avons proposé lors des débats sur le projet de modification de la Constitution.

Le lien privilégié entre la nation et l'armée est une question à laquelle nous sommes également très attachés. Ce lien est en effet le gage de l'adhésion de la population aux grandes orientations prises et aux actions menées en matière de défense. Les Français sont, à 90 %, favorables à l'armée et lui font confiance. C'est un sujet important sur lequel nous ne devons pas négliger nos efforts.

Le Président l'a bien compris : avec sa nouvelle stratégie qui englobe défense et sécurité nationale, il souhaite expliquer et montrer aux Français que la défense et la sécurité nationale ne sont pas des notions abstraites et lointaines, et que si notre pays vit dans la paix depuis plus d'un demi-siècle, c'est notamment grâce à l'effort que nous faisons pour avoir une défense à la hauteur des enjeux et des perspectives.

Pour parvenir à renforcer ce lien, nous devons également nous appuyer sur notre jeunesse. Auparavant, avec le service militaire, le lien était plus facile et évident. Avec l'abandon de la conscription, ce lien s'est modifié, même s'il a trouvé une autre traduction dans la JAPD, d'ailleurs plus universelle avec la présence de filles – ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

La réserve est un autre outil dans ce travail de renforcement du lien entre l'armée et la nation. Elle doit constituer un véritable vivier permettant un échange, une porosité des liens entre la société et l'armée. Il est important, pour les réservistes, pour leur milieu professionnel et pour nos forces, que certains citoyens puissent consacrer une partie de leur temps à l'armée.

En lien avec la réserve, je souhaite également évoquer la notion de mémoire, avec le rôle pivot des associations d'anciens combattants, qui est un facteur essentiel que nous ne devons pas négliger pour le renforcement du lien nation-armée. La République se doit d'être reconnaissante vis-à-vis de ses enfants qui ont combattu au péril de leur vie et qui ont vu nombre de leurs camarades tués au champ d'honneur ou blessés dans leur chair.

Un mot également sur la gendarmerie qui, pour moi, est un maillon de ce lien, étant donné son rôle dans l'aménagement du territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je tiens à rappeler mon attachement au caractère militaire de la gendarmerie. Il nous paraît fondamental qu'une démocratie dispose de deux forces de police distinctes. Le caractère militaire de la gendarmerie est un élément qui garantit une présence équilibrée sur l'ensemble du territoire. Il faudra peut-être repenser l'action et le rôle de la gendarmerie et se poser les bonnes questions notamment sur son rôle au niveau de la défense opérationnelle du territoire. Nous aurons l'occasion d'en parler très prochainement dans le cadre d'une future loi-cadre.

La reconnaissance par le Livre blanc d'une autre forme de continuum avec le rôle essentiel que jouent la sécurité civile et la police dans le cadre de crises graves sur le territoire national – pandémies, attaques biologiques, actes terroristes, cyber-attaques, etc. – nous interpelle. Et je vois dans votre présence, madame le ministre de l'intérieur, un symbole que je me devais de souligner.

En conclusion, la souveraineté de la France et sa vocation à jouer un rôle universel dépendent largement de sa capacité à conduire une politique militaire efficace et concrète, à dépasser les mots et à les traduire en actes. Nous sommes passés par des événements marquants ces dernières années où la France n'a pas toujours eu les moyens de ses ambitions.

Retrouver cette souveraineté et cette audience, c'est prendre des décisions politiques courageuses, comme sur l'Afghanistan, c'est construire des outils techniques performants, comme nous en prenons la voie dans le domaine du renseignement, mais c'est aussi être et agir en visionnaire, en bâtisseur. Tous nos grands chefs d'État ont marqué leur temps en tant que chefs des armées : je pense bien sûr au général de Gaulle, avec la décision de quitter l'OTAN et de doter notre pays de l'outil de la dissuasion ; je pense également à Jacques Chirac, qui a effectué la transition nécessaire vers une armée de métier en mettant fin à la conscription. Espérons qu'avec ce Livre blanc suivi de la RGPP et de la loi de programmation militaire, nous remettrons la défense à la hauteur des légitimes responsabilités et ambitions de notre pays dans le concert des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mesdames les ministres, le 17 juin dernier – certains auraient préféré le 18 ! –, le Président de la République a présenté les conclusions du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale.

Ce Livre blanc est le fruit d'un long travail – près d'un an – effectué par la commission dirigée par Jean-Claude Mallet. Cet exercice était attendu. Le dernier Livre blanc datait de 1994 et, depuis, nos armées ont été confrontées à des événements majeurs qu'il était nécessaire de prendre en compte : mise en place de la professionnalisation à partir de 1995, multiplication des menaces et des sources de conflits à travers le monde – terrorisme, conflits inter-religieux, conflits ethniques, conflits sur les matières premières –, vieillissement important de nos équipements, contraintes budgétaires. C'est donc à partir des options définies dans le Livre blanc que va s'organiser dans les années à venir notre appareil de défense.

Je souscris totalement à la volonté affichée par le Président de la République de maintenir la France dans son rôle de grande puissance diplomatique et militaire. C'est en effet un des atouts essentiels de notre pays que de pouvoir compter sur des forces armées efficaces, bien formées et bien équipées.

Le Livre blanc de 2008 garantit les grandes options stratégiques de notre défense et, pour m'être particulièrement intéressé au précédent, j'y retrouve des priorités essentielles de notre doctrine de défense, à savoir :

Le maintien d'une dissuasion nucléaire indépendante – j'insiste bien sur l'indépendance qui ne sera en aucun cas remise en cause par notre retour prévu dans le commandement intégré de l'OTAN ;

Le maintien, voire le renforcement, de notre capacité de prévention des conflits : pré-positionnement de nos troupes, accords de défense ;

La volonté de maintenir intacte une capacité d'intervention extérieure importante, qui doit nous permettre de projeter des troupes – jusqu'à 30 000 hommes sur un seul théâtre d'opération majeure. Cette capacité a certes été réduite – 50 000 hommes prévus par le Livre blanc de 1994 – mais elle correspond au scénario le plus plausible actuellement, car nous n'avons jamais projeté plus de 30 000 hommes depuis l'opération de Suez en 1956.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Même à Suez, nous n'avons envoyé que 26 000 hommes !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

Le Livre blanc de 2008 insiste sur deux aspects qui me paraissent novateurs.

D'abord, la connaissance et l'anticipation élevées au rang de priorité stratégique. Au regard de la multiplicité des menaces potentielles, l'information est un domaine clé. Cette nouvelle priorité implique un important effort financier et humain. En termes de finances, 760 millions d'euros seront alloués au militaire spatial, soit un doublement des crédits d'ici à 2020. Cette somme doit permettre d'améliorer notre capacité de renseignement et d'information afin de préparer au mieux nos éventuelles interventions sur le terrain, mais aussi d'anticiper les crises ou les attaques terroristes.

Ensuite, la protection de la population et du territoire. Cela peut paraître étrange d'y voir un aspect novateur car, après tout, le rôle premier de nos armées est la défense du territoire national et des Français. Nos armées ont été dans l'histoire, à de nombreuses reprises, des armées de conquête et d'expansion sur le continent européen ou bien plus loin. Elles ont aussi été des armées défensives fixées sur le front de l'Est, attendant que l'ennemi déferle. Pour la première fois depuis très longtemps – je crois même pouvoir le dire : depuis que la France est France –, nous ne nous sentons plus menacés sur notre frontière de l'Est. Cette réalité de l'histoire atteint durement les villes de garnison touchées par les restructurations militaires.

Le Livre blanc insiste sur ce rôle premier de nos forces armées qu'est la protection du territoire, sur le rôle majeur qu'elles auraient à jouer dans le cadre non seulement d'attaques terroristes, de pandémies majeures, mais aussi d'attaques informatiques. Tous ces aspects de notre sécurité intérieure, hors bien entendu notre sécurité quotidienne, font partie désormais d'une stratégie globale de sécurité nationale. Nos capacités de coordination avec les services publics doivent donc, dans ce cadre, être améliorées et un effort important sera accompli pour assurer la continuité du bon fonctionnement de l'État.

Au-delà des annonces budgétaires, des priorités programmatiques que nous validerons lors de la loi de programmation en fin d'année, au-delà de notre retour dans la structure de commandement intégré de l'OTAN, au-delà de notre volonté de renforcer l'Europe de la défense, je souhaiterais parler des hommes, de ces milliers d'hommes et de femmes qui composent aujourd'hui nos armées, qui ensemble s'engagent, quel que soit leur poste ou leur fonction, et participent à notre défense nationale. Au nom du groupe UMP, je souhaite leur affirmer ici notre soutien et les assurer de notre entière confiance.

En effet, depuis quelques jours j'entends parler de stratégie, de programmes, de RGPP, de fermetures, de projection des forces, de l'OTAN, du Ponant, de l'Afghanistan, d'accords de défense, mais je veux profiter de la tribune qui m'est offerte pour dire qu'au-delà de tous ces aspects, notre défense est faite de ces femmes et ces hommes engagés, compétents, dévoués, que nous ne devons pas oublier.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

Nous leur devons d'être bien équipés, bien informés, bien formés, c'est cela que je veux leur dire.

C'est pour cette raison que nous engageons une réforme majeure de nos armées. J'entends les craintes et, pour dire vrai, souvent je les comprends. Les objections soulevées ne sont pas toutes sans fondement : l'armée hyper-technologique que l'on nous promet ne peut pas se passer de sa composante humaine.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

Les satellites sont importants, très importants – je ne le conteste aucunement et nous en sommes tous d'accord – mais gardons-nous de penser que le tout-technologique comblera nos lacunes. Le développement des satellites ne résoudra pas, loin de là, le problème de nos matériels déficients, voire obsolètes, qui arrivent depuis bien longtemps déjà en extrême fin de carrière. Nous ne devons pas accréditer l'idée, surtout en ces temps difficiles pour les hommes – 54 000 suppressions de poste programmées en sept ans –, que ces nouvelles priorités stratégiques importantes vont se faire aux dépens de ce qui fait le terreau de toute armée : ses militaires.

Je ne crois pas que « Robocop » soit la solution idéale. Nos hommes doivent être protégés et bien équipés. Ils doivent surtout avoir la confiance des gouvernants et de la population. Nos engagements sont forts : le Président de la République, lors de la présentation du Livre blanc, a assuré que le budget de la défense serait maintenu, que l'inflation serait compensée, que ce budget connaîtrait même une progression à compter de 2012. Les efforts demandés seront importants. Chaque euro économisé sera reversé au budget de la défense. C'est aussi un engagement. Le groupe UMP sera extrêmement vigilant quant à l'application de cette mesure.

Je m'inscris en faux contre le discours qui consiste à dire que la défense coûte cher pour un résultat que nous ne percevons pas. C'est une erreur majeure à l'heure où les budgets militaires augmentent de manière conséquente dans la plupart des régions du monde.

La réforme que nous engageons est nécessaire. Elle doit nous permettre de répondre efficacement aux contraintes budgétaires qui pèsent sur notre pays. Beaucoup de choses peuvent être améliorées, nous en avons tous conscience. Je pense, entre autres, à la mutualisation des contrats de fonctionnement.

Je veux le dire très solennellement devant vous, monsieur le Premier ministre : nous ne devons pas décevoir nos forces armées. Ce Livre blanc est une nouvelle étape dans notre politique de défense ; il doit s'accompagner d'un réel effort de modernisation de notre outil militaire.

Avant de conclure,…

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

…permettez-moi d'aborder deux points qui me tiennent à coeur, ainsi qu'à la plupart des parlementaires.

D'abord, la gendarmerie doit rester militaire…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

…en raison de son abnégation, de son dévouement et des missions qui sont les siennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Voisin

Ensuite, au cours de la précédente législature, une mission sur l'Agence de sécurité informatique a été confiée à Pierre Lasbordes, dont les conclusions ont été prises en compte dans le Livre blanc. Je me devais de le signaler pour notre collègue et pour ce que cela représente pour l'avenir de notre société.

Monsieur le Premier ministre, parce ce que nous avons confiance en nos armées, parce qu'en les réformant et en les dotant d'un nouveau cadre stratégique, nous allons leur donner des moyens plus efficaces pour défendre la France et maintenir notre rang de grande puissance militaire et diplomatique, le groupe UMP soutiendra avec conviction votre réforme et veillera aux respects des engagements pris. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

Durant la campagne présidentielle, les deux candidats du deuxième tour s'étaient engagés à la rédaction d'un nouveau Livre blanc. Nous y sommes ! La profonde modification des équilibres géostratégiques depuis 1994 le légitimait.

Je sais que beaucoup de militaires nous écoutent cet après-midi et j'en profite pour leur dire l'importance que présente, à nos yeux, le secteur de la défense. Je sais que tous les membres des commissions de la défense et des affaires étrangères, notamment, sont particulièrement attentifs à ce qui se passe dans ce domaine. Comme Michel Voisin, je veux assurer les personnels de nos armées de notre soutien et de notre considération.

Vous nous proposez de réactualiser le Livre blanc à chaque loi de programmation militaire. Nous approuvons ce choix, plutôt que celui d'un ouvrage encyclopédique pour quinze ans. Nous avons toutefois un point de désaccord sur le fait que le Parlement ne sera que consulté, sans y être associé pleinement.

Le peu de temps qui m'est imparti ne me permet pas d'évoquer nos points d'accord – nous en avons ! Je me limiterai à nos désaccords et à nos différences.

Tout d'abord, il faut tirer les conséquences de la politique de défense menée de 2002 à 2007 – je m'en excuse, madame la ministre de l'intérieur ! Lors des discussions budgétaires, nous avons ainsi rappelé que la réalité du budget de la défense figure non pas dans la loi de finances initiale, mais dans la loi de règlement du budget, peu connue du grand public parce que moins relayée par les médias. Nous avons également dit qu'en dépit d'une hausse réelle des crédits sous la XIIe législature…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Ça c'est clair !

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

…– hausse dont je me félicite – la capacité de nos forces ne s'est, au mieux, que très marginalement améliorée et s'est même dégradée dans certains secteurs, cela en raison d'erreurs dues à la dispersion des moyens. Enfin, un « jeu » de cavalerie budgétaire a conduit à repousser les problèmes au-delà de la fin de la législature, avec une pression croissante sur les effectifs, comme l'avait courageusement souligné le général Thorette en 2005.

Aujourd'hui, votre majorité reconnaît le déficit des crédits d'investissement, que nous avons régulièrement dénoncé. Et vous prônez des mesures radicales. À l'ajournement continuel semble donc avoir succédé la lucidité. Nous ne pourrons juger cependant de la réalité de cette conversion que dans la durée.

Souvenons-nous qu'il avait été dit dans cet hémicycle qu'un modèle non finançable ne serait pas financé ! Souvenons-nous que les chiffres avaient été donnés ! Peut-être même avez-vous appris des députés socialistes le terme de « bosse », aujourd'hui remplacé par celui de « mur budgétaire », pour désigner la situation inextricable laissée par les engagements non financés !

Cohérence oblige, vous vous rangez à ce constat : à budget constant, le modèle doit être révisé à la baisse. Il eût été plus responsable d'afficher la vérité des chiffres en assumant une baisse du contrat opérationnel plutôt que de tailler insidieusement dans les effectifs en sous-recrutant, comme ces dernières années. Nous y reviendrons. Car après le mur budgétaire, un deuxième mur nous attend : celui d'une RGPP non préparée, non concertée quoi qu'on en dise, et non financée !

Quant à la commission du Livre blanc, quel fossé entre le discours et la pratique ! Nous ne pouvons, en effet, qu'adhérer au discours s'agissant de la création de cette commission, du choix de son président et de ses membres, comme de la présence de quatre parlementaires. Mais, la pratique, c'est l'intervention continuelle du Président de la République pour peser, biaiser et imposer ses choix. Quelle rupture, effectivement, une rupture décomplexée et assumée !

J'ai démissionné de cette commission, comme mon collègue du Sénat Didier Boulaud, car la liste des avanies qui lui ont été infligées est bien longue. Nous avons même acquis, au fil du temps, la certitude qu'elle se verrait, au final, priée d'endosser la paternité de décisions qui ne lui appartenaient pas.

De même, la conception très variable de la confidentialité des travaux en cours et les fuites organisées au plus haut niveau de l'État vers la presse avaient tout d'une double opération de guerre psychologique : en pesant d'abord sur les débats de la commission, puis en préparant nos concitoyens à telle ou telle annonce, on en arrive à cautionner la fuite de documents de travail classifiés, au profit de la presse. La discipline intellectuelle ne s'applique visiblement qu'aux autres !

Ainsi, c'est par la presse que les commissaires ont appris que les états-majors seraient regroupés dans un Pentagone à la française ; que le statut de la DGA serait modifié ; qu'une base interarmées serait créée à Abu-Dhabi ; que l'intervention française en Afghanistan changerait de nature, alors qu'avait été repoussée la demande du groupe socialiste de créer une mission d'information dès le mois de septembre. Enfin, c'est depuis Cherbourg que le Président de la République a annoncé qu'un des trois escadrons de mirage 2000-N ne serait pas remplacé. Je ne poursuis pas l'inventaire. Il est accablant.

Du rêve à la réalité, voyez le signal que vous donnez : aujourd'hui, une déclaration, un débat, certes, et puis plus rien. Le Livre blanc ne changera pas. Il est écrit, édité, diffusé et, quels que soient nos propos dans cet hémicycle, en « despote éclairé », ainsi que l'a qualifié l'éditorialiste d'un grand quotidien régional, le Président de la République décide seul.

J'en viens au fond.

L'analyse des menaces, tout d'abord, est une question essentielle qui fonde largement la stratégie. C'est là, entre autres, que nous avons des points de désaccord. Le rôle d'un Livre blanc est de recenser les menaces, d'en dresser un ordre de priorité, mais aussi de tenter d'en expliquer les causes, pour pouvoir ensuite agir.

Le Proche-Orient y est identifié comme étant au centre d'un arc de crise majeure, ce que l'on ne peut contester. Mais à aucun moment, il n'est affirmé que la défense est appelée à n'intervenir qu'au service de la diplomatie. Aucune analyse n'est faite sur les moyens de renforcer le rôle politique de l'Union européenne dans la gestion des crises. Or nous plaidons que la sécurité internationale n'est pas le droit du plus fort, mais la force du droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Grouard

On a entendu cela dans les années trente. Cela a fait un beau désastre à l'arrivée !

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

Le terrorisme, que l'on ne peut nier, est vu comme une menace fantasmagorique, alors qu'il est aussi une forme de combat politique inhérent à la mondialisation. Le Livre blanc en a d'ailleurs fait la démonstration. Mais il présente comme une hypothèse crédible « une attaque terroriste majeure sur le territoire européen, de type nucléaire, chimique ou biologique, couplée à une situation de guerre dans l'une des zones d'intérêts stratégiques pour l'Europe ».

Il n'entre pas dans mon propos de sous-estimer les menaces, mais il s'agit là de l'excès inverse : une forme de paranoïa, faute d'analyse des rapports de forces mondiaux, dont résulte une description manichéenne du monde avec, d'un côté, des démocraties occidentales et leur économie libérale véhiculant le bien et, de l'autre, un monde que l'on n'essaie pas de comprendre, par nature dangereux et qui représenterait le mal.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

N'est-ce pas vous qui ne vouliez pas de la présence d'Assad à Paris ?...

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

Conséquence ou cause de cette analyse, à aucun moment la responsabilité des États-Unis dans le chaos proche-oriental n'est évoquée. Et le Livre blanc ne rappelle pas qu'en 2003 le Président Chirac et l'Assemblée nationale avaient eu raison de ne pas impliquer la France dans ce conflit, alors qu'on sait aujourd'hui que l'intervention en Irak a créé beaucoup de terrorisme et d'instabilité.

Sur le projet politique, la cohérence du Livre blanc s'est forgée autour des contraintes budgétaires. On en profite pour abolir la frontière entre défense, sécurité intérieure et sécurité nationale, et pour justifier une politique sécuritaire qui laisse pourtant sceptiques, voire hostiles, militaires, policiers et sauveteurs de la sécurité civile, réunis la semaine dernière par le Président de la République.

Derrière les enjeux de sécurité et la globalisation de la menace se cache une réelle volonté du Président de justifier l'extension ad libitum de ses pouvoirs et de son domaine réservé, en se construisant un bunker institutionnel.

Ce projet ne peut être légitimé par les miettes laissées aux assemblées – sans contre-pouvoir. Nous sommes radicalement opposés à cette vision. Le vrai danger est que des structures parallèles, ne disant pas leur nom, sont en train de se constituer à l'Élysée : le coordinateur du renseignement et le SGDN passent sous cette même coupe. Avec quel contrôle du Gouvernement et du Parlement sur leur action ? Aucun !

Quant à la réforme des armées, elle est l'un des points saillants qui résultera du Livre blanc, même si, par un curieux hasard, la RGPP a avancé plus rapidement que les travaux de la commission. Sans nier l'utilité d'une réorganisation de l'outil de défense, il est clair que la stratégie a été adaptée aux moyens. La création d'une nouvelle fonction centrée sur l'acquisition du renseignement et sur sa valorisation n'abusera personne. Elle n'a d'autre objectif que de dissimuler l'abandon des moyens d'action extérieure. Les militaires l'ont bien compris.

Souvenons-nous que les États-Unis n'avaient pas su prévoir l'invasion du Koweït, ni la Grande-Bretagne, l'occupation des Malouines. Nous préférons le renouvellement des matériels organiques et leur valorisation pour la protection des combattants car, au moment de l'action, ce sont nos forces qui engagent leur vie au combat, et non les services de renseignements.

Enfin, pour les équipements et les conséquences sociales, la situation laissée par votre majorité oblige à revoir les commandes à la baisse. Vous nous proposez une diminution homothétique du modèle 2015. La dispersion des crédits d'équipement se poursuivra ou se renforcera au profit de programmes satellitaires ou de défense antimissile. Le personnel paiera l'impéritie passée…

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

…et ne peut croire la triste plaisanterie d'une diminution drastique des effectifs profitant aux crédits d'équipement et aux chanceux dont l'emploi sera sauvé.

Je poserai pour conclure une question sur l'OTAN, qu'approfondira Jean-Michel Boucheron : que s'est-il passé dans le monde depuis février 2007 ? Mme Alliot-Marie a déclaré au Sénat : « Sur le plan politique, le statut singulier de notre pays au sein de l'Alliance lui permet, en revanche, de faire entendre sa voix et d'être écouté. » Monsieur le Premier ministre, je suis sûre que votre réponse ne manquera pas de nous éclairer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, l'intitulé de ce rapport est bien étonnant – le blanc est généralement associé à la paix –, lorsque l'on se réfère aux effets belliqueux que son application va produire. Le Gouvernement et le chef de l'État donnent l'illusion d'un volontarisme politique, intègre et réformateur, qui cache mal les intérêts économiques et financiers qu'il sert et les régressions politiques qu'il engendre. Derrière les arguments d'un nécessaire renouvellement matériel et d'une redéfinition stratégique de la défense et de la sécurité nationale, se dissimule en fait une logique guerrière.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se pencher sur la volonté présidentielle de faire participer la France au commandement militaire intégré de l'OTAN. Il suffit également de se référer au discours du 17 juin, dans lequel le Président de la République souhaite que la France soit « capable de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combat, 1 groupe aéronaval et 2 groupes maritimes », et qu'elle soit « capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opération » et « d'y assumer la responsabilité d'être nation cadre. »

N'est-ce pas là l'affirmation d'une volonté de domination du monde par les armes ? N'est-ce pas là l'intention inavouée d'être à l'image de Georges Bush sur la scène internationale ? Mais oui, c'est là que réside l'enjeu principal de ce rapport ! Et, devant un tel acharnement à vouloir céder la France aux États-Unis, les députés communistes et républicains s'indignent, à la lecture de ce rapport, des choix faits pour y parvenir.

Avant tout, notons que le déni de démocratie devient une attitude habituelle de la part du Gouvernement. La composition de la commission du Livre blanc témoigne d'un mépris de la volonté populaire. Les partis politiques y étaient-ils associés en proportion de leur représentation pour y exprimer une volonté nationale ? Non ! Le Gouvernement n'a pas cru devoir y inviter des parlementaires communistes. Le pluralisme habituellement revendiqué aurait risqué, ici, de contrer une volonté présidentielle déjà bien arrêtée, que ce rapport ne fait qu'entériner. Quant aux parlementaires socialistes qui se sont accommodés de cet état de fait, ils ont abandonné la commission, percevant l'hypocrisie. Ne restaient alors que les parlementaires des groupes UMP. Quelle aubaine !

Dans ces conditions, quelle certitude avons-nous qu'il ne s'agit pas d'une commission fantoche, qui ne répond qu'en apparence aux besoins de transparence et de réflexion que requiert l'établissement d'une nouvelle doctrine de défense et de sécurité pour la France ?

Les voix pacifistes ont-elles été entendues ? Non ! Parmi les auditions de représentants de la société civile, aucune n'a permis de saisir les arguments pourtant riches des associations et des ONG de défense de la paix. Quelle en est la raison ? Le Gouvernement n'établit-il aucune relation entre la défense et la paix ? Sa conception de la défense est-elle essentiellement offensive et guerrière ? Je le crains, et je le démontrerai tout à l'heure.

Les élus locaux ont-ils été consultés à propos des fermetures d'établissements militaires ? Non ! Ils ont été mis devant le fait accompli, alors que leurs territoires vont en subir de graves conséquences en matière d'emploi, de développement économique, de services publics et de désertification géographique.

Certes, la politique de défense n'est pas une branche de la politique d'aménagement du territoire, comme le Président Sarkozy aime à l'affirmer. Et on ne peut pas s'en tenir à cette seule considération pour décider de l'implantation des structures de défense. Mais on ne peut négliger pour autant le fait que leur disparition est préjudiciable à plusieurs titres, notamment en termes d'emploi. In fine, il s'agit de la vie de milliers de personnes. Le Gouvernement a-t-il jugé accessoires ces conséquences humaines ? Il n'a proposé du moins aucun plan de reconversion ou de compensation pour ces territoires,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

…ni aucune concertation préalable avec les acteurs locaux. De même, les personnels militaires et civils de la défense ont-ils été consultés, via leurs syndicats, au sujet de la suppression de près de 54 000 postes en sept ans ? Pas davantage ! À l'image de la réforme de la carte judiciaire, celle de la carte militaire fait fi des préoccupations des professionnels directement concernés.

Les fédérations syndicales s'étaient pourtant unies pour adresser à Nicolas Sarkozy une lettre commune, dans laquelle elles exprimaient leurs inquiétudes. Si le haut de la hiérarchie militaire a été entendu sur des considérations d'ordre technique et de stratégie, les personnels civils et militaires, eux, ont été négligés et leurs familles, oubliées.

Les fédérations syndicales avaient pourtant prévenu : « Les conséquences sociales et économiques pour l'emploi et les salariés du ministère de la défense, ceux des sociétés nationales que sont NEXTER, l'ancienne Direction des constructions navales et la Société nationale des poudres et explosifs, ceux des entreprises sous-traitantes et des collectivités locales, seraient catastrophiques. » Un groupe anonyme d'officiers supérieurs et de généraux dénommé Surcouf a même été jusqu'à fustiger les décisions présidentielles.

À présent, c'est le contenu même de ce Livre blanc que je veux dénoncer, et je ne vous cacherai pas que nos motifs de désaccords sont nombreux. Mais je ne les énumérerai pas pour pouvoir m'attarder davantage sur ce qui rend la doctrine de défense du Gouvernement inacceptable. C'est une doctrine militariste et atlantiste qui rejette la nécessité d'une politique mondiale solidaire, d'une politique de paix, de coopération et de conciliation.

La guerre ne peut pas être considérée comme un moyen pour arriver à une fin. Ce n'est que l'ultime échec des rapports entre les peuples.

Debut de section - PermalienFrançois Fillon, Premier ministre

Sur ce point, nous sommes d'accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Le Livre blanc cède à la facilité de l'argument des économies budgétaires – du moins en apparence, car cet argument correspond en fait à une conception conflictuelle des rapports entre les peuples, sous-jacente dans ce rapport, qui n'est pas la nôtre. L'argument comptable est avancé, mais pas pour de bonnes raisons.

Certes, le budget dévolu à la défense consacrera 377 milliards d'euros à l'armée d'ici à 2020, alors qu'il y a tant d'autres priorités. Mais, si une réduction budgétaire doit être opérée, c'est par l'anticipation et l'aménagement dans le temps de dispositifs transitoires. Je pense que l'on doit rattacher ces coupes claires dans les effectifs de la défense à deux phénomènes très inquiétants.

Le premier est celui de la légalisation du mercenariat, dont l'encadrement juridique ne leurre personne. En légalisant les sociétés militaires privées, on fait de la guerre et de la mort un marché lucratif. On ouvre la brèche à une barbarie et à une sauvagerie dans lesquelles l'humanité ne pourra que s'engouffrer. Une telle politique est inacceptable, après tant d'efforts consacrés à la pacification des relations internationales et à la protection des droits de l'homme. On s'oriente vers une déresponsabilisation des États en contexte de guerre, alors que des décennies de luttes ont été nécessaires pour leur faire appliquer un régime de responsabilité et les sanctionner.

On bafoue les instruments juridiques pacificateurs tels que la Charte des Nations unies, le droit international de la guerre et les conventions de Genève. On nous promet le règne de l'arbitraire et, pire encore, on porte atteinte à l'un des pouvoirs régaliens de l'État, qui devrait disposer du monopole de la violence légitime : c'est très grave ! En effet, en donnant à des entreprises privées, qui se substituent aux États, la possibilité d'intervenir dans les conflits armés, on sape les bases de la souveraineté du peuple et de la démocratie. Cela laisse augurer que nos valeurs républicaines de respect des hommes, de liberté et d'égalité seront bafouées.

Ce sont les lobbies industriels qui, désormais, imposeront un ordre mondial, avec le risque que la nation française passe sous domination étrangère lorsque ces industries deviendront multinationales. Bref, les États vont pouvoir, en toute impunité, confier la guerre au secteur privé, dont les appétits financiers sont voraces et qui n'a que faire de la sécurité du peuple, pourvu que ça rapporte vite et beaucoup ! Je n'ose imaginer le tableau.

Un second phénomène, lui aussi marchand, justifie la suppression massive des effectifs du ministère de la défense : l'ouverture toujours plus importante du juteux marché de la guerre aux monopoles financiers.

On s'empressera bientôt de démontrer que les entreprises nationales, dont les compétences des personnels ne sont plus à démontrer, se montrent inefficaces et qu'il faut ouvrir le marché à la concurrence internationale. Personne ne prendra alors la peine d'expliquer que cette « inefficacité » trouve son origine dans des suppressions de personnels et des choix douteux.

La politique libérale de casse des services publics est encore à l'oeuvre ; elle veut faire croire à nos concitoyens, que les services publics sont inaptes à satisfaire les besoins de la population.

Est-ce un hasard si les grands industriels de l'armement terrestre se sont réunis à Villepinte la veille de la présentation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ?

Est-ce un hasard si la commission du Livre blanc a tant insisté sur l'accès aux ressources énergétiques ?

Rien n'est moins étonnant que la concordance entre certains intérêts économiques des pays occidentaux et l'effort militaire consacré à leur protection.

Je voudrais dénoncer ici la véritable philosophie du Livre blanc. Elle se décompose en deux éléments.

Le premier relève d'une philosophie capitaliste appliquée au secteur de la guerre. Elle vise à instrumentaliser les moyens de la défense nationale, afin d'atteindre des objectifs marchands, comme l'accès à des ressources énergétiques étrangères et l'ouverture de marchés nouveaux – notamment au Moyen-Orient – une fois les populations locales occupées et soumises à la loi du capitalisme.

Un second aspect correspond à une philosophie manichéenne fondée sur un prétendu conflit de civilisations. Après que Georges Bush a livré la bataille « du bien contre le mal », Nicolas Sarkozy et les pays européens, auxquels se joindront les États-unis, livreront la bataille « des bons contre les mauvais ». Les « mauvais » étant évidemment ceux qui contestent le bien-fondé du capitalisme des pays occidentaux, ceux qui luttent pour une autre conception des rapports entre les hommes que celle axée sur la concurrence, la primauté du plus fort et la stigmatisation de l'autre.

L'ennemi « nouveau » est inventé et même nommé. Il s'agit de la Chine, de la Russie ou encore du Moyen-Orient, qui refusent de se soumettre à la logique et aux diktats des États occidentaux. Deux nouveaux blocs se dessinent et Nicolas Sarkozy fait choisir à la France un camp qui risque de la mettre en péril.

Cette grille de lecture du Livre blanc permet de comprendre ce qui se cache entre ses lignes. Ainsi, l'étroite association entre les notions de défense et de sécurité nationale doit nous interpeller. Le nouveau concept de « sécurité globale » qui émerge semble apporter aux questions de sécurité nationale des réponses purement militaires. Les interventions militaires ne seraient plus réservées aux seuls risques de conflit armé, d'autres types de menaces les justifieraient.

Or tout réside dans l'interprétation et la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale et les intérêts vitaux de la France. Souvenons-nous de la décision de Jacques Chirac de déclarer l'état d'urgence contre les insurrections des banlieues, en décembre 2005. Pour poursuive cette logique jusqu'à son terme, quand enverrons-nous des troupes armées contre les manifestants qui bloquent les réseaux routiers ? En effet, dès lors que le Livre blanc propose que la direction centrale du renseignement intérieur assume la charge de la « surveillance des mouvements subversifs violents », selon l'interprétation donnée à cette expression, certaines manifestations, certains groupes politiques ou syndicaux pourraient être réprimés.

De même, lorsque le Gouvernement prétend coordonner les services de renseignements et les services de la défense, ou lutter contre le cyberterrorisme, qu'est-ce qui garantit au citoyen le respect de sa vie privée, de sa liberté de conscience, de ses données personnelles ? C'est l'une des principales difficultés inhérentes au concept de résilience, mis en avant dans le Livre blanc.

Les députés communistes et républicains ne cherchent pas à minimiser les risques auxquels la paix et la sécurité sont aujourd'hui confrontées. Ils sont mentionnés dans le Livre blanc, et ils existent. Nous cherchons seulement à dénoncer la disproportion dont témoignent non seulement l'importance qui leur est sciemment accordée, mais aussi l'agressivité des réponses proposées tout au long de ce document.

La conception de la défense développée dans le Livre blanc est archaïque, régressive et indigne des relations internationales dont le XXIe siècle devrait être porteur. On peut d'ailleurs regretter que nos deux derniers Présidents de la République aient fait le choix d'oeuvrer dans la même ligne en choisissant une militarisation accrue. L'actuel Président de la République met tout en oeuvre pour orienter la défense française vers une action militaire fondée sur la démonstration de puissance, l'exacerbation des rapports de force et la projection de forces armées à l'extérieur du territoire.

Si Jacques Chirac a opportunément refusé d'engager les troupes françaises en Irak, et de suivre ainsi les États-Unis, il a pourtant mis fin à la conscription. En rompant brutalement le lien entre armée et nation, en professionnalisant l'armée, il a élargi la voie déjà ouverte à une marchandisation de la guerre. Il a renforcé la privatisation de la guerre amorcée par la privatisation de l'industrie de l'armement.

Nicolas Sarkozy et son gouvernement poursuivent l'oeuvre de régression : ils s'alignent sur la politique conservatrice américaine en approuvant une intervention des forces années françaises en Afghanistan et en Irak, mais souhaitent aussi, je le l'affirme à nouveau, une réintégration de la France au sein de l'OTAN.

Or, avec le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN, nous aurions l'assurance que les décisions relatives à la défense française échapperaient à la souveraineté nationale. L'indépendance militaire, stratégique et diplomatique de la France se verrait alors anéantie par la volonté des États-Unis d'Amérique qui, nous le savons, ne renonceront pas à leur politique d'agression. Au sein de l'OTAN, il est évident que la voix prépondérante des États-Unis contraindra la France à s'aligner sur leurs choix, comme les Britanniques s'alignent aujourd'hui sur la position américaine.

En 1966, Charles de Gaulle, qui l'avait compris, décida que la France devait quitter l'OTAN pour être indépendante sur le plan militaire, notamment en matière nucléaire. Lui aussi refusait la domination de la France par les États-Unis. Nous ne pouvons pas tolérer en France une politique atlantiste qui méprise les droits des peuples et qui les engage arbitrairement dans des conflits armés. Par ailleurs, une politique atlantiste risque d'exposer encore davantage notre pays aux menaces internationales.

Dans cette même logique, la promotion d'une Europe de la défense fait perdre à la France son autonomie. La France sera tenue de s'engager dans la voie choisie par l'Union européenne, sans disposer d'une liberté de retrait en cas de désaccord.

Debut de section - PermalienMichèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Il était tout à l'honneur de la France de faire entendre, en Europe et dans le monde, une voix dissonante. Ce fut notamment le cas lorsqu'elle s'opposa à l'intervention de troupes en Irak, contrairement à la plupart des États européens.

Mais nous sommes, une fois de plus, sommés de nous aligner sur la politique nord-américaine, puisque le traité de Lisbonne voulait imposer le respect du cadre de l'OTAN – vous aurez sans doute remarqué qu'en cette matière, depuis le vote irlandais, je conjugue le verbe « vouloir » au passé. On nous invite au suivisme, et dans la pire des directions ! Or il est illusoire de croire qu'il est possible de créer un pilier européen de la défense au sein de l'OTAN. C'est impossible ! M. Védrine lui-même a souligné que le poids de la France au sein de l'OTAN serait le même que celui des autres alliés, c'est-à-dire nul. Le Livre blanc recèle à ce sujet une contradiction, il faut l'admettre. Il présente l'intégration de la France dans l'OTAN comme l'assurance d'une plus grande influence de notre pays ; en réalité l'influence dont il peut aujourd'hui se prévaloir sera anéantie.

Par ailleurs, une Europe de la défense nécessite la définition préalable d'une politique étrangère commune. Or celle-ci n'existe pas. Comment ose-t-on engager les peuples européens dans la voie militaire, alors que la voie de la paix, par la diplomatie, n'a pas encore été véritablement abordée ?

Nous refusons radicalement le virage atlantiste proposé à la France par le Président de la République.

Nous ne pouvons pas accepter qu'une telle organisation de la défense n'émane pas d'une décision politique prise de façon démocratique. Si, en 2006, 86 % des Français estimaient « essentielle et souhaitable une politique européenne de défense » ; en 2008, 87 % estiment que l'Europe « devrait faire intervenir ses forces de défense sans l'appui des États-Unis ».

L'exagération et la déformation de la menace terroriste exacerbent les peurs à l'égard d'un phénomène terroriste insaisissable. Le moyen est efficace pour remplir des objectifs mercantiles, avec l'assentiment d'une population manipulée. Mais il s'agit aussi de réduire les libertés publiques en toute légitimité, sous prétexte d'une menace latente et incessante. Le chef de l'État a pris la peine de préciser que « l'incertitude est fille de la mondialisation », pour justifier a priori tous les coups qu'il portera demain aux libertés. De qui se moque-t-on ?

Qui orchestre la course à la mondialisation, si ce n'est lui, ses amis du MEDEF et les spéculateurs financiers à travers le monde ? Quel est cet ennemi contre qui déployer tant de moyens, et même l'arme nucléaire ? La menace est-elle si grande que nous devions poursuivre notre effort d'armement à un tel niveau, alors que notre région n'a jamais été aussi pacifiée ?

La place primordiale accordée à l'arme nucléaire inquiète les élus du peuple que nous sommes. Le Livre blanc banalise le recours à cette arme en en faisant une arme préventive, notamment face au terrorisme. Une telle conception ne peut qu'accélérer la course à l'arme nucléaire. Elle renforce le processus de miniaturisation et d'usage opérationnel de ce type d'armement dans un conflit classique.

Les effets dévastateurs et irréversibles du nucléaire ne devraient-ils pas inciter le chef de l'État à la plus grande prudence ? L'effet de dissuasion à l'égard du terrorisme est plus qu'incertain. Aujourd'hui, le terrorisme international est insaisissable et nous ne pouvons pas anticiper ses actions. Utiliser la menace du recours à l'arme nucléaire contre des États qui soutiendraient le terrorisme international ne ferait qu'exposer aux dangers du nucléaire, et de façon injuste, les populations civiles. Et les terroristes ne renonceraient pas pour autant à leurs actions : ils n'auraient aucune difficulté à lancer des représailles contre les populations des États attaquants. Lorsque M. Sarkozy émet la possibilité de procéder à « un avertissement nucléaire », il expose la France à des ripostes incontrôlables, car il attise les tensions.

L'arme nucléaire n'a rien de dissuasif. Elle est au contraire à l'origine d'une escalade des armements et des antagonismes mondiaux. Contrairement à ce qu'affirme le Président de la République, elle n'est pas 1' « assurance-vie de la nation », mais plutôt son opposé, si l'on songe que l'intégration de la France à l'OTAN donnerait aux États-Unis d'Amérique le pouvoir de maîtriser l'arme nucléaire française, même si le Président de la République s'en défend, tout comme le Premier ministre devant nous tout à l'heure.

La volonté de domination de la planète est le fait de quelques États hégémoniques qui s'approprient les ressources naturelles en sacrifiant le développement des pays qu'ils pillent. Ils organisent ainsi, à leur seul profit, un ordre mondial fondé sur la libre concurrence et les lois du marché. Autant dire qu'ils accordent une importance secondaire à la protection des droits de l'homme et à la question environnementale.

Il est évident que ce sont avant tout les intérêts économiques des grandes industries françaises que cette nouvelle orientation de la défense et de la sécurité nationale cherche à protéger, par opposition aux intérêts des autres États. Il s'agit alors d'élaborer des stratégies militaires et de mettre en place des opérations extérieures dans des territoires où le Gouvernement estime avoir des intérêts à défendre. Et ces opérations n'ont même pas besoin d'être justifiées par une quelconque agression.

Le Gouvernement choisit ainsi une conception «offensive » de la défense, aux dépens d'une conception « défensive ». Cette option agressive fait de certains États étrangers des cibles permanentes. La guerre préventive, chère au Président de la République, répond bien à cette logique.

Bien sûr, le discours officiel ne manquera pas de trouver des raisons appropriées pour justifier une intervention militaire à l'étranger. Les dirigeants des États-Unis avaient su tromper une partie du monde en prétextant que leur intervention en Irak était destinée à libérer les Irakiens du joug d'un dictateur et en prétendant être à la recherche d'armes de destruction massive. Mais nous n'avons pas été dupes, et nous avons dénoncé l'atteinte au droit international et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ainsi que la dénaturation du droit d'ingérence, que constituait cette intervention de troupes étrangères en Irak.

De même, les droits de l'homme servent de prétexte à des interventions militaires, alors que nous ne sommes pas capables de les respecter en France. Les effets de la politique du Gouvernement en témoignent quand les salariés et les familles souffrent d'un pouvoir d'achat trop faible pour vivre décemment, quand se soigner devient un luxe, quand l'éducation n'est plus une priorité nationale, quand les sans-papiers sont maltraités, quand la mort d'une personne au sein d'un centre de rétention est banalisée, quand les conditions d'incarcération dans les prisons deviennent inhumaines. Hélas, la liste serait encore longue !

Nous refusons donc cette nouvelle conception de la défense et de la sécurité nationale, et nous proposons, au contraire, d'établir les bases d'une paix mondiale inaltérable.

En conséquence, l'emploi de la force doit, plus que jamais, demeurer du ressort du Parlement. Davantage de pouvoirs doivent être donnés aux représentants du peuple pour qu'ils participent activement aux choix gouvernementaux en matière de défense et qu'ils contrôlent l'activité de l'exécutif dans ce domaine. À cette fin, il faut exiger que le chef de L'État et le Gouvernement reçoivent systématiquement des autorisations du Parlement en matière de défense et de sécurité.

Nous devons refuser qu'en contrepartie soient accrus les pouvoirs présidentiels en matière de défense et de sécurité intérieure. À cet égard, la création d'un Conseil de défense et de sécurité nationale et d'un Conseil consultatif sur la sécurité nationale auprès du Président de la République, tous deux composés de personnalités qu'il aura nommées, n'est pas de nature à nous rassurer.

La souveraineté et la démocratie doivent rester le fondement de la défense et de la sécurité intérieure. C'est au peuple que doit revenir la maîtrise de son territoire et de sa destinée.

Nous ne devons plus tolérer l'irrespect flagrant du droit international par nos gouvernements. Il nous faut être intransigeants sur le respect par nos pays des accords qui les lient et des valeurs qu'ils portent. Le double contrôle citoyen et parlementaire doit être permanent.

La France doit instaurer un service citoyen, car la défense ne doit pas échapper aux citoyens. Ce sont eux qui donnent vie à la nation et qui doivent prendre les décisions déterminantes.

Il est essentiel de revenir à une gestion publique des industries de l'armement pour garantir l'autonomie de la défense et de la politique étrangère de la France. Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres.

Enfin et surtout, la paix internationale ne peut être garantie que si l'on donne à chaque peuple le pouvoir de s'autodéterminer et les moyens de se développer, dans le respect des données culturelles locales. Nous devons être porteurs d'une politique mondiale solidaire qui ne profite pas des faiblesses de certains pays, qui n'attise pas les rivalités locales pour en tirer un profit égoïste et qui ne se nourrisse pas de la pauvreté pour enrichir davantage encore les plus riches.

C'est en réglant les dysfonctionnements profonds de ce monde que nous parviendrons à une situation de paix.

L'enjeu majeur est le règlement de la question de la pauvreté, de la faim et de l'exploitation nationale des ressources naturelles, aujourd'hui pillées par les États occidentaux. Nous devons également veiller à une application effective des droits de l'homme pour que les humiliations, les asservissements, les frustrations des hommes ne dégénèrent pas en actions désespérées, notamment terroristes.

Il faut organiser un véritable débat public sur la politique de défense, qui n'est pas qu'une question d'experts ou de renouvellement du matériel. Je demande donc l'ouverture d'états généraux de la défense. Un moratoire est nécessaire, car le Gouvernement doit prendre le temps d'organiser le débat et d'approfondir la réflexion nationale. Des interrogations subsistent. Les décisions les plus appropriées, les plus démocratiques et les plus respectueuses du droit international ne peuvent pas être prises dans la précipitation. La politique d'usure parlementaire que mène actuellement le Gouvernement en conduisant les réformes à un rythme effréné ne peut être sans conséquence sur le bon fonctionnement de nos institutions et sur l'avenir de notre nation.

La primauté donnée exclusivement à la sécurité nationale constitue un repli nationaliste. Dans un contexte où la mondialisation accroît la misère d'une majorité d'habitants de la planète et où l'Europe se construit contre les peuples, nous devrions privilégier le développement des solidarités, des coopérations et de l'amitié entre les peuples, des valeurs que les députés communistes et républicains sont fiers de porter. Il faut affirmer un principe de paix, plutôt que de développer une stratégie armée. C'est pourquoi je vous demande, madame, messieurs les ministres, ainsi qu'au Président de la République, de renoncer à cette logique guerrière et de vous engager à promouvoir le désarmement multilatéral.

Pour conclure, je souhaite réaffirmer haut et fort notre conception de la paix, qui est aux antipodes de celle prônée par le Président Sarkozy. La paix n'est pas l'absence temporaire de guerre ni un état apaisé des relations, mais un état permanent de respect des peuples et de leurs différences, de coopérations et d'interdépendances assumées. Je terminerai en citant Jean Jaurès, pour qui « l'affirmation de la paix est le plus grand des combats ». Cette conception de la paix, qui est toujours d'actualité, nous la faisons nôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat illustre la volonté de changement et de rééquilibrage de nos institutions exprimée par le Président de la République. Le Parlement, jusqu'alors peu sollicité sur les questions de défense et de politique étrangère, a été associé, consulté et informé tout au long du processus d'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Rendu nécessaire par les profonds bouleversements qui ont modifié les équilibres géostratégiques depuis 1994, ce travail se fonde sur une analyse globale de nos intérêts de sécurité, qui ne se limitent pas aux enjeux de défense. Cette approche nouvelle, à laquelle je souscris, a permis de définir pour notre pays une stratégie de sécurité nationale adaptée aux nouvelles menaces.

C'est au regard de ce nouvel équilibre, marqué par la multiplication des crises, qu'il nous faut apprécier, d'une part, les missions et les moyens attribués à nos forces armées et, d'autre part, la place et le rôle de la France en Europe et dans le monde, en tant que puissance diplomatique et militaire.

Le Livre blanc réaffirme certains principes fondamentaux de notre défense. D'une part, il rappelle que la dissuasion nucléaire demeure un fondement essentiel de la stratégie de la France ; d'autre part, il tire les conséquences logiques de la professionnalisation de nos armées, dont le reformatage doit respecter les exigences budgétaires que nous nous sommes fixées.

Deux éléments traduisent plus particulièrement le souci d'adaptation de notre dispositif de défense à l'environnement mondial.

L'existence, au voisinage de l'Europe, d'une zone géographique allant des Balkans jusqu'au Pakistan, marquée par des tensions de nature diverse, comme le terrorisme, la prolifération des armes, l'instabilité politique, le chantage à l'accès au pétrole, a conduit à définir une nouvelle répartition de nos forces pré-positionnées. J'estime que le choix de concentrer le dispositif militaire français le long de cet arc de crise répond bien à la nécessité de disposer d'un appareil de défense prenant mieux en compte la réalité des menaces contemporaines.

Toujours plus diffuses, multiples et changeantes, ces menaces nous obligent par ailleurs à faire de la fonction de connaissance et d'anticipation, qui recouvre notamment les moyens du renseignement, l'une des principales priorités de notre effort de défense. À cet égard, je me félicite du rôle que le Livre blanc propose de faire jouer à notre réseau diplomatique.

Cette volonté d'adapter notre outil de défense nationale aux évolutions géostratégiques et aux nouvelles menaces s'accompagne tout naturellement d'une réflexion sur le rôle de la France aux côtés de ses alliés européens et sur sa place au sein de l'Alliance atlantique.

Faut-il, dès lors, envisager notre retour dans les structures intégrées de l'OTAN ? Le Livre blanc pose plusieurs conditions à ce retour, que vous avez rappelées, monsieur le Premier ministre : l'indépendance de nos forces nucléaires, la préservation de notre autonomie d'appréciation et de décision quant à notre participation à telle ou telle intervention et l'absence de mise à disposition de troupes françaises sous commandement de l'OTAN en temps de paix. Je partage et j'approuve ce point de vue.

Si ces conditions sont réunies, que signifie donc réintégrer l'OTAN ? Cela signifie d'abord réintégrer le comité des plans de défense. Ce comité, essentiel à la planification des opérations, est consulté avant toute intervention. J'estime qu'il est utile pour la France de prendre part aux discussions qui y sont menées et aux décisions qui y sont arrêtées.

Réintégrer l'OTAN, c'est aussi répartir les postes de commandement. La France devra donc prétendre à l'une des trois fonctions suivantes : le poste d'adjoint au commandant suprême des forces, le poste de commandant d'état-major interarmées de Brunssum ou celui de Naples. Ces postes devront faire l'objet, à mon sens, d'une rotation entre des officiers français, britanniques et allemands. Par ailleurs, il serait approprié de mettre fin à la double responsabilité du commandant suprême des forces, qui ne devra plus être dans le même temps le chef de l'armée américaine pour l'Europe.

Il convient également de s'interroger sur l'intérêt du maintien à Norfolk du commandement allié pour la transformation, alors que le siège politique de l'OTAN et son commandement opérationnel se trouvent en Belgique. Il serait plus cohérent que la structure chargée du recueil du retour d'expérience, qu'est aujourd'hui le commandement allié pour la transformation, se trouve physiquement sur le même lieu que les instances de commandement opérationnel.

Une implantation unique renforcerait la capacité de l'OTAN à définir de manière autonome ses besoins d'équipement pour le futur. Une telle configuration permettrait sans doute d'éviter que ne se reproduise le regrettable épisode de l'avion de combat JSF, pour lequel les cinq pays européens associés au projet ont investi à ce jour près de 5 milliards de dollars sans même se voir reconnaître un droit d'accès aux codes sources de l'appareil, développés par l'entreprise américaine Lockheed Martin.

Debut de section - PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Le renforcement de la place de la France dans l'OTAN et la construction d'une défense européenne participent d'une même démarche, qui s'efforce de tirer les conséquences de l'évolution des conditions de la sécurité sur le continent européen.

Pour sortir de l'affrontement entre les postures traditionnelles qui tient trop souvent lieu de débat, examinons les faits. Aujourd'hui, l'Europe de la défense comporte deux dimensions. La première est industrielle ; elle est incarnée par l'Agence européenne de défense. Celle-ci peut agir à toutes les étapes de définition et d'exécution des programmes militaires, mais son rôle reste limité, au vu de la faiblesse de ses moyens humains et financiers.

L'Agence doit être renforcée, y compris par des transferts de compétences, et devenir le lieu de développement en commun de grands programmes, même si, comme le Livre blanc le rappelle opportunément, certains systèmes, intrinsèquement liés à la souveraineté nationale, ne sauraient en aucun cas être délégués.

Une telle perspective est réaliste, à condition de mettre au point un véritable standard d'équipement commun. Si le programme NH 90 a été détourné de son objectif premier, puisqu'il a abouti à la mise au point de vingt-six versions différentes du même appareil, l'avion de transport A400 M est un bon exemple du type de programmes européens qu'il convient d'encourager, puisqu'il a permis de réaliser des économies tout en renforçant l'interopérabilité.

Le renforcement du pilier industriel doit s'accompagner d'une amélioration du commandement militaire au sein de l'Union. Il existe un état-major de l'Union européenne, dont les fonctions, strictement délimitées, concernent principalement le recueil d'informations et la formulation d'avis. Cet état-major stratégique de l'Union doit être complété par des états-majors tactiques, présents sur le terrain, et par des états-majors de conduite des opérations. Il faut que les futures missions de l'Union européenne puissent être dirigées depuis des postes de commandement européens, et non plus nationaux, comme c'est le cas aujourd'hui pour l'opération EUFOR au Tchad par exemple, conduite à partir du Mont-Valérien.

Le processus de construction d'une défense européenne est inéluctable. L'initiative franco-britannique de Saint-Malo en a représenté une étape importante. Dix ans plus tard, un « Saint-Malo II » serait nécessaire. Il appartient à la France de donner cette nouvelle impulsion, au moment où il apparaît à nos principaux partenaires que les alliances extra-européennes ne sont plus suffisantes pour garantir leur autonomie.

Mes chers collègues, je conçois que certains estiment prématuré ce retour de la France dans l'OTAN tant que l'Europe de la défense n'a pas progressé de manière décisive. La réintégration s'entend, à mon sens, dans les conditions que je viens d'énoncer. Celles-ci sont claires : elles concernent la répartition des plus hauts postes de commandement, l'exception dont bénéficient nos forces nucléaires, le maintien de notre autonomie totale dans l'appréciation de la situation et la prise de décision. Je ne vois pas de raisons sérieuses et fondées qui puissent remettre en cause l'indépendance de notre politique étrangère si ces engagements sont tenus. Au contraire, une diplomatie respectée s'appuie sur une force militaire mieux reconnue et plus influente. Je pense même que ce geste politique aura des retombées positives, puisqu'il permettra à la France d'être associée à la mise au point des grands programmes de l'OTAN au sein du comité des plans de défense.

Enfin, en se rapprochant de la position qu'occupent les autres États européens au sein de l'Alliance atlantique, la France rassurera clairement ses partenaires sur ses intentions vis-à-vis de l'Europe de la défense. Elle montrera que la construction d'une défense européenne n'est pas un moyen d'imposer nos vues à l'Union européenne, mais une démarche dictée par l'intérêt général européen.

J'approuve les missions fixées à nos forces armées pour assurer la sécurité des Français. Elles sont réalistes et pertinentes. J'adhère également aux recommandations proposées et au reformatage rigoureux mais indispensable de notre défense nationale.

C'est dans la construction de l'Europe de la défense que s'inscrit notre retour au sein de l'OTAN, face à l'horizon visible des grandes menaces du xxie siècle. Je n'aurai donc, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, qu'une seule question à vous poser : quelle assurance avons-nous de pouvoir mener à bien de façon concomitante la construction de l'Europe de la défense et notre réintégration au sein de l'OTAN ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la défense et des forces armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Vitel

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, empêché pour des raisons personnelles, notre ami Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, m'a chargé de vous demander d'excuser son absence et, en ma qualité de vice-président de cette commission, de vous faire part du contenu de l'intervention qu'il souhaitait présenter à cette tribune.

Depuis plus de dix mois la commission installée en août 2017 par le Président de la République a produit un travail considérable, tant en qualité qu'en quantité, pour proposer au chef des armées le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale. Membre de cette commission, avec son homologue du Sénat et deux parlementaires de l'opposition dont il regrette qu'ils aient cru devoir démissionner, Guy Teissier voudrait apporter un double témoignage.

C'est d'abord celui de la profondeur et de l'objectivité de la réflexion : rien n'a été laissé au hasard ou abordé superficiellement. Les conclusions et options proposées à la décision du Président de la République ne doivent donc rien à l'approximation et sont fondées dans leurs concepts comme dans leurs conséquences capacitaires ou budgétaires. Sans aucun a priori ni tabou, tous les éléments de notre politique de défense et de sécurité ont été soumis à un examen critique.

Guy Teissier souhaite ensuite souligner l'association du Parlement aux réflexions de la commission du Livre blanc. Tout d'abord, deux représentants de chacune des assemblées ont été nommés membres de cette commission, ce qui lui a permis d'exprimer des vues particulières par rapport aux experts, militaires ou membres de la société civile qui composaient cette institution. Ensuite, dans la phase terminale de l'élaboration du Livre blanc, les commissions compétentes des assemblées ont pu non seulement prendre connaissance du projet de document, mais également formuler, dans un nécessaire huis clos, leurs remarques et propositions. Cette toute nouvelle méthode, bien avant le projet de réforme constitutionnelle, renforce les droits du Parlement.

Ainsi a pu être produit un document qui, contrairement à de nombreux rapports formulant des propositions, détermine des politiques de sécurité et de défense à court, moyen et long terme, en y associant les capacités et les ressources budgétaires. C'est, en un mot, une référence dans ces domaines régaliens qui sont cruciaux pour l'avenir de la nation.

Dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, profondément bouleversé par rapport à ce qu'il était en 1994 lors de l'élaboration du précédent Livre blanc, il a semblé, dès le début des travaux, que l'enjeu essentiel résidait dans la détermination et l'affirmation de l'ambition de la France sur la scène internationale.

Que n'aurait-on entendu si le choix avait été fait de « réduire la voilure », de renoncer à notre tradition d'acteur essentiel des relations internationales et de reculer devant nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU ?

Le Livre blanc trace au contraire le cadre d'une politique ambitieuse, surtout en matière de défense, bras armé de notre diplomatie, afin que les valeurs de respect des droits de l'homme et de justice, dont nous voulons être les promoteurs et, si nécessaire, les défenseurs, guident les relations internationales.

J'en viens maintenant au contenu concret du Livre blanc, conséquence cohérente des choix politiques et stratégiques fondamentaux qui ont été retenus.

En premier lieu, le contrat opérationnel de chacune des armées devait être adapté aux réalités des engagements possibles de nos forces, sur le territoire national comme hors de nos frontières. Cela se traduit par une réduction des contrats qui n'est en contradiction ni avec la préservation de la sécurité de notre population et de nos biens ni avec le maintien d'une posture active sur la scène internationale pour préserver nos intérêts comme pour résoudre les crises. La qualité de nos équipements et de nos hommes est un facteur au moins aussi déterminant, sinon plus, que la quantité des divisions alignées.

En ce qui concerne nos engagements extérieurs, deux éléments paraissent déterminants. Il est tout d'abord certain que la grande majorité de nos opérations extérieures se déroulera dans un cadre multinational, européen ou autre. Dans ces conditions, pouvoir projeter 30 000 hommes et soixante-dix avions de combat à 7 000 ou 8 000 kilomètres est certainement significatif et suffisant.

Si nous devons intervenir seuls, le besoin sera évidemment très inférieur et il est alors décisif de disposer dans les zones les plus stratégiques de forces prépositionnées ou de facilités de stationnement. Elles sont prévues dans le cadre d'une implantation sur chaque façade océanique de l'Afrique ainsi que dans le golfe arabo-persique.

Il faut, en second lieu, conserver et développer pour chacune de nos armées les aptitudes et capacités d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations et de tenir le rôle de nation-cadre pour un engagement multinational. Nous faisons partie du club très restreint des pays qui veulent et peuvent le faire, au prix d'ailleurs d'un ticket d'entrée assez élevé. C'est un déterminant de la puissance, patiemment acquis par nos armées pour la France, et qu'il était essentiel de préserver.

Quant à la défense du territoire national, si elle n'est pas, à horizon prévisible, l'une des missions premières de nos armées faute de menace réelle sur son intégrité, elle n'en demeure pas moins le fondement de leur légitimité. Avec les composantes de notre dissuasion nucléaire, les formats retenus pour la partie conventionnelle de nos armées seraient en mesure de faire face avec efficacité à une surprise stratégique. Il me paraîtrait pourtant indispensable de développer un système de réserves opérationnelles à même de permettre une montée en puissance rapide de notre défense par la mise sur pied d'unités nombreuses dans chacune des trois armées.

Les ressources financières dédiées à notre défense seront maintenues en volume jusqu'en 2011 puis augmentées de 1 % de plus que l'inflation à partir de 2012. Cette décision permettra à la fois de préserver le pouvoir d'achat de la défense et de participer à l'effort national de maîtrise des finances publiques.

D'ici à 2020, ce sont donc au total plus de 377 milliards d'euros qui seront consacrés à notre défense, notamment pour permettre le nécessaire renouvellement de nos équipements à hauteur de 200 milliards d'euros.

Il n'est pas souhaitable d'entrer dans la querelle byzantine sur le pourcentage précis que ces crédits représentent annuellement par rapport à notre produit intérieur brut. La diversité des périmètres qui peuvent être retenus rend le débat sans limites et stérile. Reste qu'il marque un effort particulier dans le contexte de fort endettement où se trouve notre pays. Mais l'acuité des défis que doit affronter notre sécurité justifie sans conteste l'exception faite en sa faveur.

Toutefois, dans le cadre budgétaire ainsi fixé, il s'agira d'adapter nos programmes d'armement aux impératifs des missions actuelles. Le besoin de financement supplémentaire, mieux connu sous le nom de « bosse », est de 70 milliards d'euros jusqu'en 2020 pour financer les programmes lancés, alors que, pour le Livre blanc, des capacités nouvelles d'alerte avancée ou de couverture radar basse altitude sur tout le territoire apparaissent indispensables.

Les économies attendues de la RGPP, si elle va à son terme selon le schéma proposé, ne s'élèveront au mieux, en régime de croisière à partir de 2011 et 2012, qu'à 1,5 milliard d'euros par an. Les solutions immédiates, de court terme, comme le gage sur le parc immobilier, sont aussi limitées et ne pourront être utilisées qu'une fois.

Quant aux réductions de cibles ou aux ralentissements du rythme de la production, de deux choses l'une : soit ils ne procureront des économies qu'en fin de série, à savoir dans cinq, dix ou quinze ans, soit ils renchériront le coût final des programmes, comme de nombreux exemples l'ont prouvé par le passé.

Des économies importantes doivent donc être faites dès maintenant, car le besoin de crédits supplémentaires se manifeste dès 2009, en croissant très rapidement au cours des années suivantes. Il faut donc ne pas craindre de dire que des programmes doivent être supprimés, en dépit de leur attrait. Mais plusieurs d'entre eux sont ou trop onéreux, ou redondants, ou ne sont pas vraiment indispensables aux missions actuelles.

Ainsi n'est-il pas contradictoire de prétendre qu'il faut moins de chars, de canons d'artillerie et d'avions de chasse, puisqu'il n'y a aucun risque d'attaque sur le sol national, et de réclamer une défense antimissiles, une numérisation de l'espace de bataille ou des équipements FELIN – fantassin à équipement et liaisons intégrées –, tous systèmes conçus pour un conflit majeur de type conventionnel sur notre territoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Vitel

, vice-président de la commission de la défense. Il faut aller à l'essentiel et à ce qui est indispensable en fixant des priorités en termes de temps et de nécessité opérationnelle immédiate des programmes. Il faut faire un effort massif et immédiat sur les commandes et les livraisons des matériels pour remplacer les équipements les plus vieux qui servent au quotidien : A400M, hélicoptères NH90, ravitailleurs MRTT, ou encore VBCI ou observation et communications spatiales, pour ne citer que les plus emblématiques. Ajoutons les programmes de cohérence opérationnelle pour l'efficacité et les équipements individuels du combattant, afin que cesse le scandale des militaires contraints d'acheter, sur leurs deniers, le paquetage nécessaire au départ en OPEX.

L'examen du projet de loi de finances pour 2009, avec sa projection sur trois ans, puis la présentation de la loi de programmation pour 2009-2013 seront les révélateurs de la cohérence qui doit être retrouvée entre nos ambitions stratégiques, diplomatiques et militaires, et les moyens que nous consacrons effectivement à notre défense. Guy Teissier avait fait de ce retour à la cohérence le second objectif de sa participation à la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Le chemin sur lequel nous sommes engagés est le bon. Il ne faut pas en dévier au risque de retomber dans les ornières du passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à M. Hervé Morin, ministre de la défense.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Mesdames et messieurs les députés, n'ayant pas l'intention de reprendre l'intervention du Premier ministre, qui a bien éclairé le débat, ni de vous répondre exhaustivement, je me contenterai de revenir sur les principaux points évoqués par les orateurs des groupes et les présidents des deux commissions.

Je tiens tout d'abord à rappeler que le budget de la défense demeure une priorité nationale en dépit des difficultés budgétaires et de la nécessité de revenir à l'équilibre des finances publiques, objectif que nous nous sommes fixé pour 2012. C'est pourquoi le Président de la République a pris deux arbitrages, qui font du budget de la défense une priorité nationale, ce qui est d'autant plus indispensable que le Libre blanc a fixé des ambitions auxquelles des moyens doivent correspondre. Michel Voisin a du reste rappelé l'attention que porterait le groupe UMP à ce sujet et Philippe Vitel a fait de même en ce qui concerne le respect de nos engagements en termes budgétaires, afin que les deux prochaines lois de programmation militaire concrétisent le Livre blanc.

Le premier arbitrage concerne le recyclage, au sein même du budget du ministère de la défense, de la totalité des économies que nous pourrons effectuer, notamment sur la structure. Cette administration est la seule à bénéficier d'une telle décision puisque toutes les autres devront rendre la moitié – un euro sur deux – des économies qu'elles effectueront.

Le second arbitrage du Président de la République en faveur du budget de la défense vise à trouver des ressources extrabudgétaires exceptionnelles en vue de financer la fameuse « bosse » budgétaire déjà évoquée, notamment par Mme Adam. Cela nous permettra de financer la totalité des livraisons qui doivent être effectuées à la suite de commandes engagées par le Président Jacques Chirac et le ministre de la défense de l'époque, Michèle Alliot-Marie, commandes ô combien nécessaires quand on connaît l'état de fatigue de nombre d'équipements, notamment dans le secteur de l'aéromobilité, indispensables aux opérations que nous menons, qu'il s'agisse des hélicoptères, du Transall ou de matériels assurant la projection des forces – le VBCI – ou leur sécurité.

Par ailleurs, monsieur Folliot, en ce qui concerne la réorganisation du ministère de la défense, vous avez indiqué que vous souhaitiez sortir du ratio consistant à consacrer 60 % des ressources humaines à l'administration générale et au soutien et 40 % aux forces opérationnelles, alors que celui des Britanniques est exactement inverse.

Faut-il rappeler que nous avons dû fournir un effort considérable pour la professionnalisation des armées et que ce que nous proposons n'en est que la suite logique ? Il nous faut désormais réformer les structures du ministère, qui relèvent pour certaines de textes du XXe siècle, voire parfois du XIXe siècle. Michèle Alliot-Marie, en décidant notamment la création du SIAE, avait engagé la mutualisation des moyens. Nous entendons passer à un rythme plus rapide pour réaliser des économies. Je rappelle qu'au terme de la réorganisation prévue, nous devrions dégager 2 milliards d'euros que nous pourrons consacrer à l'équipement des forces et à l'amélioration de la condition du personnel. Ainsi nous pourrons passer de 16 à 18 milliards d'euros, soit un effort considérable au profit de nos forces.

Vous avez évoqué, monsieur Folliot, la nécessité de réfléchir au maintien de certains échelons intermédiaires : sans doute pensiez-vous en particulier aux régions militaires. Nous ferons « remonter » au niveau des bases de défense, qui mutualiseront les moyens d'administration générale, toute une série de soutiens qui ne sont pas nécessaires à l'opérationnel, et nous « descendrons » au niveau des bases de défense un certain nombre des services réalisés par les régions militaires. Les régions militaires ne resteront donc pas en l'état, mais elles demeureront un lieu d'analyse et d'expertise, permettant la mise en oeuvre d'opérations quand la base de défense constituera un trop petit échelon. Je pense aux infrastructures, aux services informatiques, à la DIRISI, bref, à quelques services de ce genre qui resteront à l'échelon régional, même si les régions militaires connaîtront une réduction très importante de leurs effectifs.

Comme vous, je considère que les PME-PMI constituent un élément essentiel du tissu militaro-industriel français ; elles sont source d'innovation, d'intelligence, de réactivité, de capacité de recherche et de technologie. Aussi ai-je lancé un plan en faveur des PME-PMI afin qu'elles accèdent plus facilement à la commande publique, qu'elles travaillent directement avec le ministère et qu'elles ne soient plus seulement des sous-traitants. Je souhaite en outre que l'on améliore les délais de paiement entre les grands donneurs d'ordre et les PME-PMI. Enfin, je veux qu'elles puissent accéder plus facilement aux programmes de « Recherche technologie ».

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Vous avez parlé à juste titre, monsieur Voisin, des hommes et des femmes qui servent le ministère de la défense. Je me reproche à chaque fois que j'évoque les travaux en cours de ne pas assez en parler. Nous n'évoquons pas suffisamment, en effet, la valeur extraordinaire de ces personnels. Leur dévouement est extraordinaire, leur amour de la patrie exceptionnel.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Nous devons le rappeler en permanence car, si notre armée est considérée – disons-le – comme la meilleure du monde avec l'armée britannique, ce n'est pas seulement parce que nous disposons d'équipements dont l'état est loin d'être aussi sombre qu'on voudrait parfois le laisser entendre, c'est aussi parce que nous avons des hommes qui, par leur culture, leur passion, leur formation, sont capables d'accomplir leurs missions dans des conditions souvent rustiques. Vous le savez bien, monsieur Voisin, vous qui avez souvent rencontré nos forces sur les théâtres d'opérations extérieures. Vous avez eu raison de rappeler les qualités remarquables de l'armée française, parmi lesquelles la capacité d'adaptation et l'aptitude à nouer le dialogue avec les populations autochtones.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

C'est pourquoi, au-delà de cet hommage et parce qu'il faut aussi, parfois, passer aux mesures concrètes, nous allons mettre en oeuvre le plan d'amélioration de la condition militaire. Il s'agissait d'un engagement important du précédent Gouvernement, représentant entre 300 et 350 millions d'euros. Dans le cadre du budget 2008, nous avons pu réaliser un effort significatif en dégageant 102 millions d'euros au profit du personnel militaire mais aussi du personnel civil – que l'on ne doit pas oublier. Cet effort de 102 millions d'euros sera poursuivi et nous pourrons mettre en oeuvre, dans les deux ou trois ans à venir, la totalité du plan d'amélioration de la condition militaire afin de tenir notre engagement d'aboutir à la parité entre les fonctionnaires en tenue et les militaires.

Nous entendons également agir sur l'autre facteur destiné à renforcer le moral des personnels, à leur donner davantage de satisfaction dans l'exercice de leur métier : nous allons procéder à une nette amélioration de l'équipement des forces.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Michèle Alliot-Marie reviendra plus amplement sur la question de la gendarmerie. L'engagement du Gouvernement est de maintenir deux forces de sécurité, l'une civile, l'autre militaire. Ce sont les deux colonnes du temple républicain. Nous entendons que la gendarmerie reste militaire, même si les moyens budgétaires qui lui sont affectés doivent désormais être gérés par le ministère de l'intérieur pour des raisons de cohérence, de synergie. Dès lors que depuis 2003 le ministère de l'intérieur dispose de l'autorité fonctionnelle sur la gendarmerie, il faut naturellement en tirer les conséquences sur l'équipement, sur l'immobilier.

J'ai noté par ailleurs l'hommage que vous avez rendu à M. Lasbordes à propos de l'Agence de sécurité informatique. Et je saisis cette occasion pour répondre à votre collègue communiste M. Lecoq que les cyber-attaques ne sont pas que des chimères. Nous devons nous doter de moyens défensifs et offensifs pour nous protéger de ces attaques visant les systèmes informatiques dont les pays baltes ont été les premières victimes à l'été 2007. Elles peuvent atteindre en profondeur nos sociétés complexes, désorganiser nos systèmes de défense, mais aussi causer des dommages considérables aux personnes elles-mêmes. Imaginez ceux que provoquerait une telle attaque contre nos réseaux électriques ou hospitaliers !

Au-delà des propos du Premier ministre, je voudrais maintenant rappeler les éléments du débat relatif à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique.

L'Europe de la défense est l'une des priorités françaises des six prochains mois. Nous avons mis sur la table de très nombreuses propositions. J'ai fait le tour des capitales européennes et ai pu constater que ces propositions recueillaient un consensus général.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

On note d'ailleurs que des pays qui, jusqu'alors, se situaient plutôt en retrait, comme les pays d'Europe centrale et orientale, font désormais partie de ceux qui souhaitent que l'Europe de la défense trouve un nouvel élan. Il y a eu l'accord de Saint-Malo, premier temps de la construction de l'Europe de la défense. Un nouvel élan est nécessaire et nous entendons le donner.

Nous souhaitons d'abord renouveler la stratégie européenne de sécurité dans le cadre d'une sorte de livre blanc européen de la défense qui permettra aux Européens de réfléchir aux menaces et aux risques depuis la mer Baltique jusqu'à la mer Méditerranée. Ce livre blanc ne sera pas seulement un exercice intellectuel, il devra mettre en forme les capacités opérationnelles nouvelles que les Européens pourraient développer.

Le fameux centre de commandement et de planification permanent, longuement évoqué par Axel Poniatowski, constitue un autre axe majeur de réflexion. Ce centre nous paraît nécessaire. Nous nous trouvons en effet dans une situation baroque puisque nous disposons de cinq OHQ, ou cinq états-majors stratégiques, certes opérationnels quand l'Europe de la défense décide une action, mais répartis en France, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne.

Bien entendu, une telle configuration a un coût même si nous n'utilisons pas continûment ces états-majors. Dès lors que nous décidons une opération, il faut en effet faire appel à des officiers venant de l'ensemble des pays européens, ce qui prend bien entendu un temps assez long. Enfin, ces états-majors doivent apprendre à travailler ensemble, à mettre en oeuvre les procédures prévues et, dès lors qu'on les dissout, toutes les compétences acquises, toute l'expérience accumulée disparaît immédiatement.

Pour remédier à cette situation baroque, il faut créer un centre de commandement et de planification permanent. Il ne s'agit pas de concurrencer celui de l'Alliance atlantique, mais de pouvoir lancer, avec une cinquantaine ou une soixantaine d'officiers, des opérations à la mesure de l'Union européenne. C'est pour nous un enjeu majeur, cohérent avec les décisions prises au niveau européen.

En effet, quand l'Europe crée les GT 1 500 – les groupements tactiques 1 500 ou battle groups –, elle décide qu'ils doivent être opérationnels en dix jours. Comment y parvenir si nous ne disposons pas d'un centre de commandement et de planification immédiatement opérationnel ? Nous défendons cette position en ayant bien conscience que certaines réticences restent à lever. Cependant, des pays encore rétifs il y a quelque temps, comme l'Allemagne ou la Pologne, nous ont clairement fait savoir qu'ils y étaient désormais favorables.

Parmi nos propositions figure également le développement des capacités militaires européennes. Je pense au système d'observation satellitaire Musis, qui succède au programme Hélios. Je pense à la capacité de mettre une flotte d'A 400 M à la disposition des pays européens qui auraient besoin de transports tactiques. Je pense au plan d'évacuation des ressortissants européens en cas de crise, car il faut s'organiser à l'avance. Je pense à un réseau de surveillance maritime de nos côtes en temps réel, permettant à l'ensemble des pays côtiers de l'Union européenne de lutter plus efficacement contre certains trafics. Je pense enfin à une belle idée : l'Erasmus militaire, destiné à développer la conscience de la défense européenne chez les futurs cadres des armées en leur donnant la possibilité de suivre une partie de leur formation à l'étranger.

Voilà, monsieur le président Poniatowski, ce que nous souhaitons faire. Si nous avançons aussi vite dans notre volonté de fédérer les Européens autour de ce projet dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il est ambitieux, c'est parce que nous avons levé l'hypothèque que l'Europe de la défense puisse se faire en s'opposant à l'Alliance atlantique. C'est parce que nous avons clairement affiché que l'Europe de la défense ne se construisait pas contre l'Alliance mais qu'elle lui était complémentaire que les Européens ont accepté de progresser.

Bien entendu, le Président de la République a conditionné le retour de la France au sein du commandement intégré de l'OTAN et sa participation à la rénovation de l'Alliance atlantique à une progression majeure de l'Europe de la défense. Permettez-moi de souligner que cette évolution politique fondamentale est nettement plus importante que la simple volonté de récupérer un commandement régional.

Que peut-on dire sur l'Alliance atlantique ? D'abord, nous en sommes membres depuis 1949. Ensuite, depuis 1989, à une époque où le Président de la République s'appelait François Mitterrand, nous avons accompli des pas progressifs pour participer au dialogue euro-atlantique.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

J'observe par ailleurs que s'il est un Président de la République qui n'a jamais failli à la communauté euro-atlantique, c'est bien François Mitterrand,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…qui déjà, en 1966, avait signé la motion de censure pour s'opposer à la sortie du commandement intégré de l'Alliance atlantique. Quant au discours de Bonn sur les euromissiles, c'est aussi François Mitterrand qui l'a prononcé !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Enfin, l'engagement de la France aux côtés des Américains dans la guerre du Koweït, c'est encore une volonté de François Mitterrand.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

C'est curieux, vous ne dites pas un mot sur de Gaulle !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

On ne peut donc pas considérer, monsieur Cazeneuve, que de 1981 à 1995 nous soyons restés dans l'épure de la décision du général de Gaulle en 1966.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Aujourd'hui, nous participons à toutes les opérations de l'Alliance atlantique. Nous en commandons certaines : l'opération de l'OTAN au Kosovo, par exemple, est commandée par un général français.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Mais pourquoi vouloir réintégrer le commandement ?

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Monsieur Lecoq, vous avez avancé l'idée pour le moins curieuse que le fait de réintégrer le commandement militaire de l'OTAN mettrait les forces françaises – et pire, les forces françaises de dissuasion – sous l'autorité de l'OTAN. Bien entendu, tout cela n'a aucun fondement. Je vous rappelle que les décisions de l'Alliance atlantique se prennent à l'unanimité, que…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Comme pour l'Europe ! On sait ce que ça veut dire, l'unanimité !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Oui, vous l'avez dit : pour l'Europe et pour l'Alliance atlantique.

Je vous rappelle également que nous sommes évidemment libres de l'engagement de nos forces, et que l'Alliance atlantique d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle de 1966.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Réintégrer le commandement militaire de l'OTAN, en effet, n'a aucune conséquence ni sur l'équipement de nos forces, ni sur leur engagement, ni sur leur organisation.

J'ajoute qu'en 1974 – et cela, les Français l'ont totalement oublié –, la France a accepté la déclaration d'Ottawa, selon laquelle les forces de dissuasion françaises participaient à la dissuasion globale de l'Alliance.

La différence majeure, aujourd'hui, c'est que pour faire avancer l'Europe de la défense, il fallait avoir levé cette inquiétude qui restait dans la conscience d'un certain nombre de pays européens,…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

C'est dans la tête de M. Bush qu'il y a des réticences !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…qui sont profondément attachés à l'Alliance atlantique, dont ils savent qu'elle assure leur sécurité. Pour ces partenaires européens, cette ambiguïté étant levée, nous pouvons faire avancer l'Europe de la défense.

Enfin, vous ne pouvez pas à la fois reprocher à l'Alliance atlantique d'être trop américaine et refuser d'y participer. Et pour y participer dans les meilleures conditions, nous considérons qu'il faut faire avancer l'Europe de la défense, pour que l'Europe puisse peser plus, pour que la France puisse peser plus dans l'énorme chantier de la rénovation de l'Alliance atlantique. Voilà ce que je voulais dire sur ce sujet.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Monsieur Lecoq, vous évoquez l'idée qu'il faut privilégier l'industrie d'armement française. Mais permettez-moi de vous dire qu'avec l'appel au désarmement général et massif que vous avez lancé pendant vingt minutes, je plains l'industrie d'armement française s'il fallait qu'un jour vous accédiez aux responsabilités !

Madame Adam, vous qui avez été membre de la commission du Livre blanc,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…vous ne pouvez pas oublier deux choses. Tout d'abord, c'est la première fois que, dans une commission du Livre blanc,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Il est bon de vous le rappeler, parce que vous avez tendance à l'oublier : en 1994, le Livre blanc a été le produit de la cohabitation. À l'époque, personne, dans les rangs du parti socialiste, ne s'est élevé contre le fait que la commission ne comprenne aucun membre du Parlement.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

La seconde chose que je me permets de vous rappeler, madame Adam, puisque vous avez participé à cette nouvelle commission qui comprenait des membres de la majorité et de l'opposition, c'est qu'elle a auditionné à plusieurs reprises Jean-Claude Mallet,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…que nous lui avons présenté les premiers arbitrages du Président de la République sur le Livre blanc, et qu'elle-même a pu présenter toute une série d'observations. Et si vous regardez le produit initial et le produit final, vous verrez…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…qu'un certain nombre de ces observations ont été prises en compte.

Dernier point, que je ne saurais oublier, nous avions effectivement besoin, madame Adam, de restaurer le budget de la défense…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…à partir de 2002. J'ai encore les chiffres concernant la disponibilité opérationnelle du matériel en 2002. Heureusement qu'un effort important a été consenti en la matière !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Les sommes consacrées au maintien en condition opérationnelle ont été augmentées d'un milliard d'euros.

Madame Adam, vous qui êtes députée de Brest, je vous conseille une seule chose : c'est d'aller à la préfecture maritime,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…et de leur demander quel était le niveau de disponibilité opérationnelle des sous-marins nucléaires d'attaque en 2002. Je préfère ne pas le dire. Pour le pays. Mais si vous n'arrivez pas à trouver l'information,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

…je vous la communiquerai dans les meilleurs délais. Vous vous rendrez compte à quel niveau nous en étions arrivés s'agissant de matériels aussi majeurs, aussi stratégiques pour le pays.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

L'effort a été effectué depuis. Il y a en effet des difficultés budgétaires pour les années qui viennent. Mais ces difficultés budgétaires, grâce à l'engagement pris par le Président de la République, nous serons en mesure de les surmonter. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La séance est reprise.

Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que je serai dorénavant extrêmement strict quant au respect du temps de parole. D'avance, je vous remercie de votre aide.

La parole est à M. Bernard Deflesselles.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Monsieur le président, madame la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà bientôt un an que le Président de la République a lancé l'entreprise de refondation de notre politique de défense et de sécurité nationale. Cet engagement, celui du Livre blanc, auquel nous souscrivons, est celui de la nation face à son histoire, d'une France libre, pacifique et responsable. Il définit en toute transparence le contrat sécuritaire qui lie la nation à ses armées pour les deux prochaines décennies du XXIe siècle. C'est à partir des choix stratégiques du Livre blanc que sera adapté et modernisé notre outil de défense.

Je voudrais saluer le ministre de la défense pour son implication personnelle et adresser un clin d'oeil à Michèle Alliot-Marie, que nous n'avons pas oubliée et qui a présidé pendant cinq ans aux destinées de ce ministère. Je salue également les membres de la commission du Livre blanc, en premier lieu leur président, pour la grande qualité de leurs analyses et de leurs propositions et pour les liens qu'ils ont su établir avec la représentation nationale.

En matière d'analyse stratégique, le Livre blanc a toujours été la référence. En 1972, il a consacré dans un monde bipolaire le principe de dissuasion et d'indépendance nationale ; en 1994, il a ébauché le changement de posture stratégique consécutif à la chute du Mur de Berlin ainsi qu'à l'effondrement du Pacte de Varsovie. C'est d'ailleurs depuis cette époque que la France, membre fondateur de l'Alliance atlantique, participe de nouveau aux opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, nécessitées par ce nouveau contexte stratégique.

Nous mesurons combien le monde a changé depuis et pas forcément dans le sens plus juste et plus pacifique que nous étions nombreux à espérer. Les « dividendes de la paix », si chers à certains sur les bancs de la gauche en particulier, ne sont qu'une vérité comptable bien dérisoire dans le monde de l'après guerre froide.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Si nous pouvons cependant nous réjouir de la paix retrouvée sur notre continent réunifié, nous féliciter du renforcement d'une certaine notion de solidarité internationale mise en oeuvre lors de catastrophes naturelles et orchestrée par l'ONU, le spectre des menaces est aujourd'hui considérablement diffus. Terrorisme, cyber-attaques, tensions économiques, luttes pour les matières premières, conflits pour l'eau, conflits ethniques ou interreligieux, la multiplication des menaces, leur provenance, leur nature même, rend l'exercice d'une « définition stratégique figée » très incertaine.

C'était le défi qu'avait à relever la commission du Livre blanc 2008. Elle s'en est, à mon sens, acquittée avec succès en formulant des propositions cohérentes, équilibrées, qui garantissent à notre défense les savoir-faire nécessaires quelles que soient la forme et l'intensité des menaces.

Répondre à l'incertitude est en effet la variable essentielle de notre nouvelle stratégie : c'est le fil rouge du Livre blanc qui nous est aujourd'hui présenté. Les menaces peuvent émerger sur notre sol : les attaques du 11 septembre 2001 à New York et Washington, du 11 mars 2004 à Madrid ou du 7 juillet 2005 à Londres démontrent la vulnérabilité des démocraties aux violences asymétriques ainsi qu'à l'hyperterrorisme. Notre territoire n'est plus menacé par les chars du Pacte de Varsovie mais reste à la merci d'un ennemi aux contours insaisissables. Nos forces armées se doivent d'y répondre et la source première de leur engagement nous est rappelée par l'ordonnance de 1959, texte fondateur de notre politique sécuritaire : « assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ».

Il existe des menaces multiples contre nos intérêts, tant sur notre territoire que partout où la France est présente : actes de piraterie, comme la récente prise en otage du Ponant, menaces sur nos approvisionnements en matières premières, comme l'attentat du Limburg, menaces de nos intérêts industriels et économiques, tels les attentats contre les personnels de la DCN au Pakistan, les enlèvements ou les meurtres de nos ressortissants, pillage industriel de nos pôles d'excellence. Ces menaces protéiformes, changeantes et mobiles, pèsent sur la France aujourd'hui.

Parallèlement, le monde devient plus dangereux, du moins plus instable, plus imprévisible, et les États se sont à nouveau engagés dans la spirale de la course aux armements. Les dépenses militaires de la planète atteignent 1 339 milliards de dollars et ont augmenté de 45 % en dix ans. Elles ont plus que doublé à l'est de l'Union européenne, bondi de 65 % aux États-Unis et de 62 % au Moyen-Orient. À côté de ces chiffres exponentiels, l'Europe des Vingt-sept, qui durant une décennie a désinvesti dans sa sécurité, fait bien pâle figure avec 6 % d'augmentation.

Mes chers collègues, à ceux d'entre nous, aux amnésiques, qui ne manqueront sûrement pas – c'est le jeu démocratique – de souligner les limites de notre effort de défense, je voudrais rappeler une vérité, une seule : leur programmation militaire de 1997 à 2002, a privé nos armées de 12 milliards d'euros, pourtant promis et votés !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Cela représente pas moins que le second porte-avions, la totalité du renouvellement de notre parc de blindés d'infanterie, les VBCI, et le renouvellement de la moitié de notre flotte de transport aérien. Excusez du peu ! Ceux qui servent avec honneur et dignité les armes de la France sur les cinq continents savent ce que cela représente.

Le courage politique, notre courage, est aujourd'hui celui de la réforme. Le Livre blanc nous y invite. Les armées doivent subir une transformation profonde si nous voulons maintenir les ambitions de notre pays. Cette réforme doit nous permettre de dégager les marges financières nécessaires qui seront intégralement consacrées – on ne le dit pas suffisamment – à la modernisation de notre outil stratégique, le Président de la République s'y est engagé. Cette modernisation consistera à pérenniser les deux composantes de la dissuasion nucléaire – l'assurance-vie de la nation –, à affirmer notre autonomie de décision dans la préparation et la conduite des opérations par l'accroissement de nos capacités de renseignements d'origine satellitaire et électromagnétique, à disposer de forces polyvalentes et projetables.

L'effort de modernisation que nous avons entrepris durant la précédente législature, chère Michèle Alliot-Marie qui êtes restée pendant cinq ans à la tête de ce ministère, sera bel et bien amplifié. Il implique de faire le choix de la rationalisation des effectifs. Je veux dire à nos militaires, à ces hommes et ces femmes qui se sont engagés au service de la défense de leur pays, que je comprends leurs questionnements, leurs éventuelles inquiétudes sur la réforme que nous engageons. Mais je veux surtout leur dire la confiance et le respect qu'ils nous inspirent…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

…ainsi que notre volonté de leur permettre d'effectuer leurs missions – souvent dangereuses – dans les meilleures conditions, avec des matériels modernes et adaptés.

Ces missions sont au service d'une double ambition, d'un double défi : la construction d'une défense européenne et la rénovation de l'Alliance atlantique. Notre vocation d'action au sein de l'Union européenne est claire et va dans le sens de l'histoire. Du Traité de Rome à celui de Maastricht, de la CECA à l'Union, nous avons bâti un espace économique, monétaire et de liberté unique au monde. C'est désormais dans cet espace de paix et de prospérité que se conçoit notre sécurité. Nous voulons une politique étrangère et de sécurité commune aux Vingt-sept.

Faisons nôtre la proposition du Livre blanc : « l'Union est la seule organisation capable de mobiliser en propre des instruments à la fois économiques, commerciaux, diplomatiques et militaires, nécessaires à la résolution des crises ». Il nous faut aller plus loin et renforcer nos capacités de projection – 60 000 Européens doivent pouvoir être déployés à terme –, mutualiser nos efforts de recherche, mettre en place une industrie européenne de défense, rationaliser nos moyens par leur mise en commun. Le lecteur attentif du Livre blanc ne manquera pas d'interpréter les chiffres qui y figurent. En termes capacitaires au sein de l'Union, le contrat opérationnel pour la France représente à lui seul la moitié des forces projetables que l'Europe consacre à sa sécurité, soit 30 000 hommes. Pour nous, c'est la meilleure réponse à ceux qui se complaisent à rabâcher que les armées françaises sont sur le déclin.

L'Alliance atlantique est notre plus importante alliance militaire. Elle nous lie à vingt et un membres de l'Union européenne. C'est parce que nous sommes un grand nombre à croire et à militer pour l'Europe de la défense que nous estimons nécessaire une participation renforcée mais exigeante de la France à l'Alliance Atlantique. Avec Gilbert Le Bris nous animons cette réflexion au sein de la commission. Tous les gouvernements, toutes les majorités, tous les Présidents de la Ve République ont honoré cet engagement.

Le retour au sein de la structure intégrée se fera avec une triple exigence : la libre appréciation de l'emploi de nos forces, pas de maintien de contingent en temps de paix et l'indépendance absolue de notre puissance nucléaire. Ce n'est en rien l'alignement pur et simple que nous prédisent nos collègues de l'opposition, non plus que la trahison de je ne sais quel dogme éternel qui nous interdirait de nous adapter au monde qui change. C'est au contraire le choix de partager des ambitions et des responsabilités dans une Europe dont nous savons bien que la sécurité ne peut être que globalisée aujourd'hui. Il n'y a donc pas à choisir entre l'OTAN et la défense européenne, les deux sont à l'évidence complémentaires.

Dans tout choix, il y a un discours et une méthode. Le discours est celui de la France que le général de Gaulle qualifiait « d'éternelle », celle d'un humanisme universel. La méthode, tracée par le Président de la République, est celle des nécessaires alliances pour faire face à un contexte géostratégique qui nous rappelle avec une cruelle acuité que notre sécurité est aussi celle de nos voisins et de nos alliés. Le monde du XXIe siècle est devenu un jardin dans lequel les notions de frontières, de cultures, de sociétés ont profondément changé. Il s'accompagne d'une très grande instabilité et présage des bouleversements auxquels nous devons nous préparer.

Pour cela, nous avons le devoir d'adapter notre défense nationale et de bâtir un nouveau concept de sécurité : celui d'un peuple qui aspire à rester debout. Chacun sait que cela n'est possible que lorsque la nation est unie dans la conscience de son passé et dans la continuité de la République. Cela n'est vrai, dans notre longue histoire, que lorsque la force des armées est aussi celle de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Monsieur le président, madame la ministre de l'intérieur, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, le Livre blanc est une lecture intéressante qui résume bien les menaces et les peurs telles qu'elles sont ressenties aujourd'hui. Il pose les bonnes questions ; la loi de programmation militaire tentera de donner les bonnes réponses. L'esprit général du texte est qu'il n'y a plus de frontières aux menaces, et telle est l'exacte situation. Il vous restera, monsieur le ministre, à soutenir à l'automne le difficile challenge de la loi de programmation militaire, de ses choix, de ses financements. Nos encouragements vous accompagnent ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

D'ici là, vous aurez le plaisir d'annoncer le résultat de la revue générale des politiques publiques. Si ses principes fondamentaux ne peuvent être sérieusement critiqués, je répète qu'elle ne pourra être légitime, et donc tolérée, que si elle est appliquée avec rigueur et humanité vis-à-vis des hommes et des territoires. Vous aurez à faire des choix extrêmement difficiles entre les impératifs opérationnels et les pressions industrielles.

Je voudrais parler plus particulièrement du rapprochement avec l'OTAN. L'argument utilisé est celui de la construction de la défense Européenne. Je pourrais y être sensible. Nos partenaires de l'est européen ne font confiance qu'à l'Amérique : il faudra bien leur dire que la menace n'est plus à l'Est. Quant à l'argument de M. Tony Blair sur la non-duplication, il est d'une hypocrisie absolue et revient à dire : il faut que les choses sérieuses restent entre les mains des Américains.

En fait, les problèmes que rencontre la défense européenne, ce sont les problèmes de l'Europe elle-même : manque d'identité européenne, donc manque de volonté d'une politique extérieure commune, donc pas de financement d'une défense commune. Ceux qui ont la volonté de construire l'Europe de la défense n'ont pas d'argent. Ceux qui ont de l'argent n'ont pas la volonté de la construire. Cette situation – espérons-le – évoluera. La défense européenne ne se construira que dans l'Union européenne non à l'extérieur, dans l'OTAN ou à côté. L'Europe de la défense ne se construira que dans des coopérations structurées approfondies, sujet par sujet, et nous n'avons pas besoin de traité pour cela.

Quelles sont les conditions de cette construction ?

D'abord, il faut prendre, enfin acte du message des peuples. Les peuples, les uns après les autres, disent la même chose : « Nous faisons plus confiance aux États qu'aux structures supranationales pour combattre les dangers de la mondialisation. Il faut faire la preuve de l'efficacité collective. » Vouloir force l'allure, c'est bloquer la machine. Cela demandera donc tout simplement du temps.

Ensuite, il faut créer la dynamique. La disparition de l'empire communiste a imposé aux Européens de l'Ouest le devoir de l'élargissement rapide. À partir de ce moment, tout système institutionnel basé sur le principe des vingt-sept droits de veto ou de majorités inaccessibles était voué à l'échec. Comme pour Schengen et l'euro, il faut avancer, sujet par sujet, avec ceux qui veulent avancer. Il est indispensable de créer un groupe leader de coopération de défense européenne.

Quelques pays sont prêts à participer à la création d'un centre de commandement et de planification européen, d'autres à mutualiser l'utilisation et l'entretien d'une flotte de transport aérien stratégique et de ravitailleurs, d'autres encore à fusionner les outils existants et futurs de renseignement spatial, d'autres à créer un réseau radar européen d'alerte avancée et de surveillance maritime, d'autres à européaniser les marchés d'armement, d'autres à coordonner les recherches industrielles, d'autres à créer un centre unique de lutte contre le cyber-terrorisme.

Que ceux qui veulent avancer vraiment ensemble avec des financements significatifs puissent enfin le faire sans veto ou contrôle bureaucratique de qui que ce soit. C'est par cette méthode que l'Europe de la défense se construira, pas autrement. Notre intégration à l'OTAN n'y changera rien. Elle est inutile pour la construction européenne. Alors, pourquoi intégrer l'OTAN ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Balayons les aspects techniques. Depuis avril 1996, nous participons aux réunions ordinaires du comité militaire de l'Alliance, et le Président de la République a dit et répété que nous ne participerons pas au comité de plans nucléaires.

En termes clairs, rien de significatif ne changera. Si ce rapprochement n'est pas technique, il est donc politique !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Certains disent qu'entrer dans l'OTAN ce n'est pas s'aligner sur les États- Unis. Cette argumentation va être un peu difficile à développer, car il y a des indices contraires. Je citerai deux exemples : la défense antimissiles et l'Iran.

Pour la défense antimissiles américaine en Europe, aucun argument ne résiste à l'analyse. Il s'agit, comme vous le savez, d'installer des radars en République tchèque, des missiles en Pologne, voire en Lituanie. Il faudra m'expliquer pourquoi, pour défendre par exemple la Grèce contre une attaque venant de la Syrie, les missiles devraient être basés en Lituanie.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

La balistique a ses secrets !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

En regardant une carte de géographie, on s'aperçoit tout de suite que cela ne tient pas la route !

Sans parler du fait que cette défense anti-missiles est, chacun le sait, techniquement une passoire, qu'elle a obligé les États-Unis à rompre avec le traité ABM et, donc, la Russie à sortir également d'un certain nombre d'accords stratégiques. Tout le monde sait qu'il n'y a pas actuellement de risque d'attaque par la Russie. Il faut considérer ce pays non plus comme une menace, mais comme un vrai partenaire avec qui nous devons discuter. Il s'agit en fait, soyons clairs, d'entériner, de faciliter l'influence américaine à l'Est de notre continent. Quel est notre intérêt dans cette affaire ? Il n'y en a pas !

L'Iran ! Pourquoi diaboliser ce pays ? Certes, son président tient des discours totalement inacceptables, j'en conviens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Voilà un pays qui est entouré de six puissances nucléaires : la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, Israël et la septième flotte américaine dans le Golfe.J'en connais beaucoup dans cet hémicycle qui, s'ils étaient à la tête de l'Iran, organiseraient la sécurité du pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Vous devriez faire attention à vos propos, mon cher collègue ! Vous aviez mieux commencé !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Une attaque iranienne ? Imaginez-vous l'Iran envoyer un missile nucléaire sur Israël et en recevoir 150 en retour, un missile nucléaire contre la France et en recevoir 300 en retour, un missile nucléaire contre les États-Unis et en recevoir 5 000 en retour ? Pourquoi diaboliser ce pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Simplement parce que c'est la logique politique de M. Bush, qui a intérêt, maintenant que le communisme a disparu, à trouver un nouveau diable, de façon à rassembler autour de lui l'Islam sunnite, surtout celui qui dispose de gigantesques réserves de pétrole. Le problème est là ; il n'est pas ailleurs. Je crois que les États-Unis veulent désigner un nouveau diable pour que chacun vienne se blottir sous leur aile protectrice.

Que George W. Bush utilise cette stratégie, c'est son affaire, c'est une stratégie de puissance américaine. Mais pourquoi courrions-nous derrière ? Il n'y a aucune raison ! Qu'est-ce que la France et l'Europe ont à craindre des menaces militaires russe et iranienne ?

En fait, ce rapprochement avec l'OTAN donne le signal extrêmement dangereux d'une défense globale d'un occident monolithique. Je suis opposé à la mutation de l'OTAN d'une alliance de défense vers une alliance politique et militaire d'un occident uniforme. Car là est bien le projet de cette version extensive de l'OTAN : vers des missions civiles qu'il n'avait pas, vers une extension géographique de son champ d'action, vers la recherche de nouveaux partenaires, qui sont d'ailleurs cités – Japon, Corée du Sud, Australie. Le fait qu'une grande nation amie soit la première puissance militaire du monde ne lui confère pas le droit d'imposer son modèle à toute la planète. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Nous n'avons pas à participer à l'erreur majeure consistant à dissoudre notre identité dans celle d'un occident mythique et unifié…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Il ne s'agit pas de cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

…qui nous conduirait directement au choc des civilisations et à des conflits majeurs.

Nous ne devons pas, mes chers collègues, brader notre héritage historique, brader l'héritage de la France. Maintenons l'originalité politique de la France, qui est attendue par de nombreux peuples.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

La France mérite mieux qu'une dissolution dans un ensemble occidental monolithique.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Elle ne se dissout pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Construisons aussi la défense européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, qui, je le précise, disposera de dix minutes, M. François Bayrou ayant renoncé à son temps de parole de cinq minutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Monsieur le ministre de le la défense, madame la ministre de l'intérieur, mes chers collègues, nous voilà réunis aujourd'hui pour un débat essentiel pour l'avenir de notre pays. On peut d'ailleurs regretter que cette séance se tienne un jeudi, alors que bon nombre de parlementaires ont regagné leur circonscription et que nous ne sommes guère qu'une quinzaine dans cet hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Ce débat ne constitue pas seulement la garantie de la sécurité des Français ; il représente aussi un moyen au service d'une politique étrangère. Débattre aujourd'hui du visage qu'auront demain nos armées, c'est obligatoirement dessiner la place et le rôle de la France dans le monde.

De la réalité de ce monde, de ses nouvelles menaces, de notre vision de la France, de ce que nous voulons pour nos concitoyens, découlent le format de notre défense, ses alliances, l'effort de la nation, et non l'inverse, à moins de vouloir subir plutôt que maîtriser notre destin.

Ce Livre blanc était donc nécessaire et très attendu. Mais, à sa lecture attentive j'ai été particulièrement surpris, car, en vérité, il y a deux Livres blancs, ou, du moins, deux sources d'inspiration qui aboutissent à un noeud de contradictions dont notre pays aura du mal à sortir.

Il y a tout d'abord le Livre blanc qui pose le diagnostic et trace les grandes orientations de ce que devrait être la politique de défense de la France, Livre blanc qui, à mon sens, ne peut recueillir que notre assentiment. Il décrit un monde plus imprévisible que jamais, aux menaces très diversifiées. Il analyse le retard d'investissement, qui date, reconnaissez-le, surtout de la période 1997-2002. Il définit les grandes orientations : l'anticipation, la dissuasion, la protection, l'intervention, qui exigent de nouveaux efforts, notamment dans le renseignement, ou de nouvelles méthodes, avec une polyvalence et une interopérabilité renforcées.

Mais il y a malheureusement un autre Livre blanc dans le Livre blanc : celui qui apporte de mauvaises solutions aux vrais problèmes. Comme si, en vérité, on avait demandé aux rédacteurs d'aboutir, au mépris d'un minimum de cohérence intellectuelle, à des décisions déjà prises, qui obéissent à d'autres contraintes, notamment financières ou idéologiques.

Permettez-moi d'insister ainsi sur deux contradictions majeures de ce Livre Blanc, un peu schizophrène : la réduction du format de nos armées tout d'abord, le retour dans l'OTAN ensuite.

Comment pouvez-vous prétendre affronter les nouvelles menaces en réduisant à ce point le format de nos armées, déjà sérieusement rétréci depuis 1994 ? Oui à la rationalisation ! Oui à la polyvalence ! Oui à la concentration des bases ! Mais non à une réduction qui, quoi que vous en disiez, ne touchera pas seulement les forces de soutien, mais aussi et surtout les trois armes, qui ne pourront plus répondre aux objectifs que vous leur fixez.

À la lecture du rapport, on comprend très bien que le cadrage budgétaire en a, en vérité, déterminé les conclusions. Abaisser encore l'effort militaire de la nation de 2,41 % du PIB à 2 % aura de très graves conséquences. Si vous ôtez les dépenses consacrées aux pensions – près de 9 milliards d'euros, soit 0,48 % du PIB – et celles réservées à la gendarmerie – 5 milliards d'euros, soit 0,27 % du PIB –, vous constaterez, mes chers collègues, que, dès aujourd'hui, notre effort est nettement inférieur à celui de la Grande-Bretagne : à peu près 7,8 milliards d'euros pour 2007.

Calculé sur la base de référence utilisée dans le cadre de l'OTAN, notre effort de défense passerait mécaniquement de 1,64 % du PIB à 1,22 %, soit, en pourcentage du PIB, à un niveau tout juste supérieur à celui de l'Allemagne mais inférieur à cette dernière en valeur absolue !

Comme l'affirme le fameux collectif Surcouf, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

..« la France jouerait désormais dans la poule de l'Italie ». Tout le reste en découle : l'abandon du porte-avions – avec cette page 214, surréaliste de langue de bois, qui figure dans le Livre blanc –, la réduction du nombre d'avions, le retrait d'Afrique, pour une certaine partie de nos effectifs, les difficultés à renouveler le matériel.

En vérité, vous proposez à la France de passer, pour sa défense, d'un contrat d'assurance tous risques à une assurance au tiers. C'est un choix que vous n'avez pas le droit de dissimuler à la nation. Dans ces conditions, on comprend mieux la précipitation avec laquelle le Président de la République veut réintégrer la France dans l'OTAN. Ce retour n'est en rien insignifiant, comme vous voulez le faire croire.

Tout d'abord, il ne se fait pas dans de bonnes conditions, puisque vous l'annoncez comme quasi inéluctable alors même que la France et l'Europe n'ont obtenu aucune contrepartie réelle. Au moins Jacques Chirac, lorsqu'il avait cédé un temps à la tentation de l'alignement, avant de se raviser au moment de la guerre d'Irak, avait-il conditionné ce retour dans le commandement militaire de l'OTAN par de réelles et substantielles contreparties ! Tellement substantielles d'ailleurs que ce retour, en fin de compte, ne se fit pas.

Mais pourquoi diable consentir une telle concession à une administration Bush finissante sans connaître les intentions du futur Président des États-Unis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Comment prétendre bâtir une Europe de la défense dans ce cadre alors même que cette précipitation n'incitera en rien le Royaume-Uni à nous tendre la main, comme en témoigne la gifle du lancement des deux nouveaux porte-avions, ni les autres Européens à augmenter leur effort de défense ?

Pourquoi d'ailleurs le feraient-ils alors que la France, dans les faits, va réduire fortement le sien ? N'oublions pas à cet égard que le retour dans le commandement militaire intégré n'aura pas seulement des conséquences militaires, mais aussi industrielles. Notre industrie de défense, l'une des premières dans le monde à contester la prétention monopolistique des États-Unis, sera alors affaiblie à cause de la pression politique maximum exercée par Washington sur notre pays pour qu'il se dote de matériels américains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Concrètement, nous entrons dans l'OTAN pour jouer le rôle de second derrière la Grande-Bretagne, qui, elle, a décidé de se donner les moyens pour assurer le leadership.

Nous commettons ce faisant un contresens historique total dans la mesure où la position de la Grande-Bretagne, au coeur de l'alliance euro-atlantique, correspond à son intérêt et à sa personnalité, alors que, pour notre part, cela rompt avec quarante ans d'indépendance nationale au service d'une politique étrangère mondiale.

Dans un monde de plus en plus multipolaire, il est contreproductif d'enfermer notre défense et donc notre politique dans une logique de coalition occidentale qui date de la guerre froide.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

Pire, cela augmente le danger de conforter la transformation de cette alliance par les Américains en une sorte de police mondiale, alimentant une guerre funeste entre civilisations.

Contrairement à ce que vous voulez croire, c'est le meilleur moyen de tuer dans l'oeuf toute défense européenne et d'éloigner un peu plus les Européens comme les Français de l'adhésion à l'effort de défense, car sans adhésion populaire, il ne peut y avoir d'investissement financier à la hauteur de l'enjeu.

Il y a quarante ans, le général de Gaulle avait compris avant tous les autres que la France avait sa propre partition à jouer dans ce monde multipolaire. Au moment où les faits lui donnent raison, vous privez la France de sa marge de manoeuvre. J'en veux pour preuve l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, annoncé comme par hasard devant le Parlement britannique, puis, à nouveau, au sommet de Bucarest. Ce qui prouve bien qu'il y a un lien entre le retour dans l'OTAN et l'inflexion de la politique étrangère du Président de la République.

Vous le faites, et c'est bien là la raison fondamentale, pour des raisons financières mais aussi idéologiques. Votre prétendue modernisation est en fait une normalisation qui réjouit tous ceux qui n'ont jamais adhéré à cette politique qui s'adressait au monde plutôt qu'à un camp et ses intérêts !

Politique, je vous le rappelle, qui n'a jamais interdit la solidarité lorsqu'elle était nécessaire. Alors, pourquoi rentrer dans le rang ? Pour quel intérêt, puisque rien ne changerait ? Des personnalités aussi différentes qu'Alain Juppé ou Hubert Védrine se posent la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dupont-Aignan

On en connaît les inconvénients, on n'a toujours pas compris quel en est l'intérêt, sauf de suivre les États-Unis d'Amérique pour changer de posture diplomatique et de rôle dans le monde.

En vérité, derrière les grandes envolées qui cherchent à masquer la réduction du format de nos armées, les économies budgétaires et l'alignement sur les États- Unis, nous n'aurons ni la défense autonome construite par le général de Gaulle, ni la défense européenne souhaitée par François Mitterrand, mais une sorte de CED au rabais et sans le nom, sous commandement américain dans le cadre de l'OTAN.

Vous invoquez parfois de Gaulle, mais c'est pour couvrir une politique à la Pleven. Vous ne jurez que par les États-Unis et l'OTAN, mais comme les Français rejettent massivement cette politique de soumission et d'alignement, vous n'avez même pas le courage de l'assumer devant eux clairement. Mais n'imaginez pas qu'ils seront dupes. Ils vous jugeront durement si vous poursuivez cette politique !

Oui, je crois que notre pays, compte tenu de son histoire, de ses valeurs, de ses intérêts, mérite mieux.

Oui, je pense qu'une autre politique de défense est possible. Elle découle naturellement de notre vision du monde et de notre vision de la France dans le monde. C'est en ce sens que le général de Gaulle disait en 1966 : « Quand on ne veut pas se défendre, ou bien on est conquis par certains ou bien on est protégé par d'autres. De toute manière, on perd sa personnalité politique, on n'a pas de politique ».

Je ne souhaite pas que mon pays n'ait plus de politique ! (Mme Françoise Olivier-Coupeau applaudit.)

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale propose un diagnostic et une stratégie qui reposent sur l'énoncé d'une vérité, l'affirmation d'une ambition et l'exigence d'une cohérence. Mais l'essentiel est à faire. Nous devons susciter l'adhésion de nos concitoyens, et entraîner nos partenaires européens, nos alliés. Nous devons aussi vérifier la pertinence de la grille de lecture du Livre blanc dans le monde d'aujourd'hui, mais aussi pour le monde de demain. Cela requiert volonté et lucidité. Cette volonté puise nécessairement dans notre récit historique, dans notre mémoire. Nous devons répondre au contexte européen d'aujourd'hui. Disons-le : l'OTAN a permis à l'Europe de se construire sans souci de défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

Mais soyons lucides : l'Europe de la défense reste largement à construire.

Oui, monsieur le ministre, à un travail stratégique commun afin d'établir un Livre blanc européen. Oui à une réelle politique industrielle de la défense. Les initiatives prises jusqu'à présent en sont restées aux balbutiements.

Pour répondre au contexte d'aujourd'hui, l'OTAN, c'est l'affirmation normale d'une alliance, prenant son sens dans des menaces traditionnelles qui peuvent encore se développer dans l'avenir, ne l'oublions pas. La construction européenne a sa place, l'alliance atlantique aussi.

Le Livre blanc évoque l'idée de complémentarité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense. C'est un concept raisonnable et utile qui mérite d'être précisé, développé et appliqué, monsieur le ministre.

Je suis de ceux qui peuvent volontiers comprendre l'intérêt pour notre pays d'une politique européenne de sécurité et de défense mieux affirmée et d'un système d'alliances plus simple, plus fécond. Je demande dès lors ce que doit être la complémentarité de nos engagements et de nos initiatives.

Oui, monsieur le ministre, nous devons assumer une réelle volonté de défense. Le Livre blanc est construit sur l'idée d'un continuum des catastrophes naturelles et des crises et conflits. Sans doute, mais jusqu'à un certain point.

Dans un cas comme dans l'autre, nous devons prendre conscience que les risques auxquels il faut répondre ne sont pas du même ordre. Si nous voulons rester une nation pacifique, nous devons aussi rester une nation armée, physiquement et moralement.

Nous devons être lucides quant à la contrainte budgétaire. La liberté de notre pays n'existe pas sans solidité financière et redressement économique. Rappelons le décalage entre les commandes et les crédits décidés par le gouvernement de Lionel Jospin.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Mariton

C'est un acte de lucidité de présenter les choses telles qu'elles sont.

Oui, monsieur le ministre, la réforme est nécessaire. L'évolution des effectifs et la réorganisation prévue par la révision générale des politiques publiques sont indispensables. Pour être complète, la réforme doit comprendre, en particulier, les perspectives d'externalisation qui ont été évoquées. Cela nous conduit à évoquer la révision du format des armées, qui va sans doute au-delà des 54 000 hommes dont vous avez parlé. En fait, 70 000 hommes, externalisation comprise, seraient concernés.

La réforme doit être réelle. Les bases de défense doivent constituer un outil nouveau et pas seulement un cadre et un concept. Les restructurations doivent être accompagnées de mesures de solidarité définies et annoncées simultanément.

Il s'agit enfin de concevoir la complexité du monde dans notre stratégie et nos choix de défense. Nous devons évidemment répondre à l'actualité, mais nous devons aussi, autant qu'il est possible, envisager l'avenir et ses incertitudes. Quid de la prolifération nucléaire ? Quid de la disproportion des puissances ? Je suis de ceux – je ne suis pas le seul – qui regrette que l'enjeu que représente la Chine – grande puissance, nation amie et nouvelle donne dans ce monde – soit analysé un peu rapidement. La stratégie que nous devons définir doit tenir compte de la complexité du monde.

En conclusion, la politique fondée sur le Livre blanc impliquera, comme le suggérait M. le Premier ministre tout à l'heure, un fort soutien et beaucoup de vigilance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Voilà du soutien !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, comme vous pouvez le constater, notre débat se déroule devant un hémicycle bondé, rempli de parlementaires attentifs et passionnés par le sujet qui nous rassemble aujourd'hui.

Il faut bien reconnaître que notre capacité d'influer sur ce texte est assez faible, ce qui explique sans doute une telle désaffection. Nous examinons ce Livre blanc quelques jours après que le Président de la République l'a rendu public porte de Versailles et quelques heures après qu'il nous a été adressé dans une très belle édition brochée d'Odile Jacob : cela témoigne, s'il en était besoin, que nous ne pourrons pas modifier son contenu.

Le fait que deux parlementaires…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

…ont participé à la commission du Livre blanc, alors qu'aucun n'avait été sollicité en 1994 constitue, aux yeux de nos collègues de la majorité, un progrès déterminant de notre démocratie parlementaire dans l'exercice du contrôle qu'elle est susceptible d'exercer sur le Gouvernement dès lors qu'il s'agit de son domaine réservé. De tels propos feraient sourire tous les parlementaires des autres démocraties occidentales,…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

…au sein desquelles la notion de domaine réservé n'existe pas et où le pouvoir de contrôle et d'évaluation des gouvernements est effectif contrairement à ce qui est à l'oeuvre dans les institutions de la Ve République depuis 1958 !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

C'est pour cela qu'il faut voter la réforme des institutions !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

Il est vrai aussi, monsieur le ministre, que les deux députés qui ont participé à la commission du Livre blanc ont vu le Président de la République trancher lui-même un certain nombre de questions soumises au débat.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Heureusement !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

C'est à partir de la radio d'Abou Dhabi que nous avons appris l'installation d'une base navale dans cette partie du monde où les intérêts stratégiques, vous l'avez souligné vous-même, sont complexes.

C'est à partir de la Chambre des communes que nous avons appris le renforcement de notre présence en Afghanistan, ce qui est sans doute une manière effectivement de renforcer le rôle du Parlement… britannique !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

Cette manière de faire montre dans quelle estime on tient notre Parlement : nous avons des progrès à accomplir !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

Cela dit, monsieur le ministre, permettez-moi, après les considérations stratosphériques de mes collègues, d'en revenir à quelques questions simples concernant le Livre blanc de la défense et les conclusions que vous en tirez avec le Président de la République pour ce qui concerne l'organisation de nos forces.

Le Président de la République a fait trois déclarations qui appellent de ma part quelques questions précises.

Premièrement, il fait faire des économies sur le fonctionnement de nos armées afin de dégager des marges qui permettront de financer nos capacités car il faut une armée plus svelte, mieux équipée et plus mobile.

Deuxièmement, il n'y a plus de lien entre la politique d'aménagement du territoire et l'implantation de nos infrastructures de défense.

Troisièmement, il est absolument indispensable que l'Europe de la défense aille son chemin, et elle ne peut le faire que dans le cadre de l'OTAN.

Sur ces trois idées simples, et je crois ne pas avoir trahi la pensée du Président de la République,…

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

…je voudrais quelques éclaircissements.

Concernant le lien entre les économies de fonctionnement et le financement de nos capacités, je veux vous poser une question simple. Vous allez procéder à la diminution des effectifs de nos armées. Le Président de la République a annoncé, porte de Versailles, une réduction des effectifs de 54 000 hommes. Je me suis penché sur la pyramide des âges de nos armées et j'ai constaté, comme vous d'ailleurs, qu'il serait vraisemblablement très difficile d'atteindre cet objectif par le départ naturel. Il faudra donc mettre en oeuvre des mesures sociales.

Quelles seront ces mesures sociales ? Sont-elles aujourd'hui arbitrées et évaluées ? Quel est le montant que vous entendez y consacrer de manière à atteindre la cible autrement que, brutalement, par des licenciements secs, ce qui est une hypothèse que vous n'avez d'ailleurs jamais évoquée ? Nous ne disposons d'aucune information concernant l'arbitrage ou le montant, ni, ici, dans cet hémicycle, ni au sein des états-majors, qui attendent des réponses.

Il faudra bien entendu déduire le montant des économies attendues du montant des mesures sociales. J'ai cru comprendre que vous attendez trois milliards d'économies chaque année pour les réinjecter dans nos capacités. Est-ce que ces trois milliards d'économies intègrent le coût des mesures sociales non encore arbitrées ?

La deuxième question se rapporte au financement de nos moyens capacitaires, qui sera effectué, si je comprends bien, grâce à des économies budgétaires. À cet égard, je prendrai un exemple très concret qui est celui de DCNS, que je connais mieux que d'autres.

Si vous avez été obligés de procéder à des arbitrages au terme de la présentation du Livre blanc, ce n'est pas simplement parce que les socialistes, depuis 1848 en passant par le Front populaire, le Cartel des gauches et 1981, n'ont pas consacré à la défense les moyens qu'on était en droit d'attendre d'eux – viendra d'ailleurs un moment où vous aurez gouverné depuis si longtemps que vous devrez rendre des comptes sur votre propre politique ; non, si vous êtes obligés de procéder à des arbitrages, vous l'avez dit vous-même devant la commission de la défense, c'est parce qu'une grande partie des programmes de la précédente législature n'a pas été financée, madame la ministre. Je vais citer des exemples concrets.

Le financement du programme FREMM reposait sur un dispositif si baroque – treize dix-neuvièmes financés par le ministère du budget, six dix-neuvièmes par le ministère de la défense – qu'il a suscité des interrogations de la part du ministère du budget, qui n'a pas fourni les sommes correspondantes, contrairement au ministère de la défense. Voilà qui montre le caractère extraordinairement aléatoire de vos montages financiers. L'argent n'est tout simplement pas là pour abonder ce programme, censé garantir des années et des années de plans de charge pour DCNS.

Par ailleurs, madame la ministre, lorsque vous étiez ministre de la défense sous la présidence de Jacques Chirac, vous avez signé un contrat pour le programme Barracuda aux termes duquel six sous-marins devaient être commandés une fois tous les deux ans. On nous indique maintenant qu'ils le seront une fois tous les trois ans. Et j'aimerais savoir, monsieur le ministre, si ces informations sont justes.

Vous avez également engagé, madame la ministre, une coopération franco-britannique en vue de réaliser un porte-avions. Elle était censée faire diminuer les coûts : à combien s'élèvent-ils ? Elle était censée accroître l'interopérabilité : qu'en restera-t-il dès lors que la construction de ce navire est reportée ? À un moment où l'argent public est rare, est-ce là une politique susceptible de l'allouer dans de bonnes conditions aux programmes nécessaires au déploiement de notre marine nationale sur les théâtres d'opérations extérieures ?

Ces questions précises appellent des réponses précises.

Je voudrais également savoir, monsieur le ministre, quelles seront les conséquences de ces étalements sur les effectifs de DCNS, alors que 54 000 emplois ont déjà été supprimés ? Y aura-t-il un plan social ? Si oui, est-il financé et quelles mesures sociales comptez-vous prendre ? Rappelons que, devant le comité d'entreprise, certains dirigeants ont indiqué qu'il pourrait y avoir des suppressions d'emplois en nombre.

Au-delà des effectifs et de l'emploi industriel, quelle politique de construction des industries de défense proposez-vous de mettre en oeuvre ?

Enfin, monsieur le ministre, l'absence de lien entre l'aménagement du territoire et la défense peut sans doute se concevoir aisément Porte de Versailles. Mais, sans parler des socialistes qui ont l'esprit mal tourné, quand le député UMP de Commercy se plaint des conditions dans lesquelles certaines décisions ont été mises en oeuvre des mesures d'accompagnement des territoires avant de décider leur déménagement.

Enfin, monsieur le ministre, j'en viens à l'OTAN. Comme Jean-Michel Boucheron, je me pose un certain nombre de questions sur la réalité des intentions qui vous animent. Selon vous, il n'y aurait aucune raison de ne pas intégrer l'OTAN et de ne pas assumer cette décision devant l'opinion publique puisque nous en ferions déjà fait partie et que l'Union européenne ne concevrait pas la construction de l'Europe de la défense autrement qu'au sein de cette organisation. Nous avions pourtant compris que, jusqu'à présent, c'étaient les États-Unis qui ne concevaient pas la construction de l'Europe de la défense autrement que sous l'égide de l'OTAN. Nous les avons vus à plusieurs reprises à l'oeuvre, notamment sous la présidence de François Mitterrand qui fut à ce sujet d'une extrême vigilance, pour faire échouer l'Europe de la défense plutôt que de la voir se développer en dehors de l'OTAN et leur échapper.

Qui plus est, vous voulez rejoindre le commandement intégré de l'OTAN à un moment où les États-Unis n'ont jamais mené une politique aussi unilatérale, affirmant leur hyperpuissance au nom d'une vision du monde fondée sur l'idée d'un conflit entre les civilisations qui, comme le disait excellemment Jean-Michel Boucheron, nous autoriserait nous, Occidentaux, à porter nos valeurs partout par la guerre, sous prétexte qu'elles sont supérieures à celles des autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeneuve

Serions-nous aujourd'hui en situation d'affirmer que les racines judéo-chrétiennes de la France, comme cela a pu être dit au Latran, valent que l'on se batte pour les faire triompher partout ?

Je ne pense pas que cette vision du monde soit bonne. Je ne pense pas non plus que nous ayons intérêt à rejoindre le commandement intégré de l'OTAN alors que le palmarès diplomatique et militaire américain n'a jamais été aussi calamiteux : en Iran, ils veulent la guerre avant même d'avoir actionné les leviers diplomatiques ; en Irak, ils sont dans un désastreux bourbier ; en Afghanistan, ils sont obligés de faire appel à nous. Nous risquons sinon de devenir les supplétifs d'une politique qui n'est pas la nôtre et que nous aurions raison de refuser.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous exprimons des doutes sur les objectifs que vous poursuivez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Grouard

« Faisons une hypothèse : il y a la guerre demain et la Belgique est envahie. »

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Grouard

« Si nous n'avons pas le moyen de nous porter immédiatement à son secours, que se passera-t-il ? Trois cent cinquante kilomètres de frontières ouvertes au Nord de la France à défendre. […] C'est par une offensive foudroyante, avec une aviation ultramoderne et une armée rapide à grand rendement que l'Allemagne fera cette opération. »

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce discours a été prononcé ici même, de cette tribune, le 15 mars 1935, par Paul Reynaud. Nourri par les analyses stratégiques d'un certain colonel de Gaulle, il réclamait la création du fameux corps blindé mécanisé.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Grouard

La France ne s'en dota jamais. Ici même, sur ces bancs, en 1935, des débats ont eu lieu sur notre politique de défense. Ici même, sur certains bancs plus que sur d'autres, il fut question de l'agressivité de la France et de la nécessité louable de faire prévaloir la force du droit. Cinq ans plus tard, nous connaissions le plus grand désastre de toute notre histoire.

La politique de défense est une chose grave, elle touche à l'essentiel : la pérennité de la nation. Un Livre blanc est un moment important, parce qu'il est fondateur. Celui-ci, monsieur le ministre, est fondateur à quatre égards, me semble-t-il. Premièrement, il a eu recours à une méthode inédite, car, pour la première fois, il s'est appuyé sur une large consultation. Deuxièmement, il a manifesté la volonté de faire procéder le format de nos armées de la réflexion politico-stratégique et non l'inverse. Troisièmement, il a établi un couplage entre les objectifs définis et les moyens attribués, notamment les moyens financiers, et il sera ici essentiel que cette cohérence soit confirmée par notre future loi de programmation militaire, comme il sera nécessaire que soient menées à leur terme les restructurations de défense proposées pour dégager les économies qui permettront de financer les projets que vous proposez. Enfin, il est fondateur dans l'analyse de la menace qui est proposée.

Je ne reviendrai pas sur le panorama exhaustif qu'il dresse, je voudrais simplement jouer de ce paradoxe de la stratégie qu'a si bien décrit Edward Luttwak : nous parlons beaucoup de menaces non-étatiques et de chocs des civilisations mais si, d'aventure, au-delà des perspectives fixées par le Livre blanc, nous en revenions à des confrontations plus classiques entre États et, si, d'aventure, nous étions confrontés, dans les décennies qui viennent, à une nouvelle crise internationale majeure débouchant sur un conflit majeur, que se passerait-il ? Cette question apparaît certes dans le Livre blanc mais elle n'est pas mise en exergue, ce que je comprends, bien sûr. Je voudrais une nouvelle fois appeler l'histoire à notre secours pour réfléchir un instant à cette problématique. Au XIXe siècle, le fragile concert des puissances européennes a été déstabilisé par l'émergence d'une nouvelle puissance, l'Allemagne, ce qui a donné lieu à trois guerres : celle de 1870, la première et la deuxième guerres mondiales.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Grouard

Si l'on veut, mais ce n'était qu'une bataille.

Le semblant de concert des puissances qui se dessine actuellement entre les États-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde, l'Europe et le Japon ne pourrait-il pas être bouleversé par l'ascension de l'une ou l'autre de ces puissances, alimentée par les tensions que nous voyons aujourd'hui à l'oeuvre ? Je pense à la logique d'appropriation des ressources naturelles, par définition limitées, dans un contexte de croissance économique forte, notamment en Asie, mais aussi aux divergences d'intérêts entre États, autour notamment de ce que l'on pourrait qualifier de conflit écologique ou environnemental, autrement dit des divergences profondes quant à l'attitude à adopter face au réchauffement climatique qui menace.

Dans cette hypothèse, que vous jugerez peut-être fantaisiste, quelle serait l'attitude de la France et comment notre dispositif militaire pourrait-il remonter en puissance ? Nous serions, toutes proportions gardées, dans une situation analogue à celle qu'évoquait Paul Reynaud, qui parlait peut-être lui aussi devant un hémicycle presque vide. Toujours est-il que notre avenir international ne serait plus du tout ce qu'il est aujourd'hui parce que, pour la première fois de notre histoire, la puissance dominante ne serait pas une puissance occidentale, ce qui constituerait un bouleversement stratégique encore plus important que l'effacement de l'ordre bipolaire ou le passage des États-Unis au statut d'hyperpuissance plus récemment.

Ce Livre blanc – dernier aspect fondateur – pose un diagnostic lucide sur l'état de notre outil de défense. Il avait à intégrer un triple héritage et il l'a fait : deux héritages positifs et un négatif. Le premier héritage est l'héritage gaullien, avec la construction de la dissuasion nucléaire qui, des décennies plus tard, continue de constituer le socle de notre défense, ultime garantie et outil d'indépendance qui nous confère le statut de puissance et renforce notre liberté de décision.

Le deuxième héritage, plus récent, est celui de la professionnalisation des forces, décidée en 1995 par le président Jacques Chirac. Celle-ci constitue aujourd'hui une sorte d'évidence, alors qu'elle était contestée à l'époque, et le socle sur lequel nous pouvons construire l'outil de défense de demain.

Le troisième héritage, négatif celui-ci, est celui des années 80 – j'ai entendu récemment en la matière des propos surréalistes qui émanaient pourtant de spécialistes de la défense. C'est bien dans les années 80 et dans la première moitié des années 90 que des erreurs majeures ont été commises dans les choix d'équipements qui ont été faits, dans les programmes qui ont été validés, mais aussi avec des non-choix et des artifices budgétaires qui ont conduit à rouler une bosse comme on porte sa croix. Aujourd'hui, le Livre blanc propose d'y mettre un terme, afin que, à l'avenir, nous disposions d'autre chose qu'une simple défense de papier.

Enfin, je veux saluer l'effort accompli en matière de renseignement et de spatial militaire, avec la continuité du service dans le domaine de l'observation spatiale – c'est le programme Musis – et les éléments qui sont proposés dans le domaine du renseignement d'origine électromagnétique, de l'alerte avancée et de la surveillance de l'espace, qui permettra à la France de conforter son troisième rang de puissance spatiale mondiale.

En conclusion, Paul Reynaud, qui n'a pas été écouté, proposait de créer l'armée de nos besoins pour mettre de côté l'armée de nos habitudes. C'est ce que ce propose ce Livre blanc. Madame, monsieur le ministre, il faut maintenant le conduire à son terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Vallet

Le but de mon intervention est de tenter de replacer la défense dans notre fonctionnement institutionnel. Mes collègues socialistes et moi-même sommes particulièrement inquiets de voir comment le déni de démocratie s'installe insidieusement dans notre pays.

Je constate tout d'abord que le Conseil de défense et de sécurité nationale serait désormais présidé par le Président de la République lui-même...

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Vallet

..et que ne resterait au Parlement qu'un simple droit de regard sur les Opex !

Or, nous le savons tous, la défense nationale est l'un des fondements qui légitime l'existence d'un État. L'exigence démocratique de tous les États dits modernes, c'est que des contre-pouvoirs puissent contrôler les décisions prises. C'est pourquoi, en démocratie, la défense ne saurait être le fait d'un seul homme.

Au pays des droits de l'homme, il n'est pas acceptable que, sur un sujet aussi sensible, le Parlement soit réduit à un rôle de spectateur. Notre devoir d'élus est de rester vigilants. Il ne faudrait pas que, sous les atours de la modernisation, se cache la mise en place d'une gouvernance autocratique.

Vous l'aurez donc compris, la création d'un Conseil national de défense et de sécurité nationale, présidé par le Président de la République, va à l'encontre d'une réforme des institutions, celle qui doit permettre un rééquilibrage des pouvoirs entre le chef de l'État, l'exécutif et le législatif. En effet, nous assistons à un mélange des genres, où le Président de la République est à la fois super Premier ministre, super ministre de la défense et super ministre de l'intérieur. C'est un peu beaucoup pour un seul homme !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Vallet

Certes, la pratique constitutionnelle depuis 1962 fait du chef de l'État le chef des armées, mais c'est là un usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Vallet

Comme vous le savez, il partage ce domaine avec le Premier ministre qui est, quant à lui, le responsable de la défense nationale selon l'article 21 de la Constitution. On peut donc considérer que les décisions sont prises de manière concertée entre le Président de la République et son gouvernement. N'est-ce pas là un garde-fou qui permet d'éviter d'agir sous le coup de l'impulsion et de l'émotion ? La séparation des pouvoirs permet de rationaliser l'action politique. Or le projet de réforme constitutionnelle prévoit que le Premier ministre ne soit plus responsable, mais chargé de la mise en oeuvre des décisions.

Surtout, le rapprochement envisagé entre défense et sécurité nationale est totalement artificiel et incohérent. Pour nous socialistes, il y a là un dangereux mélange des genres. Force militaire et force civile sont de nature différente. Les militaires ont pour mission de défendre les intérêts fondamentaux de notre pays – c'est article L. 1111-1 du code de la défense – et l'armée dispose de tous les moyens nécessaires pour agir et n'est pas limitée juridiquement.

À l'inverse, la sécurité civile dispose de moins de moyens. Concrètement, les policiers ne peuvent faire usage de leur arme que de façon limitée. La mission des forces de sécurité civile se résume à la protection des personnes sur le territoire national en période normale. C'est la différence fondamentale avec l'armée qui, elle, intervient en période de crise. Par ailleurs, les commandements et les façons de fonctionner sont radicalement différents.

Avec ce Conseil, toutes les forces d'intervention de notre pays seraient donc sous le contrôle direct du Président de la République. Les auteurs du Livre blanc justifient ce choix par un contexte difficile où la menace terroriste est grande. Nous ne contestons pas que la situation puisse être difficile, mais en cas d'incident grave où de multiples civils seraient atteints, nous disposons déjà des outils pour réagir. En effet, le Secrétariat général à la défense assure la coordination des acteurs militaires et des acteurs civils pour agir au plus vite et au plus près des besoins.

Ainsi, un État qui laisserait sa défense nationale et ses moyens de protection des personnes civiles entre les mains d'un même homme ne saurait être une démocratie. Oui, en période de crise, de guerre et d'atteinte à l'intégrité nationale, le chef de l'État doit avoir les moyens d'agir vite pour préserver l'État. Mais cette disposition ne saurait être qu'exceptionnelle.

S'agissant des opérations extérieures, est-il normal, lorsque des troupes sont engagées hors du territoire français, que le gouvernement ne se présente pas devant le Parlement ? Votre projet de révision constitutionnelle prévoit d'obliger le Gouvernement à informer le Parlement. Ce dispositif va dans le bon sens. Mais il reste un problème majeur puisque « cette information peut donner lieu à un débat qui ne sera suivi d'aucun vote ». Pourtant, il semblerait essentiel que le Parlement puisse donner son avis sur des questions aussi fondamentales que l'engagement des troupes à l'extérieur de nos frontières.

Le projet de révision constitutionnelle entend renforcer le rôle du Parlement et lui donner un pouvoir d'évaluation des politiques publiques. Si certaines mesures envisagées dans le projet de réforme constitutionnelle vont dans le bon sens, nous ne pouvons que regretter que le Livre blanc de la défense ne précise pas les modalités de la gouvernance de notre système de défense. Ainsi les socialistes sont-ils très préoccupés par la façon dont sera dirigé notre système de défense. Nous sommes opposés à ce que l'ensemble des pouvoirs soit concentré entre les mains d'une seule personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

Avant d'évoquer cette réforme très ambitieuse dont le succès repose sur notre capacité à surmonter un certain nombre de défis, je souhaiterais dissiper quelques faux mauvais procès instruits contre le Livre blanc par de bons esprits, et je pense à M. Cazeneuve en particulier.

En effet, on a pu lire ou entendre, dans différents journaux et interventions, y compris ici cet après-midi, que la commission du Livre blanc n'avait pas intégré suffisamment de militaires dans la réflexion. J'avoue que cette remarque me laisse perplexe. D'abord parce qu'un certain nombre d'officiers généraux ont pu s'exprimer lors des réunions de la commission et dans les sous-groupes. Ensuite, parce que ce n'est pas l'objectif principal d'un Livre blanc : il s'agit d'un Livre blanc sur la défense et non du Livre blanc de la défense. À quoi bon mettre en perspective, exiger du recul dans la réflexion si ce sont exclusivement des militaires qui écrivent pour les militaires ? L'apport du Livre blanc, mais aussi sa richesse, réside dans la diversité de ses auteurs ; il me paraissait utile de le rappeler.

On a prétendu aussi que le Parlement avait été tenu à l'écart de la commission. Je rappellerai que quatre parlementaires étaient membres de cette commission et que c'était une première par rapport aux exercices similaires précédents. Et si les parlementaires de l'opposition ont décidé de démissionner, c'est en raison de choix politiques. Par ailleurs, tout au long des travaux de la commission, le président Teissier a invité à plusieurs reprises Hervé Morin et Jean-Claude Mallet, qui ont toujours été disponibles pour répondre à nos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

Je trouve au contraire que le Parlement a été bien davantage associé que par le passé à ce type d'exercice.

On a dit encore que le Livre Blanc était un exercice qui permettrait de justifier des choix stratégiques pris ailleurs, c'est-à-dire à l'Élysée. Effectivement, lors de la rédaction du Livre blanc, le Président de la République s'est exprimé sur de nombreux sujets abordés par le Livre blanc : la permanence de la dissuasion à Cherbourg notamment, la place de la France au sein de l'OTAN, les opérations extérieures. Je ne vois pas pourquoi le Président de la République aurait dû être le seul à rester silencieux alors qu'il est le chef des armées.

J'irai même plus loin. En évoquant des sujets aussi majeurs que notre dissuasion ou l'alliance atlantique, le Président a fait sortir ces sujets cruciaux du cercle des experts. Les Français ont pu exprimer leur opinion au travers des sondages, les politiques et les spécialistes ont pu écrire des tribunes et réagir aux propos du Président de la République. Chacun a pu saisir les enjeux et l'importance de la question. Veut-on une République des experts ou que la défense soit l'affaire de tous ?

Contrairement à ce qui a été dit, les interventions du Président de la République n'ont pas clos le débat. C'est au contraire grâce à elles qu'un débat a été possible.

On a dit souvent que le Livre Blanc avait été écrit sous la stricte contrainte budgétaire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

Imaginons un instant ce qu'aurait été l'exercice du Livre blanc totalement dégagé du garde-fou budgétaire. Son intérêt, sa durée de vie auraient été limités à quelques jours et à quelques débats télévisés sans lendemain. Ne pas tenir compte de la dimension budgétaire, ce serait exprimer des voeux pieux, tirer des plans sur la comète.

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

Ignorer la réalité budgétaire ne peut conduire qu'à des déconvenues.

Pourtant, plusieurs points du Livre blanc indiquent clairement que la dimension budgétaire n'a pas été l'unique déterminant. J'en veux pour preuve le maintien de la dissuasion en dépit de son coût, le choix d'un renforcement significatif des moyens alloués à la recherche, au renseignement et aux équipements, la sanctuarisation des économies budgétaires qui seront conservées au sein même du ministère. Ainsi, la pression budgétaire n'a pas conduit à des renoncements mais plutôt à faire des choix d'avenir et à les justifier.

J'ai entendu notamment M. Dupont-Aignant dire qu'avec les orientations du Livre blanc, la France baisserait sa garde et rétrograderait en tant que puissance militaire. C'est un grand classique qu'on entend toujours à chaque exercice de ce style. En 1994, on a entendu que le Livre blanc était un coup mortel porté à la capacité militaire de la France. Et ce fut la même ritournelle au moment de la professionnalisation.

On a pu observer depuis, au contraire, que la France a été présente sur tous les terrains et que notre armée est respectée dans le monde entier.

Par la critique de la diminution des capacités militaires est visée notamment la baisse de l'objectif de projection de 50 000 à 30 000 hommes. Est-ce une véritable baisse ? Chacun sait bien que l'objectif de 50 000 hommes n'était pas atteignable. Celui de 30 000 hommes demeure lui-même extrêmement ambitieux, de même que la capacité d'envoyer 70 avions de chasse en opération.

En définitive, l'armée dessinée par le Livre blanc est plus compacte et plus réactive. Ce n'est pas en effet le volume de l'outil de défense qui fait son efficacité, mais sa capacité à réagir rapidement à des menaces aussi diverses qu'inattendues.

Si cette réforme est très ambitieuse, son succès suppose de relever quatre défis majeurs. Pour produire pleinement ses effets, elle doit être menée intégralement et respecter la cohérence stratégique d'ensemble. Si elle est fragmentée, partiellement remise en cause ou trop étalée dans le temps, elle ne produira pas les résultats attendus. Sa mise en oeuvre, qui ne fait que commencer, est un exercice extrêmement exigeant. C'est pourquoi, dans le cadre de la mission de suivi qui nous a été confiée par le président Teissier, Bernard Cazeneuve et moi-même serons extrêmement attentifs à sa bonne exécution.

Le premier défi à relever est d'ordre budgétaire. La prochaine loi de programmation militaire et le budget 2009 doivent être conformes à la ligne tracée. Cela suppose, en particulier, que les crédits exceptionnels prévus pour passer la bosse budgétaire soient au rendez-vous. Il faut cependant aller plus loin. En pratique, le plus important, c'est que l'exécution budgétaire soit sans faille. Et pour tenir les engagements solennels du Président de la République, il est indispensable que les relations entre le ministère du budget et celui de la défense évoluent.

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

C'est cette évolution, et elle seule, qui pourra garantir les recettes budgétaires, tout comme une plus grande rigueur dans la gestion du ministère de la défense. C'est un enjeu décisif pour notre crédibilité sur la scène internationale, notamment européenne. Notre stratégie de rapprochement avec l'OTAN pour relancer la dynamique européenne ne sera crédible que si la France remplit son contrat opérationnel et budgétaire.

Le deuxième défi est d'ordre social et territorial. La réforme a des conséquences humaines évidentes, auxquelles certains orateurs ont fait allusion. La réduction du format de nos armées oblige le ministère de la défense à mettre en place des mesures d'accompagnement social lourdes. Il faudra s'assurer, d'une part, de leur efficacité, d'autre part, qu'elles aboutissent bien à un rééquilibrage en faveur de l'opérationnel. Quant aux territoires touchés par la réorganisation, il s'agira de vérifier que les mesures d'accompagnement qui leur sont destinées sont à la hauteur et qu'elles sont concentrées sur les territoires les plus fragilisés.

Le troisième défi est d'ordre économique et industriel. Le Livre blanc réduit la cible des différents équipements de la défense, ce qui aura des conséquences pour les industriels. Il conviendra d'y faire face. Je ne mentionnerai à ce sujet que le développement des exportations, qui deviendra une exigence si l'on veut compenser le manque à gagner national.

À plus long terme, le Livre blanc engage une réflexion sur le maintien des capacités industrielles françaises et européennes, qui exige que l'on conduise un chantier similaire à l'échelle européenne. Le besoin est connu, la difficulté de l'exercice aussi ; maintenant, il convient de se mettre rapidement au travail.

Le dernier défi est d'ordre politique. La mise en oeuvre d'une telle réforme nécessite de la constance, au moins pour les cinq ans à venir, voire au-delà.

Debut de section - PermalienPhoto de François Cornut-Gentille

Je m'achemine vers ma conclusion, monsieur le président.

Il faut donc dégager les conditions d'un consensus politique si l'on ne veut pas voir tout l'édifice remis en cause. Il faut également continuer à mobiliser l'opinion en faveur de l'armée, ce qui est une tâche difficile car les risques et les menaces ne paraissent pas immédiats.

Monsieur le ministre, votre mission est lourde, mais enthousiasmante car il s'agit, comme l'a souligné le Président de la République, de poser les bases d'une véritable refondation, dont l'enjeu est décisif tant sur le plan national qu'international. Avec la défense, l'État réforme ce qui est l'une de ses vocations premières. Aussi cette modernisation doit-elle être, pour les autres ministères, un modèle et, pour l'Europe, le signe que la France prend un nouvel élan. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Olivier-Coupeau

Monsieur le ministre, l'un des principaux reproches que l'on peut adresser à votre réforme, c'est son impréparation. J'illustrerai ce propos en prenant l'exemple de la composante navale et, plus particulièrement, des frégates multimissions.

Le parc des frégates de premier rang est vieillissant. Si nous ne lançons pas rapidement de nouveaux bâtiments, la marine aura des difficultés à remplir son contrat opérationnel, ainsi qu'à assurer les postures et les capacités de mobilisation préconisées par le Livre blanc. Comment pourra-t-elle tenir le rôle fondamental qui lui est imparti dans notre défense si nous ne lui donnons pas des moyens d'action ?

Or ces moyens, il faut les financer – et c'est ma deuxième inquiétude. Vous avez lancé le programme FREMM – frégates européennes multimissions – sans en avoir stabilisé le financement. D'aucuns avaient proposé un financement innovant, qui comportait un appel à des capitaux privés, mais vous n'y avez pas souscrit, lui préférant un montage financier extrêmement fragile, qualifié fort justement de « baroque » par Bernard Cazeneuve, et qui est basé sur la règle des treize dix-neuvièmes. Or, si six dix-neuvièmes sont bien inscrits dans l'enveloppe du ministère de la défense, les treize autres n'ont pas été inscrits dans la loi de finances rectificative pour 2007, ni dans la loi de finances initiale pour 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Olivier-Coupeau

En clair, treize dix-neuvièmes du programme restent à financer.

Ma troisième interrogation concerne aussi les FREMM. En novembre dernier, vous nous avez fait part de vos espérances quant aux possibilités d'exportation de nos frégates, ce dont, nous aussi, nous nous sommes réjouis. Malheureusement, notre enthousiasme s'est trouvé tempéré par de mauvaises nouvelles. Ainsi, Intelligence Online a annoncé hier que nous allions devoir renoncer à notre espoir de vendre quatre corvettes Gowind à la Bulgarie, qui préfère, selon ce site, acheter des bâtiments d'occasion en Belgique. Les potentialités d'exportation sont trop aléatoires ; nous ne pouvons nous permettre de mettre en péril notre tissu industriel à cause de considérations politiques par trop optimistes.

Ce que nous risquons aujourd'hui, c'est non seulement de priver notre marine des bateaux qui lui sont indispensables, mais aussi de mettre en péril notre base industrielle et technologique et de voir se disperser les savoir-faire et les équipages qui nous seront un jour nécessaires. Quant à notre industrie navale, l'État, actionnaire principal, va-t-il, malgré la diminution des commandes, exiger de DCNS les mêmes résultats économiques, ou renégociera-t-il le contrat d'entreprise qui le lie au groupe ?

Monsieur le ministre, nous manquons de visibilité, et nous sommes dans le flou le plus complet concernant les arbitrages qui seront rendus sur les programmes « Marine » du Livre blanc. Combien de bâtiments seront commandés, et à quel rythme ? Quel sera l'impact sur les établissements et la sous-traitance ? Quelle organisation industrielle sera mise en oeuvre, et avec quelles alliances ? Un plan social sera-t-il nécessaire ? Les inquiétudes sont vives chez les personnels tant civils que militaires. C'est pourquoi je vous saurais gré de répondre le plus précisément possible à mes questions, qui sont – M. le président en conviendra – courtes et concrètes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Madame Olivier-Coupeau, je vous félicite : votre intervention était claire, nette et, surtout, dans les temps ! (Sourires.) Que chacun s'en inspire !

La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Grand

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le point le plus important, à mes yeux, de la nouvelle politique de défense de la France, est le retour dans le commandement intégré de l'OTAN, programmé simultanément avec la réforme du format de nos armées.

Rappelons que la France du général de Gaulle, particulièrement attachée à la souveraineté nationale, avait pris dès 1966 une certaine distance avec l'OTAN, sans pour autant renier les engagements du traité de Washington.

Depuis la création de l'OTAN, l'Europe et la planète ont connu de nombreux bouleversements, en particulier l'effondrement de l'URSS et la disparition du pacte de Varsovie. Cette évolution historique devrait nous amener à nous interroger sur le sens d'un maintien de l'Alliance dans sa forme actuelle, alors que les causes de sa création ont disparu.

Dans ce contexte nouveau, l'OTAN a évolué : les objectifs du traité de Washington ont été de facto abandonnés. On peut dire que l'Alliance atlantique a muté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Elle est devenue un objet volant non identifié !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Grand

L'outil militaire destiné à contrer une menace bien définie est devenu une organisation tendant à intervenir aux quatre coins de la planète pour rétablir la paix là où les États-Unis d'Amérique l'estiment menacée. L'OTAN constitue désormais le bras armé de nations qui entendent imposer au monde leur vision de la démocratie, des droits de l'homme et de l'organisation de la paix. Pas à pas, l'OTAN se substitue insidieusement à l'ONU, en particulier dans son rôle d'arbitre des grands équilibres géostratégiques.

À ce stade, nous devons, nous, représentants du peuple français, étudier en conscience une question qui, comme ce débat l'a montré, transcende nos engagements partisans. Nous devons nous interroger sur la pertinence de l'évolution de nos relations avec l'OTAN, jusque-là équilibrées, mais qui, demain, seront considérées dans la plupart des capitales comme un arrimage de la France à la politique des États-Unis.

Le maintien de notre indépendance fait partie de notre longue histoire. Il a permis à la France d'être une voix écoutée dans le concert des nations, une voix autonome, objective et sage, une voix libre. Les Français n'ont jamais eu à regretter que notre pays conserve son indépendance. À la lumière de ce qui se passe aujourd'hui en Irak, nous avons toutes les raisons d'être fiers de notre indépendance de décision, voulue par Jacques Chirac et si bien exprimée à l'ONU par Dominique de Villepin – Mme Alliot-Marie étant alors, je le rappelle, ministre de la défense.

Aujourd'hui, le Parlement français ne peut ignorer que, même si l'OTAN n'est pas strictement liée par les orientations et les choix politiques de la Maison blanche, dans bien des circonstances elle ne les contrarie pas. C'est le cas du projet d'implantation d'un bouclier antimissiles en Europe centrale, qui, imposé à l'Europe par les États-Unis, a été repris à son compte par l'OTAN, au risque de créer de nouvelles lignes de fracture en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Grand

Est-ce le moment d'organiser le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, alors que le président Bush et son administration, en fin de mandat, voient leur politique unanimement rejetée sur la scène internationale ?

Tandis que l'Europe doit progresser dans l'affirmation de ses propres capacités de défense avec une politique européenne de sécurité et de défense autonome et souveraine, la France pourra-t-elle modifier le processus décisionnel au sein de l'Alliance et instaurer un dialogue d'égal à égal entre l'Union européenne et les États-Unis ? C'est une défense authentiquement européenne qui permettra à l'Europe d'exister sur la scène diplomatique internationale comme entité politique comptable du destin de ses peuples.

Alors que le monde est devenu multipolaire, doit-on laisser les États-Unis décider unilatéralement, selon des principes trop souvent dictés par leurs propres intérêts et avec la volonté, inavouée mais tenace, de scinder le monde en deux blocs ?

Au moment où de nombreuses capitales essayent de remettre en cause la composition du Conseil de sécurité des Nations unies, la France pourra-t-elle toujours prétendre en être l'un des membres permanents, en particulier en tant que puissance nucléaire, si elle cesse d'être une voix libre et indépendante pour se fondre dans une organisation atlantiste ? C'est pourtant dans cette voix que de nombreux peuples se reconnaissent, en particulier à l'ONU : la voix de la France, c'est aussi celle de bien d'autres nations.

Les grands enjeux mondiaux ne se situant plus, comme par le passé, uniquement sur le sol américain, mais aussi en Chine, en Russie, en Inde, au Brésil, sur le continent africain, sans oublier les pays du Golfe, on peut légitimement s'interroger sur la pertinence de notre nouvelle politique de défense et, par conséquent, de notre nouvelle politique étrangère. Mes chers collègues, ne pensez-vous pas que la France se trompe d'époque en décidant un retour plein et entier dans l'OTAN ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à Mme Patricia Adam, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

M. le ministre de la défense vient de quitter l'Assemblée nationale, de toute évidence définitivement, puisqu'il est parti en voiture. Alors que nous traitons d'un sujet qui engage la France pour de nombreuses années et que le travail de la commission du Livre blanc et les engagements pris par le Président de la République vont déboucher sur des décisions cruciales pour notre pays, c'est faire preuve, à l'égard du Parlement, d'un comportement d'une désinvolture absolument inadmissible. Je dois dire que nous n'y sommes pas habitués : je suis depuis maintenant plus de cinq ans membre de la commission de la défense, certains collègues y siègent depuis bien plus longtemps, et les ministres précédents prêtaient en général attention à notre travail – notamment Mme Alliot-Marie, qui est encore présente.

Le fait que le ministre de la défense parte sans nous donner la moindre explication est à peine croyable. Ce comportement, malheureusement à l'image de ce que nous avons vécu pendant des mois lors de l'élaboration du Livre blanc, est tout à fait inadmissible. C'est pourquoi, en signe de protestation, nous quittons l'hémicycle. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche quittent l'hémicycle.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.

Debut de section - PermalienJean-Marie Bockel, secrétaire d'état à la défense et aux anciens combattants

Je veux simplement préciser que M. le ministre de la défense a toujours été très attentif aux travaux de la commission, comme je l'ai constaté moi-même. Je confirme à Mme Adam qu'il ne s'est absenté que pour une courte période et qu'il a bien l'intention de revenir parmi nous afin de répondre, avec Mme Alliot-Marie et moi-même, à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Adam

Évidemment, maintenant qu'on lui a demandé de revenir !

Debut de section - PermalienJean-Marie Bockel, secrétaire d'état à la défense et aux anciens combattants

Pas du tout : il a dit en quittant l'hémicycle qu'il allait revenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Nous avons entendu, madame Adam, votre protestation et allons maintenant reprendre le cours du débat.

La parole est à M. Gilbert Le Bris.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Le Bris

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, le choix du Président de la République et des auteurs du Livre blanc – je cite en premier celui qui porte la plus grande responsabilité – de ne pas prendre de décision au sujet du deuxième porte-avions est un gâchis, un déni de démocratie et une ineptie.

Un gâchis d'abord, parce que reporter la décision aux environs de 2012 – ce qui ne saurait être une simple coïncidence en termes d'échéances électorales –, c'est à coup sûr rendre inutiles les quelque 200 millions d'euros déjà dépensés pour ce projet, dont plus de la moitié pour aider au dessin des porte-avions anglais. On peut d'ailleurs mettre cette somme en parallèle avec les 250 millions d'euros annoncés par le secrétaire d'État à l'aménagement du territoire pour la restructuration des territoires touchés par la fermeture des sites militaires. Nous avons donc, d'un côté, 200 millions d'euros dépensés en vain, de l'autre, 250 millions d'euros seulement pour agir sur des territoires traumatisés. Il y a de quoi tirer son chapeau devant de tels choix financiers !

L'absence de décision a également pour conséquence de rendre vains les efforts d'une équipe de 80 spécialistes travaillant à temps plein sur ce dossier depuis 2005 et d'occasionner la perte des 1 500 emplois créés pour la durée de construction. Elle constitue, enfin, un reniement de la loi de programmation 2003-2008 qui entérinait cet investissement. Votre honnêteté intellectuelle doit en souffrir, madame Alliot-Marie, vous qui, en tant que ministre de la défense, avez à l'époque affirmé inscrire 700 millions d'euros pour ce programme dans la loi de finances 2007 afin de le rendre irréversible.

On prend nos compatriotes pour des dupes et les militaires pour des naïfs, avec un report qui s'apparente à des soins palliatifs appliqués à un projet que la droite balade de report en report depuis 2002, faute d'oser avouer le renoncement qu'il faut pourtant désormais constater !

L'absence de décision constitue également un déni de démocratie. Comment les élus de l'UMP ont-ils pu entériner ce choix d'un deuxième porte-avions en période électorale, pour le couler maintenant d'une honteuse manière dans le gouffre des économies budgétaires à effectuer, dont ils avaient connaissance dès le départ ? Le 7 février 2007, le candidat Sarkozy se déclarait favorable à « cette évidence opérationnelle et politique » qu'est le deuxième porte-avions. Le 24 juin 2007, M. Morin, ministre de la défense, affirmait : « si l'on est cohérent, il faut un second porte-avions. C'est la volonté du Président de la République, c'est acté ». L'ex-Président de la République, Jacques Chirac, avait coutume de dire que, comme les gendarmes, les porte-avions vont forcément par deux. Enfin, le président de la commission de la défense de notre assemblée expliquait qu'avoir un seul porte-avions revenait à n'en avoir qu'un demi. Tous savent qu'en trahissant leur promesse, ils commettent un reniement et une tromperie démocratique.

Ce reniement est en outre une ineptie, dans la mesure où le processus de « maritimisation » de notre planète s'accroît. Les océans représentent toujours 71 % de la surface du globe et nous continuons à exercer notre souveraineté sur 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt fois plus que notre superficie terrestre. De plus, 80 % du commerce mondial en termes de volume transporté, et les deux tiers en valeur, passent déjà par voie maritime. Ainsi s'accroît régulièrement la composante maritime des menaces pesant sur nos nations, et les crises de ces dernières années ont prouvé la pertinence d'une projection de puissance et de force.

Il convient donc de réaliser un deuxième porte-avions, afin de pouvoir en disposer sur 100 % du temps et non plus sur 60 % seulement, comme c'est le cas actuellement. Il n'est plus acceptable de ne disposer qu'à temps partiel – mais pour un coût d'au moins 15 milliards d'euros, en comptant les aéronefs – d'une capacité de projection de puissance, de mise en oeuvre de la composante nucléaire embarquée, de gestion des crises dans la dimension préventive, diplomatique ou humanitaire, et de participation à de potentielles coalitions.

Certes, il y a la question du coût. La commission du Livre blanc a bien dit qu'elle ne doutait pas de l'utilité du deuxième porte-avions, mais que le contexte actuel de rareté budgétaire ne permettait pas sa réalisation. Pourtant, un investissement de l'ordre de trois milliards d'euros répartis sur dix ans, ce qui représente des annuités de 300 millions d'euros, ne paraît pas excéder les moyens budgétaires de la France. D'autant que ce coût doit pouvoir être optimisé en réexaminant l'option d'un deuxième porte-avions à la lumière des nouvelles données que constituent le renchérissement du pétrole, le choix volontariste mais autonome des Anglais, l'excellence de la technologie française dans le domaine de la propulsion. Il n'y aurait que des avantages à se placer dans l'hypothèse d'un second Charles-de-Gaulle actualisé, évolutif, contemporain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Le Bris

Pour cela, pourquoi ne pas recourir à un financement inédit ? Financer un porte-avions dont le coût ne représente que la moitié des pertes de la Société Générale dans l'affaire Kerviel ne nécessiterait que la vente de 15 % du capital de Renault détenu par l'État, ou la moitié des titres Aéroports de Paris qu'il détient encore. Même la mise sur le marché d'une modeste partie des titres d'Areva suffirait : le nucléaire finançant le nucléaire, voilà qui ne manquerait pas de cohérence !

Peu importe, en fait, le choix retenu. Ce qui est certain, c'est que la vente d'une partie du capital de certaines entreprises pour financer cette entreprise essentielle que constituerait la construction du second porte-avions serait juste, efficace et opportune.

Debut de section - PermalienPhoto de Marguerite Lamour

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite m'exprimer d'une manière apaisée et, afin d'éviter les redites, en axant mon propos sur la marine.

Députée de Brest, ville historiquement dédiée à la défense nationale depuis Colbert, et rapporteure de la mission « Préparation et emploi des forces marines », j'ai bien noté que la ville de Brest était l'une des onze bases opérationnelles qui ont été choisies. Je ne méconnais pas pour autant l'ensemble des problématiques générées par l'écriture du Livre blanc de la défense. Il est certain que ce nouveau document ne ressemble aucunement au précédent, qui datait de 1994. Il en diffère dans sa rédaction, mais aussi et surtout en raison d'une évolution sans précédent des enjeux stratégiques dans un contexte international où sécurité et défense se trouvent indéniablement liées, la première des préoccupations étant de faire face aux multiples menaces.

J'évoquerai successivement trois points : les programmes d'équipement, les personnels militaires et civils, les industries de défense.

En ce qui concerne les programmes d'équipement, je regrette le report de la construction du second porte-avions – pour ne pas dire du défunt porte-avions –, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, même si une décision immédiate n'aurait pas permis de le rendre opérationnel lors de la prochaine IPER du Charles-de-Gaulle. La question de la permanence à la mer du groupe aéronaval se serait posée de toute façon.

Debut de section - PermalienPhoto de Marguerite Lamour

Cela dit, je souhaiterais que les crédits prévus pour la construction du second porte-avions et non consommés, soit plus de trois milliards d'euros, puissent être affectés en priorité, comme les marins le demandent, à la restauration des nombreux bâtiments de la marine qui nécessitent actuellement de lourds travaux d'entretien. Il convient toutefois de ne pas avoir une mémoire sélective ; c'est pourquoi je soulignerai que le taux de disponibilité opérationnelle des matériels a augmenté de façon substantielle depuis 2002, grâce aux efforts budgétaires consentis durant la loi de programmation militaire 2003-2008. Comme le suggérait M. le ministre de la défense, j'ai interrogé les personnels de la préfecture maritime de Brest, qui m'ont confirmé les améliorations des crédits dédiés à la défense nationale. Sur ce point, je ne partage donc pas le point de vue de ma collègue Patricia Adam, également députée de Brest.

Debut de section - PermalienPhoto de Marguerite Lamour

En ce qui concerne les frégates multimissions, le choix d'en rester pour le moment à la commande initiale et de cadencer la commande complémentaire résulte, j'en suis consciente, de contraintes budgétaires incontournables. Toutefois, là encore, c'est le format de nos armées qui est en jeu. La force de dissuasion constitue « l'assurance-vie de la nation », selon le Président de la République. En ce domaine, l'objectif est strictement stratégique, afin de répondre à la diversité des nouvelles menaces. La composante navale devrait s'en trouver renforcée.

Les personnels, qui constituent la principale richesse des armées, sont des hommes et des femmes très attachés à leur outil de travail et passionnés par leur métier. C'est à juste titre qu'ils s'interrogent, de même que les personnels civils concernés, sur les conséquences des préconisations du Livre blanc. Les efforts réalisés ces dernières années à l'égard des personnels doivent être impérativement poursuivis, afin de les fidéliser et de les impliquer au mieux dans leur mission. La diminution des effectifs devra se faire, pour tous les personnels militaires et civils, avec méthode et humanisme. Il est envisagé d'externaliser certaines compétences : je pense notamment au service de restauration, ainsi qu'aux maîtres-tailleurs de la marine. Leurs ateliers, basés à Brest et Toulon, sont des structures privées, mais présentant la particularité d'être tenues à une exclusivité de contrat avec la marine. Il serait judicieux de gérer chacune des situations concernées au moyen d'un traitement adapté.

En ce qui concerne les industries de défense, la modification des programmes et la réduction des contrats auront des conséquences sur le plan de charge des industries, notamment DCNS – je pense au bassin d'emplois de Brest, mais le même principe pourrait s'appliquer à d'autres sites. Les salariés sont inquiets : l'entreprise, privatisée en juin 2003, a connu des mutations importantes et les personnels, dans leur quasi-totalité, ont accompli de réels efforts d'adaptation aux contraintes résultant de leur nouveau statut.

Debut de section - PermalienPhoto de Marguerite Lamour

Tel est, exprimé rapidement, mon point de vue. Indépendamment de ce qui a pu être dit ici ou là, je salue cette réforme qui me paraît indispensable : il eût été facile de ne rien faire, condamnant du même coup nos armées au pire et conduisant à un affaiblissement de la place de la France en Europe et dans le monde. Les futures lois de programmation militaire devraient nous permettre, je le souhaite, d'accompagner au mieux ces réformes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienMichèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, qu'il s'agisse de la menace terroriste, des trafics d'armes, de stupéfiants, ou d'êtres humains, ou encore des risques naturels, toutes ces menaces ignorent les frontières, et je pense que chacun s'accorde ici sur ce point.

C'est notre responsabilité politique et collective d'assumer les conséquences de cette situation, au-delà des approches traditionnelles et de la fragmentation des institutions qui les caractérisent. Les travaux du Livre blanc confortent, à juste titre, le rôle du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, dans son action de protection de nos concitoyens contre l'ensemble de ces menaces.

Le poids que celles-ci font peser sur la nation oblige ce ministère à conforter l'ensemble de ses moyens d'action tout en se projetant dans l'avenir, puisqu'il devient de fait, avec le ministère de la défense, l'une des composantes de la protection de nos concitoyens. Le Livre blanc reconnaît au ministère de l'intérieur un rôle essentiel dans la politique de sécurité nationale et de protection de nos concitoyens. Et, je l'affirme, il dispose des moyens et de l'expérience nécessaires à la préparation, à la planification et à la gestion des crises.

Même si nous avons peu parlé au cours de ces débats du ministère de l'intérieur, il faut savoir qu'il est celui qui, au plus près de chacun, assume une mission de protection, ce qu'il ne peut faire qu'en prenant lui aussi en compte la dimension extérieure des menaces qui se manifestent sur notre territoire.

Il dispose pour cela de toute une série de moyens lui permettant de suivre l'évolution des menaces internationales. C'est d'abord le réseau des attachés de sécurité intérieure, mais ce sont aussi des organismes comme le Club de Berne, qui permet aux services de renseignements de plusieurs pays – européens notamment – de se rencontrer très régulièrement, le Service de coopération technique international de la police, qui joue un grand rôle dans la lutte contre les trafics, ou encore la délégation aux affaires internationales et européennes du ministère, dont j'entends d'ailleurs conforter et développer le rôle et les missions.

Au plan national également, nous disposons des moyens de faire face à ces menaces. Nous nous appuyons d'abord sur l'organisation territoriale de l'État qui, sous l'autorité des préfets, confirme la vocation interministérielle du ministère. Comptent également les partenariats que nous établissons avec les collectivités territoriales, partenariats d'autant plus importants que les collectivités sont de plus en plus impliquées dans la gestion de crise, notamment en cas de catastrophe naturelle ou de catastrophe industrielle.

Au plan institutionnel enfin, l'outre-mer est rattaché au ministère de l'intérieur depuis mai 2007, ce qui signifie que notre action s'étend sur l'ensemble du territoire national.

La nécessité de développer les moyens d'action du ministère face à l'ensemble des menaces, des défis et des crises potentielles m'a conduite, depuis mon entrée en fonctions, à prendre un certain nombre de dispositions qui s'inscrivent parfaitement dans la logique de l'actuel Livre blanc. Lorsque ce dernier préconise une rationalisation, une meilleure utilisation et une coordination des moyens, nous oeuvrons en rattachant la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, ce qui – je le précise pour répondre à MM. Folliot et Vittel – se fait en conservant à la gendarmerie son statut militaire, auquel chacun sait ici combien je suis attachée. Conserver deux forces de sécurité à statut différent s'inscrit comme une exigence démocratique dans la tradition républicaine. Nous aurons d'ailleurs dans la loi sur la gendarmerie nationale qui vous sera soumise à l'automne prochain l'occasion de réaffirmer ce statut militaire. Quoi qu'il en soit, ce rattachement va nous permettre de mutualiser les savoir-faire et les moyens pour une efficacité renforcée.

Le Livre blanc insiste également, face à l'ensemble des risques et des crises, sur la nécessité d'assurer l'anticipation et la prévention. À mon arrivée au ministère de l'intérieur et après mon expérience comme ministre de la défense, l'anticipation m'est apparue en effet comme une nécessité absolue et sans doute insuffisamment prise en compte, probablement parce que les questions liées à la gestion des problèmes de sécurité sont longtemps restées les mêmes. Aujourd'hui cependant, l'extension des sources de menaces et l'évolution de la délinquance nous obligent à ne plus avancer « le nez sur le guidon » mais avec un visibilité à dix ou quinze ans. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé en octobre dernier la création de la délégation à la prospective et à la stratégie, effective depuis le mois de janvier.

La prévention doit également nous permettre de ne pas être pris au dépourvu par une crise, quelle qu'elle soit. La réorganisation des services de renseignement répond à cette exigence et a toute sa place dans cette réforme. Grâce au rapprochement de la DST et des RG, elle va nous permettre d'optimiser l'information sur l'ensemble des risques et, là encore, de nous doter d'une capacité de réaction immédiate, voire d'anticipation, puisque, en matière de contre-terrorisme ou de contre-espionnage, il est essentiel d'agir en amont des événements.

La prévention passe également par le renforcement des moyens dans plusieurs domaines. Nous aurons l'occasion d'en reparler à l'occasion de la LOPPSI, qui vous sera soumise à l'automne prochain, mais je souhaite avant tout renforcer les moyens humains et technologiques ainsi que les moyens voués à faire face aux risques NRBC, puisqu'ils sont l'un des dangers les plus palpables et les plus probables auxquels nous sommes confrontés.

La prévention passe enfin nécessairement par une meilleure coopération internationale, notamment avec les pays susceptibles, du fait de leur position géographique, d'être à l'origine d'un certain nombre de menaces. Un accord de sécurité a été signé avec l'Arabie saoudite, puis, plus récemment, avec l'Algérie, ce qui n'est qu'un début.

Nous avons par ailleurs mis sur pied à Lisbonne un système de détection et d'actions visant à prévenir toutes les formes de trafic – notamment le trafic de drogue – transitant par l'Atlantique. À l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, je proposerai la mise en place d'un système similaire en Méditerranée, pour nous préserver des risques en provenance des zones sensibles du sud et de l'est.

À l'internationalisation des menaces s'ajoute enfin leur évolution technologique, qui nous oblige à agir en direction d'internet. J'ai donc également l'intention de proposer à nos partenaires de mener une action plus déterminée contre la cybercriminalité, notamment en matière de terrorisme.

Si le ministère répond ainsi aux préconisations du Livre blanc en matière d'anticipation et de prévention, il le fait également en ce qui concerne la gestion des crises, lorsque celles-ci ne peuvent être empêchées. Là où le Livre blanc met l'accent sur la planification de la gestion de crise, le ministère s'est doté d'une direction de la planification de la sécurité nationale, pour laquelle j'ai signé le décret il y a quelques jours. Elle sera jumelée avec le haut fonctionnaire chargé de la défense sous l'autorité du Secrétariat général. Outre la planification proprement dite de la gestion de crise, cette nouvelle direction assurera le pilotage des préfets des zones de défense et permettra d'améliorer la coopération civile et militaire.

Le rôle du ministère de l'intérieur dans la gestion de crise sera enfin conforté par la création dans ses locaux d'une salle « Cobra », vouée à accueillir tous les responsables de la gestion de crise, ainsi que, le cas échéant, les plus hautes autorités de l'État.

Voilà pour ce qui concerne les mesures que je suis d'ores et déjà en train de mettre en place au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Je voudrais pour conclure mon propos évoquer deux questions complémentaires. La première concerne l'intelligence économique. Je regrette qu'elle ait été aussi peu évoquée lors de cette discussion, car elle constitue une véritable menace pour notre pays, et il est essentiel pour notre défense nationale mais aussi pour la défense de nos entreprises, de notre emploi et de notre recherche que nous puissions protéger l'information stratégique contre les ingérences de toute nature.

Le deuxième point que je souhaite évoquer, malgré l'absence de M. Lurel, c'est le redéploiement des forces de souveraineté basées outre-mer. Il s'effectuera de manière cohérente, sans qu'il soit question de laisser nos compatriotes d'outre-mer sans protection contre les risques, notamment les risques naturels.

Nous allons pour cela procéder avec le ministère de la défense à une manière de « tuilage » qui permette à la gendarmerie nationale et à la protection civile d'assurer cette protection en permanence. Selon des conditions et un calendrier déterminés, elles agiront en renfort des militaires qui resteront sur place. Enfin, une convention garantira également le maintien de la responsabilité des armées en cas de crise grave.

Quels que soient les moyens – et il est normal qu'ils évoluent non seulement quantitativement mais également qualitativement –, ce que privilégie la réforme, c'est l'exigence opérationnelle. L'essentiel est de remplir notre mission, notre devoir, et d'assumer nos responsabilités politiques, c'est-à-dire d'assurer en tout temps, en tout lieu et quelles que soient les circonstances, la protection des Françaises et des Français, la protection de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je vous remercie et vous prie de bien vouloir m'excuser, car je dois me retirer pour assister à la réunion sur le terrorisme que je préside tous les jeudis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, beaucoup vient déjà d'être dit sur ce Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qu'il s'agisse de la méthode ou du fond.

Personne n'a contesté la nécessité d'une remise en perspective de notre politique de défense et de sécurité, à partir d'une analyse actualisée du contexte stratégique, pour définir, en fonction des différents types de menaces auxquelles nous pourrions être confrontés, une nouvelle posture globale de défense et de sécurité, nationale et européenne, afin d'être en mesure d'opérer les choix de doctrine qui en découlent pour chacune des fonctions stratégiques.

Mais nos débats ont aussi montré que cette réflexion aurait gagné à associer plus largement en amont la représentation nationale, l'argument selon lequel elle ne l'aurait pas été par le passé dans des démarches de ce type ne pouvant constituer une excuse au fait qu'elle l'ait été aussi parcimonieusement pour cet exercice.

D'autant que ce travail de remise en perspective de notre politique de défense et de sécurité se croise avec la revue générale des politiques publiques, dont nous aurons finalement très peu débattu, et avec une revue de programmes dont nous n'avons pas même eu à connaître ici.

Sans parler de la remise en perspective de notre politique étrangère, de notre positionnement dans la construction européenne – et notamment de l'Europe de la défense – ou du retour annoncé de la France dans la structure intégrée de l'OTAN, dont les incidences sur les choix qui nous occupent sont majeures et engagent notre pays à long terme.

Mais en cet instant, et compte tenu du temps qui m'est compté, j'évoquerai seulement trois points qui me tiennent à coeur et sur lesquels j'ai eu à travailler, au sein de la commission de la défense nationale et des forces armées, dans cette assemblée, ou dans le département de Charente, dont je suis l'élu.

Celui des équipements neufs, tout d'abord. La priorité donnée au renseignement et à l'anticipation, qui devrait engager des efforts financiers significatifs – je pense en particulier aux systèmes de drones –, comme la nécessité de renouveler des équipements majeurs pour nos forces, pour une meilleure protection de nos militaires mais aussi pour le transport aérien stratégique et l'aéromobilité, qui souffrent d'un important déficit capacitaire, nous placent face à des choix difficiles.

Eu égard aux contraintes budgétaires qui sont les nôtres et à la nécessité absolue d'optimiser en permanence la ressource disponible, il nous faut tout à la fois assumer une revue de programmes sans complaisance et étudier toutes les solutions susceptibles de dégager les marges de manoeuvre indispensables pour atteindre les objectifs définis dans les délais fixés.

C'est ainsi que, s'agissant de l'information et de la communication, par exemple, nous pourrions examiner la possibilité d'acquérir des capacités sur des satellites de communication civils, et pourquoi pas dans le cadre d'un pool de télécommunications européen. De même, en ce qui concerne le transport aérien stratégique, nous pourrions examiner la possibilité de conclure des contrats de services avec des avionneurs civils, qui peuvent offrir les garanties attendues en termes de droit d'usage, par un dispositif adapté de préemption, comme de pilotage, avec des équipages militaires, en opérations.

Et ce que je viens de dire pour l'air et l'espace, ou la terre, vaut également pour la marine, à la condition que nous soyons à même d'avoir un dialogue compétitif entre la défense – direction générale de l'armement, état-major des armées –, le budget et les industriels, ou les sociétés de services.

Ce dialogue, et ce sera mon deuxième point, vaut aussi pour le maintien en condition opérationnelle, MCO, l'externalisation, qui n'est pas et ne sera jamais la panacée, restant un outil dont nous pouvons faire le meilleur usage, comme c'est aujourd'hui le cas sur la base aérienne 709 de Cognac-Châteaubernard pour l'entretien des Epsilon, mais également la location de Grob 120, d'entraîneurs et de simulateurs, ce qui a permis à cette base de se renforcer comme pôle de formation – son coeur de métier – et en même temps de développer un pôle de maintenance aéronautique.

Là encore, nous pouvons aller plus loin, comme l'ont fait nos amis allemands pour leurs flottes aériennes, en recherchant les possibilités de mise en commun de moyens militaires et civils sur une externalisation du MCO, ce qui permettrait de garantir le maintien des compétences et des savoir-faire au sein même de nos forces, indispensable à la continuité du service en projection. De même, dans ce créneau du MCO, nous devons progresser avec le réseau des PME-PMI de défense, susceptibles d'apporter en direct, et plus seulement comme sous ou co-traitants des majors, une qualité de prestations, y compris pour des systèmes complexes, à des conditions économiques plus favorables, tout en participant à l'aménagement et au développement de nos territoires où elles sont créatrices de richesses et d'emplois. Parce qu'il s'agit là de moyens susceptibles de permettre à l'État de lisser les bosses budgétaires, et aux industriels d'éviter les à-coups des grands programmes.

Enfin, et ce sera mon troisième point, je suis inquiet quant au maintien de notre base industrielle et technologique de défense, nationale et européenne, pour laquelle il nous faut consentir les efforts nécessaires en termes de recherche, de capacités d'ingénierie, mais également de production, ce qui nécessite d'agir de façon résolue contre les doublonnages pour préserver nos pôles d'excellence, d'oeuvrer aux rapprochements nécessaires, tant nationaux qu'européens ; je pense en particulier au secteur munitionnaire.

Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques réflexions que je souhaitais apporter au débat, en cet instant, au sujet de ce Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui va devoir trouver sa première concrétisation dans la loi de programmation militaire dont nous débattrons à l'automne. Mais encore faut-il que le Gouvernement accepte de reconnaître le rôle du Parlement, en l'associant pleinement aux choix qui devront être faits, au suivi de leur mise en oeuvre et à leur évaluation. Une occasion à ne pas manquer, tant il est vrai que la réforme qui s'engage, j'ai eu l'occasion de le dire à cette tribune le 17 avril dernier, ne doit pas être subie par la communauté de défense – personnels militaires et civils –, pas plus que par les industriels ou les collectivités territoriales concernés. La réforme ne doit pas davantage être consentie, mais doit être bien partagée, y compris par chacun de nos concitoyens, ce qui passe par sa légitimation au sein même de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, les questions de défense sont d'abord des questions de politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

C'est pourquoi je me réjouis de la tenue aujourd'hui, dans notre hémicycle, d'un débat autour du nouveau Livre blanc.

Je ne reviendrai pas sur les analyses du contexte stratégique qui figurent dans ce document : je les partage pour l'essentiel, notamment en ce qui concerne le risque terroriste et la prolifération des armes de destruction massive. Je voudrais seulement poser trois questions qui engagent notre sécurité collective, mais aussi l'identité de la France.

Première question : la réforme des armées est-elle nécessaire pour garantir leur efficacité et renforcer leur capacité d'intervention dans le monde ? La réponse est évidemment oui. Les opérations que nous avons conduites en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, au Tchad ou au Kosovo ont toutes montré de graves lacunes dans notre équipement militaire. Il est urgent d'y remédier. Seule une restructuration en profondeur de notre outil de défense nous permettra de nous doter des moyens de transport, de communication et d'observation nécessaires. Le choix est simple : soit nous engageons rapidement la modernisation et la rationalisation des armées, soit nous renonçons à intervenir sur des théâtres d'opérations extérieurs, et donc à défendre nos intérêts et nos valeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

Je vois bien les interrogations, notamment sur l'importance excessive qui serait désormais accordée aux renseignements. Mais si nous n'avions pas disposé de services de renseignement performants en 2003, nous n'aurions pas pu procéder à une analyse indépendante de la menace irakienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

Nous aurions été liés par les mensonges de l'administration américaine. Nous aurions pris des décisions à l'aveugle dans les domaines les plus graves. Avant de livrer une guerre, il faut en mesurer les enjeux et les risques. Avant de combattre, il faut savoir.

Deuxième question : la France a-t-elle encore un avenir militaire ? La question est brutale. Pourtant, elle a du sens au regard des contraintes budgétaires de plus en plus pressantes et des choix qui sont faits par nos partenaires européens. Certains, en Europe, semblent croire que la paix est désormais un acquis, que les menaces sont lointaines ou que la sécurité pourra toujours être garantie par d'autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

Nous ne pouvons pas entrer dans cette logique, qui serait contraire à nos intérêts de sécurité et à notre identité nationale. Je voudrais donc dire avec la plus grande force que dans le monde actuel, privé d'autorité, dépourvu de centre, notre devoir de responsables politiques est de garantir l'avenir militaire de la France. Hier, nos armées ont fait honneur à notre pays. Elles continueront à le faire demain. Il ne s'agit pas de livrer des combats inutiles dans des territoires éloignés, il s'agit d'assurer la sécurité de nos ressortissants, en France comme à l'étranger. Il s'agit de répondre aux attentes de nos amis et de nos alliés. Il s'agit enfin de donner à notre parole politique le poids de la crédibilité militaire. Le discours de Nicolas Sarkozy devant la Knesset lundi dernier a été un moment important pour la France et pour le processus de paix au Proche-Orient, comme l'avait été le discours de François Mitterrand vingt-cinq ans plus tôt. Croyez-vous que nous serions écoutés avec autant d'attention si nos forces n'étaient pas présentes au Liban ? Si nous ne pesions pas sur le dénouement de la crise nucléaire iranienne ? Si nous n'étions pas l'un des cinq États doté de l'arme nucléaire dans le monde ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

La France n'est sans doute plus une grande puissance, mais elle n'est toujours pas une puissance ordinaire et elle ne le sera jamais.

Pourtant, notre avenir militaire n'est pas garanti. C'est ma troisième question : où se trouve l'avenir militaire de la France ? Ma réponse sera simple : en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Le Maire

La première grande réforme des armées aura été la professionnalisation, lancée par Jacques Chirac en 1995, et réussie. La deuxième est la restructuration des armées, voulue par Nicolas Sarkozy. La troisième doit être la mise en place d'une défense européenne crédible, à un horizon de dix ans. Les trois sont complémentaires. Je dirais même qu'il serait dangereux pour notre sécurité et pour notre indépendance d'avoir lancé les deux premières sans réussir la troisième. Le débat grandit autour du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN. Mais nous sommes déjà parmi les membres les plus actifs de l'Alliance. Nous sommes déjà des alliés irréprochables. Alors, avant toute réintégration dans l'OTAN, sortons au préalable la défense européenne de l'ornière où elle se trouve aujourd'hui. C'est un des objectifs majeurs de la présidence française, et je m'en réjouis. Pour cela, nous avons besoin de gestes concrets : la mise à jour de notre stratégie commune, la création d'un marché commun de l'armement et la mise en place d'un commandement stratégique permanent sont une priorité. Au-delà, nous devons réfléchir à la mise en commun de certaines capacités, dans le domaine aéronautique notamment. Et ne pas hésiter à accomplir des avancées à la fois utiles et symboliques : pourquoi ne pas réfléchir, par exemple, à la création d'un service de renseignement commun franco-allemand ?

Monsieur le président, chers collègues, au moment où les dépenses militaires ne cessent d'augmenter dans le monde, au moment où les menaces se font plus incertaines mais tout aussi présentes, nous avons une responsabilité immense : convaincre nos partenaires européens de la nécessité d'avancer vers une Europe de la défense, qui est la condition d'une Europe politique. Nous le ferons d'autant mieux que nous aurons accompli chez nous les efforts d'adaptation nécessaires. Notre crédibilité est à ce prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Beaudouin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, approuvant globalement le projet présenté par le Livre blanc, le rapporteur de la mission « Liens entre la nation et son armée » que je suis pour le compte de la commission de la défense ciblera son propos sur ce qu'il considère comme un élément incontournable de son dispositif : l'esprit de défense.

La réforme de la défense ne s'appliquera que si elle repose sur un esprit de défense de notre population, qui lui apporte l'adhésion de la nation et la certitude de son efficacité. Le Livre blanc souligne d'ailleurs que la résilience « concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière ».

L'esprit de défense, dans sa nouvelle conception, implique que l'on mette en place une pédagogie, une morale et des obligations.

Face aux menaces diffuses qui ont été définies, l'esprit de défense doit être inculqué à l'ensemble des citoyens et maintenu en permanence dans l'ensemble de la nation. Il est pour cela indispensable de redéfinir la notion de groupe uni, donc la notion de patrie ou de nation. Il s'agit en fait d'ajouter aux réformes strictement militaires un contrat de société pour défendre le bien commun, c'est-à-dire une véritable charte de l'engagement du citoyen au service de la communauté. C'est ainsi, et seulement ainsi, que le peuple se réappropriera sa défense et les moyens qu'il doit y consacrer.

La mise en place de ce contrat passe par un véritable programme de cohésion et de formation des acteurs et des politiques. Ce programme pourrait s'articuler autour des cinq nécessités suivantes.

Première nécessité : un effort initial de pédagogie. L'éducation nationale a d'abord son rôle à jouer. L'implication dans la vie de la cité des citoyens de demain suppose en effet qu'ils bénéficient, dès l'école primaire, d'enseignements adaptés qui mettent en valeur l'héritage historique et les valeurs républicaines. Les enseignements de défense actuellement proposés, notamment en classe de troisième et de première, sont trop souvent minorés et ne traitent que de manière descriptive les questions de défense. Leur articulation avec la journée d'appel et de préparation à la défense – la JAPD – reste artificielle.

Aboutissement de l'actuel parcours citoyen, l'appel de préparation à la défense a montré ses limites. La multiplication des activités proposées, accumulées sur une période très courte, rend la JAPD insuffisamment structurante. Aujourd'hui, elle n'apparaît aux jeunes concernés que comme une parenthèse, une obligation administrative à laquelle ils se soumettent sans enthousiasme. Un allongement de la préparation à la défense pourrait donc être envisagé. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle serait réellement formatrice, rappelant l'existence de devoirs et la nécessité de règles, mais aussi la valeur de l'engagement et l'appartenance à la communauté nationale.

Deuxième nécessité : transmettre une mémoire et un patrimoine. La mobilisation des jeunes – et de l'ensemble des générations – ne peut se faire que si une mémoire collective et individuelle leur est transmise de manière raisonnée et analysée. Les politiques de mémoire restent aujourd'hui trop disséminées et dirigées vers un public trop réduit, manquant de cohérence d'ensemble. Il importe surtout de mettre l'accent sur la transmission, et non sur la seule commémoration.

La construction d'un esprit de défense ne sera de même possible que si les actes constitutifs communs sont mis en évidence grâce à l'histoire. Il en est de même pour un esprit européen de défense, indispensable à une meilleure adhésion et à la mise en place d'une véritable politique européenne de sécurité et de défense. Mieux se connaître et mieux connaître son histoire est nécessaire pour préparer l'avenir, aussi bien national qu'européen.

Troisième nécessité : renforcer le lien entre la nation et son armée et mieux faire connaître les enjeux de la défense. Les armées contribuent à entretenir un esprit de défense adapté aux enjeux du monde contemporain. L'image de l'armée dans l'opinion est excellente : un sondage faisait état de 87 % d'opinions favorables ou très favorables. Pourtant, à bien des égards, l'armée demeure perçue comme un corps à part, dont les missions sont mal connues. Le paradoxe est que les Français font confiance à notre armée sans s'en préoccuper réellement.

C'est évidemment à l'armée qu'il revient d'abord de mener une action de valorisation et de communication. Diffusion de journaux gratuits, Internet, colloques, peuvent être mis à contribution pour mieux faire connaître ses missions – maintien de la paix, lutte contre le terrorisme, interventions humanitaires – et le cadre géostratégique dans lequel elles s'inscrivent. Les rencontres avec les populations constituent aussi un vecteur privilégié. À cet égard, la réorganisation annoncée du ministère de la défense doit absolument maintenir une forme de proximité, même minimale, avec les différentes populations, ne serait-ce que pour assurer des conditions optimales de recrutement.

Mais travailler aux grands enjeux de sécurité et de défense doit aussi devenir l'une des missions du Parlement. Cela passe par l'organisation de débats réguliers sur la défense, à l'image de celui de cet après-midi. Le projet de loi constitutionnelle prévoit l'information systématique et immédiate du Parlement sur un envoi de troupes à l'étranger, et impose une autorisation parlementaire pour prolonger cet envoi au-delà de six mois. Ce pourrait être l'occasion de mieux associer la nation aux actions de l'armée. Pour que cette réforme prenne toute son efficacité, encore faut-il que les débats ne se traduisent pas par des querelles politiciennes, mais par des discussions éclairantes entre parlementaires plus présents et peut-être mieux formés aux questions de défense et de sécurité, par exemple par l'IHEDN ou l'INHES.

Enfin, la relation avec les médias doit faire l'objet d'une attention toute particulière, compte tenu de leur place dans la société. À cet égard, l'effort porté sur les journalistes accrédités défense doit être poursuivi et élargi aux différents décideurs dans le domaine de la presse, des médias audiovisuels et des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Quatrième nécessité : valoriser le don de soi à la société. En temps de crise, la cohésion de la nation est absolument essentielle. Que l'on songe à l'Union sacrée d'août 1914, qui fit si cruellement défaut lors de la défaite de juin 1940.

« Une nation est une grande solidarité » écrivait Ernest Renan. Les politiques participant à l'esprit de défense pourraient trouver leur prolongement dans la création d'un service national civique, qui se déclinerait par une formation partagée entre la défense, puis l'institutionnel territorial pour les enjeux civiques, avant de se terminer par un engagement associatif, humanitaire, environnemental ou autre.

Un tel dispositif convaincrait ses bénéficiaires qu'ils appartiennent à une communauté qui contribue à leur bien-être, mais au bien-être de laquelle ils peuvent et doivent aussi contribuer. Il s'agirait là d'un véritable contrat moral entre la société et les individus qui la composent. On retrouverait là l'esprit de l'amalgame républicain.

Dans la même logique, il importe de valoriser la réserve citoyenne, à laquelle le service civique pourrait servir de tremplin. Alors qu'ils sont les meilleurs ambassadeurs de l'esprit de défense auprès des civils, le rôle des réservistes, notamment des réservistes citoyens, est pourtant trop souvent mal considéré. Un important travail est à mener pour y remédier, compte tenu du rôle primordial que les réservistes devront jouer dans ce que le Livre blanc appelle la résilience.

Cinquième nécessité : préparer les élites professionnelles à des situations de crise. Dans un contexte où, comme le souligne le Livre blanc, une « surprise stratégique » n'est plus à exclure, il importe que la population, et tout particulièrement les actifs, soit capable de faire face.

Oui à l'armée de métier et aux forces de sécurité – police nationale, gendarmerie, police municipale et autres – et de secours pour faire face aux crises latentes ou inopinées car elles sont brutales et demandent la mise en oeuvre de moyens techniquement sophistiqués. Mais les crises brutales peuvent se multiplier et durer, et les moyens de la défense doivent pouvoir se renforcer, se répandre plus largement sur le terrain.

Tous ceux qui jouent un rôle actif dans la société sur les plans économique, entrepreneurial, technique, de recherche ou social, doivent donc garder à l'esprit que leur fonction quotidienne peut, à un moment donné, impliquer leur participation à la défense.

Cela devrait conduire à proposer que toutes les élites formées par la nation – dans les grandes écoles, les universités, les différentes écoles professionnelles et techniques – soient obligatoirement tenues d'apporter leur concours à celle-ci en cas de menace et soient aptes à le faire. Tout diplômé doit recevoir, dans le cadre de son diplôme, une formation à la défense et doit pouvoir accomplir les missions qui lui sont confiées, en d'autres termes, se considérer comme un cadre de la défense. (M. le ministre de la défense revient dans l'hémicycle.)

Le même rôle doit, bien entendu, être rempli par les élus locaux. À cet égard, il convient de mieux définir le rôle des correspondants locaux de la défense et de renforcer leur formation, en particulier par les institutions de formation telles que l'IHEDN ou l'INHES.

Dans le même esprit, je suggère une meilleure mobilisation des associations d'officiers et sous-officiers de réserve, ainsi que des professionnels des armées revenus à la vie civile mais qui, par leur expérience, peuvent être également des cadres de la défense civile, aux missions multiples sur le territoire.

Je propose, parce que cela me semble indispensable, de créer un organisme qui, placé au côté du Conseil de défense et de sécurité nationale, rassemblerait l'ensemble de ces acteurs aujourd'hui disséminés. Sa vocation serait de faire vivre l'esprit de défense, en assurant dans toute la société la diffusion de l'information, la formation et la mobilisation des citoyens, particulièrement en cas de crise.

« Avoir la conscience de ce qui a été accompli dans le passé, vouloir agir pour l'avenir au service de la nation », telle était, pour Renan, la définition de l'unité de la nation. Réunir le pays autour de sa sécurité et de sa défense, adhérer aux raisons et aux moyens de celles-ci, tel est le but du Livre blanc.

Ces deux propositions se rejoignent et se renforcent mutuellement. L'unité de la nation est indispensable à l'esprit de défense, et le développement de l'esprit de défense renforcera l'unité de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Messieurs les ministres, chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un nouveau Livre blanc rendu public par le Président de la République le 18 juin dernier. Je regrette que l'Assemblée n'ait pas eu en amont, avant sa publication, un débat de ce type. Le chef de l'État est certes le chef des armées, et il lui appartient bien évidemment de fixer les orientations de notre défense, mais un débat préalable n'aurait rien enlevé à ses prérogatives, bien au contraire. Aujourd'hui, monsieur le ministre, nous avons un peu le sentiment d'être comme les carabiniers.

Il n'en demeure pas moins que l'exercice du Livre blanc est nécessaire et même incontournable. Il est de bon ton de dire que le monde a radicalement changé. Il est vrai que le temps de l'affrontement entre blocs est révolu. C'était simple : il y avait les rouges, nous étions les bleus ; malheureusement, nous avons été trahis par l'ennemi. (Sourires.) Les choses sont désormais un peu plus compliquées.

La globalisation n'est pas un phénomène radicalement nouveau, n'y a-t-il pas eu deux guerres mondiales ? Mais si elle a rapproché les hommes dans le village planétaire, elle a aussi rapproché les haines.

Si la notion de proximité géographique a été bouleversée par les moyens de communication, les mêmes règles multiséculaires gouvernent toujours le monde. Diplomatie et soldats continueront de marcher ensemble et, quelles que soient nos alliances, nous savons, depuis l'aube des temps, qu'il ne faut jamais avoir confiance dans l'alliance avec un puissant – le peuple éduen l'a appris à ses dépens durant la guerre des Gaules.

La défense, monsieur le ministre, est d'abord l'affaire de la nation et d'elle seule. Comme chaque fois que nous devons mobiliser nos énergies, certains se complaisent dans les délices de l'abandon : « À quoi bon ? », « La France, c'est du passé », « Elle est trop petite », « Nous ne représentons qu'un pourcentage infime de la population ». Cela fait vingt siècles que nous entendons cette ritournelle digne du café du commerce. Soyons clairs : il n'existe aucune corrélation dans l'histoire entre la taille et la puissance – et c'est un petit qui vous parle. (Sourires.) Tout est affaire de cohésion et de force morale.

N'oublions pas non plus que nous sommes entrés dans une nouvelle donne géostratégique, celle des puissances relatives. La maîtrise absolue de notre destin national passe par notre détermination en matière de défense. Nous avons, et vous le savez, le savoir technologique ; à nous d'avoir la volonté politique de le mettre en oeuvre.

J'en viens maintenant aux principaux éléments du Livre blanc.

J'approuve la place donnée au renseignement dans les orientations que vous nous présentez, la création d'un coordinateur du renseignement dans une sorte de conseil de sécurité nationale présidé par le Président, la création des bases de défense. Il n'appartient pas aux armées de pallier les lacunes de l'aménagement du territoire, aussi nécessaire soit-il par ailleurs.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Bien sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

J'ai également noté l'engagement du Gouvernement de consacrer les sommes économisées au profit des équipements. Je serai particulièrement vigilant pour que cette orientation soit respectée.

Je salue le maintien de la dissuasion nucléaire comme pivot géostratégique de notre indépendance, car ce n'est pas demain que le monde sera dénucléarisé.

Mais certains de vos choix m'inspirent des doutes sérieux.

Vous nous présentez par exemple un reformatage à la baisse des armées, avec 30 000 hommes projetables. Je vous le dis, c'est insuffisant.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Plus 5 000 hommes sur un théâtre secondaire, plus 10 000 hommes au titre de la défense du territoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Dont acte, mais cela ne fait que 45 000.

Vous dites qu'il faut faire des économies parce que notre budget est contraint. Chiche ! Remettez à plat le budget de l'Union européenne, et vous gagnerez 10 milliards dès l'année prochaine. Remettez à plat les régions, qui ne sont que des organismes dispendieux avec des satrapes félons à leur tête, et qui font tanguer l'unité de l'État. Remettez à plat les multiples machins et des bidules qui balkanisent l'État, et vous trouverez facilement 10 à 20 milliards immédiatement !

Vous proposez, et c'est là où je m'interroge, de compenser ce reformatage à la baisse par la coopération européenne, voire une défense européenne.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Cette défense européenne devrait être le fondement même d'une OTAN rénovée.

Permettez-moi de ne pas être d'accord avec cette démarche. Votre analyse semble être la suivante : nos partenaires européens étant dans l'OTAN et pour l'OTAN, et la France étant favorable à la défense européenne, c'est en ralliant l'OTAN qu'elle réussira à convaincre ses partenaires de construire une défense européenne. Voilà un syllogisme un peu illusoire, voire une bévue. Il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités.

Aucun de nos partenaires ne rêve véritablement d'une défense européenne. Ils ont aliéné leur défense dans l'OTAN. La preuve, l'article 42-7-2 de feu le traité de Lisbonne, indiquait que « Les engagements et la coopération [dans le domaine de la politique de sécurité et de défense] demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre. » La messe est dite !

En termes militaires, nous n'avons pas besoin, du fait de la coopération que nous avons nouée avec cet organisme, de rentrer dans l'OTAN. Mais, en réalité, le problème est bien davantage une question politique et diplomatique. Je suis intimement convaincu que rallier aujourd'hui l'OTAN, c'est donner un mauvais signal au monde entier, et que nous n'arriverons ni à avoir de l'influence sur les Américains ni à rallier nos petits camarades européens à notre cause et à nos idées.

En réalité, il faut inverser la démarche, muscler notre défense, aller pas à pas vers la mobilisation de 3 % de PIB pour notre défense. Là, nous entraînerons les autres. Car la clé, c'est que plus la France est forte et indépendante, plus l'Europe est indépendante, moins la France est indépendante, plus l'Europe est américaine. Voilà la vérité. Tout le reste n'est que littérature.

Il est une autre question que nous devons nous poser : l'OTAN a changé de nature. Cela a déjà été souligné, l'alliance est devenue, de par la volonté des Américains, un outil au service de leur manichéisme, je n'ai pas peur d'employer ce terme. Nous sommes très loin de l'alliance défensive fondée sur l'article 5 de l'OTAN, lui-même fondé sur l'article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense individuelle et collective. Et tout cela s'est fait dans le dos du Parlement. Je suis donc intimement convaincu que rallier l'OTAN serait une faute géostratégique et diplomatique.

J'ajoute, et cela est important, que notre défense passe aussi par des accords de coopération sur le flan sud, c'est-à-dire en Méditerranée notamment. Je me réjouis à ce propos de l'accord récent qui a été signé par le Premier ministre en matière de coopération militaire en Algérie. Nos destins sont liés. La France est certes européenne mais elle est également méditerranéenne et elle doit garder sa liberté de manoeuvre.

Monsieur le ministre, pour moi, le débat est ouvert. Le Livre blanc, c'est comme les lois de programmation, c'est comme l'amour : tout est dans l'exécution. Je serai à vos côtés pour vous aider à obtenir les crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Giraud

Messieurs les ministres, dans son discours du 17 juin de présentation des conclusions du Livre blanc, le Président de la République a rappelé qu'il s'attacherait à envoyer en mission des soldats bien entraînés et bien équipés. Depuis septembre 2007, et ce sera le cas encore en août 2008, la France a renforcé son dispositif en Afghanistan. Cela suppose, au minimum, la formation de 2 500 hommes dans les toutes prochaines années. Il semble ainsi logique que tous les moyens permettant de préparer nos troupes à cette mission soient préservés. D'autant que, au-delà de l'Afghanistan, les quatre zones stratégiques identifiées par le Livre blanc comportent des pays dont les spécificités et la topographie exigent une formation adaptée.

Or, selon des fuites « organisées » dans la presse, et aujourd'hui même à l'AFP selon les propos que vous attribue, monsieur le ministre, le maire de Briançon – que vous infirmerez, j'espère –, il semble que vous envisagiez la dissolution des seuls établissements qui ont le potentiel et les capacités de préparer efficacement et avec réalisme nos soldats, c'est-à-dire du centre national d'aguerrissement en montagne de Briançon, dans les Hautes-Alpes, et de Barcelonnette, dans les Alpes de Hautes Provence, qui lui est rattaché à compter du 1er juillet. Situé entre la Savoie et l'Ubaye, ce territoire présente pourtant les caractéristiques les plus proches, tant en altitude qu'en relief, de celui où sont engagées nos forces ; les troupes qui partent en Afghanistan se trouvent d'ailleurs en ce moment même dans ces centres.

Si cette décision relève d'une logique budgétaire, elle est peu lisible et démontre pour le moins les incohérences des analyses financières qui ont été menées. En effet, entraîner des soldats pour l'Afghanistan au CNAM de Briançon coûte dix fois moins cher que de les entraîner dans un centre de l'OTAN en Allemagne, au relief plutôt inadapté.

À défaut d'une logique budgétaire, serions-nous à nouveau dans une pure et unique logique atlantiste ? Alors que la France a la possibilité d'entraîner ses propres forces, de proposer ses moyens à d'autre pays alliés, répondant ainsi à la volonté du Président de la République de conforter l'Europe de la défense, il est envisagé de dissoudre un organisme qui ne compte que 125 personnes pour un budget annuel de moins de 1 million d'euros et qui apporte une plus-value reconnue de tous. Son action est en outre en parfaite cohérence avec le concept de résilience de la société, au moment où la frontière entre sécurité civile et sécurité militaire n'est plus aussi claire, ainsi que l'ont prouvé ces soldats en sauvant des enfants bloqués dans un car pris dans une tempête au col du Lautaret.

Sans nier la nécessité de restructurer les armées, et s'agissant des pôles d'entraînement des Alpes, les acteurs locaux vous ont fait la proposition réaliste, concrète et ambitieuse, au moment où la France accède à la présidence de l'Union, d'offrir à l'Europe un centre inter-armées européen d'entraînement et d'aguerrissement en montagne afin de partager ce pole d'excellence. C'est déjà au demeurant le cas, mais là, cette action serait structurée pour répondre aux besoins actuels et contribuer à renforcer nos partenariats internationaux, tout en conservant sur notre territoire les indispensables structures de formation nécessaires aux engagements de la nation.

Réfléchissez bien à cette proposition, messieurs les ministres, car le jour où des soldats français tomberont en Afghanistan parce qu'ils auront été mal entraînés,…

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Oh ! Il ne faut pas dire des choses pareilles !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Giraud

…il sera trop tard et les Français demanderont des comptes au Président de la République qui avait annoncé faire de la sécurité des personnels une priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Monsieur le ministre, vous connaissez le règlement ! Théoriquement, la séance devait être levée à vingt heures. Je vous donne néanmoins la parole pour une réponse rapide.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Je sais que certains parlementaires étaient tenus par des contraintes horaires et je constate que Mme Adam a quitté l'hémicycle pour prendre un avion alors que le Gouvernement aura été représenté tout au long de ce débat.

Je veux bien entendre tous les arguments, monsieur Giraud, mais vous ne pouvez pas dire que le retour dans les structures intégrées de l'OTAN pousserait à fermer les centres d'entraînement de Barcelonnette et de Briançon. Tous les régiments de chasseurs alpins s'entraînent sur leurs propres champs de manoeuvre. C'est en 1994, lorsque le gouvernement d'Édouard Balladur a décidé de fermer ces deux régiments, que l'on a créé de toutes pièces, ex nihilo, les deux centres d'aguerrissement en montagne que vous avez cités. Je rappelle également que nous avons déjà rencontré les élus des communes concernées.

Je le répète à l'intention de François Cornut-Gentille et d'autres orateurs : nous adaptons notre outil de défense dans l'intérêt de tous les Français. Cela dit, nous ne délaisserons pas pour autant les territoires qui se sont organisés autour de régiments ou d'usines dans le sud-ouest de la France. La défense n'est pas une question d'aménagement du territoire, mais le Gouvernement a décidé de mettre en oeuvre les mesures de compensation, de reconversion et d'accompagnement des sites qui s'imposent. Le Premier ministre a d'ailleurs annoncé à la tribune qu'une aide de 320 millions d'euros serait accordée. Avec toute une série de collectivités, nous sommes déjà engagés dans des reconversions. Allez à Illkirch ou à Albi, et vous verrez comment de petites communes ont su se retrousser les manches pour créer, avec l'aide de la puissance publique, des centaines d'emplois dans d'anciens sites militaires.

Monsieur Myard, j'ai déjà longuement parlé de l'Alliance atlantique tout à l'heure, mais je vais vous donner un exemple. Les Allemands sont très atlantistes, puisqu'ils ont reconstruit leur armée dans ce cadre, mais cela ne les a pas empêchés de s'opposer brutalement et ouvertement aux Américains au moment de la guerre en Irak.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Ce n'est pas parce que nous serons dans le commandement intégré de l'Alliance atlantique, ce qui d'ailleurs ne changera pas grand-chose dans les faits – vous l'avez reconnu vous-même –, que nous perdrons pour autant notre autonomie de décision, notre capacité à exprimer notre politique étrangère. Les Allemands l'ont prouvé en 2003.

J'ajoute que le ministre de la défense que je suis accepterait bien volontiers votre proposition d'augmenter le budget de la défense à hauteur de 1 % de la richesse nationale.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Mais je me permets de vous signaler que cela représenterait 17 ou 18 milliards d'euros supplémentaires, c'est-à-dire que le déficit budgétaire passerait à 60 milliards d'euros !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Myard

Mais non ! Supprimez les régions et le budget européen qui ne sert à rien !

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Quant à Patrick Beaudouin, je souscris totalement à ses propos. Nous avons besoin de maintenir ce lien extraordinaire qui unit l'armée et la nation. D'ailleurs, 88 % des Français ont une bonne opinion de leur armée. Ils savent que nos militaires servent la France avec passion et dévouement.

Debut de section - PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Comme l'a dit M. Grouard, nous devons construire l'armée de nos besoins, et non celle de nos habitudes. Notre armée doit continuer à être fière et heureuse de servir parce qu'elle est bien équipée face aux risques nouveaux. C'est précisément l'objet du Livre blanc et je vous donne rendez-vous à l'occasion de la loi de programmation militaire. Notre pays a une ambition claire. J'en profite pour dire que reprocher au Président de la République d'avoir prononcé des arbitrages sur le Livre blanc c'est nier l'existence même de la démocratie. Le Président de la République est élu par le peuple devant lequel il est responsable. Il est le chef des armées au titre de l'article 15 de la Constitution. Il est donc légitime qu'il procède à des arbitrages. Cette ambition est affichée. Il nous reste à faire en sorte que les moyens soient là à l'occasion de la loi de programmation militaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Le Guen

Prochaine séance, lundi 30 juin 2008 à dix-sept heures trente :

Discussion du projet de loi de règlement des comptes de 2007.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma