Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christophe Sirugue

Réunion du 24 mars 2010 à 21h30
Réforme du crédit à la consommation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Sirugue :

Substituer au crédit renouvelable une succession de crédits amortissables est une opération en trompe-l'oeil.

Parce qu'il est un crédit désaffecté, le crédit renouvelable est celui qui sert à boucler les fins de mois, nous le savons tous. Une étude du CREDOC montre qu'en 2001, seuls 15 % des allocataires des minima sociaux recouraient au crédit, contre 43 % de l'ensemble des ménages. Et pourtant, ils souscrivaient des crédits renouvelables à part égale, c'est-à-dire à hauteur de 6 %.

Outre que ce type de crédit sert à pallier le problème de l'insuffisance des revenus – dont il faudra bien parler – sans le résoudre, il est souvent contracté en toute ignorance. Les conseillers des établissements de crédit sont commissionnés au prorata du nombre de crédits renouvelables souscrits sans se soucier de la rencontre libre de l'offre et de la demande.

Comment se fait-il qu'aucun justificatif de solvabilité ne soit demandé à l'emprunteur ? Tous les établissements spécialisés de crédit le savent : ce n'est pas en visant le taux d'impayé le plus bas qu'ils feront des affaires. Ils connaissent parfaitement le pourcentage de risque d'impayé de chaque dossier. Le surendettement d'une fraction de leur client est intégré à leur calcul de rentabilité.

En raison de sa mécanique, le crédit renouvelable n'est même pas intégré dans le FICP. Quelle protection le projet de loi offrira-t-il si l'acte de vente d'un produit et l'acte d'ouverture ne sont pas séparés physiquement, si la signature du conjoint – lorsque le crédit souscrit est adossé à un compte joint bancaire – n'est pas exigée, si le démarchage et le harcèlement ne sont pas interdits ?

Je souhaiterais que le Gouvernement mette en adéquation le discours et les pratiques, et supprime le crédit renouvelable.

Venons-en à la question du surendettement. Il ne s'agit pas d'un microphénomène. Le premier semestre 2009 a vu un bond de 17 % de dépôts de dossiers supplémentaire, 15 % sur l'année. Le surendettement touche aujourd'hui près de 800 000 ménages.

On a parfois pu entrevoir dans les débats le reflet d'une moralisation du surendettement qui concernerait des acheteurs au comportement compulsif, faisant preuve d'un excès de convoitise. On a même entendu parler de familles multipliant les écrans plats.

Rappelons que les conseillers de ces établissements confient parfois sous le manteau que les crédits renouvelables servent à financer des dettes, des impôts, des meubles, des réparations automobiles ou encore des pierres tombales. Les abus existent, il ne faut pas le nier, mais rappelons que le surendettement passif, dû à une diminution de ressources, concerne 75 % des cas ; 32 % résultant d'une perte d'emploi, 15 % d'un divorce et 11 % étant liés à une maladie ou à un accident.

Concernant les cartes multiservices ou les cartes de fidélité sur lesquelles les conseillers parviennent à adosser des crédits renouvelables non sollicités par le client, le projet de loi que nous examinons opère une avancée que je salue. La fonction paiement comptant devra être activée à l'exclusion de toute autre, sauf choix exprès du consommateur. Mais lorsque l'on sait qu'une partie des souscripteurs s'ignore et que la démarche faite à leur insu est une étape dans un processus de captation de clientèle, ne vaudrait-il mieux pas exiger la séparation du support servant à l'achat de celui servant à la souscription du crédit et avoir le courage de le reconnaître ?

Concernant les regroupements ou rachats de crédit, et contrairement à ce qu'exprimait Mme la ministre de l'économie en commission des lois, je ne crois pas qu'ils puissent être utiles. La baisse des mensualités se paie par un montant global exorbitant et un allongement de la durée de remboursement proprement scandaleux. Nous dépassons ici le stade du crédit de soudure pour entrer dans la phase terminale où le prêteur vend une dette supplémentaire aux ménages pour permettre la gestion technique de leurs dettes. C'est comme si l'on vendait de l'alcool à un alcoolique au motif de le soigner.

Au rang des démarches d'endettement de dernier recours, le prêt sur gage fait l'objet d'une disposition que je comprends mal, à savoir supprimer la possibilité d'échelonner ou d'effacer les dettes contractées par prêt sur gage. N'y a-t-il pas contradiction entre l'esprit des crédits municipaux et la réforme proposée ?

Enfin, l'hypothèque rechargeable me semble une pratique d'endettement particulièrement pernicieuse. Il faut abroger ce dispositif introduit en 2006, car s'il se distingue du mortgage américain en ce qu'il permet de réutiliser une hypothèque pour obtenir un nouveau crédit à hauteur des remboursements effectués, il reste que recharger une hypothèque constitue déjà un pas vers le surendettement.

L'approfondissement de la démarche de responsabilisation des prêteurs doit s'accompagner d'une amélioration des propositions du texte sur la protection de l'emprunteur.

Six éléments me semblent sujets à caution dans notre débat. Le premier concerne le répertoire national des prêts à la consommation. Géré par la Banque de France et délivré par extrait sur le modèle de la délivrance d'une attestation de casier judiciaire, il peut avoir son utilité, nous souhaitons travailler en ce sens. Diffusé aux établissements de crédit, il constituerait une grave atteinte à la vie privée. Connaissant l'agressivité du démarchage de ces établissements, qui peut affirmer que ce fichier ne constituerait pas un véritable terrain de chasse pour eux ?

Le deuxième élément est la dilution de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, laquelle augure mal des intentions réelles du Gouvernement. Et ce n'est pas l'Observatoire des prix et des marges qui la compensera.

Le troisième élément est l'absence criante de l'action de groupe, véritable arlésienne. Celle-ci a toujours été repoussée au motif dilatoire qu'elle méritait un texte à elle seule, mais lorsque la gauche a présenté un tel texte, vous ne l'avez pas voté.

Quatrièmement, rien n'est prévu, me semble-t-il, pour faciliter la saisine bien compliquée de la commission consultative sur les taux de prêt d'argent, habilitée à traiter des problèmes d'écart entre le taux annoncé et le taux effectif global.

Cinquième élément, le nerf de la guerre : l'assurance. Je ferai à cet égard deux remarques. D'une part, les primes d'assurance doivent pouvoir être calculées non plus sur la totalité du capital, mais sur le reste à payer. D'autre part, les prêteurs présentent généralement la prime comme « transparente », ce qui ne signifie pas « gratuite » comme le fait remarquer la sociologue Hélène Ducourant. Cette prime est, certes, comprise dans la mensualité, mais la durée de remboursement est rallongée d'autant. Il faut donc obtenir la transparence non sur le prix de l'assurance, mais sur la communication des conseillers.

Sixième et dernier élément, le crédit social. Mis en place par de nombreuses collectivités de toutes appartenances politiques, il doit trouver une dimension nationale à la faveur du texte qui nous rassemble aujourd'hui.

Madame la ministre, ce projet de loi propose des avancées, mais il doit être encore amélioré en empêchant la saisie de la caution des parents ou des grands-parents lorsqu'un débiteur rembourse ses dettes suivant un échéancier fixé par la commission de surendettement ; en supprimant la condition de bonne foi du débiteur, fréquemment contestée par les créanciers ; en évitant que les contentieux retardent l'entrée en plan de redressement ; en évitant les disparités fortes sur le calcul du reste à vivre qui, s'il doit prendre en compte les spécificités des territoires, notamment les prix de l'immobilier, ne peut pas aboutir à un reste à vivre de 680 euros en Moselle contre 260 euros dans le Territoire de Belfort par exemple.

Au final, ce texte me donne l'impression d'une demi- réponse à un grave problème, d'un arrêt au milieu du gué, comme si vous étiez consciente, madame la ministre, que la situation n'est plus tenable, mais que votre croyance en une économie de marché libre vous empêche de faire quelques avancées, le pas supplémentaire qui serait pourtant salutaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion